Communiqué de presse

Europe. Après le rapport du Sénat américain sur la torture, les gouvernements complices doivent prendre des mesures

Les gouvernements européens ayant participé au programme secret de détentions, d’interrogatoires et de tortures de la CIA, dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme » lancée par les États-Unis, doivent agir d’urgence pour traduire les responsables en justice, après la production d’un rapport du Sénat américain apportant de nouvelles informations, écrit Amnesty International dans une synthèse rendue publique mardi 20 janvier.

Dans Breaking the conspiracy of silence : USA’s European ’partners in crime’ must act after Senate torture report, Amnesty International montre que le rapport du Sénat concorde avec les informations faisant état de l’existence de sites secrets en Lituanie, en Pologne et en Roumanie. D’autres gouvernements auraient facilité ces opérations secrètes, notamment l’Allemagne, l’ex-République de Macédoine et le Royaume-Uni. Certains de ces gouvernements ont collaboré avec la CIA en l’échange de millions de dollars américains.

La synthèse souligne également le manque de diligence des gouvernements concernés quant à l’ouverture et la direction d’enquêtes exhaustives et efficaces.

« Sans l’aide européenne, les États-Unis n’auraient pas été en mesure de détenir en secret et de torturer des gens pendant tant d’années. Le rapport du Sénat montre très clairement que les gouvernements étrangers étaient essentiels à la « réussite » des opérations de la CIA, et cela fait près de dix ans que des indices s’accumulent concernant la participation active d’alliés européens », a déclaré Julia Hall, spécialiste du contre-terrorisme et des droits humains à Amnesty International.

« Le temps du déni et des dissimulations est révolu. Les gouvernements ne peuvent plus compter sur des motifs infondés de « sécurité nationale » et de secret d’État pour dissimuler la vérité sur leur rôle dans la torture et la disparition de plusieurs personnes. Il faut que la justice soit rendue pour tous ceux qui ont subi des pratiques cruelles (simulacre de noyade, agressions sexuelles et simulacres d’exécution, entre autres), caractéristiques de ces opérations illégales de lutte contre le terrorisme ».

« L’incroyable dérive des États-Unis par rapport à la primauté du droit, après les attentats du 11 septembre 2001, peut servir de mise en garde pour tous les gouvernements confrontés à des situations similaires. Ignorer les droits humains et les libertés civiles est un tort, moralement et légalement. Une telle attitude aliène certains citoyens et peut encourager d’autres gouvernements déjà enclins à violer les droits des personnes en prenant la "sécurité nationale" pour prétexte », a déclaré Julia Hall.

« Toutes les lois, politiques et pratiques antiterroristes doivent respecter les droits humains et la dignité fondamentale des individus. C’est un principe particulièrement important en ces temps troublés en Europe, alors que les Français et d’autres gouvernements doivent faire face aux terribles attentats survenus à Paris », a-t-elle précisé.

Le rapport du Sénat a déclenché une série de réactions d’anciens et actuels fonctionnaires européens, y compris des aveux essentiels de participation aux opérations de la CIA. Le rapport du Sénat lui-même ne désigne pas explicitement les pays européens impliqués mais des informations crédibles et publiques, ainsi que les données recueillies par Amnesty International, donnent des détails précis sur des centres de détention et de torture secrets dirigés par les États-Unis avec l’aide de ses partenaires gouvernementaux étrangers (voir ci-après).

Pologne
Après la publication du rapport du Sénat, deux anciens fonctionnaires polonais ont finalement admis que la Pologne avait accueilli un site de détention secret de la CIA. Le rapport du Sénat fait référence au « Detention Site Blue » et fournit des détails sur le site qui concordent avec des informations publiques visant un site secret de la CIA en Pologne. Il complète ainsi deux décisions de la Cour européenne des droits de l’homme émises en juillet 2014, selon lesquelles la Pologne était complice du programme secret de « restitution » et de détention secrète des États-Unis. Parmi les exemples de « techniques renforcées d’interrogatoire », il a été mentionné qu’un ou deux hommes ont subi des simulacres de noyade, des simulacres d’exécution avec une arme non chargée, des menaces de mutilation à la perceuse, et des menaces d’agression sexuelle contre la mère de l’un des détenus. L’enquête criminelle en Pologne, lancée en 2008, a été retardée à plusieurs reprises et est toujours en cours. Un responsable polonais a déclaré à Amnesty International que le gouvernement américain a ignoré un certain nombre de demandes d’informations nécessaires à l’enquête.

Roumanie
Après des années de dénégation, l’ancien chef du service roumain des renseignements et conseiller en matière de sécurité nationale du président de l’époque a récemment admis que les Renseignements roumains avaient permis aux États-Unis d’ouvrir un ou deux centres de détention dans le pays. Il a expliqué cette coopération par le fait que la Roumanie était candidate à l’adhésion à l’Organisation du traité de l’Atlantique nord. Le rapport du Sénat fait référence au « Detention Site Black », dont la description correspond aux informations publiques faisant état d’un site secret de la CIA en Roumanie. Il a été signalé que la Roumanie avait reçu des millions de dollars du gouvernement américain. Les autorités roumaines ont déclaré qu’elles avaient ouvert une enquête et avaient demandé une version complète, non expurgée, du rapport du Sénat.

Lituanie
Après la publication du rapport du Sénat, un parlementaire précédemment chargé d’enquêter sur des allégations concernant l’existence d’un site secret a reconnu que le rapport indiquait que des détentions avaient effectivement eu lieu en Lituanie. Le rapport du Sénat fait référence au « Detention Site Violet » et contient des détails précis, notamment la détention au secret d’un ressortissant saoudien, qui coïncident avec les informations publiques relatives à un site secret de la CIA en Lituanie. Un groupe de députés lituaniens a déposé une motion au Parlement pour établir une nouvelle commission d’enquête sur la participation de la Lituanie aux opérations de détention secrète de la CIA.

Royaume-Uni
Le Royaume-Uni était sans doute l’allié le plus important des États-Unis dans les opérations de contre-terrorisme mondial de la CIA. Le rapport du Sénat contient une référence à l’implication possible du Royaume-Uni dans les opérations secrètes de détention et d’interrogatoire : la torture de l’ancien détenu de Guantánamo Bay, Binyam Mohammed.

Il a été dit que le Royaume-Uni avait désespérément fait pression pour que toute référence pouvant l’incriminer soit supprimée du document. Le rapport du Sénat ne dit pas si Diego Garcia (territoire britannique dans l’Océan Indien) a été utilisé comme point de transit ou lieu de détention dans le cadre de « restitutions », même si Amnesty International a longtemps demandé que les États-Unis et le Royaume-Uni fassent preuve de transparence quant à l’utilisation de ce territoire.

Le Premier ministre David Cameron a affirmé que le Royaume-Uni enquêtait sur les allégations selon lesquelles ses agents ont été impliqués dans des tortures et des mauvais traitements infligés à des détenus étrangers hors du territoire britannique, souvent en collaboration avec les États-Unis, mais cette affirmation ne résiste pas à l’examen. Amnesty International et d’autres organisations de défense des droits humains ont fait valoir que l’enquête menée par le comité des renseignements et de la sécurité du Parlement n’était pas indépendante et que ce travail serait bridé du fait que le gouvernement disposait d’un pouvoir discrétionnaire absolu sur la divulgation des informations au nom de la sécurité nationale.

Ex-République de Macédoine et Allemagne
Le rapport du Sénat a fourni plus d’informations concernant la « restitution », la torture et la disparition forcée du ressortissant allemand Khaled el Masri alors qu’il était détenu par les Américains. Cette affaire avait donné lieu à une décision de la Cour européenne des droits de l’homme en 2012. Le gouvernement macédonien n’a fait aucun commentaire sur le rapport et n’a pas encore appliqué la décision de la Cour européenne. Le gouvernement allemand n’a pas enquêté efficacement sur son propre rôle dans les opérations de la CIA, ni demandé l’extradition des États-Unis de treize anciens employés de la CIA soupçonnés d’avoir été impliqués dans la « restitution » de Khaled el Masri.

« Les gouvernements européens impliqués dans les opérations de la CIA contre le terrorisme doivent mener de toute urgence une enquête efficace et de grande ampleur, et réformer les lois, politiques et pratiques ayant rendu possibles de tels agissements, à la fois cruels et illégaux, a déclaré Julia Hall. Toutes les personnes responsables d’actes de torture et de disparitions forcées sur les territoires des États européens doivent être inculpées au pénal et rendre des comptes à l’issue d’un procès équitable. Les victimes de torture doivent obtenir justice ».

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