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Il faut améliorer la protection des civils dans le monde

Amnesty International publie mercredi 25 février 2015 son Rapport annuel 2014. Avec 160 entrées pays et des analyses régionales, ce rapport offre une vision inquiétante de la situation des droits humains dans le monde.

Quatre tendances s’en dégagent clairement.

La première est la situation plus dramatique que jamais des civils pris au piège dans des conflits. Des centaines de milliers de civils ont été tués, blessés ou soumis à des violences sexuelles dans le cadre de conflits à travers le monde. Non seulement en Irak, en Syrie et en Ukraine, mais aussi en Afrique – en République démocratique du Congo, au Nigeria, en Somalie, au Soudan du Sud et dans certaines régions du Soudan. Les services de sécurité soudanais ont continué de violer le droit international humanitaire en procédant à des bombardements aériens aveugles dans les États du Nil Bleu, du Darfour et du Kordofan du Sud, dans le cadre de l’opération militaire Été décisif. Des atteintes au droit humanitaire ont aussi été commises par des groupes armés non gouvernementaux, tels qu’Al Shabab au Kenya et en Somalie. À travers le monde, les civils sont de plus en plus nombreux à devoir vivre dans des zones tombées sous le contrôle quasi-étatique de groupes armés, qui leur font subir des discriminations liées au genre, à la religion ou à d’autres motifs, des enlèvements, des recrutements forcés et des actes de torture, tels que la flagellation, les amputations et la lapidation pratiquées en public. Des groupes armés non gouvernementaux ont commis des atteintes aux droits humains dans 35 pays en 2014, soit plus de 20 % de ceux sur lesquels Amnesty International a travaillé.

Les civils sont donc de plus en plus souvent pris entre deux feux. Comme l’a déclaré un vieil homme somalien à Amnesty International : « Le gouvernement poursuit Al Shabab, et Al Shabab poursuit le gouvernement ; Al Shabab poursuit les gens qui ont des liens avec le gouvernement, et le gouvernement poursuit les gens qui ont des liens avec Al Shabab. Et nous, la population, nous sommes piégés entre les deux. La suspicion est partout. »

La deuxième tendance est la situation également très difficile des civils qui fuient des conflits. Alors que les flux de réfugiés n’ont cessé d’augmenter, l’aide humanitaire est restée insuffisante et les quotas de réinstallation dans des pays tiers ont été plus que jamais limités. En conséquence, les gouvernements ont été de plus en plus nombreux à parquer de force les réfugiés dans des camps. Par exemple, le Kenya, qui a continué de subir tout le poids de l’afflux de réfugiés en provenance de la Corne de l’Afrique, en particulier de Somalie et du Soudan du Sud, a transféré de force des dizaines de personnes de Nairobi au camp de réfugiés de Kakuma.

La troisième tendance est la réduction de l’espace civique. L’insécurité élevée, provoquée notamment par le développement des groupes armés non gouvernementaux, est de plus en plus utilisée comme excuse par les États pour justifier des restrictions aux libertés d’expression, de réunion et d’association. En Afrique, cette tendance a aussi été renforcée par les politiques menées pour conserver le pouvoir à l’approche des élections. Au Burundi, par exemple, des manifestations ont été interdites et des violences ont été commises par la branche Jeunes du parti politique au pouvoir à l’approche des élections de 2015. En Érythrée, aucun parti d’opposition, média indépendant ou organisation de la société civile n’a pu travailler et des milliers de prisonniers d’opinion étaient toujours arbitrairement détenus. En Éthiopie, des médias indépendants – dont des blogueurs – et des dirigeants et membres de partis politiques d’opposition ont été pris pour cible dans le contexte des élections prévues en 2015. Des faits similaires ont été constatés au Soudan.

Enfin, quatrième tendance : l’obligation de rendre des comptes pour les atteintes aux droits humains et les crimes internationaux est restée contestée – que ce soit dans le cadre de la situation en Palestine ou de la remise en cause de la Cour pénale internationale en Afrique sur la base d’interprétations dépassées et restrictives de la souveraineté nationale et de l’immunité des chefs d’État. La justice internationale a continué d’être mise à mal sur le plan mondial et régional, ce qui a compromis sa capacité à demander des comptes, tant à des fins dissuasives que pour offrir réparation aux victimes.

Si des mesures ne sont pas prises de toute urgence, ces quatre tendances ont toutes les chances de se poursuivre en 2015.

Jugeant « scandaleuse et inopérante » la réponse de la communauté internationale aux conflits et aux violations commises par les États et les groupes armés, Amnesty International demande qu’un nouvel engagement à protéger les civils soit pris en 2015.

Nous appelons les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies à renoncer à leur droit de veto dans les situations de crimes internationaux. Nous voulons que tous les États – y compris les exportateurs d’armes – ratifient, intègrent à leur droit national et appliquent le Traité sur le commerce des armes qui est entré en vigueur en 2014. Nous demandons à la communauté internationale d’adopter de nouvelles restrictions sur l’utilisation d’armes explosives dans les zones peuplées de civils. Nous attendons de tous les gouvernements qu’ils défendent les mêmes positions sur les atteintes aux droits humains et les crimes internationaux chez eux et à l’étranger. Enfin, nous prions instamment tous les gouvernements de veiller à ce que leurs réponses à l’insécurité et aux conflits ne portent pas atteinte aux droits humains et n’alimentent pas la violence, mais s’attaquent au contraire aux insatisfactions en matière de droits humains qui sont à l’origine de l’insécurité et des conflits.

2014 n’a pas été une bonne année pour les droits humains – dans le monde comme en Afrique –, mais les gouvernements peuvent faire changer les choses en 2015. Partout, les citoyens ordinaires doivent exiger d’eux qu’ils le fassent. La situation que nous vivons dans nos pays, dans notre région n’a rien d’unique – les problèmes sont mondiaux. C’est le moment d’appliquer le vieux slogan (des défenseurs de l’environnement) : « Penser global, agir local ». Pour inciter chacun de nos gouvernements à faire ce qui est de son devoir. Pour protéger les civils du monde entier.

Par L. Muthoni Wanyeki, directrice régionale d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Est, la Corne de l’Afrique et les Grands lacs

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