Communiqué de presse

Les enquêtes militaires d’Israël sur les violations commises pendant le conflit à Gaza renforcent l’impunité

La décision prise par l’armée israélienne de ne pas ouvrir d’enquêtes pénales sur quelque 65 cas de « fautes présumées » commises par les Forces de défense d’Israël (FDI) au cours de l’opération « Pilier de défense » – un conflit armé qui a duré huit jours l’an dernier dans la bande de Gaza – renforce encore un peu plus l’impunité, a souligné Amnesty International. En effet, certains des dossiers clos concernent des faits pouvant s’apparenter à de graves violations du droit international humanitaire, voire à des crimes de guerre.

Dans leur communiqué du 11 avril, les services de l’avocat général militaire d’Israël ont annoncé leur décision de clore les enquêtes sur environ 65 des affaires qu’ils avaient examinées concernant ce conflit, qui s’est déroulé du 14 au 21 novembre 2012. Au moins 15 autres dossiers sont toujours en cours d’examen. Le communiqué ne donnait pas de détails sur la plupart des affaires closes, si bien qu’il est impossible d’évaluer pleinement les répercussions de ces décisions.

Pendant le conflit, des attaques illégales ont été commises tant par les forces israéliennes, qui ont touché plus de 1 500 cibles dans toute la bande de Gaza, que par les groupes armés palestiniens, qui ont tiré plus de 1 500 roquettes sans discernement vers Israël. Au moins 100 civils palestiniens, dont plus de 30 enfants, et quatre civils israéliens ont été tués.

Au moins trois des affaires closes par l’armée israélienne ont été étudiées par Amnesty International. Deux de ces cas étaient des attaques israéliennes sur des habitations familiales qui ont tué et blessé des civils. Dans le troisième cas, l’hôpital de campagne jordanien installé dans la ville de Gaza a été touché par un missile israélien.

« Ces enquêtes ne respectent pas l’obligation qui incombe à Israël d’enquêter de manière indépendante et impartiale sur les allégations de crimes de guerre, a déclaré Ann Harrison, directrice adjointe du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International.

« Le fait d’exclure des enquêtes judiciaires sur de graves violations présumées du droit international humanitaire ayant entraîné la mort de 15 civils, sur la base d’un examen mené par des militaires sans contrôle extérieur, prive les victimes de justice et entretient l’impunité qui encourage d’autres violations du droit international.

« Les enquêtes militaires d’Israël sur l’opération “Plomb durci”, le conflit armé qui a duré 22 jours en 2008-2009, n’étaient pas conformes aux normes internationales : elles manquaient d’indépendance, d’impartialité, de transparence, ainsi que de l’expertise nécessaire et des pouvoirs d’enquête suffisants.

« Rien n’indique que les enquêtes actuelles d’Israël sur le conflit le plus récent – toutes une fois de plus menées par l’armée – ont remédié à ces irrégularités fondamentales. »

Trois des affaires closes nommées par l’avocat général militaire ont été étudiées de manière approfondie par Amnesty International.

Bombardement du domicile de la famille al Dalu

Le 18 novembre 2012 vers 14 h 30, 10 membres de la famille al Dalu, dont quatre enfants de moins de huit ans, une adolescente de 17 ans et quatre femmes, ont été tués lorsque leur habitation située à al Nasser, quartier densément peuplé de la ville de Gaza, a été rasée par une grosse bombe larguée sans sommation par un avion de combat israélien.

Cette attaque a gravement endommagé plusieurs logements voisins. Juste à côté, Abdallah Mohammed al Muzannar (19 ans) et sa grand-mère Amina Matar al Muzannar (79 ans) sont morts écrasés quand les murs se sont effondrés dans l’explosion, et d’autres membres de leur famille ont été blessés.

Le communiqué de l’avocat général militaire affirme que cette attaque visait un « agent terroriste de haut rang » qui n’est pas nommé. Auparavant, l’armée israélienne avait indiqué que la cible était Mohammed Jamal al Dalu, qui a travaillé dans la police civile du Hamas et aurait été membre des brigades al Qassam (la branche armée du Hamas). Des porte-paroles israéliens ont également nommé d’autres cibles.

Mohammed al Dalu a été tué dans l’attaque, de même que sa femme Samah et leurs quatre jeunes enfants : Sara (sept ans), Jamal (cinq ans), Yousef (quatre ans) et Ibrahim (neuf mois).

Même si Mohammed Jamal al Dalu était membre des brigades al Qassam, Amnesty International estime que cette attaque était disproportionnée et donc illégale.

Le communiqué précise que le choix des munitions utilisées a été fait pour « réduire la possibilité de dommages collatéraux ». Pourtant, le fait de larguer sans avertissement une grosse bombe aérienne dans une zone résidentielle densément peuplée ne peut pas être considéré comme un effort de bonne foi pour minimiser les dégâts causés à la population civile.

Le communiqué ne démontre pas que les FDI ont pris toutes les précautions possibles pour limiter les pertes civiles. À moins que les FDI ne soient en mesure de prouver cela, Amnesty International pense que l’attaque du domicile de la famille al Dalu doit faire l’objet d’une enquête en tant que possible crime de guerre.

Tir de missile sur l’appartement de la famille al Shawwa

Yusra Basil al Shawwa, âgée de 18 ans, a été tuée par l’un des deux missiles israéliens qui ont touché l’appartement de sa famille, situé dans le quartier densément peuplé de Shujaiyyeh, dans l’est de la ville de Gaza, le 20 novembre 2012 vers 16 h 30. Sa mère, Mona Adel al Shawwa, a été grièvement blessée.

Trois autres civils qui se trouvaient dans la rue (Tareq Awni Hijeileh, Saqer Yousef Bulbul et Mahmoud Muhammed al Zuhri) ont également été tués dans cette attaque et 20 autres ont été blessés par des éclats de missile ou par des débris, dont au moins deux grièvement.

Le communiqué des FDI explique que la cible de cette frappe était un « terroriste de haut rang qui était présent dans l’immeuble à ce moment » mais ne le nomme pas et assure que des munitions de précision ont été utilisées.

Cependant, les rues étaient bondées au moment de l’attaque car une délégation officielle de la Ligue arabe traversait le quartier et venait de descendre Bagdad Street, où se trouve l’immeuble.

L’armée israélienne devait disposer d’informations sur les conditions dans la zone grâce à des drones de surveillance et à d’autres moyens. Il incombe aux FDI de montrer que cette attaque n’était ni disproportionnée, ni aveugle, et donc pas illégale. Les informations fournies dans le communiqué sont insuffisantes pour dissiper ces préoccupations.

Dégâts causés par un missile à l’hôpital de campagne jordanien de Gaza

Au moins trois hôpitaux et quatre dispensaires de la bande de Gaza ont été endommagés pendant le conflit. L’hôpital de campagne jordanien installé dans la ville de Gaza, qui existe depuis janvier 2009, a été touché par un missile israélien le 19 novembre 2012 vers 22 h 20.

Le missile a endommagé deux étages de l’hôpital, notamment la réception de ses consultations de dermatologie et de maternité. Personne n’a été blessé car l’établissement avait déjà fermé pour la nuit et le dernier patient était parti peu avant, mais des dizaines de médecins, d’infirmiers et d’autres employés de l’hôpital étaient sur place au moment de l’impact et l’ont échappé belle.

Le communiqué de l’armée israélienne précise que les dégâts causés à l’hôpital de campagne jordanien étaient involontaires et ont été provoqués par des « attaques contre des cibles ou des armes terroristes à proximité », mais il ne fournit pas plus de détails.

L’armée israélienne connaissait certainement l’emplacement de l’hôpital. Selon le personnel interrogé par Amnesty International en décembre 2012, les locaux de l’hôpital n’avaient été utilisés par aucun groupe armé pendant le conflit et aucun avertissement n’a été donné avant que le missile ne les touche.

Aux termes du droit international humanitaire, les hôpitaux sont protégés des attaques. Une frappe intentionnelle visant des installations médicales constituerait un crime de guerre. Il incombe encore aux autorités israéliennes de prouver que les dégâts causés à l’hôpital de campagne jordanien étaient vraiment involontaires et que toutes les précautions ont été prises pour éviter les pertes civiles.

L’armée enquête sur elle-même

Par ailleurs, Amnesty International est préoccupée par le fait que la « Commission spéciale d’état-major » chargée des enquêtes des FDI se soit appuyée surtout sur les comptes rendus d’opérations effectués par des militaires n’ayant ni l’expertise, ni la compétence nécessaires pour mener des enquêtes judiciaires.

Les comptes rendus d’opérations, également appelés « enquêtes de commandement », ont pour objectif que les planificateurs de l’armée israélienne puissent tirer des leçons pour les futures opérations. Les éléments recueillis sont confidentiels et ne sont pas remis à la police judiciaire même dans les rares cas où une information judiciaire est ouverte par la suite, après plusieurs mois ou années.

« Une nouvelle fois, l’armée israélienne prétend enquêter sur elle-même et il n’y a aucun moyen pour les victimes des attaques israéliennes et leurs proches à Gaza, ni pour les organisations de défense des droits humains, de savoir si l’examen interne des FDI ne donne pas simplement du temps aux soldats pour coordonner leurs versions des faits, ce qui rend la justice encore plus improbable, a déploré Ann Harrison.

« Israël doit mener dans les meilleurs délais des enquêtes impartiales, indépendantes et efficaces sur ces faits et les autres violations présumées du droit international, y compris les possibles crimes de guerre, qui ont été commises par ses forces à Gaza en novembre 2012.

« Le gouvernement de facto du Hamas à Gaza doit également enquêter sans délai avec impartialité et indépendance sur les violations signalées aux mains de groupes armés palestiniens pendant le conflit de novembre 2012, notamment sur les tirs de roquettes effectués sans discernement, qui constituent un crime de guerre, et sur les exécutions sommaires de sept “collaborateurs” présumés.

« Les deux parties ont besoin d’une forte pression internationale pour procéder à des enquêtes crédibles. Nous rappelons à tous les États qu’ils ont l’obligation d’exercer leur compétence universelle en menant des enquêtes et en engageant des poursuites pour les crimes de droit international, y compris ceux commis pendant les conflits de 2008-2009 et de novembre 2012 entre Gaza et Israël.

« Tant que des enquêtes crédibles et indépendantes n’auront pas été menées et que les responsabilités n’auront pas été établies pour les violations commises pendant ces deux conflits, nous continueront d’appeler tous les États à suspendre tous les transferts d’armes, de munitions et d’équipements connexes et toute aide militaire à Israël, au Hamas et aux groupes armés palestiniens. »

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