Travail du sexe : Questions et réponses

1. Pourquoi Amnesty International a-t-elle besoin d’une ligne de conduite relative à la protection des travailleuses et travailleurs du sexe ?

Parce que, dans de nombreux pays du monde, les travailleuses et travailleurs du sexe sont particulièrement exposés au risque de subir des atteintes à leurs droits humains. Notre ligne de conduite présente les mesures que devraient prendre les gouvernements pour mieux les protéger.

2. À quelles sortes de mauvais traitements les travailleuses et travailleurs du sexe sont-ils exposés ?

Les travailleuses et travailleurs du sexe sont exposés à toute une série d’atteintes à leurs droits humains, telles que :

  • le viol
  • la violence
  • la traite des personnes
  • l’extorsion
  • les arrestations et mises en détention arbitraires
  • l’expulsion forcée de leur domicile
  • le harcèlement
  • la discrimination
  • l’exclusion des services de santé
  • le dépistage forcé du VIH
  • l’absence de réparations judiciaires.

Nous avons relevé de nombreux cas dans lesquels des policiers – ainsi que des clients et d’autres personnes ordinaires – ont infligé, en toute impunité, des mauvais traitements à des travailleuses et travailleurs du sexe.

3. Quelles mesures votre ligne de conduite exige-t-elle des gouvernements pour faire cesser cette situation ?

Notre ligne de conduite appelle les gouvernements à protéger et respecter les droits des travailleuses et travailleurs du sexe et à faire en sorte que ces personnes puissent exercer ces droits. Les gouvernements doivent notamment :

  • les protéger des préjudices, de l’exploitation et de la contrainte ;
  • veiller à ce qu’elles puissent participer à l’élaboration des lois et des politiques qui concernent directement leur vie et leur sécurité ;
  • garantir leur plein accès à la santé, aux études et à l’emploi.

Amnesty International demande également la dépénalisation du travail du sexe, car des éléments tendent à prouver que le fait d’ériger cette activité en infraction réduit la sécurité des travailleuses et travailleurs du sexe : cela les empêche de rechercher la protection de la police et offre l’impunité aux individus qui les maltraitent.

Vous pouvez accéder à l’intégralité de cette ligne de conduite.

4. Qu’entend-on par dépénalisation du travail du sexe ?

La dépénalisation du travail du sexe ne signifie pas l’abrogation des lois érigeant en infraction l’exploitation, la traite des êtres humains ou la violence à l’égard des travailleuses et travailleurs du sexe. Ces textes doivent rester en vigueur. Ils peuvent – et doivent – être renforcés.

La dépénalisation du travail du sexe signifie l’abrogation des textes qui érigent en infraction cette activité.

Il s’agit notamment des lois et règlements qui incriminent l’achat et la vente de services sexuels ou l’organisation du travail du sexe, par exemple le racolage, la location de locaux, la gestion de maisons closes et le fait de vivre des revenus de la « prostitution ».

Par « travail du sexe » ou « travail sexuel », Amnesty International désigne exclusivement des échanges entre adultes consentants.

5. Pourquoi Amnesty International soutient-elle la dépénalisation ?

Ce modèle permet une meilleure protection des droits des travailleuses et travailleurs du sexe, qu’il s’agisse :

  • de l’accès de ces personnes aux services de santé ;
  • de leur capacité à signaler des infractions aux autorités ;
  • de leur capacité à s’organiser et à collaborer entre elles pour renforcer leur sécurité ;
  • de la tranquillité d’esprit de savoir que leur famille ne risque pas des poursuites parce qu’elle « vit des revenus » du travail du sexe.

6. Les personnes qui vendent des services sexuels ont besoin de protection, mais pourquoi protéger des « proxénètes » ?

Notre ligne de conduite n’a pas pour objet de protéger des « proxénètes ». Quiconque maltraite ou exploite des travailleuses et travailleurs du sexe doit répondre de ses actes devant la justice.

Mais nous avons parfaitement conscience du problème très concret que posent les lois relatives au « proxénétisme » : ces lois – du fait de leurs dispositions excessivement larges et insuffisamment ciblées – portent souvent préjudice aux travailleuses et travailleurs du sexe au lieu de sanctionner ceux qui portent atteinte à leurs droits.

Par exemple, de nombreux pays considèrent que deux travailleuses ou travailleurs du sexe qui collaborent pour assurer leur sécurité tiennent une « maison close » et sont donc dans l’illégalité.

Amnesty International estime que la loi doit servir à sanctionner les actes d’exploitation, de violence et de traite des personnes observés dans le domaine du commerce du sexe, mais que l’adoption de dispositions très générales, qui rendent le quotidien des travailleuses et travailleurs du sexe plus dangereux, n’est pas la manière la plus efficace d’y parvenir.

7. Amnesty International estime-t-elle que l’achat de services sexuels est un droit humain ?

Non. Notre ligne de conduite ne porte pas sur les droits des clients du commerce du sexe. Elle traite exclusivement de la protection des travailleuses et travailleurs du sexe, lesquels subissent toutes sortes de violations des droits humains en raison de la criminalisation de leur activité.

Amnesty International ne considère pas non plus que le fait d’acheter des services sexuels soit un droit humain. (Mais elle estime que les travailleuses et travailleurs du sexe ont des droits humains !)

En clair : les relations sexuelles ne doivent avoir lieu qu’entre personnes consentantes. Nul ne peut exiger des relations sexuelles de plein droit.

8. En quoi la légalisation du travail du sexe diffère-t-elle de la dépénalisation ?

La légalisation ne consiste pas à abroger la législation incriminant les travailleuses et travailleurs du sexe mais à adopter des lois et politiques régissant spécifiquement le travail du sexe.

Amnesty International n’est pas opposée à la légalisation de ce travail, mais les gouvernements doivent veiller à ce que leur système respecte les droits fondamentaux des travailleuses et travailleurs du sexe.

La Tunisie illustre de manière particulièrement éloquente les failles d’une légalisation. En Tunisie, les travailleuses et travailleurs du sexe qui exercent dans des maisons closes disposant d’une licence et qui souhaitent quitter leur emploi doivent obtenir l’autorisation de la police et démontrer leur capacité de vivre par des moyens « honnêtes ». Les personnes agissant hors de ce cadre restent considérées comme des délinquantes et ne bénéficient d’aucune protection juridique.

9. La dépénalisation n’encourage-t-elle pas plutôt la traite des êtres humains ?

Soyons clairs : une dépénalisation du travail du sexe n’impliquerait pas l’abrogation des sanctions pénales visant la traite des personnes. La traite est une atteinte odieuse aux droits humains. Les États doivent se doter de lois criminalisant la traite d’êtres humains et s’en servir efficacement pour protéger les victimes et traduire en justice les trafiquants.

Aucun élément fiable ne permet de conclure que la dépénalisation du travail du sexe favoriserait la traite des êtres humains.

En revanche, le fait de considérer le travail du sexe comme une infraction peut entraver la lutte contre la traite : par exemple, les victimes hésiteront à se faire connaître si elles craignent que la police prenne des mesures à leur encontre pour vente de services sexuels. Lorsque le travail du sexe constitue une infraction, les travailleuses et travailleurs du sexe sont également exclus des protections liées au droit du travail susceptibles de renforcer les contrôles et de faciliter la détection et la prévention de la traite d’êtres humains.

Plusieurs organisations luttant contre la traite des personnes, notamment Freedom Network USA, la Global Alliance Against Traffic in Women et La Strada International, estiment que la dépénalisation du travail du sexe aurait des effets positifs sur la lutte contre la traite.

10. La dépénalisation du travail du sexe ne risque-t-elle pas de porter préjudice aux droits des femmes et de renforcer les inégalités entre les genres dans le monde ?

Les inégalités entre les genres peuvent grandement influencer la décision d’une femme d’offrir des services sexuels. Mais la criminalisation ne résout pas ce problème : tout ce qu’elle fait, c’est réduire leur sécurité quotidienne.

Il en va de même pour les transgenres et les hommes exerçant un travail sexuel, dont beaucoup sont homosexuels ou bisexuels : ils connaissent eux aussi la discrimination et les inégalités.

Les États doivent lutter contre la discrimination et les préjugés sur le genre, donner les moyens aux femmes et à d’autres groupes marginalisés de prendre leur propre vie en main, et veiller à ce que toute personne ait d’autres choix viables pour gagner sa vie.

11. Pourquoi Amnesty International ne soutient-elle pas le « modèle nordique » ?

Quel que soit l’objectif visé, les lois interdisant l’achat de services sexuels et l’organisation du travail du sexe risquent de porter préjudice aux travailleuses et travailleurs du sexe.

Elles les incitent souvent à prendre davantage de risques pour éviter que leurs clients ne se fassent repérer par la police.

Par exemple, des travailleuses et travailleurs du sexe ont confié à Amnesty International se sentir obligés de se rendre chez leurs clients pour éviter la police, ce qui implique une moindre maîtrise de la situation et des risques éventuels pour leur sécurité.

D’autre part, le « modèle nordique » sanctionne les travailleuses et travailleurs du sexe qui exercent à plusieurs ou s’organisent pour assurer leur sécurité.

Ces personnes risquent également d’avoir du mal à louer un logement, les propriétaires étant passibles de poursuites judiciaires, ou d’être expulsées de force de chez elles.

12. Ce discours d’Amnesty International ne revient-il pas à promouvoir l’industrie du sexe ?

Amnesty International ne soutient ni ne condamne le commerce du sexe.

En revanche, nous condamnons fermement les atteintes aux droits humains commises contre les personnes qui vendent des services sexuels et les discriminations que celles-ci subissent, et nous estimons que la dépénalisation est une mesure importante pour remédier à cette situation.

13. Qu’en est-il des gens qui ne sont pas d’accord avec vous ?

Amnesty International a conscience qu’il existe des différences d’opinion fondamentales sur la question de la dépénalisation du travail du sexe et respecte les convictions de celles et ceux qui n’adhèrent pas à sa position.

Nous souhaitons avoir des échanges respectueux et ouverts sur les différentes manières de protéger au mieux les droits humains des travailleuses et travailleurs du sexe.

Nous pensons qu’il y a de nombreux points d’accord – par exemple, veiller à ce que les personnes vendant, ou envisageant de vendre, des services sexuels aient la possibilité de subvenir à leurs besoins par d’autres moyens et puissent cesser ce travail quand elles le veulent.

14. Sur quels éléments Amnesty International fonde-t-elle sa position ?

L’élaboration de la ligne de conduite d’Amnesty International relative à la protection des droits humains des travailleuses et travailleurs du sexe s’est étalée sur plus de deux ans. Cette ligne de conduite s’appuie sur des recherches approfondies et des consultations menées auprès d’un large éventail d’organisations et de personnes.

Nous avons analysé le travail conséquent accompli par divers organismes des Nations unies tels que l’Organisation mondiale de la santé, ONUSIDA et le rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à la santé. Nous avons également étudié les positions d’autres organisations, comme la Global Alliance Against Traffic in Women.

Amnesty International a mené des recherches minutieuses sur le terrain en Argentine, à Hong Kong, en Norvège et en Papouasie-Nouvelle-Guinée [liens], et a consulté plus de 200 travailleuses et travailleurs du sexe du monde entier.

Nos bureaux à travers le monde ont également contribué à l’élaboration de cette ligne de conduite dans le cadre de vastes consultations menées, entre autres, auprès de groupes de personnes vendant des services sexuels, de groupes représentant des victimes de la prostitution, d’organisations prônant la criminalisation, de responsables d’organisations féministes ou défendant plus généralement les droits des femmes, de militants LGBTI (personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexuées), d’organismes de lutte contre la traite des êtres humains, et de personnes militant sur les questions du VIH/sida.

Ce travail a été complété par les résultats de recherches antérieures menées par Amnesty International sur les droits humains. Ces résultats mettent en évidence les mauvais traitements infligés aux travailleuses et travailleurs du sexe et se retrouvent dans les documents suivants, entre autres :

  • notre rapport sur la violence contre les femmes en Ouganda, dans lequel sont exposés des cas de femmes à qui l’on a dit que, puisqu’elles vendaient des services sexuels, elles l’avaient « bien cherché », et qu’« une prostituée ne peut pas être violée » ;
  • notre déclaration publique, dans laquelle nous demandons à la Grèce de cesser de criminaliser et de stigmatiser les travailleuses et travailleurs du sexe présumés séropositifs ;
  • notre rapport sur le recours à la torture au Nigeria et les violences – pots-de-vin et viols – de la police ciblant en particulier les travailleuses et travailleurs du sexe ;
  • nos actions urgentes dénonçant le ciblage et les assassinats de travailleuses du sexe au Honduras ou les expulsions et mauvais traitements perpétrés par la police à l’encontre de personnes vendant des services sexuels au Brésil ;
  • Notre rapport sur la Tunisie, dans lequel sont exposés les facteurs rendant les travailleuses et travailleurs du sexe vulnérables à l’exploitation sexuelle, au chantage et à l’extorsion, agissements principalement perpétrés par la police.

Le contenu de cette page a été actualisé le 26 mai 2016, à la suite de la publication de la position d’Amnesty International relative aux droits des travailleuses et travailleurs du sexe [lien] et de quatre nouveaux rapports de recherche [lien].

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