Tchad. Il est temps que les victimes du régime d’Hissène Habré obtiennent justice

"L’ouverture du procès de l’ancien président tchadien Hissène Habré, au Sénégal ce lundi 20 juillet, va mettre fin à 25 ans d’impunité et donner de l’espoir aux dizaines de milliers de victimes de violations des droits humains et de crimes de droit international commis sous son régime", a déclaré Amnesty International.

Hissène Habré est jugé à Dakar par les Chambres africaines extraordinaires pour crimes contre l’humanité, actes de torture et crimes de guerre commis alors qu’il était au pouvoir entre 1982 et 1990. C’est la première fois qu’une juridiction dans un État africain juge un ancien dirigeant d’un autre État africain.

"Le procès d’Hissène Habré représente un tournant majeur pour la justice au Tchad et en Afrique. Pour de nombreuses victimes, cette date va marquer la fin de 25 ans d’attente", a déclaré Gaëtan Mootoo, chercheur sur l’Afrique de l’Ouest à Amnesty International, qui a travaillé sur le Tchad durant la présidence d’Hissène Habré.

« Amnesty International a pendant des années braqué les projecteurs sur les actes de torture, les arrestations arbitraires, les exécutions et les disparitions forcées si courants sous le régime d’Hissène Habré. Ce procès historique va en outre montrer que les responsables présumés de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité ne trouveront refuge nulle part. L’organisation espère que justice sera rendue grâce à un procès équitable conforme au droit et aux normes internationaux. »

La commission d’enquête nationale a estimé que 40 000 personnes pourraient avoir trouvé la mort aux mains des forces de sécurité d’Hissène Habré entre 1982 et 1990. Les arrestations arbitraires, la torture, les exécutions extrajudiciaires et les disparitions forcées étaient également courantes.

Amnesty International se félicite du procès d’Hissène Habré qui représente une étape importante dans la lutte contre l’impunité, tout en soulignant que cinq autres hauts responsables de son gouvernement inculpés par la cour n’ont toujours pas été traduits en justice.

Le président tchadien actuel, Idriss Déby, n’a pas été inculpé par les Chambres africaines extraordinaires alors qu’il a été chef d’état-major de l’armée sous le régime d’Hissène Habré. Les recherches menées par Amnesty International indiquent que des soldats sous ses ordres pourraient avoir commis des massacres dans le sud du Tchad en 1984. Idriss Déby a par la suite fui au Soudan en 1989 et organisé une coalition de groupes armés qui a renversé Hissène Habré en décembre 1990.

"La prochaine étape pour les autorités tchadiennes consiste à veiller à tout mettre en œuvre pour déférer à la justice les responsables présumés de crimes de droit international commis quand Hissène Habré était au pouvoir", a déclaré Gaëtan Mootoo.

« Le Tchad ne pourra rompre avec son passé tragique que s’il fait en sorte de traduire devant des tribunaux civils tous les responsables des très nombreux crimes de droit international et violations des droits humains. S’il ne satisfait pas entièrement à cette exigence, cela reviendra à faire savoir que ces crimes sont effectivement permis. »

Amnesty International mène campagne sans relâche pour dénoncer les violations des droits humains perpétrées au Tchad depuis les années 1970. Après la chute du gouvernement d’Hissène Habré, plus de 50 000 lettres et cartes postales envoyées par des membres d’Amnesty International ont été trouvées dans les locaux de la Direction de la Documentation et de la Sécurité (DDS).

Amnesty International a également joué un rôle important dans la décision prise par le Sénégal et l’Union africaine le 22 août 2012 afin d’établir une nouvelle juridiction internationalisée – les Chambres africaines extraordinaires – chargée de juger les crimes commis sous le gouvernement d’Hissène Habré.

Complément d’information

Un long chemin juridique

Malgré la mise en place en 1990 d’une commission nationale d’enquête, les responsables présumés des violations des droits humains et des crimes de droit international commis au cours des huit années où Hissène Habré a dirigé le pays n’ont pas fait l’objet d’enquêtes. En octobre 2001, Amnesty International a appelé les autorités tchadiennes et sénégalaises à prendre les mesures nécessaires pour mettre fin à cette impunité.

Après de nombreux rebondissements juridiques, notamment un jugement rendu par la Cour internationale de justice, le Sénégal et l’Union africaine ont adopté, le 22 août 2012, un accord établissant une nouvelle juridiction chargée de juger les crimes commis sous le gouvernement d’Hissène Habré : les Chambres africaines extraordinaires.

Dès 1982, Amnesty International a envoyé au gouvernement et au président tchadiens des milliers d’appels demandant la libération de prisonniers qui n’avaient fait l’objet d’aucune procédure judiciaire. Le gouvernement n’y a donné aucune réponse. En 1985, lors d’une mission menée par Amnesty International au Tchad, le gouvernement a rejeté toutes les accusations d’exécutions extrajudiciaires et de détention arbitraire.

En août 1989, le Tchad s’est plaint au sujet des campagnes menées contre le pays par Amnesty International et par d’autres organisations de défense des droits humains. Les autorités tchadiennes ont catégoriquement nié les allégations de torture et d’exécutions extrajudiciaires, mais le gouvernement a admis que des membres de l’opposition armée ayant été arrêtés avaient fait l’objet d’un « traitement exceptionnel  », sans donner davantage de précisions.

Amnesty International a mené campagne sous plusieurs présidents au Tchad en faveur des victimes de ces violations. La première campagne de l’organisation a été organisée pour obtenir la libération de prisonniers d’opinion détenus au Tchad au début des années 1970, quand Ngarta Tombalbaye était le président du pays. En 1975, après le coup d’État militaire du général Félix Malloum, l’organisation a pour la première fois envoyé un représentant au Tchad pour y rencontrer des membres du gouvernement.

L’action de la Belgique

En 2000, quand la justice sénégalaise a décidé de ne pas poursuivre Hissène Habré, les victimes tchadiennes ont pu déposer plainte en Belgique, grâce à la loi de compétence universelle qui venait d’être adoptée.

Deux ans plus tard, un juge d’instruction bruxellois est parti au Tchad pour interroger des victimes et se rendre sur les lieux où avaient été emprisonnés les opposants. Cette première étape a été fondamentale dans la préparation du dossier pénal qui a abouti en 2005 à la demande d’extradition d’Hissène Habré vers la Belgique.

Ensuite, l’État belge s’est tournée vers la Cour Internationale de Justice (CIJ) à La Haye pour éviter que le Sénégal laisse s’enfuir Hissène Habré. Sur base de la convention de l’ONU contre la torture, la Belgique a obtenu, en 2012, que la CIJ se prononce en obligeant le Sénégal soit à juger Hissène Habré soit à l’extrader vers la Belgique.

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