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Deux ans après sa disparition, toujours aucune trace d’un militant laotien

Par Rupert Abbott, directeur des recherches du programme Asie-Pacifique d’Amnesty International

En août 2005, devant un public rassemblé à Manille, le Laotien Sombath Somphone, qui travaille dans le domaine du développement, a reçu le prix Ramon Magsaysay pour le leadership communautaire.

Considérée comme le prix Nobel asiatique, cette distinction montrait que le travail de Sombath était apprécié non seulement par les habitants du Laos, mais aussi dans toute la région.

Elle récompensait «  ses efforts prometteurs visant à promouvoir le développement durable au Laos en formant et en motivant ses jeunes gens pour en faire une génération de leaders  ».

Cependant, les espoirs suscités sont maintenant en grande partie perdus. Au lieu de guider une nouvelle génération de dirigeants associatifs laotiens, Sombath est introuvable – victime d’une disparition forcée – et la société civile du Laos est brisée et craintive.

Une personne est victime de disparition forcée lorsqu’elle est arrêtée, détenue ou enlevée par l’État ou par des agents opérant pour le compte de celui-ci qui nient ensuite détenir cette personne ou refusent de révéler son sort et le lieu où elle se trouve. Ce faisant, ils la soustraient à la protection de la loi.

Cette grave atteinte aux droits humains, reconnue en tant que crime international depuis le lendemain de la Seconde Guerre mondiale, perdure tant qu’on ne sait pas où se trouve Sombath et ce qu’il est advenu de lui.

Une enquête entourée de secret

Enlevé devant un poste de police dans la capitale laotienne, Vientiane, le 15 décembre 2012, Sombath n’a jamais été revu et personne n’a eu de ses nouvelles depuis. Deux ans après, ses proches continuent de demander des réponses et son retour en toute sécurité.

Nombre d’entre eux pensent que c’est le travail mené par Sombath pour renforcer le pouvoir d’action des populations au Laos qui lui a valu d’être victime d’une disparition forcée, tentative des autorités visant à étouffer une société civile naissante.

L’enquête sur son cas – si tant est qu’une véritable enquête ait eu lieu – est entourée de secret et les autorités laotiennes continuent de rejeter les propositions d’aide extérieures.

En 2005, la région n’a pas manqué de louer les réalisations de Sombath. Néanmoins, la réaction très modérée des gouvernements de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE) à sa disparition forcée en dit long sur les limites de cette organisation en matière de droits humains.

La Commission intergouvernementale des droits humains de l’ANASE (AICHR) a été créée en 2009 pour « promouvoir et protéger les droits humains et les libertés fondamentales des peuples de l’ANASE ».

Il semblerait logique que la disparition forcée d’un membre influent de la société civile préoccupe tout le monde au sein de l’ANASE ; c’est exactement ce type de cas que l’AICHR devrait prendre en charge, en faisant pression sur les autorités laotiennes pour obtenir des réponses et en menant ses propres investigations.

Amnesty International croit savoir que, en mai 2013, lors d’une réunion de l’AICHR à Djakarta, le représentant du Brunéi Darussalam (alors président de la Commission) a pris l’initiative inédite de demander de manière informelle aux autres représentants de l’ANASE si l’AICHR devait débattre du cas de Sombath.

Le représentant du Laos aurait répondu par un « non » catégorique qui, en vertu de la règle pernicieuse du « consensus » de l’AICHR, a suffi à empêcher toute discussion et donc toute action.

En attendant, à l’approche du deuxième anniversaire de la disparition forcée de Sombath Somphone, les gouvernements de l’ANASE doivent intervenir lorsque l’AICHR ne le fait pas.

L’AICHR reste silencieuse

L’AICHR ne dit donc rien. Elle ne fait rien. Elle se rend complice de la disparition forcée de Sombath en construisant le mur de silence qui l’entoure.

Confortées par cette inaction, peut-être, ayant accepté certains faits concernant l’affaire, les autorités laotiennes nient maintenant l’utilité de preuves essentielles, notamment d’images de vidéosurveillance sur lesquelles on voit Sombath être arrêté par la police de la route et emmené à bord d’un camion.

Selon elles, l’homme emmené n’est pas forcément Sombath. Elles soutiennent qu’il n’arrive rien d’intéressant sur cette vidéo, en ajoutant que, bien qu’elles prennent cette affaire extrêmement au sérieux, elles n’ont aucune piste après presque deux ans d’enquête. Pourtant, elles ne demandent absolument aucune aide extérieure.

Nous avons souvent entendu les dirigeants de la région embrasser l’idéal d’une communauté de l’ANASE « axée sur la population ».

Si l’ANASE veut vraiment devenir une communauté « axée sur la population », elle doit reposer sur le respect des droits humains.

Pour atteindre cet objectif, il serait important de réformer l’AICHR, en veillant à ce qu’elle soit pleinement indépendante des gouvernements et en mesure de prendre des décisions à la majorité si nécessaire.

Elle doit appliquer les normes internationales relatives aux droits humains, être dotée d’un mandat de protection renforcé et bénéficier du soutien dont elle a besoin pour promouvoir et protéger efficacement les droits humains.

Changement de cap

Étant donné que son mandat fait actuellement l’objet d’un réexamen – comprenant, en théorie, sa règle du « consensus » – l’AICHR a maintenant l’occasion de changer de cap.

Une telle décision pourrait inciter les gouvernements à réfléchir à deux fois avant de faire disparaître leurs propres citoyens, tout en rassurant les habitants des pays membres de l’ANASE sur le fait qu’ils peuvent s’exprimer et contribuer au développement de la région sans crainte.

En attendant, à l’approche du deuxième anniversaire de la disparition forcée de Sombath Somphone, les gouvernements de l’ANASE doivent intervenir lorsque l’AICHR ne le fait pas.

Ils doivent évoquer le cas de Sombath dès qu’ils en ont l’occasion, auprès du gouvernement laotien et publiquement, en demandant son retour en toute sécurité.

Et ils doivent étudier l’opportunité de lancer maintenant leurs propres enquêtes sur les personnes soupçonnées d’être responsables de la disparition forcée de Sombath et tenter de les traduire en justice devant leurs propres juridictions nationales.

Note : ce billet d’opinion a été publié à l’origine par Al Jazira.

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