Communiqué de presse

Le long chemin vers l’adoption d’un traité sur le commerce des armes

Parfois une idée simple mais révolutionnaire peut changer le monde.

Toutefois, une crise est souvent nécessaire pour inciter les gens à agir.

C’est ce qui s’est passé il y a deux décennies, quand un mouvement international issu de la société civile – mené par Amnesty International – s’est attaqué à l’immense défi que représente la réglementation du commerce mondial des armes classiques.

Lors de la guerre du Golfe de 1991 en Irak, beaucoup de dirigeants mondiaux se sont trouvés confrontés à une prise de conscience dans leur pays des dangers induits par le manque de garde-fous dans le commerce international des armes.

Quand la poussière est retombée après ce conflit, déclenché par l’invasion du Koweït voisin par les puissantes forces armées du président irakien Saddam Hussein, il a été révélé que ce pays avait été lourdement armé par les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies. Plusieurs d’entre eux, est-il apparu, avaient aussi armé l’Iran durant la décennie précédente, alimentant une guerre avec l’Irak qui a duré huit ans et fait des centaines de milliers de victimes parmi les civils.

Cette crise de la légitimité du commerce des armes classiques a provoqué un véritable tournant, explique Brian Wood, responsable du programme Contrôle des armes et droits humains au sein d’Amnesty International : « Il y a eu toute une série de scandales à l’époque. Les cinq membres permanents du Conseil de sécurité et les autres principaux acteurs n’ont pas eu d’autre choix que de réagir pour regagner la confiance de l’opinion mondiale. »

Le retour d’une vieille idée

Les dirigeants politiques avaient déjà essayé en vain, lors des précédentes décennies, de freiner le commerce mondial des armes, mal réglementé.

En 1919, horrifiée par les massacres de la Première Guerre mondiale, la toute nouvelle Société des nations a tenté de restreindre les transferts internationaux d’armes du type de celles qui avaient semé la mort et la destruction pendant la guerre.

Cependant, les efforts menés dans les années 1920 et 1930 pour mettre en place un traité se sont déroulés sur fond de vieilles rivalités coloniales – et ont très vite capoté. Les pays qui avaient des empires coloniaux et de grandes ambitions ont commencé à se réarmer lourdement par la production et les transferts, entraînant une nouvelle guerre mondiale catastrophique en 1939.

Après les atrocités de la Seconde Guerre mondiale, dont le coût en vies humaines a atteint des niveaux inégalés, la communauté internationale émergente a mis en place trois piliers : la Déclaration universelle des droits de l’homme, la Charte des Nations unies et les Conventions de Genève. Ceux-ci ont constitué une formidable avancée pour les normes humanitaires et relatives aux droits humains.

Comme le Pacte de la Société des nations, la Charte des Nations unies prévoyait la mise en place d’un système de réglementation des armes mais, pendant plus de 60 ans, le Conseil de sécurité, chargé de cette tâche, n’a même pas ne serait-ce que proposé un système de contrôle du commerce des armes classiques, alors que ce commerce ne cessait de croître et d’alimenter les violations que les trois nouveaux textes étaient censés empêcher.

Bien que la guerre froide se soit traduite par de nouveaux contrôles multilatéraux sur les mouvements d’armes à travers les frontières, ces restrictions n’entraient pas dans le cadre des Nations unies et faisaient partie du jeu stratégique entre les membres de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) d’un côté et les pays du Pacte de Varsovie de l’autre. Une fois de plus, les préoccupations relatives aux répercussions des transferts d’armes sur le plan humanitaire et en matière de droits humains en étaient remarquablement absentes.

Cependant, une série de crises effroyables dans les années 1980 et 1990 – la première guerre du Golfe, les conflits dans les Balkans, le génocide rwandais de 1994 et les conflits dans la région des Grands Lacs, en Afrique de l’Ouest, en Afghanistan et en Amérique centrale, entre autres –ont fait prendre conscience aux opinions nationales de l’urgence de progresser dans le contrôle du commerce mondial des armes.

Un code de conduite international

Tandis que ces crises éclataient, les ONG et les juristes s’inquiétaient de plus en plus des graves conséquences des transferts d’armes irresponsables en matière de droits humains et sur le plan humanitaire.

Brian Wood se souvient comment, en 1993 et en 1994, il s’est réuni avec des représentants de trois autres ONG dans un bureau d’Amnesty International au centre de Londres afin de rédiger une proposition de code de conduite international juridiquement contraignant sur les transferts d’armes internationaux – destiné au départ, pour des raisons tactiques, aux États membres de l’Union européenne (UE).

L’UE, sous le choc des révélations de l’après-guerre du Golfe sur les transferts d’armes et de munitions, venait tout juste de s’entendre sur une liste de huit critères pour les exportations d’armes. Celle-ci a été suivie d’une série de principes sur les exportations d’armes adoptée par l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) en novembre 1993. Cependant, le problème avec les lignes de conduite de l’UE et les principes de l’OSCE, explique Brian Wood, est qu’ils reposaient entièrement sur le volontariat, tandis que les ONG voulaient des normes juridiquement contraignantes permettant un contrôle strict des transferts d’armes.

En association avec des représentants de Saferworld, du Mouvement pour le développement mondial et du Conseil américano-britannique d’information sur la sécurité, il a sollicité l’aide de juristes pour élaborer des lignes de conduite trouvant leurs fondements dans le droit international relatif aux droits humains et dans le droit international humanitaire.

Les sections européennes d’Amnesty International ont commencé à promouvoir cette idée auprès de leurs dirigeants politiques, puis la section des États-Unis et d’autres ONG américaines en ont eu vent, et le travail de plaidoyer s’est étendu de l’autre côté de l’Atlantique, où il a suscité l’intérêt de l’ancien président costaricain et lauréat du Prix Nobel de la paix Óscar Arias.

Celui-ci a invité d’autres lauréats du Prix Nobel de la paix, comme Mikhaïl Gorbatchev et Amnesty International, à participer au Sommet sur l’état du monde qu’il a organisé à San Francisco en octobre 1996. Brian Wood et Susan Waltz, alors à la tête de l’organe de gouvernance d’Amnesty International – le Comité exécutif international (CEI) – ont élaboré une nouvelle version du code de conduite international avec Óscar Arias et plusieurs autres ONG.

Ensuite, et pour la première fois à destination d’un public mondial, un groupe de lauréats du Prix Nobel de la paix et d’ONG a commencé à exposer sa vision commune d’une forme complètement nouvelle d’accord mondial sur le contrôle des transferts d’armes afin de « tenir les outils de la répression et de la violence hors des mains des dictateurs et des auteurs d’atteintes aux droits humains ».

Cette vision – fondée sur une idée simple sortie de l’esprit de quelques personnes engagées au sein d’Amnesty International et d’autres ONG dans un bureau de Londres en 1993 – a été le point de départ de nombreuses années de pression sur les dirigeants politiques à propos d’un code juridiquement contraignant, travail qui à son tour a donné lieu à des mesures législatives sur le contrôle du commerce des armes.

John Kerry a tout particulièrement soutenu cette idée de code de conduite devant le Congrès américain et s’est battu pendant deux ans, avec Cynthia McKinney et d’autres parlementaires, pour faire voter en 1998 une loi chargeant le président des États-Unis de négocier un accord international.

Cette même année, l’EU a adopté son Code de conduite en matière d’exportation d’armements. Selon Brian Wood, les lauréats du Prix Nobel de la paix ont été déçus que ce Code ne repose que sur le volontariat, mais c’était tout de même la première fois qu’était définie une série de critères détaillés sur les exportations d’armes correspondant aux obligations du droit international, notamment en matière de droits humains.

Un projet porté sur la scène mondiale

En novembre 2000, Óscar Arias et Amnesty International – rejoints par d’autres lauréats du Prix Nobel de la paix comme Desmond Tutu et José Ramos Horta, ainsi que par un plus grand groupe d’ONG – ont demandé à la mission costaricaine aux Nations unies de diffuser une nouvelle version du code de conduite à tous les États membres de l’ONU.

« Au début, nous avons été la risée des spécialistes du désarmement, mais nous savons bien, à Amnesty International, que les idées ambitieuses visant à changer le monde en créant de nouveaux traités commencent toujours par être rejetées », se souvient Brian Wood.

Il explique que des diplomates ouverts à cette idée leur ont répondu qu’il fallait retravailler les dispositions du projet afin de les renforcer, et que de nombreux États étaient alors impliqués dans un processus visant à mettre en place un programme d’action des Nations unies portant uniquement sur les armes de petit calibre, plutôt qu’un traité sur le commerce de toutes les armes classiques.

Brian Wood a alors convaincu le groupe d’ONG – auquel se sont rajoutées quelques années plus tard Oxfam Royaume-Uni et Ploughshares, une organisation canadienne – de redemander de l’aide à des juristes pour passer en revue les critères du droit international, notamment du droit humanitaire et relatif aux droits humain, afin d’améliorer la proposition de traité.

Il en est ressorti une nouvelle « convention cadre sur les transferts d’armes internationaux », renforcée par quelque 200 références à des normes internationales relatives aux transferts d’armes. En 2001, Amnesty International et ses partenaires – lauréats du Prix Nobel de la paix et ONG – ont commencé à prendre contact avec les gouvernements favorables à leurs actions pour promouvoir cette nouvelle proposition de convention.

« Sur un certain plan, ce traité reposait sur une notion relativement simple, se souvient Brian Wood. Il s’appuyait sur les obligations juridiques existantes des États. L’ensemble du droit international, y compris du droit international humanitaire et relatif aux droits humains, se retrouvait dans ce texte relativement court. Un petit groupe de gouvernements a commencé à le prendre très au sérieux. »

Amnesty International et Saferworld ont invité des représentants des gouvernements à en débattre – notamment lors d’une réunion clé qui s’est tenue en 2001 au Centre de droit international Lauterpacht de l’université de Cambridge, sous les auspices du juriste Daniel Bethlehem.

D’autres réunions ont ensuite eu lieu en Finlande – nouvel allié du projet de traité – et en Tanzanie. À chaque fois, les gouvernements étaient plus nombreux, explique Brian Wood : « L’idée a fait son chemin, et le débat international a commencé à prendre de l’ampleur. »

La campagne Contrôlez les armes

Une fois que les gouvernements progressistes ont témoigné un intérêt certain pour ce projet, le groupe d’ONG a élaboré un plan pour toucher un public plus large. La coalition d’ONG qui travaillait sur les armes de petit calibre s’est rendu compte que le programme d’action sur ces armes n’aurait pas un impact suffisant sur les droits humains ni sur le plan humanitaire sans un traité pour contrôler le commerce.

En octobre 2003, Amnesty International, Oxfam et le Réseau d’action international sur les armes légères (RAIAL) ont lancé dans plus de 100 pays la campagne Contrôlez les armes, dont l’objectif était d’obtenir l’adoption d’un traité sur le commerce des armes (TCA).

Dans le monde entier, des militants ont fait la promotion de la première pétition de photos en ligne – la pétition du Million de visages – et se sont lancés dans des actions publiques innovantes visant à faire pression sur les gouvernements pour qu’ils proposent le projet de traité aux Nations unies. Parmi ces actions, on peut citer une caravane de chameaux dans le Sahel au Mali, des éléphants en Inde, et une chaloupe à l’effigie de la campagne qui a remporté la compétition nautique annuelle à Phnom Penh, capitale du Cambodge.

Le projet de traité a monté en puissance : soutenu en 2001 par une poignée de gouvernements, il l’était début 2005 par plus d’une cinquantaine d’États.

À Londres, la pression de l’opinion publique a aussi commencé à payer et, en septembre 2004, Jack Straw, alors ministre des Affaires étrangères, a créé la surprise en annonçant que le Royaume-Uni soutiendrait le projet de TCA [article en anglais].

Brian Wood se souvient de la réaction des autres pays : « Je me rappelle bien cette journée – c’était galvanisant car le discours de Jack Straw a été rapporté aux gouvernements européens avec lesquels nous nous trouvions à La Haye, et beaucoup d’entre eux ne s’attendaient pas du tout à une telle annonce. C’était comme une bombe politique. Le combat avait été rude, mais une fois que nous avons obtenu l’adhésion du Royaume-Uni, la France et les autres pays de l’UE ont suivi, très vite rejoints par de nombreux pays d’Afrique et d’Amérique latine. »

De retour aux Nations unies

Mi-2006, à New York, tout le monde aux Nations unies parlait du traité sur le commerce des armes, explique Brian Wood.

En juin 2006, Oxfam et d’autres membres de la campagne Contrôlez les armes ont en effet remis la pétition du Million de visages au secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, appelant les dirigeants à soutenir le traité.

Le mois suivant, sept pays – l’Argentine, l’Australie, le Costa Rica, la Finlande, le Japon, le Kenya et le Royaume-Uni – ont diffusé à l’Assemblée générale une résolution en faveur de l’élaboration d’un traité sur le commerce des armes. Examinée en octobre 2006 par la Première Commission des Nations unies en charge du désarmement et de la sécurité internationale, cette résolution a été soutenue par 153 États. Si plusieurs grands exportateurs d’armes, comme la Russie et la Chine, se sont abstenus, un seul État a voté contre : les États-Unis, sous la présidence de George W. Bush.

À partir de ce vote, un processus officiel de consultation des États membres a été engagé aux Nations unies. Parallèlement, les militants de la campagne Contrôlez les armes ont organisé des « consultations populaires » dans des dizaines de pays, appelant les dirigeants politiques à se prononcer en faveur du traité. Plus de 100 pays ont répondu à la consultation, et deux groupes ont été formés aux Nations unies pour poursuivre le débat sur le traité.

Fin 2009, le soutien politique était devenu suffisant pour proposer une nouvelle résolution à l’Assemblée générale de l’ONU. En octobre 2009, les États-Unis – alors passés sous la présidence de Barack Obama – ont annoncé que le traité recevrait leur soutien à condition que le vote final se fasse par consensus, ce qui signifiait qu’il devrait recueillir l’approbation de tous les pays.

Deux mois plus tard, plus des trois quarts des États membres des Nations unies ont voté en faveur de l’ouverture d’un processus officiel de négociation du traité – avec cinq réunions préparatoires en 2010 et 2011, puis quatre semaines de négociations finales en juillet 2012.

Le diable se cache dans les détails

Au cours de ce processus de négociation, les cinq États membres du Conseil de sécurité – la Chine, les États-Unis, la France, le Royaume-Uni et la Russie – ainsi que les autres États ont exprimé des positions bien tranchées.

Certains, comme les États-Unis, ont tenté de réduire le champ d’application du traité en refusant d’y inclure les munitions, comme les balles. D’autres, comme la Russie, n’avaient rien contre les articles et les activités couverts par le traité, mais étaient résolument opposés à toute prise en compte des normes humanitaires et relatives aux droits humains dans le contrôle des transferts d’armes.

Les alliances et les dissensions régionales et sous-régionales jouent aussi un rôle, c’est pourquoi les négociations diplomatiques sont souvent longues et complexes, explique Brian Wood.

La perte de temps engendrée par ceux qu’il appelle les « opposants purs et durs » au TCA – la Corée du Nord, l’Iran, la Syrie, l’Égypte et le Pakistan – est l’une des raisons pour lesquelles les États ne sont pas parvenus à un accord en juillet 2012, à la suite de quoi une nouvelle session de négociations a été proposée du 18 au 28 mars 2013 pour finaliser le traité.

Brian Wood reconnaît qu’Amnesty International et la coalition Contrôlez les armes ont encore eu beaucoup à faire lors de cette conférence finale pour obtenir un traité le plus fort possible et susciter le soutien d’un maximum d’États parties.

« Le commerce mondial des armes est largement dominé par une vingtaine de pays exportateurs et quelques grands pays dépendants des importations, avec au premier rang les États-Unis, l’Union européenne, la Russie et la Chine. En conséquence, il est très difficile d’obtenir un équilibre entre d’une part un champ d’application comprenant la totalité ou la grande majorité du commerce des armes et d’autre part des dispositions suffisamment fortes, mais c’est pour cela que nous devons nous battre », indique-t-il.

Et même une fois le traité adopté, un travail énorme restera à mener pour que les gouvernements aient la volonté politique d’assurer le bon fonctionnement de ce que Brian Wood considère comme un cadre mondial à mettre en place pour superviser la manière dont les États parties appliqueront le TCA et rendront des comptes à propos de leurs obligations.

Cependant, pour Brian Wood, la plus grande victoire de ce processus – de ce long chemin vers le TCA – est la reconnaissance par la plupart des gouvernements du fait que le contrôle du commerce des armes doit être en adéquation avec les obligations internationales des États, y compris avec leurs obligations relatives aux droits humains.

« L’originalité du concept de ce traité sur le commerce des armes repose dans le fait que – pour la première fois dans l’histoire – les États vont devoir considérer le droit international humanitaire et relatif aux droits humains, ainsi que le droit international pénal, comme une base sur laquelle se fonder pour déterminer si un transfert d’armes international doit ou non être autorisé. C’est là l’idée centrale du TCA, et elle a germé dans le cerveau de quelques-uns d’entre nous, dans un petit bureau d’Amnesty International. Aujourd’hui, elle est toujours au cœur des négociations », souligne-t-il.

« Cela prouve que quand des gens ordinaires comme moi, les membres d’Amnesty International dans le monde entier et nos partenaires de la société civile ont une idée convaincante digne d’être défendue, à laquelle ils s’accrochent et qu’ils parviennent à développer pour obtenir le soutien des dirigeants politiques, alors nous pouvons réellement faire la différence.

« Le débat mondial sur le contrôle des armes se déroule aujourd’hui dans un contexte complètement transformé. Les dirigeants politiques doivent saisir cet instant et ne pas le laisser échapper comme dans les années 1930. »

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