Au cœur de la répression en Syrie : « J’ai trouvé mes fils en train de brûler dans la rue. »

Donatella Rovera, principale conseillère d’Amnesty International pour les situations de crise, est revenue depuis peu de la province syrienne d’Idlib, où elle s’est entretenue avec des témoins de la répression brutale qui touche le pays.

Des soldats sont venus chez nous et ont emmené mon fils. Plus tard, en regardant par la fenêtre, j’ai vu des soldats aligner huit jeunes hommes debout face au mur avec les mains attachées dans le dos et tirer sur eux. Ensuite ils ont mis les corps à l’arrière d’un pick-up et sont partis.

Je ne sais pas si les hommes étaient tous morts ou blessés. À ce moment-là, j’ignorais que l’un d’eux était mon fils. Son corps a été retrouvé avec d’autres dans une école non loin de notre domicile.

Un proche d’un autre homme tué le même jour m’a raconté :

Des membres de la sécurité militaire sont venus à la maison des membres de notre famille chez qui nous logions, ils ont demandé nos pièces d’identité et n’ont constaté aucun problème ; nous n’étions pas recherchés.

Puis l’un des soldats a regardé le téléphone portable d’un de mes proches et a trouvé une chanson révolutionnaire. Ils l’ont emmené dehors […]. Un voisin m’a dit que les soldats avaient tiré sur lui avant de le conduire dans une maison voisine ; j’y suis allé et l’ai trouvé blessé.

Il avait été touché à l’oreille et au cou mais respirait encore. Des voisins nous ont aidés à le porter jusqu’à la voiture et trois d’entre eux l’ont conduit vers un hôpital de campagne (les hôpitaux normaux sont depuis longtemps interdits aux personnes blessées par l’armée ou les forces de sécurité), mais en chemin, ils ont été arrêtés par des soldats et tués.

« Leurs corps ont été retrouvés plus tard dans une école, sauf celui de mon proche, qui avait été rapporté à la maison où il avait été laissé pour mort. Ils l’avaient achevé d’une balle dans la tête. »

Ces récits sont ceux de proches de victimes et de témoins d’exécutions extrajudiciaires perpétrées par les forces de sécurité du gouvernement syrien dans la ville d’Idlib le 16 avril. Ils n’ont accepté de me rencontrer et de parler qu’à condition que leurs noms et toute information pouvant permettre de les identifier ne soient pas publiés.

D’autres, avec qui j’ai réussi à entrer en contact après avoir bataillé, ont affirmé ne pas pouvoir parler car le risque de représailles pesant sur eux et leurs familles était trop grand.

C’est peu dire que les proches de victimes et les témoins oculaires ont peur. Ceux que j’ai rencontrés étaient totalement terrifiés.

Un homme dont la femme et l’enfant ont été abattus au cours de la violente incursion de l’armée à Idlib il y a un mois et demi (du 10 au 14 mars) a simplement déclaré : « Je ne m’inquiète pas pour moi, mais j’ai d’autres enfants ; si quelque chose m’arrive, qui s’en occupera ? »

Une femme âgée dont le fils a été arrêté à son domicile par des soldats puis retrouvé mort le même jour m’a expliqué qu’elle n’avait aucune nouvelle d’un autre de ses fils arrêté par la sécurité militaire il y a plusieurs semaines. « J’ai déjà perdu un fils ; je ne veux pas qu’ils tuent l’autre aussi », a-t-elle indiqué.

Une femme dont la maison a été incendiée, pillée et mise à sac le 11 mars m’a confié que la seule possibilité de signaler cette attaque aux autorités était de dire qu’elle avait été commise par des « groupes armés » :

« Les voisins ont vu que ce sont des membres de la sécurité militaire qui ont attaqué ma maison. C’était en milieu de journée et il y avait des chars, des soldats et des membres des forces de sécurité partout dans le quartier ; comment diable cela pourrait-il être le fait de groupes armés ? Je n’ai donc pas porté plainte. »

Je suis arrivée à Idlib quelques jours avant les observateurs de l’ONU. La plupart des personnes à qui j’ai parlé doutaient que leur présence ne change quoi que ce soit. D’autres souhaitaient vivement parler aux observateurs mais étaient extrêmement inquiets et frustrés à l’idée de ne pas avoir la possibilité de le faire en toute sécurité.

Ils craignaient que, étant donné le niveau actuel de présence et de surveillance militaires, il n’y ait aucun moyen pour les simples citoyens de parler confidentiellement aux observateurs. En effet, durant les quelques jours que j’ai passés dans la ville, les lieux grouillaient de membres de l’armée et des forces de sécurité en uniforme et en civil, des pick-ups équipés de mitrailleuses antiaériennes étaient stationnés dans tout le quartier du marché et ailleurs en centre-ville, et il y avait des postes de contrôle partout.

Le vendredi matin, j’ai vu un très grand contingent de soldats en uniforme et de bandes armées progouvernementales connues sous le nom de shabiha être transportés dans des camions ouverts et quelques centaines d’entre eux déposés dans le quartier de Dabbit, au centre de la ville.

Les gens ne savaient toujours pas que les observateurs de l’ONU venaient sur place mais faisaient remarquer qu’il était clairement hors de question de manifester après la prière du vendredi. Alors que je quittais une maison à Dabbit, un convoi de l’ONU est passé ; il n’allait certainement pas être retenu dans les embouteillages : les rues étaient complètement vides.

Dans plusieurs villes et villages autour d’Idlib, les cicatrices des récentes incursions de l’armée sont très visibles. Des centaines de maisons ont été réduites en cendres et partout j’ai rencontré des familles dont des membres avaient été tués.

Beaucoup ont trouvé la mort dans des échanges de tirs, au cours de ce qui semblait être des tentatives assez vaines de combattants de l’opposition ayant une puissance de feu désespérément inférieure pour empêcher des dizaines de chars militaires d’entrer dans les villes et villages. D’autres, tant des combattants de l’opposition que des personnes n’ayant participé à aucun combat, ont été exécutés de manière extrajudiciaire après avoir été arrêtés à leur domicile ou chez des proches.

À Saraqeb, une femme m’a raconté que, dans l’après-midi du 26 mars, des soldats étaient venus chez elle et avaient arrêté son fils de 15 ans puis son frère cadet de 21 ans dans la maison voisine.

« Je les ai suppliés de ne pas prendre mon fils, je leur ai dit qu’il n’était qu’un enfant, qu’il regardait encore des dessins animés à la télévision ; j’ai essayé de lui faire un rempart de mon corps mais ils m’ont menacée et l’ont emmené. Et ils ont aussi emmené mon frère qui se trouvait dans la maison voisine. Dans la soirée, leurs corps ont été retrouvés dans la rue, avec d’autres qui avaient aussi été tués. »

À Taftanaz, j’ai rencontré les familles de deux hommes de 80 ans qui ont été tués chez eux lors de l’incursion de l’armée dans cette ville le 4 avril.

L’un d’eux a été brûlé à son domicile. Son épouse m’a déclaré : « Je logeais chez des proches de l’autre côté de la rue et mon mari était à la maison. Quand je suis rentrée, j’ai trouvé la maison incendiée mais je ne trouvais pas mon mari. Je suis sortie et j’ai demandé aux soldats dehors où ils l’avaient emmené. Je pensais qu’ils l’avaient arrêté. Un soldat m’a répondu : “Retournez à l’intérieur et cherchez-le.” J’y suis retournée et j’ai trouvé ses restes dans un tas de cendre. »

À Sarmin, j’ai rencontré la mère de trois jeunes hommes qui ont été arrêtés à leur domicile le 23 mars à l’aube et brûlés devant l’immeuble :

Les militaires sont venus au petit matin, nous étions tous endormis. Ils ont pris mes trois fils qui étaient à la maison et ne m’ont pas laissée les suivre dehors ; chaque fois que j’essayais ils me repoussaient.

« Lorsque j’ai pu sortir, au bout de quelques heures, j’ai retrouvé mes fils en train de brûler dans la rue. Ils avaient été entassés les uns sur les autres et des motos avaient été empilées sur eux et incendiées. Je n’ai pas pu approcher leurs corps avant le soir car il y avait beaucoup de tirs. »

Outre les pertes humaines, des familles doivent faire face à la perte de leur logement et de leurs moyens de subsistance. Celles dont le logement et les locaux ont été réduits en cendres ou démolis et qui se retrouvent sans rien d’autre que les vêtements qu’elles portent dépendent de la charité de leurs proches et amis.

Certaines personnes tentent de réparer ou de récupérer ce qu’elles peuvent parmi les débris de leurs biens, mais beaucoup d’objets sont si abîmés qu’ils ne peuvent être réparés. Il ne fait aucun doute que la démolition de tant de logements et de locaux par le feu – y compris des structures médicales telles que des hôpitaux de campagne et des pharmacies – était un acte délibéré associant apparemment la vengeance à la punition collective.

Les exécutions extrajudiciaires, les tirs et les pilonnages de zones résidentielles et la démolition délibérée de logements, d’entreprises et d’autres biens dans la région d’Idlib se situent dans la ligne des violations systématiques infligées par les forces syriennes à la population dans d’autres parties du pays où il y a des manifestations d’opposition et/ou une opposition armée.

Les soldats, les membres des forces de sécurité et les dirigeants civils à tous les niveaux de la chaîne de commandement doivent savoir que ces violations constituent des crimes contre l’humanité et que l’argument consistant à dire « je ne faisais qu’exécuter les ordres » ne leur évitera pas d’être traduits en justice – soit en Syrie, soit dans d’autres pays du monde.

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