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L’Europe n’a pas réagi aux signes annonciateurs d’une tragédie en Méditerranée

Par Sherif Elsayed-Ali, responsable du programme Droits des réfugiés et des migrants d’Amnesty International

Avant les deux naufrages révélés lundi 15 septembre, quelque 1 800 personnes avaient déjà péri ou disparu en tentant de traverser la Méditerranée depuis l’Afrique du Nord cette année. Encore 700 de plus pourraient avoir perdu la vie au cours de ces deux derniers épisodes.

L’année 2014 s’apprête à enregistrer un funeste record : celui du plus grand nombre de décès de réfugiés et de migrants jamais enregistré en Méditerranée. Cette évolution coïncide avec une nette augmentation du nombre de personnes tentant ce périple. Malheureusement, tout cela était prévisible.

Pour quiconque prête attention aux événements qui se déroulent au Moyen-Orient et en Afrique – et nous devons supposer que les responsables des politiques migratoires de l’Union européenne (UE) le faisaient – les signes annonciateurs étaient clairs.

La moitié des personnes qui essaient de rallier l’Europe en bateau viennent de Syrie ou d’Érythrée – la plupart sont des réfugiés fuyant les conflits et les persécutions. En 2013, le nombre de personnes tentant de traverser la Méditerranée a brusquement augmenté. Cette tendance était vouée à se poursuivre en raison de la guerre en Syrie, de la répression persistante en Érythrée et de la dégradation de la situation politique et sécuritaire en Libye.

Le conflit syrien a entraîné l’un des plus vastes déplacements forcés de personnes depuis des décennies. Près de 10 millions de personnes, soit plus de 40 % de la population du pays, ont été contraintes de fuir leur domicile. Une large majorité de celles qui ont quitté le pays – plus de trois millions – est concentrée entre le Liban, la Jordanie et la Turquie.

C’est au Liban que les effets de cette crise se font le plus sentir. Ce pays de quatre millions d’habitants accueille plus de 1,2 million de réfugiés venus de Syrie ; sa population a donc augmenté de plus de 25 % en moins de trois ans.

La situation de réfugié n’est jamais agréable, mais elle est encore plus difficile lorsque les besoins humanitaires – identifiés par des organes internationaux spécialisés – manquent cruellement de ressources pour être couverts. L’appel de fonds humanitaire des Nations unies pour le Liban n’a permis de récolter que 36 % de son montant.

La communauté internationale, y compris l’UE, a abandonné le Liban, ainsi que la Jordanie et la Turquie, en les laissant porter le fardeau de la plus grave crise des réfugiés au monde.

Les appels en faveur de la réinstallation de plus grands nombres de réfugiés dans des pays extérieurs à la région n’ont pas été entendus. À l’exception de l’Allemagne, seuls des chiffres symboliques ont été promis – moins de 40 000 places de réinstallation au total dans le monde.

On nous demande souvent pourquoi d’autres pays devraient accueillir des réfugiés syriens – ne sont-ils pas mieux dans un endroit où ils connaissent la langue et sont plus près de chez eux ? Cela peut être vrai dans une large mesure, mais la réalité est que la plupart des réfugiés originaires de Syrie parviennent à peine à survivre et rencontrent d’immenses difficultés pour accéder à l’éducation, à la santé et au logement. Au fil des ans, leur situation se détériore.

La réinstallation peut constituer une planche de salut pour les réfugiés, leur permettre de recommencer leur vie dans la dignité et soulager les principaux pays d’accueil d’une partie de la pression. Avec un objectif mondial de 5 à 10 % des réfugiés syriens, entre 150 000 et 300 000 personnes vulnérables accéderaient à cette opportunité.

L’UE est de toute évidence une zone cruciale pour les flux migratoires provenant du Moyen-Orient. Cependant, d’autres pays doivent également fournir davantage d’efforts. L’Arabie saoudite, par exemple, n’a promis aucune place de réinstallation. La Russie ne réinstalle personne et n’a donné que 1,8 million de dollars sur les 6 milliards de l’appel de fonds humanitaire des Nations unies pour la Syrie.

En 2013, on comptait plus de 50 millions de personnes déplacées de leur domicile dans le monde. C’était la première fois que ce seuil symbolique était franchi depuis la Seconde Guerre mondiale. Étant donné que les conflits se poursuivent et s’aggravent en Syrie, en Irak et en République centrafricaine, entre autres pays, cette tendance va certainement perdurer.

Les tragédies en Méditerranée continueront si l’on ne fait pas beaucoup plus d’efforts pour prêter assistance aux personnes qui fuient les horreurs des conflits. L’UE et l’ensemble de la communauté internationale doivent offrir davantage de places de réinstallation et de fonds humanitaires consacrés à la crise des réfugiés. Dans le même temps, au vu du niveau de désespoir qui peut pousser des personnes à risquer leur vie dans ces dangereux périples, l’UE doit aussi investir davantage dans les opérations de recherche et de sauvetage en mer.

Les signes annonciateurs sont plus qu’évidents. Sans action, beaucoup d’autres personnes mourront.

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