Colombie—Homicides, détention arbitraire et menaces de mort. La réalité du syndicalisme en Colombie

Introduction : les syndicalistes et la crise relative aux droits humains

Depuis quarante ans, la Colombie est le théâtre d’un conflit armé qui oppose les forces militaires et paramilitaires à des mouvements de guérilla, dont les Fuerzas Armadas Revolucionarias de Colombia (FARC, Forces armées révolutionnaires de Colombie) – groupe le plus important – et l’Ejército de Liberación Nacional (ELN, Armée de libération nationale) – beaucoup plus petite. Ce conflit se caractérise par des violations généralisées et systématiques des droits humains et du droit international humanitaire, commises par toutes les parties.

Les forces armées et leurs alliés paramilitaires mènent une stratégie anti-insurrectionnelle destinée à priver les forces de la guérilla de tout soutien réel ou supposé de la population civile. La terreur fait partie intégrante de leur stratégie : disparitions forcées, torture, sévices sexuels et autres violences contre les femmes, menaces de mort et meurtres de civils sont autant de méthodes utilisées pour briser les liens, réels ou imaginaires, entre la population civile et la guérilla.

La tactique de la terreur sert aussi à aider les puissantes élites économiques à protéger, étendre et consolider leurs intérêts. Ainsi, plus de 60 p. cent des plus de trois millions de personnes déplacées en Colombie ont été chassées de terres qui présentaient un intérêt économique important, par exemple pour leur richesse minière ou agricole. Le conflit sert de prétexte à ceux qui veulent étendre et protéger leurs intérêts économiques. C’est dans ce contexte que des atteintes aux droits humains sont commises contre les syndicalistes, régulièrement qualifiés de subversifs par les forces de sécurité et leurs alliés paramilitaires. Ces violences coïncident souvent avec des périodes de conflit social ou de négociations sur les conditions de travail.

L’impunité est un élément essentiel de cette stratégie anti-insurrectionnelle : sachant que les auteurs de violations des droits humains ne seront pas traduits en justice, les personnes et les organisations renoncent à porter plainte. C’est aussi un moyen de dire à ces organisations que leurs membres et leurs dirigeants risquent de subir de nouvelles violences s’ils ne cessent pas leurs activités. Grâce à cette impunité, les auteurs de violations des droits humains restent en liberté et n’aspirent qu’à recommencer.

Diverses techniques sont employées pour empêcher que des enquêtes exhaustives soient menées sur les atteintes aux droits humains et garantir l’impunité aux membres des forces de sécurité. Ceux-ci utilisent notamment des groupes paramilitaires comme couverture pour mener leur « sale guerre », et cherchent à améliorer leur image en termes de droits humains en niant catégoriquement que ces paramilitaires agissent avec leur accord ou leur soutien ou, comme c’est souvent le cas, sous leur coordination.

L’utilisation des forces paramilitaires donne une autre dimension à la terreur dans le conflit colombien. Aux niveaux national et international, les forces armées et le gouvernement colombien nient tout lien entre l’armée et les paramilitaires, admettant tout au plus quelques cas individuels de collusion impliquant une poignée d’éléments « véreux ». Par contre, sur le plan local, ces liens sont souvent reconnus et même parfois délibérément mis en avant pour terrifier encore plus la population en lui faisant comprendre qu’elle ne peut demander de l’aide à personne.

De leur côté, les forces de la guérilla sont responsables d’atteintes multiples et généralisées au droit international humanitaire, telles que l’élimination physique de ceux qu’elles considèrent favorables à leurs ennemis ou qui s’opposent à leurs intérêts – y compris les syndicalistes ; les enlèvements et les prises d’otages ; les atteintes sexuelles ou autres formes de violence contre les femmes ; et les attaques disproportionnées et aveugles contre des cibles militaires, qui font souvent des victimes chez les civils(1). Elles s’attaquent aussi aux infrastructures industrielles, enlevant des employés pour extorquer de l’argent aux entreprises ou pour exprimer leur opposition à leurs activités d’investissement.

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Malgré l’amélioration de certains indicateurs de la violence liée au conflit armé, comme les homicides et les enlèvements, la Colombie reste confrontée à une grave crise des droits humains. En particulier, Amnesty International est préoccupée par le nombre toujours élevé de personnes déplacées, d’homicides et de menaces visant des syndicalistes et des défenseurs des droits humains – principalement de la part des groupes paramilitaires –, par le grand nombre de disparitions forcées, de mises en détention arbitraires et d’exécutions extrajudiciaires opérées par les forces de sécurité, et par les nombreux homicides et enlèvements de civils commis par la guérilla. Toutes les parties au conflit continuent de se rendre coupables de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et d’autres atteintes au droit international.

Bien que plus de 30 000 paramilitaires aient été officiellement « démobilisés » au cours de ces trois dernières années dans le cadre d’un processus très controversé lancé par le gouvernement, de nombreux éléments montrent que les groupes paramilitaires restent actifs et continuent de commettre des atteintes aux droits humains telles que des menaces, des homicides et des disparitions forcées, parfois avec l’accord ou la complicité des forces de sécurité. Malgré les modifications apportées par la Cour constitutionnelle, la Loi pour la justice et la paix, destinée à réglementer le processus de démobilisation, continue de susciter des inquiétudes : il est à craindre qu’elle n’exacerbe le problème endémique de l’impunité et qu’elle ne prive les victimes de leur droit à la vérité, à la justice et à des réparations, notamment du fait que le gouvernement est revenu, dans son décret 3391, sur certaines des modifications apportées par la Cour constitutionnelle (voir annexe 1).

Ces dernières années, la part des atteintes aux droits humains commises contre des syndicalistes et qu’il est impossible d’attribuer à l’une ou l’autre des parties au conflit s’est considérablement accrue. Néanmoins, l’analyse des cas où la responsabilité a pu être clairement établie montre que, en 2005, 49 p. cent des atteintes aux droits humains visant des syndicalistes étaient le fait de groupes paramilitaires et quelque 43 p. cent des forces de sécurité. Un peu plus de 2 p. cent sont attribuables à la guérilla (principalement les FARC et l’ELN), et un peu plus de 4 p. cent sont des actes commis pour des motifs d’ordre criminel. Selon l’organisation non gouvernementale de défense des droits humains Escuela Nacional Sindical (ENS, École nationale syndicale), le nombre de syndicalistes tués ou victimes de disparition forcée a baissé, passant de 209 en 2001 à 73 en 2005. Une légère augmentation a été constatée en 2006, avec 77 nouveaux cas(2). Par ailleurs, Amnesty International a eu connaissance d’au moins six homicides attribués aux forces de la guérilla en 2006. Enfin, neuf syndicalistes auraient été tués au cours des quatre premiers mois de 2007.

Il est souvent impossible de déterminer les raisons qui motivent les homicides ou les menaces de mort dont sont l’objet les syndicalistes. Dans le contexte du conflit armé interne qui perdure en Colombie, ces militants sont souvent victimes d’atteintes aux droits humains en raison de leurs appartenances politiques ou pour d’autres motifs sans rapport avec leurs activités syndicales. Cependant, une forte proportion de ces violences ayant lieu lors de conflits sociaux, on peut en déduire que si ces personnes sont régulièrement prises pour cibles, c’est en raison de leur action pour les droits socioéconomiques.

Parmi les exemples présentés dans ce rapport, beaucoup concernent des homicides et des menaces survenus dans le cadre de conflits du travail, notamment lors d’actions syndicales contre la privatisation de services publics ou d’entreprises du secteur public. Il importe aussi de souligner que, souvent, ce sont les proches des syndicalistes qui sont tués ou menacés. Ces attaques, destinées à intimider les syndicalistes et à affaiblir leur action, visent peut-être aussi à limiter le nombre d’atteintes aux droits humains recensées comme étant dirigées contre des syndicalistes.

Ce rapport contient aussi plusieurs exemples d’atteintes aux droits humains commises contre des femmes syndicalistes. Selon l’ENS, au moins 13 d’entre elles ont été tuées au cours des 11 premiers mois de 2006, contre 15 sur la totalité de l’année 2005 et 16 en 2004. Par ailleurs, 102 menaces de mort contre des syndicalistes de sexe féminin ont été enregistrées en 2005, contre 187 en 2004 et seulement 14 en 2001 et six en 2002. Toujours d’après l’ENS, environ 65 p. cent des syndicalistes victimes de violence en 2005 étaient des hommes et quelque 34 p. cent des femmes(3).

En jouant un rôle actif au sein de syndicats ou d’autres organisations de leur pays, les femmes colombiennes bousculent la répartition traditionnelle des rôles entre les hommes et les femmes. Pour obtenir un poste de premier plan dans ces organisations, elles doivent faire beaucoup plus d’efforts que leurs collègues de sexe masculin. Les menaces et les homicides dont elles sont victimes visent à affaiblir l’action des syndicats, mais portent aussi un rude coup à ces femmes qui cherchent à remettre en cause la répartition traditionnelle des rôles.

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L’obligation du gouvernement de respecter et de défendre les droits syndicaux

La liberté d’association est reconnue par le droit colombien et la Constitution colombienne de 1991. Cette dernière reconnaît le droit de former un syndicat et celui de faire grève (sauf pour les travailleurs des services considérés comme indispensables). Dans sa décision C-401 de 2005, la Cour constitutionnelle a jugé que les conventions de l’OIT n°98 (sur le droit d’organisation et de négociation collective) et n°87 (sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical) devaient être considérées comme faisant partie intégrante de la Constitution. Néanmoins, le droit de grève est limité par la loi 50 de 1990, qui dispose que toute grève durant plus de soixante jours peut faire l’objet d’un arbitrage obligatoire, ce qui est contraire aux principes établis dans la convention n°87 de l’OIT(4).

Les syndicalistes colombiens se sont plaints à la mission tripartite de haut niveau de l’OIT(5), qui s’est rendue en Colombie en octobre 2005, des lois et des pratiques qui limitaient leurs droits syndicaux. Ils ont évoqué notamment la loi 50 de 1990, qui limite le droit des syndicats de créer des comités syndicaux et des branches locales, ainsi que l’absence de réglementation sur les négociations collectives dans le secteur public, ce qui, dans la pratique, limite les droits des employés de ce secteur. Les syndicalistes ont aussi souligné que la pratique consistant à donner aux travailleurs le statut d’associés au sein d’une coopérative était un moyen de les priver de leurs droits syndicaux(6).

Dans un rapport en date d’avril 2006(7), plusieurs confédérations syndicales – la Central Unitaria de Trabajadores (CUT, Centrale unitaire des travailleurs), la Confederación General de Trabajo (CGT, Confédération générale du travail) et la Confederación de Trabajadores de Colombia (CTC, Confédération des travailleurs de Colombie) – ont informé l’OIT que le taux de création de nouveaux syndicats avait diminué. Elles y dénonçaient les obstacles administratifs à l’enregistrement de nouveaux syndicats. D’après le ministère de la Protection sociale, sur 185 demandes d’enregistrement déposées en 2005, seules 114 avaient été acceptées, alors que le droit colombien prévoit une reconnaissance juridique automatique des syndicats lors de leur création. Ce rapport dénonçait le fait que la création d’un syndicat puisse être bloquée par une décision administrative.

La mission tripartite de l’OIT en Colombie a conclu que « le climat de violence dont [le mouvement syndical] est l’objet ne peut être compris que si l’on tient compte des lois, politiques et pratiques en vigueur qui, à son sens, font peser une menace grave sur le syndicalisme colombien. Les questions considérées comme ayant des conséquences graves sur la liberté syndicale et la négociation collective sont notamment : la restructuration d’entreprises pour éliminer la représentation syndicale, le recours aux coopératives pour dissimuler les relations de travail et éviter la syndicalisation ; le recours à la sous-traitance et la signature de contrats commerciaux et civils pour empêcher l’organisation des lieux de travail ; la conclusion d’accords collectifs qui ont des incidences sur les syndicats et la négociation collective ; le recours au contrat syndical ; la non-reconnaissance aux fonctionnaires du droit à la négociation collective ; les entraves à l’enregistrement des syndicats ; et l’interdiction légale de l’exercice du droit de grève dans les services qui ne sont pas essentiels au sens strict du terme et dans de nombreux services publics qui ne sont pas essentiels au sens strict(8)… ».

La Colombie a ratifié les conventions n°87(9) et 98(10) de l’OIT le 16 novembre 1976. Ce faisant, elle s’est engagée à garantir les droits syndicaux fondamentaux, notamment le droit à la liberté d’association, le droit de s’organiser et le droit à la négociation collective. Le Comité de la liberté syndicale(11) a clairement affirmé : « Les droits des organisations de travailleurs et d’employeurs ne peuvent s’exercer que dans un climat exempt de violence, de pressions ou menaces de toutes sortes à l’encontre des dirigeants et des membres de ces organisations, et il appartient aux gouvernements de garantir le respect de ce principe(12). »

Ces droits sont étroitement liés à d’autres droits fondamentaux tels que les droits à la vie, à l’intégrité physique et à la liberté d’expression. En tant que membre de l’Organisation des Nations unies (ONU) et de l’Organisation des États américains (OEA), la Colombie a pris volontairement l’engagement de respecter les dispositions contenues dans de nombreux traités internationaux et régionaux relatifs aux droits humains. En outre, la Constitution colombienne de 1991 affirme la suprématie des traités internationaux sur le droit national(13).

Les syndicalistes sont des défenseurs des droits humains. Les défenseurs des droits humains sont des acteurs essentiels de la lutte en faveur des droits politiques, économiques et sociaux. Ce sont tous ces hommes et ces femmes qui travaillent, individuellement ou collectivement, à l’élimination effective de toutes les violations des droits fondamentaux. En vertu du droit international, les États sont tenus de les protéger. En décembre 1998, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté la Déclaration sur le droit et la responsabilité des individus, groupes et organes de la société de promouvoir et protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales universellement reconnus (Déclaration sur les défenseurs des droits de l’homme). Cette déclaration rassemble des principes fondés sur les normes juridiques contenues dans le droit international relatif aux droits humains(14). Elle énonce les droits des défenseurs des droits humains ainsi que les libertés et activités spécifiques qui sont essentielles à leur travail. Il s’agit notamment du droit de détenir, rechercher, obtenir et recevoir des informations sur les droits humains et les libertés fondamentales, du droit de participer à des activités pacifiques pour lutter contre les violations des droits humains, du droit de soumettre des critiques et des plaintes lorsque le gouvernement manque à ses obligations en matière de respect des droits humains, et du droit de faire des propositions en vue d’une amélioration.

De même, les États des Amériques ont reconnu dans plusieurs résolutions l’importance des individus, groupes et organisations non gouvernementales (ONG) qui défendent les droits humains. La dernière résolution en date sur les défenseurs des droits humains a été approuvée par l’OEA en juin 2006(15).

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Les mesures de sécurité prises par le gouvernement en faveur des syndicalistes

Au fil des ans, les gouvernements colombiens successifs ont pris diverses mesures pour améliorer la sécurité des syndicalistes, dans le cadre du Programme de protection du ministère de l’Intérieur et de la Justice. Les syndicalistes se sont notamment vu offrir des gardes du corps, des véhicules blindés et des téléphones portables. Toutes les mesures de protection des syndicalistes sont les bienvenues à partir du moment où elles sont jugées utiles par les personnes menacées.

Néanmoins, Amnesty International s’inquiète devant le fait que ces mesures ont parfois été retirées ou limitées, même lorsque les dangers étaient élevés pour les syndicalistes. Les autorités invoquent souvent des contraintes budgétaires pour justifier ces restrictions. Dans le présent rapport, Amnesty International n’entend pas faire une évaluation du programme de protection mais elle estime que le nombre élevé de meurtres de syndicalistes est le signe que ces mesures de sécurité sont insuffisantes. Le gouvernement doit prendre des mesures concrètes pour mettre un terme à l’impunité dont jouissent les responsables d’atteintes aux droits fondamentaux des syndicalistes et pour améliorer de façon durable et substantielle la situation en matière de droits humains.

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La mise en place d’une représentation permanente de l’OIT en Colombie

Lors de sa 95e Conférence internationale du travail, qui s’est tenue du 31 mai au 16 juin 2006(16), l’OIT a conclu un accord avec le gouvernement colombien sur la mise en place d’une représentation permanente en Colombie. Celle-ci serait, entre autres, chargée de promouvoir et de défendre les droits fondamentaux des syndicalistes dans ce pays(17). Dans cet accord(18), l’OIT s’engage aussi à suivre attentivement le travail du service d’enquête spécial chargé, au sein de la Fiscalía General de la Nación(19), d’enquêter sur les homicides et les mises en détention arbitraires de syndicalistes. Le 17 octobre 2006, la Fiscalía General de la Nación (ci-après appelée Fiscalía General) a annoncé que, à la suite de cet accord, elle avait déployé un nombre important de magistrats instructeurs afin de mettre un terme à l’impunité dans les affaires d’atteintes au droit à la vie de syndicalistes ; de son côté, le gouvernement colombien a annoncé qu’il allait lui allouer des moyens financiers pour mener à bien ce travail. Amnesty International se félicite de l’engagement du gouvernement de mettre fin à l’impunité dans ces affaires et espère que cette initiative se traduira par des résultats concrets.

Le 18 octobre 2006, un accord a été trouvé entre le gouvernement et des représentants des syndicats et des employeurs sur le mandat de la représentation permanente de l’OIT en Colombie, qui est entrée en fonction le 15 janvier 2007.

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Le problème endémique de l’impunité

La situation des syndicalistes en matière de droits humains ne s’améliorera pas de façon tangible tant qu’aucune mesure énergique n’aura été prise pour mettre fin à l’impunité dont jouissent la grande majorité des auteurs d’atteintes à leurs droits fondamentaux. Depuis 1991, l’ENS a recensé 2 245 meurtres de syndicalistes, 3 400 cas de menaces et 138 disparitions forcées(20). Dans plus de 90 p. cent des cas, les auteurs de ces actes sont restés impunis. Amnesty International s’inquiète de ce que gouvernement colombien ait défendu des mesures législatives – telles que la Loi pour la justice et la paix, le décret 128 de 2003 et la loi 906 de 2004 – qui risquent de renforcer l’impunité en accordant une amnistie de fait aux membres des groupes paramilitaires et des mouvements de guérilla responsables d’atteintes aux droits humains(21). Ces mesures pourraient aussi renforcer l’impunité des tiers, comme les membres des forces de sécurité qui soutiennent ou coordonnent les groupes paramilitaires. Ces mesures vont à l’encontre des recommandations du Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations unies, ainsi que des normes internationales relatives aux droits humains que le gouvernement colombien est tenu de respecter, notamment les normes de l’OIT.

Le Comité de la liberté syndicale de l’OIT a déclaré à plusieurs reprises que des enquêtes devaient être ouvertes sur les atteintes au droit à la vie des syndicalistes : « L’assassinat ou la disparition de dirigeants syndicaux et de syndicalistes ou des lésions graves infligées à des dirigeants syndicaux et des syndicalistes exigent l’ouverture d’enquêtes judiciaires indépendantes en vue de faire pleinement et à bref délai la lumière sur les faits et les circonstances dans lesquelles se sont produits ces faits et ainsi, dans la mesure du possible, de déterminer les responsabilités, de sanctionner les coupables et d’empêcher que de tels faits se reproduisent(22). »

Le Comité a aussi clairement affirmé : « Quand les enquêtes judiciaires ouvertes sur les assassinats et les disparitions de militants syndicaux n’aboutissent que rarement, le comité a estimé qu’il est absolument indispensable d’identifier, de poursuivre et de condamner les coupables, car une telle situation entraîne une impunité de fait des coupables qui renforce le climat d’insécurité et de violence et qui est donc extrêmement dommageable pour l’exercice des activités syndicales(23). »

L’analyse des informations fournies par le gouvernement colombien au Comité de la liberté syndicale, ainsi que des autres informations figurant dans le 340e rapport de ce Comité paru en mars 2006, confirme le taux élevé d’impunité(24). Ainsi, sur 298 affaires de meurtres de syndicalistes commis entre 2002 et 2004 et instruites par la Fiscalía General, seules quatre ont abouti à une condamnation, soit un peu plus de 1,3 p. cent.

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Wilson Borja

La tentative d’assassinat de Wilson Borja Díaz, ancien dirigeant syndical et membre du Congrès, est l’une des rares affaires dans lesquelles la procédure pénale a abouti. Le 15 décembre 2000, des hommes armés ont ouvert le feu sur cet homme, alors dirigeant syndical, le blessant grièvement. L’enquête a établi que cette tentative d’assassinat était survenue dans le cadre d’une opération conjointe de l’armée et de groupes paramilitaires. Des peines allant de quarante-deux mois à vingt-huit ans d’emprisonnement ont été prononcées contre plusieurs paramilitaires, dont un de leurs dirigeants, Carlos Castaño Gil, condamné par contumace, ainsi que contre plusieurs membres des forces de sécurité, parmi lesquels le commandant César Alonso Maldonado Vidales. Le gouvernement a transmis des informations sur ces condamnations au Comité de la liberté syndicale, qui les a inclues dans son 340e rapport.

Cependant, il semble qu’il ait omis d’informer le Comité que, le 3 novembre 2004, l’un des principaux accusés, le commandant César Alonso Maldonado Vidales, a réussi à s’évader de la base militaire où il était détenu. Il n’est pas certain que les autorités aient fait beaucoup d’efforts pour le rattraper. Avant sa condamnation, César Maldonado se serait vu confier des missions de renseignement depuis la caserne de la police militaire de Bogotá où il était détenu, et il était apparemment libre d’aller et venir comme il le voulait.

L’assassinat des dirigeants du syndicat SINTRAMIENERGETICA

Le 12 mars 2001, Valmore Locarno Rodríguez et Víctor Hugo Orcasita Amaya, respectivement président et vice-président du Sindicato Nacional de Trabajadores de Empresas Mineras y Energéticas (SINTRAMIENERGETICA, Syndicat national des travailleurs de l’industrie minière et du secteur de l’énergie), auraient été contraints par des paramilitaires de descendre d’un bus dans la municipalité d’El Paso (département de César). Valmore Locarno a été abattu de plusieurs balles dans la tête. Víctor Hugo Orcasita aurait été ligoté et jeté dans un véhicule. Son corps a été retrouvé plusieurs heures plus tard sur le bord de la route. Il avait été torturé, puis abattu. Ces deux homicides ont eu lieu alors que des contrats étaient en cours de négociation avec la société Drummond, compagnie minière des États-Unis.

L’enquête a été longue à dépasser le stade préliminaire (consacré à l’identification des suspects). Le 2 mai 2007, la Fiscalía General a décerné un mandat d’arrêt contre le dirigeant paramilitaire Rodrigo Tovar Pupo, alias Jorge 40, pour sa participation présumée à l’assassinat des deux syndicalistes.

Le 14 mars 2002, en vertu de la Loi des États-Unis sur les plaintes déposées par des étrangers(25), le SINTRAMIENERGETICA et les familles de Valmore Locarno Rodríguez et de Víctor Hugo Orcasita Amaya ont saisi la cour fédérale du district du nord de l’Alabama (division occidentale) à propos du rôle présumé de la société Drummond dans les meurtres des deux dirigeants syndicaux et de Gustavo Soler Mora (voir ci-dessous). Le 14 avril 2003, il a été décidé de donner suite à au moins quelques-unes des plaintes déposées. Selon les informations mises à la disposition de la cour, pendant la période de négociation avec le syndicat des tracts qualifiant le SINTRAMIENERGETICA de « syndicat de guérilla » et accusant Víctor Hugo Orcasita et Valmore Locarno de soutenir la guérilla étaient distribués sur des sites gérés par la société Drummond. Toujours d’après ce dossier, Valmore Locarno avait écrit à Drummond Ltd(26) pour protester contre la distribution de ces tracts dans la mine de La Loma (département de César).

Valmore Locarno et Víctor Hugo Orcasita avaient demandé à rester dormir à la mine car ils craignaient pour leur sécurité s’ils quittaient les lieux, mais cela leur avait été refusé. Après leur assassinat, c’est Gustavo Soler Mora qui a repris la présidence du SINTRAMIENERGETICA. Lui et les autres dirigeants de ce syndicat auraient eux aussi demandé l’autorisation de dormir sur place, se heurtant à leur tour à un refus. Gustavo Soler a été tué le 5 octobre 2001 par des paramilitaires, qui l’ont semble-t-il forcé à descendre du bus qui le ramenait chez lui, dans la ville de Chiriguaná (département de César). Selon les informations reçues, les paramilitaires ont contraint le bus à s’arrêter, sont montés à bord et ont désigné nommément Gustavo Soler. Son corps, qui portait des traces de torture, a été retrouvé non loin de là le 7 octobre 2001.

Le 13 mai 2006, Rafael García, ancien haut fonctionnaire du Département administratif de sécurité, a déclaré sous serment à la cour de district américaine qu’il avait vu des responsables de la société Drummond remettre de l’argent à un dirigeant paramilitaire pour qu’il tue Valmore Locarno et Víctor Hugo Orcasita (voir ci-après la section sur les opérations conjointes de l’armée et des paramilitaires contre des syndicalistes). La société Drummond a rejeté publiquement ces accusations. Le juge chargé de l’affaire a décidé d’autoriser les parties à présenter la déposition sous serment de Rafael García en Colombie. Si cette déposition est jugée recevable – ce qui permettrait aux accusés de procéder à un contre-interrogatoire de Rafael García – le témoignage de cet homme pourrait être utilisé lors du procès. Plus récemment, le juge a annoncé que les allégations d’un ancien soldat de l’armée colombienne pourraient aussi être présentées au procès. Ce soldat a déclaré sous serment, le 3 avril 2007, que Drummond avait fourni des véhicules aux paramilitaires.

Les syndicalistes qui représentent les travailleurs de la société Drummond continuent d’être victimes d’atteintes aux droits humains (voir ci-dessous la section sur les syndicalistes dans les secteurs stratégiques).

L’assassinat de trois syndicalistes dans le département d’Arauca

Le 5 août 2004, trois syndicalistes ont été tués par des soldats des forces de sécurité. Il s’agissait d’Héctor Alirio Martínez, dirigeant de l’Asociación Departamental de Usuarios Campesinos (ADUC, Association départementale des petits paysans), de Leonel Goyeneche, membre de la CUT dans le département d’Arauca, et de Jorge Prieto, employé dans un hôpital et président de la branche départementale d’un syndicat de professionnels de la santé, l’Asociación Nacional de Trabajadores y Empleados de Hospitales, Clínicas, Consultorios y Entidades Dedicadas a Procurar la Salud de la Comunidad (ANTHOC, Association nationale des travailleurs et employés des hôpitaux, cliniques, centres de consultation et organisations en charge de la santé publique). Les trois hommes se trouvaient chez Jorge Prieto, dans le hameau de Caño Seco, situé dans la municipalité de Saravena (département d’Arauca), quand des soldats du bataillon General Gabriel Revéiz Pizarro, appartenant à la 18e brigade de l’armée, les ont forcés à sortir de la maison et les ont abattus.

Selon le général Luis Fabio García, alors commandant de la 2e division de l’armée, dont la 18e brigade fait partie, les trois syndicalistes ont été tués lors d’un combat avec des soldats du bataillon General Gabriel Revéiz Pizarro. Des mandats d’arrêts avaient semble-t-il été décernés contre ces trois hommes. Cependant, l’enquête a montré par la suite que les trois syndicalistes n’ont pas été tués au combat, mais ont été abattus dans le dos. En juillet 2005, un lieutenant, trois soldats et un civil ont été inculpés pour ces meurtres. L’enquête aurait aussi révélé que le civil inculpé avait accusé les trois syndicalistes de subversion dans une émission de radio diffusée depuis la base du bataillon General Gabriel Revéiz Pizarro, dans la municipalité de Saravena. Amnesty International est préoccupée par le fait que l’enquête n’a pas identifié les responsabilités hiérarchiques dans cette affaire, bien que les homicides aient eu lieu dans le cadre d’une opération militaire officielle et que, avant son assassinat, Jorge Prieto ait été traité de guérillero par un commandant du bataillon en question.

Le 2 mai 2006, la Procuraduría General de la Nación(27) a annoncé qu’elle avait ouvert une procédure disciplinaire à l’encontre de plusieurs membres du bataillon General Gabriel Revéiz Pizarro, dont son commandant, pour leur responsabilité présumée dans ces homicides. Elle a mentionné le fait que l’enquête pénale sur l’implication éventuelle d’officiers supérieurs n’avait pas avancé.

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Les opérations conjointes des forces de sécurité et des groupes paramilitaires contre des syndicalistes

Ces dernières années, Amnesty International a reçu des informations sur plusieurs plans des forces de sécurité et de leurs alliés paramilitaires visant des syndicalistes. Beaucoup de ces plans semblent indiquer l’existence d’opérations conjointes contre ces militants, coordonnées au niveau national ou régional par les forces de sécurité, en complicité avec les forces paramilitaires. Nombre de ces opérations sont marquées par des atteintes aux droits humains, notamment des exécutions extrajudiciaires. Elles coïncident souvent avec des poursuites judiciaires arbitraires contre les syndicalistes, coordonnées par les forces armées et souvent basées sur des éléments de preuve provenant d’informateurs militaires rémunérés, et non sur des enquêtes exhaustives et impartiales menées par des autorités judiciaires civiles.

L’opération Dragon

Le 23 août 2004, Alexánder López Maya, membre du Congrès et ancien président du Sindicato de Trabajadores de las Empresas Municipales de Cali (SINTRAEMCALI, Syndicat des travailleurs des entreprises municipales de Cali), a révélé l’existence d’un plan apparemment destiné à l’éliminer, ainsi que Luis Hernández Monrroy, alors président du SINTRAEMCALI, et Berenice Celeyta Alayón, de l’ONG de défense des droits humains NOMADESC. Des informations sur ce complot lui avaient été transmises de source probablement militaire. Le 25 août, Alexánder López a officiellement porté plainte auprès de la Fiscalía General. Il a fourni aux autorités judiciaires deux adresses à Medellín et à Cali d’où la surveillance des syndicalistes était, semble-t-il, coordonnée. Il a aussi donné le nom d’un lieutenant-colonel de l’armée supposé être impliqué dans cette opération, ainsi que son numéro de téléphone portable. Le jour même, les autorités judiciaires ont mené une perquisition à l’adresse de Cali fournie par Alexánder López.

Le lieutenant-colonel se trouvait sur les lieux et s’est identifié comme étant un militaire. Selon les informations disponibles, il avait été en service actif au moins jusqu’au 10 août 2004. Le numéro d’un des téléphones portables trouvés en sa possession correspondait bien à celui fourni par Alexánder López. Le militaire a déclaré travailler pour une entreprise de sécurité employée par les entreprises municipales de Cali (Empresas Municipales de Cali, EMCALI) pour « identifier les menaces » pesant sur ces entreprises.

Lors de la perquisition, les autorités judiciaires ont découvert en sa possession un rapport des services de renseignement militaires en date du 24 mai 2004. Rédigé par le Service régional de renseignements militaires n°3, ce rapport était adressé au Service central des renseignements militaires de Bogotá et désignait le SINTRAEMCALI comme l’un des syndicats les plus belliqueux du pays, « avec une forte infiltration subversive de l’ELN et des FARC ». Le militaire a affirmé que ce document avait été remis par EMCALI à la société pour laquelle il travaillait, et que la police et les autres services de sécurité étaient au courant du travail de surveillance effectué par cette société. Celle-ci n’était pas, semble-t-il, autorisée à travailler dans le domaine de la sécurité.
La Fiscalía General a ouvert une enquête pénale sur ce qui est désormais connu comme l’opération Dragon. Cependant, peu d’éléments ont été recueillis sur la nature ou l’existence de cette opération, ainsi que sur les liens éventuels entre le travail de l’entreprise de sécurité sous-traitée par EMCALI, le projet présumé d’assassinat des syndicalistes et défenseurs des droits humains, et la participation supposée des forces de sécurité. Selon certaines sources, l’enquête pourrait même être arrêtée.

Le SINTRAEMCALI faisait campagne contre le projet du gouvernement de privatiser les entreprises de Cali en charge de l’électricité, de l’eau et de l’assainissement. Ces dernières années, ses membres ont été victimes à maintes reprise de menaces de mort, d’homicides ou de disparitions forcées imputables aux paramilitaires. Amnesty International déplore qu’Alexánder López, Berenice Celeyta et Luis Hernández aient continué de recevoir des menaces de mort et que, malgré cela, l’enquête sur la véracité des allégations formulées et sur l’implication éventuelle des forces de sécurité dans le projet d’assassinat de ces militants syndicaux n’ait pas progressé.

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La liste du Département administratif de sécurité

En avril 2006, l’ancien chef du service de technologie de l’information et de communication du Département administratif de sécurité (DAS), Rafael García, a déclaré avoir découvert, en 2004, des informations selon lesquelles le DAS aurait fourni aux chefs du Bloque Norte (Bloc nord) des Autodefensas Unidas de Colombia (AUC, Milices d’autodéfense unies de Colombie) – organisation qui regroupe l’ensemble des groupes paramilitaires du pays – une liste de 24 noms de dirigeants syndicaux travaillant dans les départements de Bolívar, de La Guajira, de Sucre et de l’Atlantique. Il s’agissait, semble-t-il, de membres du Sindicato de Trabajadores Agrícolas del Atlántico (SINTRAGRICOLAS, Syndicat des travailleurs du secteur agricole de l’Atlantique), du Sindicato de Pequeños Agricultores de Sucre (SINDEAGRICULTORES, Syndicat des petits agriculteurs de Sucre), de la Federación Nacional Sindical Unitaria Agropecuaria (FENSUAGRO, Fédération nationale syndicale des travailleurs du secteur agricole), de l’ANTHOC et de la CGT.

Selon l’ancien responsable du DAS, en novembre 2003 des agents de ce service et des membres des AUC, agissant sous les ordres du commandant paramilitaire Jorge 40, auraient tué Zully Codina Pérez, infirmière à Santa Marta (département du Magdalena), et membre de la CGT. Elle figurait sur la liste des syndicalistes à abattre et avait semble-t-il été arrêtée par les forces de sécurité, puis libérée.

Selon un article paru en avril 2006 dans l’hebdomadaire Semana, le vice-président de l’ANTHOC, Gilberto Martínez, figurait aussi sur cette liste. Celui-ci a déclaré au magazine que les menaces de mort contre des membres de l’ANTHOC s’étaient multipliées en 2003. Il a ajouté : « Depuis, nous avons porté plainte à plusieurs reprises à propos de la collaboration, dans le département de l’Atlantique, entre le DAS et les paramilitaires en vue de menacer et de tuer des membres de notre syndicat, mais aucune instruction n’a été ouverte. »

Le 13 janvier 2004, des menaces de mort écrites auraient été déposées dans les bureaux de la branche départementale de l’ANTHOC. Le message contenait des menaces contre des dirigeants de l’ANTHOC et désignait nommément Gilberto Martínez, Carmen Torres et Álvaro Márquez, tous trois membres du conseil exécutif départemental, ainsi qu’Angel Salas, membre du conseil exécutif national de l’ANTHOC. Il était signé des AUC.

Le présent rapport contient des informations sur d’autres cas d’homicides ou de menaces imputables aux paramilitaires et visant des membres de l’ANTHOC, du SINTRAGRICOLAS et de la FENSUAGRO dans le département de l’Atlantique, ainsi que des personnes figurant apparemment sur la liste du DAS.

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Autres projets présumés d’assassinat de syndicalistes

Selon d’autres informations, il y aurait eu des projets visant à tuer des syndicalistes en 2005 et en 2006. Ainsi, le 11 mars 2005, la CUT a diffusé un communiqué de presse indiquant que des dirigeants paramilitaires réunis à Santa Fé de Ralito (département de Córdoba) dans le cadre des négociations avec le gouvernement sur leur prétendue démobilisation(28), avaient dressé une liste de syndicalistes qui devaient être abattus, la raison étant qu’ils avaient critiqué le processus de négociation. D’après le communiqué, des membres des 17e et 13e brigades de l’armée colombienne devaient jouer un rôle dans ces homicides et Domingo Tovar, directeur du service des droits humains de la CUT, était l’une de leurs principales cibles. Toujours selon ce communiqué, la famille de ce dernier avait reçu de multiples menaces de mort, et Domingo Tovar avait été surveillé par des personnes non identifiées. Ces menaces de mort se sont poursuivies en 2006 (voir annexe 2).

Le 2 mars 2006, le journal Vanguardia Liberal a signalé qu’un groupe paramilitaire ayant pris le nom de Comando Regional del Magdalena Medio (Commandement régional du Magdalena Medio) avait diffusé un communiqué dans lequel il menaçait de tuer les syndicalistes et les autres militants des droits sociaux qui se présenteraient aux élections législatives de mars 2006. Sur la liste des personnes à abattre figuraient des membres de l’Unión Sindical Obrera (USO, Union syndicale ouvrière) de l’industrie pétrolière, de la CUT, de l’Asociación de Trabajadores Departamentales (ASTDEMP, Association des travailleurs départementaux), de l’Unión Sindical de Trabajadores de Santander (USITRAS, Union syndicale des travailleurs de Santander) et de la Coordinación Metropolitana de Desplazados, une organisation d’aide aux personnes déplacées de force. Le groupe déclarait être engagé dans le processus de démobilisation, tout en ajoutant : « Nous continuerons cependant de nous battre jusqu’à l’élimination du dernier terroriste de la guérilla et de ses alliés infiltrés. » Le même jour, le dirigeant de l’USO Héctor Díaz Serrano était abattu à Barrancabermeja, dans le département de Santander (voir la section sur les syndicalistes dans les secteurs stratégiques de l’exploitation minière, pétrolière, gazière et de l’énergie).

Dans le même article, le Vanguardia Liberal citait le chef de la police régionale du Magdalena Medio, qui affirmait que le groupe paramilitaire responsable de ces menaces de mort avait été démobilisé quelques semaines plus tôt et que certains des syndicalistes qui se présentaient aux élections dans la région étaient déjà protégés par un dispositif de sécurité spécial. Cependant, ce même chef de police aurait déclaré ne pas avoir entendu parler du communiqué du groupe paramilitaire, ni d’aucune menace à l’encontre des syndicalistes ou des militants des droits sociaux candidats aux élections à venir.

Le recours abusif au système judiciaire

Ces dernières années, Amnesty International a reçu des informations faisant penser que les poursuites judiciaires pour subversion sont utilisées de manière abusive contre des syndicalistes et d’autres défenseurs des droits humains(29). Ces poursuites s’accompagnent fréquemment d’homicides ou de menaces de mort émanant des paramilitaires et visant des collègues des syndicalistes poursuivis, voire souvent ces syndicalistes eux-mêmes. Nombre d’entre eux ont ainsi été tués au cours de l’instruction les concernant ou juste après l’abandon des charges.

Les États et leurs autorités judiciaires ont le droit et le devoir d’enquêter sur toute activité criminelle présumée et d’en traduire les responsables en justice. Les enquêtes doivent être menées en toute légalité et conformément aux normes internationales relatives à l’équité des procès(30). Or, Amnesty International est préoccupée par le fait que beaucoup de poursuites judiciaires sont engagées contre des syndicalistes dans le cadre d’opérations coordonnées par les forces de sécurité, uniquement sur la base d’accusations fournies par elles et non d’éléments de preuve recueillis lors d’une enquête indépendante et impartiale menée par les autorités judiciaires civiles. Ces procédures pénales s’appuient souvent sur de fausses informations fournies par les services de renseignements militaires et par des informateurs rémunérés, sans qu’aucune confirmation ne soit apportée par des enquêtes exhaustives et impartiales avant la mise en détention des suspects. Le fait que ces poursuites s’accompagnent souvent de menaces de mort et d’homicides de la part des forces de sécurité et des paramilitaires fait craindre l’existence d’une stratégie coordonnée de l’armée et des groupes paramilitaires destinée à affaiblir l’action des syndicalistes.

Samuel Morales, Raquel Castro et Alonso Campiño Bedoya

Samuel Morales, président de la CUT dans le département d’Arauca, et Raquel Castro, dirigeante de l’Asociación de Educadores de Arauca (ASEDAR, Association des enseignants d’Arauca) ont été arrêtés le 5 août 2004, le jour même où trois autres syndicalistes étaient abattus par des militaires dans ce département (voir plus haut la section sur l’impunité). Raquel Castro a été arrêtée par l’armée dans la maison où les trois syndicalistes avaient séjourné juste avant leur assassinat.

Samuel Morales et Raquel Castro ont été inculpés de rébellion le 3 janvier 2005. En novembre 2006, ils ont été déclarés coupables et condamnés à six ans d’emprisonnement. Amnesty International croit savoir que leurs avocats ont formé un recours début 2007. Samuel Morales a été libéré en avril 2007 car il avait purgé sa peine, et Raquel Castro terminera de purger la sienne cette année.

Amnesty International est préoccupée par le fait que les éléments de preuve retenus contre ces deux militants ont été fournis par des informateurs payés par les forces de sécurité, ou du moins sous leur tutelle. Parmi les principaux témoins de l’accusation cités lors du procès figuraient plusieurs informateurs militaires dont les déclarations étaient aussi, semble-t-il, à l’origine des mandats d’arrêt décernés contre au moins deux des syndicalistes tués en août 2004, Héctor Alirio Martínez et Leonel Goyeneche. Certains de ces informateurs auraient été présentés au tribunal comme d’anciens guérilleros qui s’étaient rendus aux autorités en juin 2003 et avaient alors témoigné. Or, ils ont clairement affirmé s’être rendus en janvier 2003. Lors de l’audience du 9 septembre 2004, le tribunal a demandé à l’un d’entre eux pourquoi il s’était écoulé autant de temps entre sa reddition en janvier 2003 et son témoignage. Il a répondu qu’il avait témoigné en juin et en juillet 2003, ce qui semble confirmer les informations selon lesquelles ces personnes auraient passé plusieurs mois dans les locaux de la 18e brigade, dans le département d’Arauca, pour préparer les éléments de preuve qu’ils donneraient lors de leur déposition. Il a ainsi indiqué avoir préparé une liste de 90 noms de personnes à propos desquelles il allait donner des informations prouvant leur participation à des activités subversives. Il a expliqué que, pendant son séjour dans la caserne de la 18e brigade, son travail consistait à « mémoriser les noms et les dates ». Cet homme aurait finalement été autorisé à témoigner avec une liste de noms sous les yeux, même s’il est apparu lors du procès que les autorités chargées de l’enquête n’avaient mentionné nulle part l’existence de cette liste. Selon les informations recueillies, certains témoins ont même été en mesure de donner les numéros de carte d’identité de plusieurs personnes contre lesquelles ils témoignaient. Par une malheureuse coïncidence, le civil inculpé pour sa participation présumée à l’assassinat des trois syndicalistes est aussi l’un des témoins de l’accusation contre Samuel Morales et Raquel Castro, ce qui est d’autant plus fâcheux que Raquel Castro a été témoin de ces assassinats.

À Saravena, le témoignage de ces informateurs militaires et peut-être d’autres a entraîné l’arrestation, en août 2003, d’une quarantaine de militants des droits sociaux, dont le vice-président de la branche de la CUT du département d’Arauca, Alonso Campiño Bedoya. La Fiscalía General a fait appel d’une décision judiciaire de décembre 2004 le plaçant en résidence surveillée au motif qu’il avait avoué des activités subversives – ce que nient ses avocats – et qu’il avait exprimé son intention de continuer à œuvrer au renversement du gouvernement. En fait, lors de son procès, Alonso Campiño aurait simplement déclaré qu’il ne regrettait pas ses activités syndicales ni son travail en faveur des droits humains, et qu’il les poursuivrait une fois libéré. Bien que reconnu coupable de rébellion l’an dernier, cet homme a bénéficié d’une remise en liberté provisoire en raison du temps qu’il avait déjà passé en prison. Ses avocats ont fait appel de sa condamnation.

Dans le cadre de la procédure pénale engagée contre Samuel Morales et Raquel Castro, des informateurs militaires auraient été interrogés sur les activités menées par les accusés dans le domaine syndical et des droits humains. L’objectif semblait être de discréditer l’action légitime des syndicalistes et des défenseurs des droits humains en l’assimilant à de la subversion. Par exemple, l’un des témoins a été interrogé sur le rôle de Samuel Morales dans l’organisation de rencontres avec des représentants des Nations unies. Un autre a déclaré que le syndicaliste s’était rendu en mission à Bogotá pour une ONG, le Comité des droits humains Joel Sierra, ainsi que pour y rencontrer des personnes liées à l’ELN.

Le 13 octobre 2004, les avocats de Samuel Morales et de Raquel Castro ont porté plainte auprès de la Fiscalía General, demandant qu’une instruction soit ouverte contre les autorités judiciaires qui avaient mené l’enquête concernant leurs clients et d’autres militants des droits sociaux arrêtés dans la même affaire. Ces avocats accusent les fonctionnaires de la Fiscalía General d’avoir commis des irrégularités dans la procédure judiciaire. Rien n’indique qu’une enquête a progressé sur ces allégations, ni même qu’elle a été ouverte. Autre point préoccupant : alors que le procès s’est achevé en août 2005, il a fallu attendre novembre 2006 pour que le juge prononce la condamnation ; or, légalement, la peine doit être prononcée dans les quinze jours.

La sécurité de Samuel Morales et de sa famille est gravement menacée, et le fait que Raquel Castro a été témoin des homicides d’août 2003 pourrait aussi avoir des conséquences sur sa sécurité. Le 29 juillet 2005, alors que Samuel Morales était gardé à vue dans un poste de police de Saravena avant son transfert à la prison La Modelo de Bogotá, le chef de police lui aurait déclaré qu’il savait où travaillaient ses sœurs et où trouver sa femme. Les semaines précédentes, ses sœurs avaient, semble-t-il, été arrêtées à plusieurs reprises à des postes de contrôle de l’armée, où elles avaient été retenues pendant plusieurs heures. Des policiers auraient aussi fait pression sur le directeur d’un hôpital local pour qu’il renvoie la femme de Samuel Morales au simple motif qu’elle était mariée avec lui.

Des paramilitaires auraient menacé de tuer les sœurs de Samuel Morales, Omayra et Gladys Morales, alors enseignantes à Arauquita, dans le département d’Arauca. Le 21 septembre 2005, la secrétaire de l’école où elles travaillaient a reçu un appel téléphonique d’un homme se présentant comme un membre des AUC. Il l’a chargée de dire à Gladys et à Omayra Morales qu’elles avaient soixante-douze heures pour quitter le département, que les membres de la famille de Samuel Morales étaient considérés par son groupe comme des objectifs militaires et qu’ils devaient disparaître d’Arauca. Il a ajouté que les AUC avaient encore des comptes à régler avec Samuel Morales. La secrétaire d’une autre école, où travaillait une troisième sœur de Samuel Morales, Matilde, a reçu des menaces similaires par téléphone entre 10 h 30 et 11 heures le même jour. Vers 18 h 30, Omaya Morales a en outre reçu de nouvelles menaces téléphoniques à son domicile.

Dans une lettre à la section britannique d’Amnesty International en date du 8 août 2006, l’ambassadeur colombien à Londres de l’époque avait affirmé que des représentants du gouvernement et de l’État avaient rendu visite à Samuel Morales en prison pour évaluer sa sécurité et lui proposer des mesures de protection pour lui et pour sa famille. Des fonctionnaires ont aussi rencontré Raquel Castro dans sa cellule le 19 juin 2006 pour faire le point sur sa sécurité. Amnesty International se félicite de la volonté de dialogue du gouvernement avec les détenus à ce sujet, mais elle continue de s’inquiéter pour leur sécurité, en particulier après leur libération.

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Hermes Vallejo Jiménez

Hermes Vallejo Jiménez, responsable paysan dans le département du Tolima et membre fondateur de l’Asociación de Pequeños y Medianos Agricultores de Tolima (ASOPEMA, Association des petits et moyens agriculteurs du Tolima), a été arrêté par les forces de sécurité à Bogotá le 12 août 2003. Il avait participé à plusieurs manifestations et grèves d’agriculteurs en 1995 et 1999 et avait été l’un des représentants des paysans lors des négociations avec les autorités.

Les dirigeants paysans qui participent à des manifestations et qui représentent leurs collègues dans les négociations avec les autorités sont souvent qualifiés de subversifs et plusieurs d’entre eux ont été victimes de graves violations des droits humains de la part des forces de sécurité ou des paramilitaires. En 2001, Hermes Vallejo a été contraint de quitter sa région après avoir reçu des menaces de mort des paramilitaires.

Son interpellation serait intervenue à la suite d’une enquête pénale fondée sur le travail de renseignement mené par le service d’enquête des Grupos de Acción Unificada por la Libertad Personal (GAULA, Groupes d’action unifié pour la liberté des personnes), service des forces de sécurité chargé de lutter contre les enlèvements. Cette enquête a aussi entraîné l’arrestation de plus de 25 autres personnes, dont deux dirigeants de l’ANTHOC dans le département du Tolima, Amanda Cortes Buritica et Arley Antonio Osorio Orozco.

L’enquête sur Hermes Vallejo s’est, semble-t-il, appuyée sur les déclarations de deux informateurs des forces de sécurité, anciens membres présumés de la guérilla. L’un d’eux a affirmé que le syndicaliste était membre de l’ELN et travaillait pour un organisme municipal, la Unidad Municipal de Asistencia Técnica Agropecuaria (UMATA, Service municipal d’assistance technique agricole). Les avocats d’Hermes Vallejo ont démenti le fait que leur client travaillait pour l’UMATA et ont souligné que cet informateur n’avait fourni aucune preuve de son appartenance à l’ELN.

Un autre informateur a prétendu avoir vu Hermes Vallejo armé et en uniforme de combat mais, comme l’ont fait remarquer les avocats, ce témoin n’a pas su dire exactement où ni quand. Ce deuxième informateur a indiqué clairement dans son témoignage que les données qu’il communiquait émanaient de rapports des services de renseignements militaires. L’enquête disciplinaire menée par la Procuraduría General a établi que, en mars 2003, un fonctionnaire de la Fiscalía General avait fourni à ce même témoin des informations provenant de rapports des services de renseignements militaires, même s’il est impossible de dire si elles concernaient spécifiquement Hermes Vallejo.

Le tribunal qui a examiné le cas d’Hermes Vallejo et de plusieurs des autres personnes interpellées a conclu que le premier informateur avait lui aussi eu connaissance d’éléments figurant dans des documents des services de renseignements. Les avocats d’Hermes Vallejo se sont plaints de n’avoir pas pu procéder à un contre-interrogatoire des témoins de l’accusation avant la clôture de la phase d’instruction préliminaire, à la suite de laquelle la procédure pénale a été engagée(31). Ils ont informé Amnesty International que la Fiscalía General ne leur avait permis de procéder au contre-interrogatoire d’aucun des témoins de l’accusation.

L’enquête disciplinaire menée par la Procuraduría General a établi que les deux témoins qui avaient déposé contre Hermes Vallejo et d’autres personnes arrêtées dans la même affaire s’étaient vu offrir de l’argent et une aide pour l’obtention de leur certificat de réinsertion dans la vie civile en échange de leurs déclarations mettant en cause plusieurs personnes. Les investigations menées n’ont pas permis de tenir ces faits pour avérés dans le cas spécifique d’Hermes Vallejo, mais les éléments mis au jour lors de l’enquête remettent en question la fiabilité de ces témoignages.

Les avocats se sont aussi inquiétés de ce que l’un des informateurs avait eu un litige personnel avec Hermes Vallejo. Le 26 octobre 2004, le tribunal qui examinait l’affaire a déclaré que les charges pesant sur Hermes Vallejo n’étaient pas fondées et a prononcé sa mise en liberté conditionnelle sous caution. Cependant, la Fiscalía General aurait fait appel de cette décision.

Amnesty International déplore que la procédure pénale menée contre Hermes Vallejo, apparemment en violation des normes internationales relatives à l’équité des procès, risque de se poursuivre, et s’inquiète pour la sécurité de ce syndicaliste à l’issue de la procédure. En effet, plusieurs personnes interpellées dans la même affaire ou accusées de subversion dans le cadre d’autres affaires ont déjà été tuées. Ainsi, Gabriel Arévalo, contre qui un mandat d’arrêt avait été décerné pour subversion dans le cadre de la même affaire qu’Hermes Vallejo, a été assassiné le 15 novembre 2003 dans la région de Yarumal (municipalité de Villahermosa, département du Tolima). De même, le 2 février 2004, Aurelio Aguirre et Sanín Aguirre auraient été enlevés par des paramilitaires dans la municipalité de Palocabildo (département du Tolima), et leurs corps retrouvés dans la région de San Pedro (municipalité de Guayabal) le 10 février 2004. Ils avaient apparemment été libérés deux mois auparavant par la Fiscalía General après avoir été arrêtés pour subversion.

Miguel Ángel Bobadilla

Le 11 mai 2006, des membres des GAULA ont fait irruption chez Miguel Ángel Bobadilla et sa compagne, Nieves Mayusa, à Bogotá, et les ont arrêtés. Lors de leur interpellation, les forces de sécurité auraient tenté de faire dire à l’aîné de leurs enfants que ses parents étaient membres des FARC. Miguel Ángel Bobadilla est l’un des dirigeants de la FENSUAGRO. Son nom, ainsi que celui d’autres dirigeants nationaux de la FENSUAGRO, figurerait sur la liste des personnes à abattre remise par le DAS aux paramilitaires (voir la section sur les opérations conjointes des forces de sécurité et des groupes paramilitaires).

Le 15 mars 2006, Miguel Ángel Bobadilla aurait été suivi par deux hommes non identifiés alors qu’il sortait de son bureau à Bogotá. Par ailleurs, des inconnus surveillaient son bureau en permanence. Avant son arrestation, deux personnes affirmant faire partie de la police judiciaire se seraient rendus chez lui et auraient exigé de savoir où il se trouvait. Or, la Fiscalía General a nié avoir envoyé des agents chez ce syndicaliste. Nieves Mayusa est aussi membre de la FENSUAGRO et fait partie d’une famille qui entretient des liens étroits avec le Partido Comunista Colombiano (PCC, Parti communiste colombien) et l’Unión Patriótica (UP, Union patriotique). Depuis la fondation de l’UP en 1985, plus de 3 000 de ses membres ont été tués ou ont été victimes de disparition forcée, en grande majorité du fait des forces de sécurité et des groupes paramilitaires.

Il est particulièrement préoccupant que la télévision ait présenté Miguel Ángel Bobadilla comme un membre des FARC impliqué dans des enlèvements et l’ait accusé d’avoir utilisé les téléphones fournis par le gouvernement dans le cadre du programme de protection pour coordonner les opérations de la guérilla.

Peu après l’arrestation du couple, les sœurs de Nieves Mayusa, Carmen Mayusa, dirigeante de l’ANTHOC, et Janeth Mayusa, militante de la FENSUAGRO, auraient elles aussi été arrêtées par les forces de sécurité. Le nom de Carmen Mayusa est ensuite apparu sur des menaces de mort écrites dirigées contre l’ANTHOC (voir ci-dessous). Selon les dernières informations dont nous disposons, toutes ces personnes demeurent détenues.

Homicides et menaces de mort

Le harcèlement, les menaces et les agressions physiques sont reconnus comme des atteintes au droit à liberté d’association. Le Comité de la liberté syndicale de l’OIT a ainsi déclaré : « Un climat de violence, de menaces et d’intimidation à l’encontre des dirigeants syndicaux et de leurs familles ne favorise pas le libre exercice et la pleine jouissance des droits et libertés garantis par les conventions nos 87 et 98, et tous les États ont le devoir indéniable de promouvoir et de défendre un climat social où le respect de la loi règne en tant que seul moyen de garantir et de respecter la vie(32). »

Amnesty International continue de recevoir et de diffuser des informations faisant état de menaces à l’encontre de syndicalistes et d’homicides. Plusieurs de ces affaires montrent clairement l’existence d’une forte corrélation entre les procédures pénales engagées par les forces de sécurité et les menaces et homicides commis par des paramilitaires contre les syndicalistes visés. Certaines des affaires décrites dans le présent document concernent des meurtres de syndicalistes figurant sur la liste des personnes à abattre du DAS. Les informations à ce sujet ne manquent pas. Vous trouverez ci-dessous des exemples concernant des syndicalistes de l’industrie agroalimentaire et des secteurs stratégiques de l’économie. Les affaires relatives aux syndicalistes d’autres secteurs sont décrites en annexe 2.

Les secteurs stratégiques du minerai, du pétrole, du gaz et de l’énergie

Les secteurs du minerai, du pétrole, du gaz et de l’énergie font partie des industries les plus lucratives de Colombie. Les exportations de pétrole et de minerai constituent une source importante de revenus pour l’économie. La richesse des ressources en eaux a aussi permis au pays de développer des capacités importantes en termes d’énergie hydroélectrique. La plupart de l’électricité produite est exportée vers les pays voisins, offrant à la Colombie une source importante de revenus. La richesse en eau et en ressources minérales, pétrolières et gazières, associée à la privatisation de parts importantes de ces industries, a attiré de grandes entreprises multinationales dans le pays. De nombreux syndicalistes de ces secteurs ont été victimes de violations des droits humains, souvent en raison de leur opposition aux privatisations. Ceux qui représentent les ouvriers des mines artisanales, dont les moyens de subsistance risquent d’être menacés par les investissements des entreprises internationales, ont aussi été confrontés à de multiples violations des droits humains. Quant à ceux qui représentent les employés des multinationales, ils subissent aussi ce type de violations, souvent dans le cadre de conflits sociaux.

Le syndicat des travailleurs du secteur de l’électricité

Orlando Paredes et Henry Moreno, dirigeants du Sindicato de Trabajadores de la Electricidad de Colombia (SINTRAELECOL, Syndicat des travailleurs du secteur de l’électricité), ainsi que Pablo Peña, membre de ce même syndicat et Teódulo Muñoz, chauffeur de la camionnette dans laquelle ils se trouvaient, auraient été enlevés par les FARC le 2 mars 2005, puis libérés quelques jours plus tard.

Le 2 avril 2006, Daniel Cortez Cortez, membre du SINTRAELECOL, a été abattu de deux balles dans la tête par un homme armé à Montoyas, dans la municipalité de Puerto Parra (département de Santander). Cet assassinat a eu lieu dans une région qui serait contrôlée par des paramilitaires censés être démobilisés.

Le 2 mai 2005, à 17 h 40, Adán Alberto Pacheco Rodríguez, membre et ancien dirigeant du SINTRAELECOL, aurait été abattu par deux hommes armés alors qu’il se tenait sur son balcon, à Barranquilla. Deux jours plus tard, des menaces de mort écrites provenant du groupe paramilitaire Muerte a Sindicalistas (MAS, Mort aux syndicalistes) sont arrivées dans les bureaux de l’ANTHOC à Barranquilla. Elles visaient le SINTRAELECOL, la CUT et l’ANTHOC (voir en annexe 2 la section sur les secteurs de l’éducation, de la santé et des services publics). D’après les informations recueillies, le 13 avril 2004, des membres du DAS avaient mené sans autorisation une perquisition au domicile du syndicaliste. À l’époque, il partageait son logement avec un avocat, qui a été arrêté et accusé de rébellion et d’appartenance aux FARC.

Selon un article paru dans le magazine Semana le 4 septembre 2006, la Fiscalía General avait découvert, sur un ordinateur appartenant à un commandant du groupe paramilitaire Bloc nord, des informations sur l’assassinat d’une soixantaine de personnes par ce groupe. L’un de ces documents, en date du 2 mai 2005, faisait référence à l’assassinat d’Adán Alberto Pacheo et le décrivait comme un membre des FARC.

Le syndicat des travailleurs du secteur pétrolier

Héctor Díaz Serrano, membre de l’USO de l’industrie pétrolière, a été abattu le 2 mars 2006 à Barrancabermeja alors qu’il se rendait à son travail. Le même jour, le journal Vanguardia Liberal faisait état de menaces des paramilitaires contre des syndicalistes dans le département de Santander (voir plus haut la section sur les opérations conjointes des forces de sécurité et des groupes paramilitaires).

Le 17 mai 2006, l’USO figurait au rang des organisations colombiennes menacées dans un courrier électronique envoyé par des paramilitaires présumés. Ce courrier électronique contenait l’avertissement suivant : « VOUS ÊTES PRÉVENUS : ici, nous ne tolérons pas les soi-disant avocats de pacotille […] leaders […] défenseurs des droits humains […] qui ont pour seul objectif de rallier le peuple à la pensée communiste rétrograde et subversive de la guérilla, alors que nous avons enfin réussi à débarrasser notre territoire des idiots rampants qui nourrissent de tels desseins, NOUS NE RÉPONDONS PAS de la sécurité de quiconque manifeste de telles intentions. »

Le 25 novembre 2006, des hommes armés montés sur deux motos ont ouvert le feu sur la voiture blindée utilisé par le dirigeant de l’USO Rodolfo Vecino Acevedo (qui ne se trouvait pas dans le véhicule à ce moment-là), sur la route reliant Barranquilla, dans le département de l’Atlantique, à Cartagena, département de Bolívar. Les trois occupants du véhicule – Martha Cecilia Marrugo Ahumada, Edward Martínez Martínez et Álvaro Marrugo, respectivement épouse, ami et garde du corps de Rodolfo Vecino – sont sortis indemnes de cette attaque. Ce véhicule avait été attribué à Rodolfo Vecino par la compagnie pétrolière publique ECOPETROL. La Cour interaméricaine des droits de l’homme de l’OEA a demandé aux autorités colombiennes de prendre des mesures appropriées pour assurer la sécurité du syndicaliste et de sa famille. En juillet 2005, Rodolfo Vecino avait reçu des menaces du Frente Urbano (Front urbain) des AUC. Dans une déclaration écrite, les paramilitaires avaient menacé de s’en prendre à lui et à sa famille s’il n’abandonnait pas ses activités syndicales. En mai 2006, selon les médias, une personne non identifiée se serait approchée de Rodolfo Vecino au cours d’une réunion à Barranquilla et l’aurait informé qu’il existait un projet d’assassinat contre lui et deux autres membres de l’USO, sous la coordination des paramilitaires, des forces de sécurité et de quelques entreprises du secteur pétrolier. Le 27 novembre 2006, un membre de la Commission des droits de l’homme et de la paix de l’USO, Fernando Ramírez, aurait reçu des menaces de mort par téléphone. Dans des menaces envoyées à l’USO par courrier électronique le 28 novembre 2006, le Bloc nord des AUC aurait revendiqué la tentative d’assassinat contre Rodolfo Vecino et annoncé son intention de tuer des militants de ce syndicat et des militants étudiants dans le nord du pays(33). Dans ce message, le groupe donnait vingt jours aux dirigeants de l’USO et aux militants de l’université de Cartagena pour quitter la région :

« … MALGRÉ NOTRE DÉMOBILISATION NOUS CONSERVONS NOTRE PUISSANCE MILITAIRE ET NOS CAPACITÉS DE RENSEIGNEMENT POUR CETTE RAISON NOUS VOULONS QU’IL ARRIVE CE QUI SUIT SALAUDS DE SYNDICALISTES DE L’USO SALAUDS DE DIRIGEANTS ÉTUDIANTS DE L’UNIVERSITÉ DE CARTAGENA ET TOUS CEUX QUI SE CACHENT DANS LES UNIVERSITÉS PRIVÉES VOUS AVEZ 20 JOURS POUR QUITTER VOTRE VILLE […] SI VOUS N’OBÉISSEZ PAS […] PRÉPAREZ-VOUS À EN SUBIR LES CONSÉQUENCES NOUS SAVONS TOUT ALORS ÉVITEZ LES PROBLÈMES ».

Les syndicats de travailleurs du secteur minier et du secteur de l’énergie
Le 10 octobre 2004, Francisco Ramírez Cuéllar, président du Sindicato de Trabajadores de la Empresa Minera Nacional (SINTRAMINERCOL, Syndicat des travailleurs de l’industrie minière nationale MINERCOL) a échappé à une tentative d’assassinat présumée à Bogotá. Deux hommes sur une moto puissante, dont l’un portait une arme sur ses genoux, se sont en effet approchés de Francisco Ramírez Cuéllar, qui s’est immédiatement mis à couvert. Comme la moto était arrêtée et bloquait la circulation, les autres véhicules ont klaxonné, l’obligeant à avancer. Sans cela, l’homme armé aurait sans doute pu l’abattre, d’après Francisco Ramírez(34).

Selon les informations recueillies, quelques jours auparavant le syndicaliste avait constaté que des hommes surveillaient son domicile et les bureaux du SINTRAMINERCOL. Cette tentative d’assassinat est survenue à la suite de la publication d’un rapport de ce syndicat condamnant les violations des droits humains dans les zones minières et mettant en cause les forces de sécurité. En août 2006, un membre présumé d’un groupe paramilitaire s’est rendu au siège du SINTRAMINERCOL et a demandé où se trouvaient le président et les autres membres du syndicat. Cette même personne aurait été vue en train de surveiller les bureaux de ce syndicat. Francisco Ramírez est aussi secrétaire général de la Fédération unitaire des travailleurs du secteur minier et du secteur de l’énergie, qui regroupe le SINTRAMINERCOL et le SINTRAMIENERGETICA. En tant que secrétaire général de la Fédération, Francisco Ramírez a fait partie de ceux qui ont conseillé aux syndicalistes du SINTRAMIENERGETICA de se mettre en grève contre la société Drummond.

La sécurité des syndicalistes de ce secteur a été très menacée tout au long de l’année 2006. Le 25 mars 2006, Harvey Jovanny Morales Guevara, employé de Drummond et membre et militant du SINTRAMIENERGETICA, a été tué par des hommes armés non identifiés en plein cœur de Santa Marta, dans le département de l’Atlantique.

Le 29 avril 2006, des membres du SINTRAMIENERGETICA auraient été menacés lors d’une manifestation syndicale dans la municipalité de Paso (département de César). Un chef de la police locale les aurait accusés de faire partie de la guérilla et un policier aurait pointé son arme vers le dirigeant syndical Luis Antonio Garzón. Cette manifestation se tenait le même jour qu’une réunion entre des représentants de la société Drummond et les dirigeants du SINTRAMIENERGETICA. Lors de cette réunion, le syndicat voulait négocier une amélioration des conditions de travail et d’emploi au sein de la compagnie minière.

Le 1er mai 2006, à l’issue d’une manifestation dans la municipalité de La Loma (département de César), la voiture dans laquelle se trouvait Raúl Sosa Avellaneda, président de la branche de Chiriguaná du SINTRAMIENERGETICA, aurait été suivie par plusieurs hommes dans différents véhicules. Selon des témoins, les occupants d’au moins un de ces véhicules étaient des paramilitaires. Ces hommes auraient cessé de suivre les syndicalistes quand ceux-ci ont signalé aux soldats d’un poste de contrôle de l’armée qu’ils étaient suivis.

La sécurité des syndicalistes du SINTRAMIENERGETICA est devenue préoccupante à partir du 22 mai 2006, lorsque ceux d’entre eux qui travaillaient pour la société Drummond ont lancé un mouvement de grève (qui a pris fin le 25 juin 2006). Le 13 juin 2006, des inconnus armés en moto auraient ouvert le feu sur Álvaro Mercado, l’un des dirigeants du SINTRAMIENERGETICA, alors qu’il entrait chez lui à Villa del Rosario, dans la municipalité de Valledupar (département de César). Les policiers auraient arrêté l’un des hommes armés, puis deux autres quelques heures plus tard. Tous trois ont ensuite été libérés par la Fiscalía General.

Le 13 juin également, plusieurs personnes identifiées par des témoins comme étant des paramilitaires auraient cherché Estivenson Avila, négociateur du SINTRAMIENERGETICA à Valledupar. Les 6 et 8 juin 2006, à Barranquilla, des personnes également soupçonnées par des témoins d’appartenir à des groupes paramilitaires se seraient présentées au domicile de Rubén Morrón, dirigeant de la branche du SINTRAMIENERGETICA à Chiriguaná, qui était absent. Craignant pour sa sécurité, celui-ci n’est pas rentré chez lui. Amnesty International ne sait pas s’il a pu le faire depuis.

Le 19 septembre 2006, des membres du bataillon antiaérien Nueva Granada auraient tué Alejandro Uribe Chacón alors qu’il rentrait à Mina Gallo, dans la municipalité de Morales (département de Bolívar). Alejandro Uribe était un des dirigeants de l’Association des mineurs de Bolívar ; il était aussi président du Comité d’action communale de Mina Gallo. L’Association des mineurs de Bolívar est liée à la Federación Agrominera del Sur de Bolívar (FEDEAGROMISBOL, Fédération agricole et minière du sud de Bolívar). Des témoins ont dit avoir vu des soldats emmener le corps d’Alejandro Uribe vers la base militaire de San Luquitas, dans la municipalité de Santa Rosa. Le 20 septembre, l’armée aurait présenté son cadavre aux autorités judiciaires comme celui d’un guérillero tué au combat. Selon certains témoignages, dans l’année précédant cet assassinat, des membres du bataillon antiaérien Nueva Granada avaient menacé de tuer des dirigeants de la FEDEAGROMISBOL. Des soldats auraient aussi déclaré aux habitants que leurs opérations visaient à protéger les intérêts miniers internationaux dans cette région, où est présente notamment la société AngloGold Ashanti (Kedahda S.A.), spécialisée dans l’extraction d’or(35). Or, Alejandro Uribe et d’autres mineurs locaux s’étaient opposés à l’arrivée de cette compagnie dans la région(36).

En décembre 2006, le Sindicato Nacional de Trabajadores de la Industria del Carbón (SINTRACARBON, Syndicat national des travailleurs de l’industrie du charbon) a été menacé, ainsi que d’autres syndicats, dans un message écrit diffusé par un groupe paramilitaire répondant au nom d’Águilas Negras (Aigles noirs) [voir ci-dessous la section sur les travailleurs de l’industrie agroalimentaire].

Le syndicat des travailleurs de l’industrie agroalimentaire

Ces dernières années, le Sindicato Nacional de Trabajadores de la Industria de Alimentos (SINALTRAINAL, Syndicat national des travailleurs de l’industrie agroalimentaire) a été impliqué dans plusieurs conflits sociaux, souvent avec de grandes sociétés multinationales. Il est arrivé plusieurs fois que des violations des droits humains ont été commises pendant ces périodes de conflits, ainsi que lorsque des membres du syndicat ont tenté de saisir la justice des États-Unis à propos d’allégations selon lesquelles des employés de certaines usines d’embouteillage colombiennes sous-traitées par Coca-Cola étaient impliqués dans des homicides et d’autres violences perpétrés par des paramilitaires contre des syndicalistes(37).
Le 4 février 2006, Plutarco Vargas Roldán, membre du SINALTRAINAL à Bogotá et employé d’une de ces usines d’embouteillage, aurait reçu à son domicile des menaces de mort contre lui et sa famille : « Tu vas avoir des ennuis, ne cherche pas d’excuses […] Fais bien attention à toi car nous voulons vraiment ta peau […] Nous t’avons à l’œil. »

Ces menaces lui sont parvenues à la suite d’une manifestation du SINALTRAINAL à Bogotá le 31 janvier 2006. À cette occasion, les syndicalistes auraient été harcelés et photographiés par des inconnus.

Le 20 avril 2004, Gabriel Remolina et sa compagne, Fanny Robles, ont été tués par des inconnus armés. Gabriel Remolina était le beau-frère d’Efraín Guerrero, syndicaliste de premier plan de la branche du SINALTRAINAL à Bucaramanga. Les tireurs, qui cherchaient semble-t-il Efraín Guerrero, ont fait irruption chez Gabriel Remolina, à Bucaramanga (département de Santander) et ont ouvert le feu de façon aléatoire. Trois de ses enfants ont été blessés dans l’attaque et l’un d’eux, son fils majeur Robinson Remolina, est décédé peu après son arrivée à l’hôpital.

Peu de temps auparavant, le 15 mars 2004, les membres du SINALTRAINAL travaillant pour des usines d’embouteillage sous licence Coca-Cola avaient lancé une grève de la faim nationale dans le cadre du conflit qui les opposait à l’entreprise. Les dirigeants du syndicat ont par la suite affirmé avoir reçu des menaces de mort. Cette grève de la faim s’est achevée le 27 mars, après la conclusion d’un accord entre le syndicat et l’entreprise. Gabriel Remolina et sa compagne n’étaient pas membres du SINALTRAINAL, mais les informations recueillies montrent que des proches d’Efraín Guerrero avaient soutenu la grève de la faim. Il est à craindre aussi que ces homicides ne soient destinés à intimider le syndicat par des attaques contre les familles de ses militants.

Plusieurs de ces militants qui avaient participé activement à l’action en justice engagée devant des tribunaux des États-Unis contre les usines d’embouteillage ont été menacés, notamment Javier Correa, président du syndicat, et Juan Carlos Galvis, vice-président de son Comité exécutif national, ainsi que Eurípides Yance, Limberto Carranza, Campo Elías Quintero et William Mendoza (pour plus de précisions, voir la note 37).

Le 1er mai, puis le 13 mai 2006, un dirigeant du SINALTRAINAL aurait reçu un appel téléphonique d’un paramilitaire qui était emprisonné pour sa participation présumée à l’assassinat de Rafael Jaimes, dirigeant de l’USO. Cet homme aurait demandé avec insistance que deux dirigeants du syndicat viennent le rencontrer en prison, affirmant que, s’ils refusaient, deux combattants démobilisés feraient de faux témoignages contre William Mendoza et Juan Carlos Galvis, ce qui impliquait qu’une procédure pénale serait engagée contre ces deux syndicalistes. Le même paramilitaire avait semble-t-il déjà affirmé auparavant que les dirigeants du SINALTRAINAL William Mendoza, Juan Carlos Galvis, Javier Correa et Edgar Páez seraient tués.

Le 15 mai 2006, des menaces de mort écrites ont été trouvées dans les bureaux du syndicat, à Barranquilla, dans le département de l’Atlantique. Ce message menaçait des membres du SINALTRAINAL et d’autres syndicats : « MAS [Mort aux syndicalistes] Voici les noms des propagandistes et des endoctrineurs qui sèment la pagaille dans cette ville, Euripides [sic] Yancen [sic], Limberto Carranza, Campo Quintero, Jesús Tovar, Eduardo Arévalo, Tomas Ramos, Henry Gordón, Gastón Tesillo, Carlos Hernández. Le temps est venu de supprimer ces tentacules qui s’étendent jour après jour dans les syndicats, les universités et les organisations qui se laissent entraîner hors du droit chemin. » Le lendemain, Eurípides Yance et Limberto Carranza auraient reçu des menaces de mort par téléphone.

Le 3 août 2006, des policiers se présentant comme des membres du Service d’enquêtes judiciaires et de renseignement auraient mené une perquisition sans mandat judiciaire dans les bureaux du SINALTRAINAL. Ils auraient affirmé procéder à cette perquisition pour prévenir tout trouble à l’ordre public lors de l’investiture du président Álvaro Uribe pour son deuxième mandat, le 7 août 2006. Les dirigeants syndicaux pensent que cette opération pouvait avoir pour objectif de faire croire que le SINALTRAINAL était impliqué dans des activités illégales.

Le 17 août 2006, Carlos Arturo Montes Bonilla, membre du SINALTRAINAL à Barrancabermeja, aurait été tué par des tireurs non identifiés. Il avait participé à des manifestations contre Coca-Cola et à d’autres activités syndicales dans la ville. Selon les informations recueillies par Amnesty International, un soldat a été temporairement détenu pour cet homicide, qu’il aurait avoué avoir commis. Les autorités judiciaires auraient conclu à une dispute de famille, car le suspect était semble-t-il le beau-fils de la victime. Le soldat a ensuite été libéré. Amnesty International ne dispose d’aucune information laissant supposer que la procédure pénale engagée à son encontre se poursuive.

Le 14 décembre 2006, des menaces de mort signées du groupe paramilitaire des Aigles noirs ont été déposées au domicile d’Eurípides Yance, à Barranquilla. Ces menaces visaient les dirigeants syndicaux Eurípides Yance, Limberto Carranza et Campo Elías Quintero, et leur sont parvenues en pleine période de négociations sur les conditions de travail entre le SINALTRAINAL et les usines d’embouteillages sous licence Coca-Cola. Le message donnait aux syndicalistes une semaine pour quitter Barranquilla :

« Vous, les agents infiltrés, les informateurs de la guérilla, les pamphlétaires, vous croyez que les balles ne peuvent pas vous atteindre, mais vous vous trompez. Avez-vous oublié ce qui est arrivé à beaucoup de ceux qui vous ont accompagnés entre 1997 et 2005 ?

« Vous avez une semaine pour quitter la ville. »

Ces menaces étaient adressées au SINALTRAINAL et à d’autres syndicats, dont des organisations étudiantes de l’université de l’Atlantique.

Le 10 février 2007, des menaces de mort émanant de paramilitaires et adressées également au SINALTRAINAL ont été glissées sous la porte des bureaux de l’ASTDEMP à Bucaramanga, dans le département de Santander. Le message désignait nommément plusieurs militants du syndicat (Javier Correa, Luis García, Domingo Flores et Nelson Pérez), qu’il qualifiait de « syndicalistes terroristes de Coca-Cola ». Il les enjoignait de mettre un terme aux troubles dans la société Coca-Cola « car ils avaient déjà causé suffisamment de dégâts » et les avertissait que, sinon, ils deviendraient des objectifs militaires pour les Aigles noirs. Les menaces étaient rédigées sur un papier à l’en-tête des « Águilas Negras des AUC » et provenaient probablement du Front Lebrija de ce mouvement.

Dans une lettre à Amnesty International en date du 7 juin 2007, la société Coca-Cola a expliqué avoir eu des contacts à plusieurs reprises avec les autorités colombiennes à propos des menaces de mort contre les militants du SINALTRAINAL et avoir appelé les autorités à ouvrir des enquêtes sur ces menaces et à assurer la sécurité des syndicalistes menacés(38).

Le 11 septembre 2005, Luciano Enrique Romero Molina a été retrouvé mort, les mains liées et le corps lardé de plus de 40 coups de couteau. Son cadavre se trouvait dans la ferme de Las Palmeras, à La Nevada, dans la municipalité de Valledupar, zone apparemment contrôlée par les paramilitaires bien que les forces paramilitaires présentes dans la région se soient officiellement engagées dans un processus de démobilisation entre décembre 2004 et mars 2006.

Luciano Romero était l’un des dirigeants de la branche du département de César du SINALTRAINAL, ainsi que d’une organisation de défense des droits humains, le Comité de solidarité avec les prisonniers politiques. Le 28 février 2002, le SINALTRAINAL avait présenté à la société Nestlé-CICOLAC une série de revendications concernant l’amélioration des conditions de travail(39). N’ayant pas obtenu satisfaction, le syndicat avait lancé un mouvement de grève le 12 juillet. À partir de cette date, les menaces de mort des paramilitaires à l’encontre des dirigeants du SINALTRAINAL s’étaient multipliées. En octobre 2002, Luciano Romero et d’autres collègues avaient été licenciés de l’usine Nestlé-CICOLAC de Valledupar. Ayant reçu des menaces de groupes paramilitaires, Luciano Romero avait dû fuir son domicile, puis le pays. Il était revenu en Colombie en avril 2005 et devait se rendre en Suisse les 29 et 30 octobre 2005 pour témoigner sur les menaces de mort adressées aux syndicalistes représentant les travailleurs des usines Nestlé en Colombie.

Le 12 septembre 2005, une voiture a été vue tournant autour de la maison de José Onofre Esquivel Luna, dans la municipalité de Bugalagrande (département du Valle del Cauca). José Esquivel Luna est l’un des dirigeants de la branche de Bugalagrande du SINALTRAINAL. Le 19 septembre, un homme armé a de nouveau été vu rôdant autour de sa maison. À plusieurs reprises, des inconnus auraient demandé à ses voisins où il se trouvait. Le gouvernement colombien a affirmé que des mesures avaient été prises pour assurer sa sécurité. Il a aussi indiqué que le DAS réévaluerait la situation du syndicaliste en matière de sécurité et que la police prendrait des mesures pour le protéger.

José Onofre Esquivel figurait sur la liste des objectifs militaires des paramilitaires du Bloque Centro del Valle del Cauca (Bloc central du Valle del Cauca) des AUC. Le 11 octobre 2003, à son lieu de travail, il a découvert des menaces de mort dans son casier. Ces menaces le visaient personnellement, ainsi que ses collègues syndicalistes Rogelio Sánchez, Alfonso Espinosa et Freddy Ocoro. Craignant pour sa sécurité, Freddy Ocoro a quitté le pays.

Le 18 août 2006, des menaces de mort ont été envoyées au domicile d’Héctor Jairo Paz, l’un des dirigeants de la branche de Bugalagrande du SINALTRAINAL. Ces menaces étaient semble-t-il rédigées sous la forme de condoléances, comme c’est souvent le cas. Elles étaient signées du groupe paramilitaire MAS (voir ci-dessus la section sur les opérations conjointes des forces de sécurité et des groupes paramilitaires). Héctor Jairo Paz travaille à l’usine Nestlé de Colombia S.A. de Bugalagrande. Les menaces de mort lui sont parvenues dix jours après celles proférées à l’encontre des dirigeants de la branche de Bugalagrande du SINALTRAINAL, lors d’une manifestation du syndicat contre le licenciement de 90 employés.

Dans une lettre en date du 4 juin 2007, Nestlé a informé Amnesty International que CICOLAC et Nestlé de Colombia S.A. avaient contacté les autorités colombiennes pour les appeler à enquêter sur le meurtre de Luciano Enrique Romero Molina et sur les menaces de mort formulées à l’encontre de José Onofre Esquivel Luna ; elles leur avaient aussi demandé d’aider Héctor Jairo Paz en prenant des mesures pour assurer sa sécurité. Nestlé aurait aussi proposé directement une aide à Héctor Jairo Paz(40).

Luis Antonio Arismendi était président du Sindicato Manuela Beltrán de Trabajadores y Expendedores de Alimentos y Bebidas (SINDIMANUELA, Syndicat des revendeurs de produits alimentaires et de boissons Manuela Beltrán), syndicat lié à la CGT. Lui et Belquis Dayana Goyeneche, une amie, ont été vus pour la dernière fois le 28 avril 2006 sur la place du marché du quartier San Francisco de Ciudad Bolívar, à Bogotá. La veille, Luis Antonio Arismendi aurait informé la police que des inconnus avaient été vus en train de patrouiller sur la place du marché. Le matin du 28 avril, des policiers auraient été vus en compagnie de ces mêmes personnes. Le corps de Luis Arismendi a été retrouvé un peu plus tard dans la municipalité de Zipacón (département de Cundinamarca). Au cours de l’année passée, plusieurs militants auraient été tués par des paramilitaires de Ciudad Bolívar. Amnesty International n’a reçu aucune information indiquant une quelconque avancée dans l’enquête judiciaire sur l’assassinat de Luis Arismendi et sur la disparition forcée de son amie.

Les meurtres de syndicalistes commis par les forces de la guérilla en 2006

Comme indiqué précédemment, au moins six syndicalistes auraient été tués par la guérilla en 2006. Cependant, dans les cas décrits ci-dessous, il est difficile de déterminer s’ils l’ont été en raison de leurs activités syndicales ou parce qu’ils étaient perçus comme agissant contre les intérêts de la guérilla, ou soupçonnés de coopérer avec les « ennemis » des groupes concernés.

María Isabel Fuentes Millán, membre du Syndicat unitaire du personnel de l’éducation du Valle, a été tuée le 23 janvier 2006 à Tochecito, dans la communauté d’Altos del Rocío, entre les municipalités de Sevilla et de Tuluá, dans le département du Valle del Cauca. Des hommes armés auraient rassemblé de force les enseignants et les élèves de l’école où elle travaillait et l’aurait abattue sous leurs yeux. Les autorités ont accusé les FARC d’être à l’origine de cet assassinat.

Luz Miriam Farias Rodríguez était membre de l’ASEDAR et enseignait dans la réserve indigène de Caño Claro Guahibo-Makaguán, dans la municipalité de Tame (département d’Arauca). Le 6 mars 2006, elle a quitté la réserve pour aller chercher le corps de son mari, Juan Ramírez Villamizar, gouverneur indigène de la réserve. Celui-ci avait semble-t-il été tué la veille par les FARC pour avoir désobéi à leur mot d’ordre de « grève armée », qui interdisait toute circulation sur les routes de la région. Le véhicule dans lequel elle ramenait le corps de son époux aurait été arrêté par des membres des FARC dans la région de Flor Amarillo. Les guérilleros auraient alors fait descendre Luz Miriam de force du véhicule et ordonné au conducteur d’emmener le corps de Juan Ramírez Villamizar à Tame. Selon les informations dont nous disposons, Luz Miriam Farias a été abattue et son corps a été retrouvé le 7 mars.

Wilson García Reatiga, membre de l’Asociación Nacional de Usuarios Campesinos – Unidad y Reconstrucción (ANUC-UR, Association nationale des agriculteurs - Unité et reconstruction) et président du Comité d’action communale de Santo Domingo, dans la municipalité de Tame, a été tué le 22 mars 2006 à La Siberia, dans cette même municipalité. Quelques jours plus tôt, il aurait reçu des menaces des FARC.

Arselio Peñas Guatico et Jhon Jairo Osorio Pisario faisaient partie de la communauté indigène wounáan, dans le département du Chocó. Ces deux enseignants étaient membres de l’Union des enseignants du Chocó. Le 30 mars 2006, des membres des FARC seraient venus chercher de force Arselio Peñas Guatico dans l’école où il enseignait, dans la communauté d’Unión Wounáan (municipalité de Medio San Juan, département du Chocó). Son corps a été retrouvé le jour même à l’extérieur de la communauté. Jhon Jairo Osorio Pisario aurait été contraint par les FARC de descendre du bateau qui l’emmenait vers la municipalité d’Istmina, le 31 mars. Son corps a été retrouvé le lendemain. D’après les communautés indigènes, les FARC avaient accusé les deux enseignants, ainsi que cinq autres, d’être des informateurs de l’armée.

Francisco Ernesto García, enseignant du centre éducatif El Tambillo, dans la municipalité de Sandoná (département de Nariño), aurait été tué par les FARC. Son corps a été retrouvé le 6 juillet 2006 sur la route reliant les municipalités de Providencia et de Samaniego. D’après les informations disponibles, il avait quitté son domicile quatre jours plus tôt pour aller négocier avec les commandants locaux des FARC la libération de son neveu de quatorze ans, qui avait été enlevé. Il voulait proposer aux FARC de le prendre en otage à la place du jeune garçon. Selon les informations recueillies, son corps portait des traces de torture. Francisco Ernesto García était membre du Sindicato de Maestros de Nariño (SIMANA, Syndicat des enseignants de Nariño). Amnesty International ne sait pas ce qu’est devenu son neveu.

Conclusions et recommandations

La situation des droits fondamentaux des syndicalistes en Colombie demeure critique. Le processus de « démobilisation » mené par le gouvernement colombien à grand renfort de publicité n’a pas amélioré cette situation, comme le montrent de façon dramatique les très nombreuses menaces de mort qui leur ont été adressées par des paramilitaires en 2006. De plus, le processus ne garantit pas le démantèlement des structures paramilitaires, qui continuent d’opérer en collusion avec les forces de sécurité, parfois sous de nouveaux noms.

Les gouvernements qui se sont succédé ont mis en œuvre plusieurs mesures pour renforcer la sécurité des syndicalistes, notamment un programme consistant, entre autres, à attribuer une escorte armée, un véhicule blindé et un téléphone portable à ceux qui sont menacés. Ce soutien joue un rôle important et il a peut-être amélioré la situation de certains, mais il s’est révélé insuffisant pour garantir efficacement la sécurité des syndicalistes.

Celle-ci ne pourra être assurée à long terme que si les autorités colombiennes prennent des mesures décisives pour mettre fin à l’impunité qui protège l’immense majorité des responsables des atteintes aux droits humains dont sont victimes ces militants. La situation ne connaîtra pas d’amélioration sensible et durable si des mesures ne sont pas prises pour lutter contre l’impunité. À cet égard, Amnesty International se félicite de l’engagement pris par le gouvernement colombien, le 17 octobre 2006, d’apporter son soutien au service d’enquête spécial chargé, au sein de la Fiscalía General de la Nación, d’enquêter sur les meurtres de syndicalistes. Cependant, comme l’impunité représente un problème endémique en Colombie et comme les atteintes aux droits humains commises contre des syndicalistes sont très nombreuses, le gouvernement doit veiller à fournir à ce service des ressources suffisantes afin de garantir son bon fonctionnement.

La décision prise pendant la 95e Conférence internationale du travail de garantir une présence permanente de l’OIT en Colombie offre à la communauté internationale la possibilité de suivre de près la situation des droits fondamentaux des syndicalistes et d’agir en amont en insistant auprès du gouvernement colombien pour qu’il prenne des mesures décisives afin de garantir la liberté d’association et la sécurité des syndicalistes. Amnesty International ne doute pas que le gouvernement colombien coopérera pleinement avec l’OIT pour veiller à ce que la représentation permanente de cette organisation en Colombie s’acquitte des tâches définies dans l’Accord tripartite de juin 2006, qui consistent à promouvoir et défendre les droits fondamentaux des syndicalistes, en particulier le droit à la vie et la liberté d’association.

La demande d’établissement d’une représentation permanente de l’OIT en Colombie constitue une reconnaissance de la gravité de la crise des droits humains à laquelle sont confrontés les syndicalistes colombiens. Amnesty International espère que la présence de l’OIT dans ce pays, en attirant l’attention sur cette crise, incitera les différentes parties, en particulier les États membres, les représentants des employeurs et les organisations de travailleurs, à se mobiliser et à appeler le gouvernement colombien à prendre des mesures décisives pour résoudre la crise, et les mouvements de guérilla à mettre fin aux graves atteintes aux droits humains qu’ils commettent contre les syndicalistes.

Amnesty International espère également que face à la persistance de cette crise, l’OIT continuera d’accorder toute son attention aux atteintes aux droits humains dont sont victimes les militants syndicaux et à suivre les initiatives prises par les autorités et le gouvernement colombiens pour pleinement mettre en œuvre les normes et principes de l’OIT ainsi que les critères du Comité de la liberté syndicale.

Amnesty International considère que les nombreux homicides, menaces de mort et procédures judiciaires arbitraires dont des syndicalistes sont victimes, ainsi que l’impunité presque totale dont jouissent les auteurs de ces atteintes aux droits humains constituent une attaque directe contre les droits énoncés dans la convention n°98 sur le droit d’organisation et de négociation collective et dans la convention n°87 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical. L’organisation estime en outre que les violations des droits humains et les exactions commises contre les syndicalistes par toutes les parties au conflit visent à saper le travail légitime des organisations syndicales, et que les procédures judiciaires arbitraires engagées contre un grand nombre de militants syndicaux ont pour but de discréditer leur action.

En prenant des mesures pour garantir la sécurité des syndicalistes, les autorités colombiennes se conformeraient aux recommandations que le haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme n’a cessé d’adresser aux gouvernements qui se sont succédé, ainsi qu’à ses obligations découlant des conventions de l’OIT et des directives fournies par d’autres instruments de l’OIT, notamment la Déclaration relative aux principes et droits fondamentaux au travail et son suivi(41). Aux termes de cette déclaration, « l’ensemble des Membres, même lorsqu’ils n’ont pas ratifié les conventions en question, ont l’obligation, du seul fait de leur appartenance à l’Organisation, de respecter, promouvoir et réaliser, de bonne foi et conformément à la Constitution, les principes concernant les droits fondamentaux qui sont l’objet desdites conventions, à savoir : (a) la liberté d’association et la reconnaissance effective du droit de négociation collective… »(42).

La Déclaration relative aux principes et droits fondamentaux au travail est complétée par la Déclaration de principes tripartite sur les entreprises multinationales et la politique sociale(43). Cette dernière rappelle également aux parties qu’elles « devraient respecter […] la Constitution de l’Organisation internationale du Travail et ses principes en vertu desquels la liberté d’expression et d’association est une condition indispensable d’un progrès soutenu », et « invite les gouvernements des États Membres de l’OIT, les organisations d’employeurs et de travailleurs intéressées et les entreprises multinationales exerçant leurs activités sur leurs territoires à respecter les principes qu’elle contient ». La déclaration tripartite de l’OIT n’est pas contraignante pour les entreprises, mais ces dernières peuvent être tenues de respecter ses dispositions si les États membres les transposent dans leur droit national. En outre, dans la mesure où elle a été adoptée par les représentants des employeurs, de même que par ceux des gouvernements et des organisations de travailleurs, elle fournit des orientations utiles sur les principes que les entreprises devraient respecter. La déclaration tripartite appelle notamment toutes les parties à « respecter la Déclaration universelle des droits de l’homme et les Pactes internationaux correspondants que l’Assemblée générale des Nations Unies a adoptés ». La déclaration constitue en tant que telle une reconnaissance par toutes les parties du fait qu’elles doivent faire respecter les obligations en matière de droits humains définies dans la Déclaration universelle et les deux Pactes(44), qui forment à eux trois la Charte internationale des droits de l’homme et ont force obligatoire pour les États(45). La déclaration tripartite prévoit que toutes les parties « devraient contribuer à la réalisation de la Déclaration de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail ». Elle appelle ainsi effectivement toutes les parties à l’OIT à défendre les principes fondamentaux de l’organisation, notamment ceux de la liberté d’association et de la reconnaissance effective du droit de négociation collective.

En 2003, la Sous-Commission des Nations unies sur la promotion et la protection des droits de l’homme a adopté les Normes sur la responsabilité en matière de droits de l’homme des sociétés transnationales et autres entreprises (appelées ci-après les Normes des Nations unies). Pour Amnesty International, les Normes des Nations unies fournissent les directives les plus exhaustives à ce jour concernant les responsabilités des entreprises en matière de droits humains, et les entreprises devraient adopter des politiques en la matière fondées sur ces normes et veiller à ce qu’elles soient appliquées dans leurs activités à l’échelle mondiale. Les Normes des Nations unies constituent aussi un critère de référence à l’aune duquel peuvent être jugées les dispositions nationales réglementant les responsabilités des entreprises en matière de droits humains.

Du fait de l’établissement d’une présence permanente de l’OIT en Colombie pour promouvoir et défendre les droits fondamentaux des syndicalistes et de l’actuelle crise des droits humains qui touche ces militants, y compris ceux travaillant pour des entreprises étrangères, Amnesty International estime que le moment est opportun pour rappeler aux entreprises les principes que l’OIT les engage à respecter dans la déclaration tripartite.

L’organisation considère que l’établissement d’une présence permanente de l’OIT en Colombie offre aux entreprises un outil pour demander au gouvernement colombien de prendre des mesures décisives afin de garantir la sécurité des syndicalistes, d’en finir avec l’impunité dans les affaires d’atteintes à leurs droits fondamentaux et de mettre fin aux procédures judiciaires arbitraires engagées contre eux. Les entreprises contribueront de la sorte à promouvoir les droits humains universellement reconnus, conformément à leurs obligations en vertu des Normes des Nations unies et des autres instruments mentionnés plus haut, tout en respectant les engagements que nombre d’entre elles ont pris concernant leur politique.

Les normes internationales se font de plus en plus l’écho des responsabilités qui incombent aux entreprises en termes de droits humains concernant le respect, la protection et la promotion de ces droits. Les entreprises peuvent être amenées à répondre de leurs actes ; elles ne doivent pas tirer profit des atteintes aux droits humains dont elles pourraient, de par leur conduite, être responsables. Le présent rapport expose des cas, des politiques et des situations qui menacent le droit à la liberté d’association de syndicats nommément désignés, voire de l’ensemble du mouvement syndical colombien. En mettant ces affaires en lumière, Amnesty International espère que les entreprises opérant en Colombie, qu’elles soient ou non désignées dans ce rapport, prendront toutes les mesures nécessaires pour créer les conditions permettant l’exercice du droit à la liberté d’association et obtenir que les autorités colombiennes garantissent la pleine réalisation de ces droits. C’est là le minimum qu’elles devraient accomplir.

Afin d’éviter de donner prise à toutes sortes d’allégations, les entreprises devraient se conformer pleinement aux recommandations qui leur sont adressées plus bas.

Amnesty International appelle le gouvernement colombien à :

  • Adopter le plan d’action national sur les droits humains, trop longtemps retardé, qui devrait comprendre la pleine mise en œuvre des recommandations formulées par le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme pour qu’il soit mis fin à l’impunité dans les affaires d’atteintes aux droits humains, pour que soient brisés les liens entre les forces de sécurité et les paramilitaires et pour que soit garantie la sécurité des secteurs de la société civile qui sont particulièrement exposés, comme les syndicalistes, ainsi que la mise en œuvre des recommandations du représentant spécial des Nations unies sur la situation des défenseurs des droits de l’homme.
  • Adopter des mesures visant à garantir la sécurité des syndicalistes et l’exercice de tous leurs droits relatifs à la liberté d’association.
  • Déférer à la justice les responsables présumés d’atteintes aux droits humains commises contre des syndicalistes ; garantir la mise en place d’un cadre légal réglementant le processus de démobilisation qui respecte le droit des victimes d’obtenir vérité, justice et réparation, et veiller à ce que des ressources suffisantes soient allouées au service d’enquête spécial chargé, au sein de la Fiscalía General de la Nación, d’enquêter sur des cas d’atteintes au droit à la vie perpétrées contre des syndicalistes.
  • Veiller à ce que la représentation permanente de l’OIT en Colombie soit en mesure de promouvoir et de contrôler efficacement l’exercice du droit à la liberté d’association, conformément à l’Accord tripartite de juin 2006, et de respecter pleinement les recommandations de l’OIT.

Amnesty International appelle les mouvements de guérilla à :

  • Mettre fin aux menaces et aux homicides contre des syndicalistes et d’autres civils.
  • Respecter pleinement le droit international humanitaire, conformément aux recommandations maintes fois répétées du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme.

Amnesty International appelle le gouvernement colombien et les mouvements de guérilla à :

  • Parvenir d’urgence à un accord humanitaire pour protéger la population civile des affrontements et respecter le droit des civils de ne pas être entraînés dans le conflit.

Amnesty International appelle la communauté internationale à :

  • Demander avec insistance au gouvernement colombien de mettre en œuvre pleinement et sans délai les recommandations du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme.
  • Surveiller la situation des syndicalistes en matière de sécurité et demander avec insistance au gouvernement colombien d’adopter des mesures afin de garantir leur sécurité et de traduire en justice les responsables présumés d’atteintes aux droits humains.
  • Suivre les initiatives prises par le gouvernement colombien pour respecter les recommandations de l’OIT, y compris celles formulées du fait de la présence permanente de l’OIT en Colombie, et demander avec insistance au gouvernement de veiller à ce que la représentation permanente de l’OIT soit en mesure de promouvoir et contrôler efficacement l’exercice du droit à la liberté d’association, conformément à l’Accord tripartite de juin 2006.
  • Demander au gouvernement colombien de veiller à ce que des ressources suffisantes soient allouées au service d’enquête spécial chargé, au sein de la Fiscalía General de la Nación, d’enquêter sur des cas d’atteintes au droit à la vie perpétrées contre des syndicalistes.
  • S’abstenir de fournir ou geler tout soutien financier ou politique à des projets et politiques liés au processus de démobilisation susceptibles de profiter à des auteurs d’atteintes aux droits fondamentaux et d’aggraver le problème de l’impunité, notamment toute mesure pouvant faciliter la régularisation de l’appropriation de terres et d’autres biens volés à l’occasion de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité.

Amnesty International appelle l’Organisation internationale du travail à :

  • Veiller à ce que la représentation permanente de l’OIT en Colombie soit en mesure de s’acquitter pleinement de sa tâche conformément à l’Accord tripartite de juin 2006.
  • Demander au gouvernement colombien de veiller à ce que des ressources suffisantes soient allouées au service d’enquête spécial chargé, au sein de la Fiscalía General de la Nación, d’enquêter sur des cas d’atteintes au droit à la vie perpétrées contre des syndicalistes.
    -*Veiller à continuer de se concentrer sur la situation des droits fondamentaux des syndicalistes en Colombie.
  • Demander au gouvernement colombien de respecter et mettre en œuvre les recommandations du Comité de la liberté syndicale.

Amnesty International appelle les entreprises opérant en Colombie à :

  • Demander au gouvernement colombien de respecter les recommandations qui lui sont adressées ci-dessus.
  • Demander au gouvernement de prendre des mesures décisives pour garantir la sécurité des syndicalistes et leur droit à la liberté d’association, conformément à ses obligations internationales en matière de droits humains. Les entreprises ne doivent pas oublier qu’une telle initiative serait conforme aux principes qu’elles sont invitées à respecter aux termes de la déclaration tripartite de l’OIT et des Normes des Nations unies sur la responsabilité en matière de droits de l’homme des sociétés transnationales et autres entreprises.
  • Demander au gouvernement de veiller à ce que la représentation permanente de l’OIT en Colombie soit en mesure de promouvoir et défendre efficacement l’exercice du droit à la liberté d’association, conformément à l’Accord tripartite de juin 2006, et de respecter pleinement les recommandations de l’OIT.
  • Demander au gouvernement d’entièrement mettre en œuvre les recommandations de l’OIT, y compris celles formulées du fait de sa présence permanente en Colombie, pour garantir la sécurité des syndicalistes, de prendre des mesures décisives pour en finir avec l’impunité dans les affaires d’atteintes aux droits fondamentaux des syndicalistes, conformément à l’Accord tripartite de juin 2006, et d’appuyer pleinement ces recommandations.
  • Jouer un rôle actif en demandant la totale mise en œuvre des recommandations adressées par le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme aux mouvements de guérilla pour qu’ils respectent le droit international humanitaire, et au gouvernement pour qu’il prenne des mesures afin de garantir le plein respect des normes relatives au droit international humanitaire dans le cadre du conflit.
  • Prendre des mesures, conformément au droit international et aux normes internationales relatifs aux droits humains, en vue de garantir activement la sécurité de leurs employés, notamment des militants syndicaux. De telles mesures devraient tenir compte des conditions extrêmement difficiles dans lesquelles travaillent les syndicalistes en Colombie. Les entreprises doivent notamment :
  • a) rendre public leur engagement à défendre les droits fondamentaux de leurs employés, y compris le droit à la liberté d’association ;
  • b) intervenir activement auprès des responsables locaux de l’application des lois lorsqu’un syndicaliste représentant leurs employés ou les employés de leurs filiales en Colombie est tué, victime d’une disparition forcée, agressé ou menacé, en demandant l’ouverture d’une enquête exhaustive et impartiale et des mesures de protection appropriées, conformément au droit international relatif aux droits de la personne ;
  • c) coopérer pleinement avec les enquêtes menées par les autorités sur les atteintes aux droits fondamentaux commises contre des syndicalistes représentant leurs employés ou en faisant partie, et suivre régulièrement leur progression ; insister pour que le gouvernement prenne des mesures appropriées afin de garantir la progression des enquêtes ; et
  • d) s’engager publiquement à prendre toutes les mesures appropriées pour garantir la sécurité de leurs employés, faire un rapport à l’OIT et demander conseil à la représentation permanente de l’OIT sur toute autre action qu’elles devraient prendre en vue de garantir la sécurité des syndicalistes représentant leurs employés ou les employés de leurs filiales en Colombie.


Amnesty International appelle les membres du mouvement international de défense des droits des travailleurs à :

  • Envisager de renforcer les liens de solidarité avec leurs homologues colombiens, et de leur fournir un soutien approprié.
  • Exhorter leur propre gouvernement à prendre des mesures décisives pour demander au gouvernement colombien d’appliquer les recommandations exposées plus haut.
  • Demander aux représentants des employeurs dans leur propre pays d’appuyer les recommandations émises par l’OIT, y compris celles formulées du fait de sa présence permanente en Colombie, afin que soit garantie la sécurité des syndicalistes et qu’il soit mis fin à l’impunité dans les affaires d’atteintes à leurs droits fondamentaux.
  • Demander aux entreprises pour lesquelles ils travaillent qui opèrent également en Colombie d’appliquer les recommandations exposées plus haut.
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