TOGO : L’Histoire va-t-elle se répéter ?

Index AI : AFR 57/012/2005

Londres, le 20 juillet 2005

« C’est inhumain et atroce,
l’ampleur de la chose dépasse l’entendement,
des enfants ainsi que des adultes pleurent
à l’évocation des situations vécues durant la répression,
il y a beaucoup de cas de névrose traumatique »(1).

INTRODUCTION

Au lendemain de la mort en février 2005, du Président Gnassingbé Eyadéma qui a dirigé le pays durant trente-sept ans, son fils Faure Gnassingbé a été élu à la suite d’un scrutin entaché d’irrégularités et de graves violences. En effet, dans les jours qui ont suivi l’élection présidentielle du 24 avril 2005, les forces de sécurité togolaises aidées par des milices proches du parti au pouvoir - le Rassemblement du peuple togolais (RPT) - s’en sont violemment prises à des opposants présumés ou à de simples citoyens en ayant recours à un usage systématique de la violence. Jamais, depuis l’élection présidentielle de 1998, la répression n’a été aussi brutale. Cela montre la détermination d’une famille aux commandes de l’État depuis près de quatre décennies de se maintenir à tout prix au pouvoir.

Les forces de sécurité togolaises soutenues, dans la majorité des cas, par des milices entraînées par les militaires ont commis de très graves atteintes aux droits humains notamment des exécutions extrajudiciaires, des enlèvements, des actes de torture et de mauvais traitements y compris des viols et des tentatives de viols ainsi que des arrestations arbitraires. Toutes les informations recueillies par Amnesty International montrent que, face à la contestation populaire des résultats de l’élection, la réaction des forces de sécurité secondées par les milices a été totalement disproportionnée. En effet, la population, y compris les partisans de l’opposition, ont dans la plupart des cas manifesté de manière pacifique et n’étaient pas armés, à l’exception de certains affrontements survenus durant la période électorale dans la ville d’Aného, dans la région maritime non loin de la frontière béninoise, et dans certains quartiers de Lomé, la capitale.

Le présent document se concentre sur les atteintes aux droits fondamentaux commises dans les jours qui ont précédé et suivi l’élection présidentielle d’avril 2005. Ces exactions ont poussé plus de 30000 Togolais à trouver refuge au Bénin et au Ghana, deux pays limitrophes. Ce texte se fonde notamment sur les informations recueillies par une mission d’enquête d’Amnesty International qui s’est rendue, en mai et juin 2005, dans les camps de réfugiés situés au Bénin, pays frontalier du Togo. Les représentants d’Amnesty International ont notamment pu recueillir le témoignage de victimes togolaises, nouvellement arrivées au Bénin, qui ont été blessées ou qui ont perdu des proches dans différentes régions du pays. Les délégués ont également rencontré des médecins béninois qui ont soigné les victimes de ces exactions. Ce document s’achève par un certain nombre de recommandations adressées aux autorités togolaises ainsi qu’à la communauté internationale, en particulier l’Union africaine (UA), et aux pays qui fournissent une assistance militaire au Togo, dont la France.

Amnesty International n’a pas été en mesure d’établir un bilan exhaustif des morts et des blessés de la répression qui a suivi l’élection présidentielle d’avril 2005. Au cours de son enquête, Amnesty International a pu cependant recenser une liste de 150 noms qu’elle tient à la disposition de toute commission d’enquête internationale, indépendante et impartiale en mesure de garantir la sécurité des témoins et des familles des victimes. L’organisation estime cependant que le bilan total est bien plus élevé car de nombreux témoignages ont fait état de corps non identifiés déposés à la morgue ainsi que de cadavres enterrés sans avoir été enregistrés au préalable dans les hôpitaux ou à la morgue.

Vu la gravité des informations recueillies et les milliers de personnes qui ont trouvé refuge au Ghana et au Bénin voisins sans espoir de retour dans l’immédiat, Amnesty International appelle la communauté internationale à soutenir les initiatives du Haut Commissariat aux droits de l’homme des Nations unies qui a déjà envoyé une « mission d’établissement des faits » en juin 2005. L’organisation estime essentiel de publier les conclusions de cette mission et de mettre en œuvre ses recommandations. Cette mission devrait être suivie par la mise en place d’une commission d’enquête internationale disposant des moyens adéquats pour mener à bien une enquête exhaustive dans tout le pays. Amnesty International demande également aux pays qui accordent une assistance militaire au Togo, notamment la France, de s’assurer que les transferts en matière militaire, de sécurité et de police ne sont pas utilisés contre la population civile et d’assortir toute aide dans ce domaine d’un programme de formation en matière de droits humains.

Depuis plus de trois décennies, la population togolaise souffre d’une absence totale d’état de droit. Des atteintes très graves aux droits fondamentaux ont été commises en toute impunité par des forces de sécurité qui n’ont agi que pour soutenir le pouvoir en place. La succession sanglante du Général Eyadéma par son fils, entérinée par la communauté internationale plonge la population togolaise vivant à l’intérieur du pays ou réfugiée dans les pays limitrophes dans un désespoir total. Elle est également annonciatrice de biens sombres lendemains.

CONTEXTE

Dès l’annonce, le 5 février 2005, du décès du Président Gnassingbé Eyadéma [au pouvoir depuis 1967], les Forces armées togolaises (FAT) ont proclamé Faure Gnassingbé, fils du Chef de l’État défunt, président de la République togolaise. Le lendemain, le président de l’Assemblée nationale, Fambaré Natchaba Ouattara, qui, aux termes de la Constitution, devait assurer l’intérim avant la tenue d’une élection présidentielle dans un délai de deux mois, a été destitué et remplacé par Faure Gnassingbé. Dans le même temps, la Constitution a été modifiée afin de permettre au nouveau chef de l’État de rester au pouvoir jusqu’à la fin du mandat de son père, en 2008.

Cette passation de pouvoir inconstitutionnelle, qualifiée par l’UA de « coup d’État militaire », a été vivement condamnée par les principaux partis d’opposition réunis en coalition et par la communauté internationale. Plusieurs organisations intergouvernementales, en particulier l’UA et la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), ont pris des sanctions à l’encontre du Togo. L’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) a, pour sa part, prononcé la suspension de la participation des représentants du Togo aux instances de l’Organisation. D’autres organisations internationales notamment l’Union européenne (UE) et des États européens comme l’Allemagne et la France ont également condamné cette prise de pouvoir et demandé le retour à l’ordre constitutionnel. Les États-Unis, pour leur part, ont demandé officiellement la démission du président investi par l’armée.

Cette réprobation unanime a finalement conduit, le 25 février 2005, à la démission de Faure Gnassingbé et à l’élection d’Abass Bonfoh, premier vice-président de l’Assemblée nationale, pour assurer la présidence par intérim. À la suite de cette décision, la CEDEAO a annoncé la levée de ses sanctions.

Peu après, Faure Gnassingbé a déclaré qu’il serait le candidat du Rassemblement du peuple togolais (RPT), le parti au pouvoir, lors de la prochaine élection présidentielle, fixée au 24 avril 2005. Malgré le maintien des dispositions constitutionnelles qui empêchaient Gilchrist Olympio, président de l’Union des forces de changement (UFC), de se présenter à l’élection présidentielle(2), les principaux partis de l’opposition, y compris l’UFC, le Comité d’action pour le renouveau (CAR) et la Convention démocratique des peuples africains (CDPA) ont finalement accepté, le 2 mars 2005, de prendre part à cette élection. Le Collectif réunissant six partis de l’opposition, a présenté un candidat unique, Emmanuel Bob Akitani, un des responsables de l’UFC.

La période pré-électorale a été émaillée de graves atteintes à la liberté d’expression et d’intimidations de membres de l’opposition. Amnesty International s’est, à plusieurs reprises, élevée publiquement contre ces manœuvres de harcèlement et d’intimidation qui visaient à museler la presse indépendante et à imposer un climat de terreur, rendant impossible la tenue d’une élection libre et impartiale(3). Le 22 avril, deux jours avant l’élection présidentielle, le ministre togolais de l’Intérieur, Francois Esso Boko, a lui-même demandé publiquement au président par intérim Abass Bonfoh le report de l’élection car les délais impartis étaient insuffisants pour que le scrutin se déroule dans des conditions satisfaisantes.

Malgré cette demande de report et les dénonciations d’organisations de défense des droits humains, la CEDEAO a envoyé 150 observateurs électoraux quelques jours avant le vote et finalement entériné les résultats consacrant la victoire de Faure Gnassingbé avec plus de 60 pour cent des votes. En dépit de fraudes avérées qui ont conduit Bob Akitani à se proclamer vainqueur le 27 avril, la CEDEAO a déclaré, dans un communiqué publié le même jour, que « [ses] observateurs estiment que les anomalies et insuffisances ainsi que les incidents évoqués ne sont pas de nature à remettre en cause la bonne tenue et la crédibilité du scrutin présidentiel du 24 avril 2005 [...] Ce scrutin a globalement répondu aux critères et principes universellement admis en matière d’élections ».

Dès l’annonce de la mort du Général Eyadéma, la France a déclaré à plusieurs reprises qu’elle suivrait les positions de la CEDEAO et, le 26 avril 2005, le Ministre français des affaires étrangères, Michel Barnier, a jugé le scrutin globalement satisfaisant « malgré un certain nombre d’incidents ». L’Union européenne, qui s’était peu exprimée avant les élections, a condamné les violences qui ont suivi le scrutin. Ainsi, le 28 avril, le commissaire européen à l’Aide humanitaire et au Développement, Louis Michel, a déclaré être « fortement préoccupé par les violences et les exactions commises à l’encontre de civils, dans le contexte de l’élection présidentielle ». Le lendemain, la présidence de l’Union a condamné « résolument la vague de violence actuelle et [a] lanc[é] un appel pressant à toutes les parties pour rétablir le calme ». Elle a exhorté « les Forces de Sécurité à exercer leur devoir de maintien de l’ordre dans le strict respect des droits de l’homme, afin d’éviter toute exaction à l’encontre des populations ». Cependant, le 6 mai, Louis Michel a déclaré qu’il prenait note des résultats officiels sans remettre en cause le scrutin.

En revanche, le Parlement européen a, dans sa résolution du 12 mai 2005, « fermement condamn[é] la répression violente par les forces de l’ordre contre les personnes contestant la régularité du scrutin ». Par ailleurs, le Parlement a considéré que « les conditions du scrutin ne respect[aient] pas les principes de transparence, de pluralisme et de libre détermination du peuple prévus par les instruments régionaux et internationaux et ne permett[aient] pas de reconnaître la légitimité des autorités issues de ce scrutin ».

L’UA et la CEDEAO ont alors multiplié les démarches de médiation afin de favoriser la formation d’un gouvernement d’Union nationale. Le 27 mai 2005, le Conseil de paix et de sécurité de l’UA a décidé de lever les sanctions prises contre le Togo et d’appuyer la nomination d’un envoyé spécial « en vue d’aider à la facilitation du dialogue entre les parties togolaises » et « l’envoi d’une mission d’observation, afin de suivre l’évolution de la situation politique, sécuritaire, sociale et humanitaire, ainsi que celle des droits de l’homme au Togo ». Rejetant les propositions de la coalition des partis d’opposition, le nouveau président de la République a finalement, le 8 juin 2005, nommé Edem Kodjo Premier ministre. Président de la Convergence patriotique panafricaine (CPP), ce dernier avait déjà assumé cette fonction entre 1994 et 1996 sous la présidence de Gnassingbé Eyadéma. Edem Kodjo a annoncé, le 21 juin 2005, la composition de son nouveau gouvernement qui comprenait notamment Kpatcha Gnassingbé, l’un des frères du nouveau chef de l’État, nommé au poste de Ministre délégué à la présidence chargé de la Défense et des Anciens combattants. À l’exception du représentant du Pacte socialiste pour le renouveau (PSR), ce nouveau gouvernement ne comprend aucun membre de la coalition de partis qui avaient soutenu la candidature de Bob Akitani.

ATTEINTES AUX DROITS HUMAINS PAR LES FORCES DE SÉCURITÉ ET LES MILICES

De très nombreux témoignages recueillis par Amnesty International montrent que les forces de l’ordre et les milices ont tiré sur des manifestants non armés et agressé des militants présumés de l’opposition ou de simples citoyens à leur domicile ou dans les bureaux de vote. Le fait que de très nombreux blessés aient été touchés dans les parties supérieures du corps et à la tête indique clairement une volonté de tuer ou de blesser très grièvement. Les autorités togolaises ont, de plus, tout fait pour effacer les traces de ces exactions en interdisant l’accès des hôpitaux aux journalistes et parfois aux familles et en faisant disparaître les registres des hôpitaux et des morgues.

« Ils sont entrés dans ma maison et ils ont tiré »

Le 26 avril 2005, le jour de la proclamation des résultats provisoires de l’élection présidentielle, un apprenti chauffeur qui vivait dans le quartier d’Ablogamé à Lomé se trouvait chez lui lorsque, a-t-il raconté à Amnesty International, « des militaires et des miliciens sont entrés dans ma maison, ils ont frappé et tué des gens. J’ai fui, ils nous ont poursuivis, un ami a été atteint par balles. Ma maman a été tuée dans sa fuite, je l’ai entendue crier, cela se passait à la hauteur de la raffinerie. J’ai fui au Bénin. Je n’ai plus personne au Togo, mon père est décédé depuis longtemps ».

Au cours de sa mission d’enquête au Bénin, Amnesty International a recueilli de nombreux témoignages racontant comment dans les jours qui ont précédé et suivi l’élection présidentielle les forces de sécurité et des membres de milices proches du RPT ont pénétré de force dans des bureaux de vote et des maisons de partisans supposés de l’opposition, tirant de manière aveugle sur les personnes qui se trouvaient dans ces lieux clos.

Ces attaques contre des domiciles d’opposants présumés semblent avoir été décidées à titre de représailles à la suite de manifestions spontanées d’opposants qui protestaient contre les fraudes électorales. Ces attaques ont été particulièrement violentes et meurtrières à Lomé et dans deux villes du pays, à Atakpamé, une des plus grandes villes du pays située dans la région des Plateaux et à Aného.

Les violences commises par les militaires et les partisans du candidat du parti au pouvoir, Faure Gnassingbé, ont commencé le jour du scrutin, le dimanche 24 avril 2005, avant même le début des opérations de dépouillement. Un agent commercial travaillant au grand marché de Lomé a raconté qu’il se trouvait dans un bureau de vote de l’école primaire catholique d’Ablogamé, quartier à l’est de la capitale, lorsqu’« en fin d’après-midi, des militaires sont arrivés à bord de véhicules. Ils sont entrés dans l’école pour prendre les urnes. Ils ont commencé à lancer des gaz lacrymogènes et à tirer des balles réelles dans l’enceinte de l’école ». La scène décrite par ce témoin, rencontré par la délégation d’Amnesty International lors de sa mission d’enquête au Bénin, s’est reproduite dans de nombreux quartiers de Lomé, ce qui montre la volonté du gouvernement togolais d’employer tous les moyens pour s’assurer de la victoire du candidat du parti au pouvoir.

Le jour du scrutin, des membres des forces de sécurité ont fait irruption dans plusieurs bureaux de vote en faisant usage d’armes réelles et de grenades lacrymogènes. Un scrutateur de l’UFC affecté au bureau de vote de Bè Plage, un quartier de Lomé, a raconté à Amnesty International : « Alors que le dépouillement avait commencé, deux véhicules militaires de bérets verts [membres du Régiment commando de la garde présidentielle] sont arrivés à l’école. Ils ont tiré en l’air. Beaucoup de gens, paniqués, ont voulu sortir, or il n’y avait qu’une seule issue. Les militaires sont entrés dans la salle. Ils ont tiré des gaz lacrymogènes et des balles réelles et ont pris les urnes. J’ai essayé de fuir en escaladant le mur. Mon ami, SP, qui tentait de fuir avec moi n’a pas pu franchir le mur car il était trop petit. Je ne l’ai plus revu depuis. J’ai dû marcher sur une trentaine de cadavres pour escalader le mur et m’enfuir. »

Deux jours plus tard, le jour de la proclamation de la victoire de Faure Gnassingbé, des militaires ont pénétré dans de nombreux domiciles de partisans supposés ou avérés de l’opposition. Un étudiant en sciences économiques habitant le quartier Tokoin, à Lomé qui a trouvé refuge au Bénin a raconté à Amnesty International : « Le 26 avril, j’étais à la maison, des militaires sont entrés dans notre maison, ils ont enfoncé le portail, ils ont cassé les vitres et lancé des grenades lacrymogènes. Un vieux est sorti et il a été tabassé. J’ai pris la fuite. Quand j’ai croisé des miliciens à bord d’un autobus, ils ont tiré sur mon ami, Pierre Abalo, mécanicien. Il est mort sur le coup. »

Les forces de sécurité ont également visé certains responsables locaux de l’opposition, notamment le président de la section locale de l’UFC et le propriétaire d’une savonnerie à Aného, connu pour son soutien actif au candidat de la coalition des partis de l’opposition, Bob Akitani. Amnesty International a obtenu le témoignage d’un Togolais présent sur les lieux : « Des militaires arrivés dans un camion de la gendarmerie sont allés à la savonnerie. Il était environ 9 heures. Ils ont tiré en l’air dès qu’ils sont sortis du véhicule. Ils ont tiré dans la maison où se trouvaient la femme du propriétaire de la savonnerie, ses enfants et son frère. Ils sont entrés dans le bureau de la savonnerie, ont sorti tout le matériel informatique et l’ont cassé dehors. Ils ont fini par incendier le lieu et ont mis feu aux véhicules de l’entreprise. Quand ils ont terminé, ils sont allés dans d’autres maisons du quartier. Tout le monde était dans les maisons. Ils ont tabassé les gens. Ils en ont arrêté certains qu’ils ont amenés à la prison civile d’Aného. »

Les forces de sécurité togolaises s’en sont également prises au responsable coutumier d’Aného, le Roi Togbé Ahuawoto Savado Zankli Lawson VIII qui a été arrêté chez lui le mercredi 27 avril dans l’après-midi. Un témoin, présent au moment de l’arrestation a raconté à Amnesty International : « Les militaires sont arrivés, ils ont escaladé les murs et sont entrés dans le palais, ils ont cassé la grille d’entrée et ont pénétré ensuite dans le domicile privé du Roi et ils ont tiré en l’air. Ils ont pris l’un des fils du Roi qui se lavait, il avait encore du savon sur lui. Des militaires sont entrés dans la maison et ont défoncé toutes les portes, un groupe a emmené le Roi à l’extérieur vers une voiture, ils l’ont poussé dans un caniveau où l’eau coulait. Un journaliste de Radio Lumière qui se trouvait chez le Roi a également été arrêté. » Les deux hommes ont été emmenés à la brigade de gendarmerie où, selon des informations, les forces de sécurité les ont maltraités et déshabillés. Ils ont été enfermés pendant trois heures dans une cellule avant d’être libérés à la suite de l’intervention des autorités politiques et administratives.

« Les miliciens ont tiré dans la foule qui était spontanément sortie pour protester »

Dans les jours qui ont suivi l’élection du 24 avril 2005, les forces de sécurité ont tiré à balles réelles sur des manifestants à Lomé et dans plusieurs villes du Togo. La proclamation des résultats provisoires, le mardi 26 avril 2005, qui annonçait la victoire de Faure Gnassingbé avec plus de 60 pour cent des suffrages a provoqué la colère des partisans de l’opposition qui estimaient qu’on leur avait « volé » la victoire. Beaucoup d’entre eux sont descendus dans la rue, élevant des barricades et dans certains cas ayant recours à la force.

À Atakpamé, des manifestants sont ainsi sortis dans la rue dès la proclamation des résultats. Un témoin a raconté à Amnesty International : « On est sortis dans la rue pour protester. Les soldats nous ont suivis jusqu’au quartier Zongo puis au quartier Agnagnan. On est alors passés par le grand marché pour arriver à Djama. Arrivés au niveau des la poste, les soldats nous ont barré la route. Ils ont lancé des gaz lacrymogènes puis ont tiré à balles réelles. Des camarades sont tombés. J’ai appris plus tard que certains étaient morts à l’hôpital. Tout le monde a alors fui et est rentré chez lui. Il était 14 heures environ. »

Des manifestants, fuyant les tirs, affirment avoir laissé derrière eux de nombreux morts et blessés. Un témoin, ayant manifesté ce jour-là à Atakpamé a raconté à Amnesty International : « Le jour de la proclamation, on est sortis dans la rue pour dénoncer le résultat de l’élection présidentielle, les soldats ont tiré des gaz et des balles, nous avons lancé des pierres, les militaires nous ont poussés dans la rivière Kpakparakpati, mon frère a reçu une balle dans le dos, je voulais le sauver, il perdait beaucoup de sang, quand je suis revenu, il était déjà mort, il s’appelait Kogbe Koffi, 28 ans, tôlier. Il habitait à Lomé et il était venu à Atakpamé pour les élections. Deux autres personnes dont je ne connais pas les noms ont été également touchées dans le dos. J’ai laissé le corps de mon frère derrière moi, je ne sais pas s’il a été enterré. »

À Atakpamé, des membres de milices sont également intervenus ce jour-là aux côtés des forces de l’ordre. « Les miliciens sont sortis avec des armes, accompagnés des forces de l’ordre. Les miliciens ont tiré dans la foule qui était spontanément sortie pour protester. C’était dans le quartier Houdou près du quartier Doulamasse. On n’a pas pu rentrer chez nous. Deux personnes sont tombées devant moi. »

Dans certains cas, les manifestants de l’opposition ont réagi de manière violente à la proclamation des résultats. C’est ainsi qu’à Aného , des manifestants ont attaqué un commissariat de police, le mardi 26 avril, et se sont emparés des armes qui s’y trouvaient. Un habitant d’Aného qui a trouvé refuge au Bénin a raconté à Amnesty International que dès la veille de l’élection présidentielle, soit le samedi 23 avril 2005, un groupe de jeunes gens avaient érigé des barricades et enflammé des pneus pour protester contre la tentative d’arrestation d’un jeune opposant. Cette personne a ajouté que, le mardi 26 avril, « les gens sont allés au marché et attendaient les résultats. En l’espace de vingt minutes, la ville a été envahie par les jeunes qui ont monté des barricades partout. Un groupe s’est rendu au commissariat pour voir ce qui s’était passé. Le commissariat a été attaqué vers 15 heures et la foule a pris les armes. Il y a eu des blessés ». L’un des manifestants a précisé à Amnesty International que plus tard dans l’après-midi, « des jeunes avec des gourdins cloutés, des machettes et des pierres se sont dirigés vers le ‘Pont péage’ où se trouvaient quatre gendarmes. Ceux-ci, nous voyant arriver, ont alors tiré sur nous. Un groupe a réussi à les maîtriser et à prendre leurs armes qu’ils ont pointées sur eux. Nous les avons emmenés dans le centre ville. Des échanges de coups de feu s’en sont suivis entre des gendarmes venus en renfort et la population civile ». À la connaissance d’Amnesty International, ces gendarmes ont réussi à s’échapper.

À la suite de ces événements, les autorités ont dépêché sur place des renforts en hommes convoyés par hélicoptère. Très tôt, le mercredi matin, 27 avril, des tirs ont été entendus dans la ville et des jeunes gens ont à nouveau dressé des barricades et brûlé des pneus. Un témoin a raconté : « J’étais sorti pour rejoindre les manifestants qui barraient la route avec des briques dans le quartier de Nylessi, d’autres brûlaient des pneus et lançaient des cailloux. Des militaires nous ont poursuivis, certains étaient en hélicoptère et ils nous tiraient dessus, ils lançaient également des grenades lacrymogènes, j’ai reçu une balle, je suis tombé et j’ai été emmené avec sept personnes à l’hôpital, cinq d’entre elles sont décédées des suites de leurs blessures. »

La répression dans les environs d’Aného a été particulièrement violente et de nombreuses informations recueillies par Amnesty International indiquent que les forces de sécurité ont fait un usage excessif de la force meurtrière en tirant sur des manifestants qui tentaient de fuir. Un élève, étudiant au lycée Zevebi d’Aného a raconté à Amnesty International : « Le 27 avril, j’étais avec plus de 50 personnes à Vito Condji et nous essayions de prendre la fuite, nous étions dans la lagune pour atteindre l’autre rive à Clidji. Les militaires étaient au nombre de dix et cinq d’entre eux nous tiraient dessus, j’ai été blessé, une balle m’a atteint au poignet. Je suis allé à Clidji pour me faire soigner et par la suite, je suis allé au Bénin. »

« Une balle m’a transpercé la hanche »

Au cours de sa mission d’enquête au Bénin, la délégation d’Amnesty International a pu rencontrer un grand nombre de personnes blessées à la suite de la répression menée par les forces de sécurité et les milices togolaises. Beaucoup ont été blessées par balles ce qui confirme le recours systématique aux armes de guerre face à des manifestants qui dans leur grande majorité, à l’exception du cas de la ville d’Aného, ne possédaient pas d’armes à feu.

Le type de blessures constaté par diverses sources médicales comprenait notamment des :

* Traumatismes crâniens et traumatisme à l’épaule et au poignet
* Plaies au thorax par arme à feu
* Traumatismes de l’épaule et au visage suite aux coups
* Plaies aux jambes par arme à feu
* Fractures de la clavicule à la suite de coups
* Écrasements du pied causés à la suite de coups
* Éclats d’explosif aux jambes
* Fractures du coude et de l’avant-bras
* Sections du tendon d’Achille par arme à feu
* Plaies thoraciques et traumatismes crâniens dus à des armes à feu

Le fait que de nombreuses blessures se situent dans les parties supérieures du corps et en particulier à la tête montre bien l’intention délibérée de tuer des forces de sécurité et des milices togolaises. Par ailleurs, des sources médicales béninoises ont indiqué à Amnesty International que le centre de transit d’Hilacondji, à la frontière avec le Togo, avait recensé, au 25 mai 2005, parmi les réfugiés togolais « environ 140 cas graves, tous blessés par balles, ou avec des fractures au fémur et des luxations. La plupart des blessures concernaient des membres supérieurs et inférieurs. Il y a eu un cas où une balle a traversé un poumon. Certains ont été blessés à la tête. Les gens ont été tabassés avec des bâtons et des machettes ». Par ailleurs, un médecin béninois travaillant à l’hôpital de Comé (près de la frontière avec le Togo) a indiqué à la mission d’Amnesty International : « L’hôpital a reçu de nombreux patients dont une vingtaine très graves. Les victimes souffraient de traumatisme des membres et du thorax provoqués par des armes à feu. Les patients ont déclaré que les militaires leur ont tiré dessus. » Cet hôpital a reçu des patients principalement originaires de la région maritime. Certains ont pu rentrer chez eux mais d’autres blessés graves étaient encore sous traitement à l’hôpital lorsque la délégation d’Amnesty International s’est rendue sur les lieux.

« Il lui a donné des coups de pied dans les testicules »

De nombreux militants supposés de l’opposition ont été victimes de tortures et de mauvais traitements. L’un de ces incidents survenus à Bé Château, un quartier de Lomé, a bénéficié d’une certaine publicité car un journaliste qui se trouvait sur les lieux a pu prendre des photos de la scène. La victime, un motocycliste qui ne participait à aucune manifestation, n’a eu la vie sauve que grâce à la présence de nombreux témoins dont des journalistes étrangers.

Un témoin a raconté à Amnesty International : « Un motocycliste qui ne participait pas à la manifestation essayait de rejoindre l’autre bout de la ville quand un des militaires, à un carrefour lui a demandé de s’arrêter. Dès qu’il a posé les pieds par terre, un militaire lui a donné des coups de bâton, le militaire a ordonné de baisser son pantalon et il lui a donné des coups de pieds dans les testicules. Il a également reçu des coups au visage. Il a remonté son pantalon et il s’est mis à genoux, un militaire a pointé son fusil sur lui et l’a mis en joue. Un groupe de femmes s’est jeté par terre pour implorer le pardon des militaires. Un véhicule militaire chargé de ramasser les victimes s’est arrêté à sa hauteur, un des militaires lui a demandé de monter dans le véhicule et s’est adressé à des journalistes pour les informer que la personne était emmenée pour ‘sa sécurité’. Puis, le militaire s’est ravisé et a demandé au motocycliste de partir. »

Des personnes ont également été agressées chez elles. Un membre du CAR a perdu connaissance après avoir été violemment passé à tabac à son domicile à Tokoin Séminaire, un quartier de Lomé, le 26 avril 2005. Il a raconté à Amnesty International : « J’étais chez moi vers 15 heures quand une quinzaine de militaires ont escaladé les murs, ils sont entrés dans la maison. Ils ont dit qu’ils cherchaient des documents et ont commencé à me rouer de coups, ils m’ont traîné à l’extérieur et m’ont couché sur la terrasse, quatre militaires ont tiré sur les bras tandis que deux autres me tenaient les pieds. Pendant ce temps, d’autres militaires me donnaient des coups, ils utilisaient une hache, des gourdins et des cordelettes, ils m’ont donné une bonne correction, à un moment je me suis évanoui. Lorsque j’ai repris connaissance, je suis monté sur une échelle pour me réfugier sur la toiture. Ils ne m’ont pas vu. Ils sont partis en hurlant : ‘Il faut le terminer’. Ils ont également battu deux de mes frères. »

La personne qui a soigné cette victime a confié à Amnesty International que « cet homme était dans un coma léger quand nous l’avons reçu, il a eu un traumatisme crânien, entraînant des blessures graves nécessitant six points de suture à la nuque. Il a également une fracture à l’annulaire gauche, son corps était couvert d’ecchymoses. Nous avons également soigné ses deux frères, nous avons eu également à faire des points de suture suite à leurs blessures ».

Certaines personnes auraient été torturées et d’autres abattues dans un terrain situé non loin de l’état-major des Forces armées togolaises. L’un des survivants a raconté à Amnesty International : « C’était le lendemain du scrutin du 24 avril, il était aux environs de 15 heures quand nous avons été arrêtés par trois miliciens du RPT dans le quartier d’Anagokomé. Ils nous ont menacés avec des armes pour que nous montions dans une voiture qui n’avait pas de plaque d’immatriculation, ils nous ont conduits dans un champ derrière l’état major à Agoué. Des personnes au nombre de cinq en treillis noir et portant des cagoules nous ont réceptionnés, d’autres personnes étaient également présentes. Ils nous ont attaché les mains et les pieds à des poteaux, ils nous posaient des questions, ils nous reprochaient de militer contre Faure et d’avoir milité pour un vieux au lieu de faire campagne pour un jeune, nous avons imploré leur pardon. Ils nous ont donné à boire et nous ont demandé de faire notre dernière prière. Ils ont ensuite tiré sur l’un d’entre nous, il s’agit de Laïson Ayi, 31 ans, militant de l’opposition. Nous avons encore pleuré et nous leur avons dit que nous n’avions rien fait. Ils ont ensuite appelé quelqu’un, ils l’ont appelé capitaine, ce dernier a dit qu’il ne fallait pas tuer des innocents. Ils nous ont détachés et nous ont demandé de ne rien dire, autrement, ils viendraient nous tuer. Le lendemain, nous avons appris que le corps de Laïson Ayi avait été retrouvé à la morgue. »

Les forces de sécurité et les membres des milices se seraient également attaqués à des collégiens. C’est ainsi que Koté Emedessi, un élève de 4e au Collège d’enseignement général (CEG) de Nykonakpoe, près d’Atakpamé, âgé d’environ 19 ans est décédé dans les jours qui ont suivi l’élection présidentielle après avoir été torturé par des miliciens. Un témoin a raconté à Amnesty International : « [Le 24 avril 2005], le jeune Koté revenait des champs, il était un peu ivre. Au niveau du collège CEG de Kossi-Kiti, il chantait ‘Ablodé, Ablodé Badja(4). C’était le chant de ralliement de l’opposition. Il a été arrêté par des miliciens et emmené au siège du RPT à Agbonou. Il y a été torturé et on a retrouvé son corps dans un fossé derrière le siège du RPT la tête molle et les testicules broyées. Il avait des traces de coups sur le corps. Son frère a dû supplier pour récupérer le corps qui devait être brûlé. Il a été enterré le 28 à Agbofon. »

Des personnes ont été battues à mort par des militaires sous les yeux de leurs parents. Une femme originaire de Tsévié (ville au nord de Lomé) qui a trouvé refuge au Bénin a raconté à la délégation d’Amnesty International : « Avec mon mari, nous allions à Lomé pour rendre visite à nos enfants quand sur la route à la hauteur de la lagune de Bé, les forces de sécurité ont attaqué mon mari, ils lui ont donné des coups avec des gourdins, il a rendu son âme à Dieu, c’était le 27 avril. D’autres personnes qui étaient sur la route ont également été battues. »

À Kpemé, non loin d’Aného , Soulagbo Kodjovi Agossou, âgé de 14 ans et collégien en 4e est décédé après avoir été sévèrement battu par plusieurs militaires qui lui ont fait respirer du gaz lacrymogène. Cet incident est survenu après la proclamation des résultats lors de manifestations parfois violentes organisées par des partisans de l’opposition dans les environs d’Aného. L’un de ces manifestants qui a trouvé refuge au Bénin a raconté à Amnesty International : « Nous étions à côté des rails de train, à côté de l’entrée de l’usine IFG [International Fertilizer Group]. On enlevait les rails pour que les trains n’emmènent plus de phosphate. Les militaires sont arrivés, ils ont tabassé les gens. Deux soldats portant des bérets rouges ont donné des coups de matraques. Kodjovi est tombé et ils ont joué avec lui comme un ballon. Après, ils lui ont fait respirer du gaz. Il est mort à la clinique vers 13.00. »

« Ils l’ont arrêté et sept soldats l’ont emmené dans une jeep »

À la suite de l’élection présidentielle du 24 avril 2005, un nombre important de personnes ont été arrêtées et, au moment de la rédaction du présent document, certaines demeurent encore en détention apparemment sans inculpation ni procès. Amnesty International a pu recueillir les noms de dizaines de personnes détenues notamment à la prison civile de Lomé et à Tsévié. Il est cependant impossible d’avancer une estimation fiable du nombre de personnes détenues ou dont les parents sont sans nouvelle. Cette difficulté à déterminer le nombre de personnes arrêtées ainsi que leur lieu de détention ou leur sort s’explique notamment par la peur qui anime les parents des détenus ainsi que par les importants mouvements de populations vers les deux pays voisins, le Ghana et le Bénin, déplacements qui ont empêché des familles de rechercher leurs parents arrêtés.

C’est notamment le cas de la famille de Francis Messan, âgé de 25 ans, membre de l’UFC, arrêté chez lui à Lomé le jour où le candidat unique de l’opposition, Bob Akitani, avait annoncé sa victoire. Une personne qui a assisté à cette arrestation et trouvé refuge au Bénin a raconté à Amnesty International : « Nous étions en train de célébrer la victoire de notre candidat. Il était autour de 19 heures quand les militaires sont entrés dans notre maison, l’un d’eux m’a giflée, ils ont répandu du gaz lacrymogène. Ils cherchaient Francis. Ils l’ont arrêté et sept soldats l’ont emmené dans une jeep. Nous ne l’avons plus revu. »

Les enlèvements de partisans de l’opposition ont débuté dans les jours qui ont précédé l’élection présidentielle. Ainsi, selon les informations recueillies par Amnesty International, Koffi Amouzou, un peintre en bâtiment, qui faisait campagne pour l’opposition a été enlevé vers 8 heures du matin à son domicile par des militaires portant des bérets rouges et emmené vers une destination inconnue. Un des membres de sa famille, rencontré par la délégation d’Amnesty International au Bénin a indiqué qu’il n’avait plus de nouvelles de Koffi Amouzou.

De nombreuses personnes ont été victimes de délations et ont été accusées de soutenir l’opposition. Une commerçante, Mme Dalas, vivant à Aklakou, non loin d’Aného, a été arrêtée chez elle le 7 mai car elle était soupçonnée d’avoir préparé à manger pour les personnes qui avaient manifesté à Aného le 26 avril. À la connaissance d’Amnesty International, Mme Dalas est toujours détenue sans inculpation ni jugement à la prison de Vogan.

Dans au moins deux lieux, à Atakpamé et à Aklakou, des élèves de collèges ou de lycées ont été arrêtés ou menacés d’être arrêtés. Plusieurs témoignages ont fait état de l’arrestation, au lendemain de la proclamation des résultats, d’au moins sept collégiens et lycéens étudiant à l’établissement scolaire d’Aklakou. Ces élèves ont été accusés d’avoir manifesté le mardi 26 avril 2005. Un témoin qui a pu les rencontrer à la gendarmerie d’Aného a raconté à Amnesty International : « La majorité des élèves détenus ont été battus à leur arrivée à la gendarmerie, ils ont été roués de coups et contraints de se déshabiller. Ils n’ont pu garder que leur caleçon, certaines personnes m’ont déclaré qu’elles avaient les fesses enflées et ne pouvaient plus s’asseoir. »

Une dizaine de jours après l’élection présidentielle, lors de la reprise des cours au lycée d’Atakpamé, des membres du Haut conseil des associations et mouvements estudiantins (HACAME), une milice du RPT, qui font partie du personnel enseignant ont cherché à identifier les élèves blessés lors des manifestations post-électorales. Un témoin a raconté à Amnesty International : « Le lundi 9 mai [2005], après la levée du drapeau, des miliciens de l’HACAME qui travaillaient au lycée ont invité les élèves blessés à se présenter. N’eût été l’arrivée des gendarmes qui avaient été prévenus, les élèves auraient été emmenés au siège du RPT. La gendarmerie a ensuite assuré la protection des élèves en les gardant à la gendarmerie pendant au moins cinq jours. »

« Ce n’est pas la peine de continuer car elle est trop vieille »

Lors de sa mission d’enquête au Bénin, les délégués d’Amnesty International ont recueilli des témoignages faisant état de violences contre des femmes y compris des cas de viols commis par des partisans armés du pouvoir.

Le 26 avril 2005, à Clidji, un village proche d’Aného, une femme d’une trentaine d’année a été agressée en compagnie de sa sœur plus jeune. Réfugiée depuis lors au Bénin, elle a raconté à Amnesty International : « Le jour de la proclamation des résultats, j’étais avec ma petite sœur sur la route du cimetière et nous revenions de la pharmacie vers 11 heures quand un militaire nous a appelées, il se trouvait avec d’autres militaires. Ma petite sœur s’est enfuie, je me suis dirigée vers eux et celui qui nous avait appelées m’a accusée d’avoir envoyé les enfants contre eux. Ils se sont jetés contre moi, ils m’ont frappée avec des bâtons, le bâton était plus gros que mon bras, je me lamentais. Une veille qui passait par là a été également battue, ils lui ont demandé de se coucher par terre et ils l’ont battue. Des manifestants sont arrivés et les militaires ont pris la fuite. »

Des femmes ont été touchées par balles alors qu’elles tentaient de fuir les forces de l’ordre. Une apprentie coiffeuse vivant dans la région d’Aného a raconté à Amnesty International : « [Le mardi 26 avril 2005], j’étais avec un ‘zémidjan’ [conducteur de taxi-moto] et je revenais du marché, des manifestants barraient le pont, il y avait également des militaires, je suis descendue de la moto pour courir me cacher et j’ai été atteinte d’une balle au niveau des reins. J’ai été emmenée à l’hôpital d’Aného où la balle a été enlevée. Il y avait beaucoup de blessés, deux personnes sont décédées des suites de leurs blessures. Les médecins étaient obligés d’envoyer certains patients à l’hôpital d’Afagnan. »

Amnesty International a également recueilli des informations sur certains cas de viols commis par des miliciens et des militaires contre des femmes soupçonnées de soutenir l’opposition. Cette question étant taboue, les délégués ont eu de grandes difficultés à obtenir des informations précises sur ces violences sexuelles car les victimes et leurs familles éprouvaient de la honte et craignaient d’être l’objet d’ostracisme au sein de leur communauté. Tous les témoignages recueillis par Amnesty International concernent des viols commis dans la ville d’Atakpamé et ses environs le 26 avril 2005, jour de la proclamation des résultats. D’autres informations ont fait état de viols et de violences sexuelles à l’encontre de femmes dans d’autres villes du pays et notamment à Lomé.

Plusieurs témoins ont raconté à Amnesty International qu’une femme a été violée chez elle, à Atakpamé, dans l’après-midi du 26 avril 2005.

« Vers 15 heures 30, plus de 200 miliciens sont arrivés dans le quartier d’Oke Ekpa pour faire des descentes dans les maisons après les premiers troubles provoqués par la proclamation des résultats. Ils étaient en civil, certains étaient torse nu avec la chemise nouée sur le pantalon ou le treillis. Certains étaient armés de fusils ou de machettes, d’autres de gourdins au bout desquels il y avait des clous. Ils sont rentrés dans la maison de V. qui donne sur la rue et ils ont frappé son mari. Ils sont rentrés dans la chambre où elle se trouvait avec ses trois enfants qu’ils ont frappés. Un des miliciens a tenu les bras de la femme, un autre a tenu les pieds et un troisième l’a violée. »

Ce même jour, une autre femme a été violée après que son mari eut été abattu. « Les miliciens sont arrivés dans la concession, tout le monde s’est sauvé, X. et son épouse F. n’ont pas pu prendre la fuite, ils leur ont donné des coups de gourdin, X. a reçu des coups de couteau et il a été achevé par balles, les miliciens ont mis du charbon sur leur visage afin de ne pas être reconnus puis ils ont violé son épouse. » Après avoir été violée, F. a fui la ville et a trouvé refuge chez des parents à qui elle a déclaré qu’elle préférait « se laisser mourir plutôt que de voir des médecins qui constateront une maladie ».

Les délégués d’Amnesty International ont rencontré la fille d’une dame âgée de plus de 80 ans qui a été violée par des miliciens dans un village proche d’Atakpamé. « Beaucoup de jeunes sont venus dans le quartier et ont mis le feu aux maisons. L’un d’eux a demandé ce qu’il fallait faire de la vieille. Un a répondu : ‘On va s’amuser’. Un milicien l’a violée, puis d’autres miliciens ont déclaré : ‘Ce n’est pas la peine de continuer car elle est trop vieille’. Ma maman a été vue par un assistant médical qui lui procure des soins. »

« Le bain de sang, ce sont les journalistes étrangers qui en sont responsables »

Dès l’annonce du décès du président Eyadéma, le 5 février 2005, les autorités ont harcelé sans relâche les médias indépendants togolais et les journalistes étrangers qui s’efforçaient de donner des informations sur la répression en cours.

Dès le soir du vote, les moyens de communication avec le Togo ont été coupés, rendant très difficile la collecte et la vérification d’informations. Pendant plusieurs jours, les lignes téléphoniques ont été hors service, empêchant non seulement d’appeler ou de recevoir des appels de l’étranger mais aussi de communiquer à l’intérieur du pays.

Les harcèlements et intimidations systématiques dont les médias privés avaient été victimes depuis la mort du Général Eyadéma ont continué dans les jours qui ont précédé et suivi le scrutin. C’est ainsi que, par exemple, la Haute Autorité de l’Audiovisuel et des Communications (HAAC) s’en est prise à la station de radio Nana FM accusée de vouloir diffuser les résultats du vote. Face à ces intimidations répétées, cette radio a décidé, à partir du jour du scrutin, de ne diffuser que de la musique avant de fermer pendant quelques jours à cause des violences perpétrées dans le quartier où se trouve son siège.

Les militaires s’en sont notamment pris à la station locale de Radio Lumière à Aného , le mardi 26 avril 2005 où des affrontements violents ont opposé des manifestants et des forces de sécurité. Un journaliste de cette station de radio a raconté à Amnesty International : « Le mardi, après la proclamation des résultats, les militaires sont arrivés à la station de radio Lumière et ils ont détruit les quatre ordinateurs en tirant à balles réelles. La radio, continuait à fonctionner, ils sont revenus le lendemain et ont détruit la pylône sur lequel se trouvait l’antenne de la radio. Ils ont mis le feu à l’immeuble abritant la radio, ils ont également brûlé la voiture du directeur. »

Par ailleurs, le 27 avril, le président de la HAAC, M. Combévi Agbodjan, a ordonné la fermeture de Radio Maria et Radio Nostalgie pour une durée d’un mois en raison de la diffusion par ces radios, le lundi 25 avril, d’une fausse information qui faisait état d’un couvre-feu dans la nuit du 25 avril à Lomé.

Depuis le 26 avril 2005, RFI et la BBC ne pouvaient plus être écoutées en bande FM. Deux jours après, le ministre de la Communication et de la Formation civique, a expliqué que ces suspensions avaient pour but « de préserver la cohésion nationale ». En effet, selon lui, « un gouvernement, quel qu’il soit, a la responsabilité du maintien de l’ordre public et le devoir de protéger la population et la cohésion nationale ». Au 30 juin 2005, RFI n’avait toujours pas été rétabli en FM.

Par ailleurs, les correspondants des médias internationaux ont également été la cible d’attaques et d’intimidation : Thierry Tchukriel, journaliste d’une radio associative Rd’Autan, qui s’était rendu à Lomé le 19 avril pour couvrir l’élection présidentielle a été frappé par quatre militaires dans la nuit du 24 avril, après avoir été appréhendé par la police togolaise. Sa carte de presse et son appareil photo ont été confisqués. Le journaliste qui se trouvait dans un bureau de vote proche du grand marché de Lomé voulait suivre les opérations de dépouillement des bulletins.

Le jeudi 28 avril, lors d’une conférence donnée devant la presse internationale, le ministre de la communication, M. Tchalla, a fait part de son « mécontentement » concernant la couverture médiatique de l’élection présidentielle. Il a précisé ses reproches en affirmant que « certains journalistes internationaux ne respectent pas les règles de déontologie et ont choisi de prendre parti. Les dérapages sanglants dont nous avons été les témoins sont dus en partie à ceux-là ».

Le 28 avril 2005, le président de la République par intérim, Abass Bonfoh, a publiquement accusé les médias étrangers d’être responsables des troubles en affirmant que « le bain de sang, ce sont les journalistes étrangers qui en sont responsables ».

Par ailleurs, les autorités ont également tenté de museler les organisations locales des droits humains. Ainsi, le 13 mai 2005, plusieurs jeunes gens proches du parti au pouvoir ont empêché la Ligue Togolaise des Droits de l’Homme (LTDH) de tenir une conférence de presse au cours de laquelle l’organisation devait annoncer notamment le bilan des violations des droits humains depuis le 5 février 2005.

« Ils nous ont ‘doigtés’ et on a peur de revenir au Togo »

De nombreuses personnes réfugiées au Bénin ont indiqué à la délégation d’Amnesty International que les forces de sécurité et des membres de milices avaient identifié à l’avance les partisans de l’opposition afin de les harceler et de les intimider avant et après le scrutin. Certains de ces opposants étaient facilement reconnaissables car ils portaient des vêtements jaunes ou arboraient un palmier, symboles choisis par le candidat unique de la coalition des partis d’opposition, Bob Akitani. Un témoin a ainsi indiqué que durant la campagne électorale, à Atakpamé, « un jeune élève portant le jaune a été battu, on lui a déchiré le tricot et on l’a habillé en blanc avec un Tee-shirt à l’effigie de Faure ».

Plusieurs informations indiquent que certaines personnes qui ont fui au Bénin ont été arrêtées à leur retour au Togo après avoir été reconnues comme des partisans de l’opposition. Cela a notamment été le cas d’un zémidjan [conducteur de taxi-moto], Lawson Late rentré au pays après la Pentecôte et a été arrêté à son retour à la frontière. Un réfugié togolais resté au Bénin à déclaré à Amnesty International : « Il a été ‘doigté’ car durant la campagne électorale, il était habillé en jaune et il portait un palmier sur sa moto. On ne sait pas où il est. »

Certains membres des partis de l’opposition qui ont agi en tant que scrutateurs dans les bureaux de vote ont également été photographiés. Un réfugié togolais à déclaré à la délégation d’Amnesty International au Bénin : « J’ai représenté la coalition à Lomé, les militaires sont arrivés dans le bureau de vote à l’école Anfamé, quartier de Bé Kpota. Ils ont tiré à balles réelles sur des gens, certains sont tombés, j’ai échappé par miracle, d’autres personnes ont été arrêtées et emmenées dans un camion. Les militaires sont partis avec les urnes. Après le dépouillement, des pressions ont été exercées sur moi pour que je signe le PV [procès verbal], j’ai refusé de le faire. Le 25 avril, en rentrant chez moi vers 20 heures, j’ai vu un homme qui avait pris des photos au bureau de vote, il était avec d’autres personnes devant ma maison. J’ai décidé de quitter la capitale togolaise pour me réfugier au Bénin. »

Une autre scrutatrice a également été prise pour cible en raison de son engagement en faveur de la coalition de l’opposition. Cette femme de 40 ans, revendeuse tresseuse au quartier de Bè, à Lomé a raconté à Amnesty International : « Le 24 avril, j’étais au bureau de vote No 1 à l’EPC [école primaire catholique] d’Ablogamé. Les militaires sont arrivés vers 16 heures 30 et ont brutalisé les gens qui se trouvaient dans le bureau de vote. Ils ont également tiré des balles en caoutchouc et des balles réelles. Le lendemain de l’élection, les militaires sont venus me chercher à la maison, ma sœur m’a téléphoné sur mon portable pour me prévenir, je ne suis pas à l’aise, j’ai pris la décision de me réfugier au Bénin. »

Dans certains cas, des blessés ont été contraints de fuir l’hôpital où ils se trouvaient car ils aveint été identifiés comme partisans de l’opposition. C’est le cas d’un jeune homme habitant Lomé qui a été blessé par balle dans le dos et à la cuisse lors d’une des manifestations post-électorales. Il a raconté à Amnesty International : « On m’a emmené à l’hôpital où j’ai eu les premiers soins, ils ont extrait la balle. J’ai dû quitter l’hôpital car les militants du RPT nous ont doigtés, je suis arrivé au Bénin le 29, j’ai eu d’autres soins à l’hôpital de Comé. »

Tous ces faits expliquent la peur exprimée par de très nombreux réfugiés à l’idée de rentrer au Togo. Un instituteur d’Aného réfugié au Bénin a confié à la délégation d’Amnesty International : « On ne peut plus rentrer au pays, on nous cherche à gauche et à droite. S’il n’y a pas de changement, notre sécurité ne sera jamais assurée. Les noms de plusieurs personnes ont été notés, trois d’entre elles qui sont rentrées ont été arrêtées. » Le risque est donc grand de voir plusieurs milliers de réfugiés contraints de demeurer au Bénin et au Ghana comme cela a été le cas pour d’autres populations togolaises qui avaient trouvé refuge dans les pays voisins au début des années 1990.

Une volonté d’effacer les traces

Le bilan des morts et des blessés de la répression qui a suivi l’élection présidentielle d’avril 2005 est très difficile à établir et a fait l’objet de controverses. Le 13 mai 2005, la LTDH estimait à 811 le bilan provisoire du nombre de décès. Six jours plus tard, une organisation proche du gouvernement togolais, le Mouvement togolais de défense des libertés et des droits de l’homme (MTDLDH) annonçait, quant à elle, un total de 58 morts(5).

Au cours de son enquête, Amnesty International a pu établir une liste de 150 noms qu’elle tient à la disposition de toute commission d’enquête internationale, indépendante et impartiale en mesure de garantir la sécurité des témoins et des familles des victimes. L’organisation estime cependant que le bilan total est bien plus élevé car de nombreux témoignages ont fait état de corps déposés à la morgue et non identifiés ainsi que de cadavres enterrés sans avoir été enregistrés au préalable à la morgue(6). Ainsi, un témoin a indiqué à Amnesty International que 27 corps auraient été déposés à la morgue après la proclamation des résultats. « Ces 27 corps ont été amenés à la morgue par la Croix-Rouge qui sillonnait la ville. L’administration de la morgue n’a pas voulu donner d’informations et n’a pas voulu montrer le registre des morts. »

Amnesty International a reçu plusieurs témoignages confirmant que des instructions ont été données par les autorités togolaises au personnel des hôpitaux et des morgues afin qu’aucune information concernant le nombre de morts ne soit communiquée à des observateurs extérieurs ni même parfois à la famille de la victime. Ainsi, la famille d’un adolescent âgé de 16 ou 17 ans (voir photo), tué le 26 avril 2005 par les forces de sécurité à Aného n’aurait pas été autorisée à récupérer son corps qui avait été déposé à la morgue de la ville par la Croix-Rouge. Suite à ces consignes, le directeur de l’hôpital d’Aného a refusé, le 28 avril 2005, de donner des informations sur les morts et les blessés à la presse nationale et internationale.

Par ailleurs, le 27 avril 2005, une note a été placardée au Centre hospitalier universitaire (CHU) de Tokoin à Lomé rappelant au personnel hospitalier que toute demande d’information devait être adressée à la direction du CHU et interdisant l’introduction de caméras ou d’appareil photos dans l’hôpital. Le même jour, la ministre de la santé, Mme Suzanne Aho Assouma, est venue à l’hôpital avec le directeur général de la Santé. Elle a interdit l’accès à la morgue et donné une consigne orale de ne pas parler aux journalistes. Par ailleurs, le registre des urgences de cet hôpital dans lequel figuraient les entrées de victimes des manifestations a été emporté et remplacé par un nouveau.

Ces informations montrent la volonté des autorités d’effacer toute trace de l’identité et du nombre des victimes conduites dans des centres de santé, ce qui rend impossible tout bilan exhaustif des victimes de cette répression.

Au-delà des cadavres et des blessés emmenés dans des hôpitaux ou déposés dans des morgues, un nombre indéterminé de corps ont été enterrés par des familles ou abandonnés sur place. Plusieurs témoignages recueillis par Amnesty International indiquent que des corps ont été retrouvés en décomposition sur la colline d’Oké Ekpa (dans les environs de la ville d’Atakpamé) à partir du 27 avril 2005.

UN APPAREIL DE RÉPRESSION AU SERVICE EXCLUSIF DU POUVOIR

Le général Eyadéma et son fils, Faure Gnassingbé qui vient de lui succéder, se sont appuyés pour se maintenir au pouvoir, sur tout un appareil de sécurité composé de l’armée régulière, de la gendarmerie, de la police ainsi que de milices créées par le pouvoir.

 Les forces de sécurité

L’article 49 de la Constitution togolaise stipule que « les forces de sécurité et de police, sous l’autorité du gouvernement, ont pour mission de protéger le libre exercice des droits et des libertés, et de garantir la sécurité des citoyens et de leurs biens ». La réalité est toute autre. Au cours des quarante dernières années, les forces de sécurité togolaises, à savoir les FAT ainsi que des éléments de la gendarmerie et la police, se sont rendues responsables en toute impunité de violations systématiques des droits humains à l’encontre d’opposants ou de simples citoyens qui dans la très grande majorité des cas n’avaient pas utilisé la violence ou prôné son usage(7).

Cette répression a entraîné la mort de nombreux opposants et le départ en exil de milliers de personnes. Les récents événements intervenus depuis la mort du général Eyadéma ont montré que les forces de sécurité ont conservé le même rôle : il s’agit avant tout d’assurer la défense et la pérennité d’un système politique contrôlé par une famille.

Dans des documents publiés antérieurement, Amnesty International a décrit la structure des forces armées togolaises(8). L’organisation a régulièrement dénoncé le fait que les forces de sécurité ne remplissaient pas le rôle d’une armée classique et commettaient des violations des droits de l’Homme en toute impunité à l’encontre de la population civile.

Depuis l’indépendance en 1960 cette armée a vu son nombre passer de 300 à plus de 13000 membres. Cette consolidation s’est faite sur des bases purement régionalistes. L’armée togolaise est composée à plus de 75 pour cent par des éléments recrutés dans la partie nord du pays dont plus de deux tiers sont membres de l’ethnie Kabye, à laquelle appartient la famille Eyadéma. Parmi ces hommes, la moitié est originaire de Pya, le village natal du général Eyadéma. Par ailleurs, la majorité des garnisons et des infrastructures militaires y compris le collège militaire de Tchichao se trouvent dans le nord du pays.

Ainsi, tout au long de son règne, le général Eyadéma a tout mis en œuvre pour opposer le nord du Togo au reste du pays en s’appuyant essentiellement sur des militaires et des partisans originaires de sa région natale. Les forces de sécurité togolaises ont ainsi réussi à maintenir un régime de terreur qui a survécu à la Conférence nationale de 1991, aux pressions de l’Union européenne et à la disparition de leur créateur. Lors de ses entretiens avec les Togolais qui venaient de trouver refuge au Bénin à la suite de l’élection présidentielle d’avril 2005, la délégation d’Amnesty International a pu constater la terreur qu’inspirent toujours les forces de sécurité. L’un de ces réfugiés a dit à Amnesty International : « J’ai été doigté, je ne peux plus rentrer chez moi, les militaires ne vont pas me rater cette fois. »

 Les milices

Les forces de sécurité ont parfois été soutenues dans leurs actions de répression par des milices créées par le parti au pouvoir. La plus ancienne, HACAME, a été crée dans les années 90, au lendemain de la Conférence nationale. Elle regroupe principalement des étudiants et des militaires. Ce mouvement avait pour but de provoquer les opposants durant la période de transition entre 1991 et 1994. Amnesty International s’est publiquement inquiétée, à plusieurs reprises, des liens qui existaient entre ces milices et les forces armées togolaises en estimant que leur existence posait un grave problème de sécurité au Togo.

Chaque fois que le pouvoir en place s’est trouvé m-enacé, notamment lors de l’élection présidentielle de 1998, des milices sont intervenues aux côtés des forces de sécurité pour terroriser la population. Toutes les informations recueillies par Amnesty International lors de sa récente mission au Bénin indiquent que le rôle des milices dans la répression qui a suivi l’élection présidentielle d’avril 2005 a été déterminant. Ces milices ont été particulièrement présentes et actives à Lomé et à Atakpamé.

Des informations indiquent que durant la récente période électorale, un parc d’exposition situé non loin de l’aéroport de Lomé et appelé Togo 2000, a été utilisé pour le regroupement des miliciens. Ces derniers arrivaient par camions et portaient des gourdins dont les extrémités étaient armées de clous. Amnesty International a recueilli des témoignages selon lesquels, l’entrée de Togo 2000 était contrôlée par des militaires. De nombreux témoignages ont également fait état du soutien apporté par les FAT aux milices notamment en matière de formation au maniement des armes. Cette instruction a, semble-t-il, était dispensée en partie à Kara, la grande ville du nord, bastion traditionnel du général Eyadéma.

Rôle des pays étrangers

De même qu’il est indispensable de mettre en cause les FAT et les milices directement responsables des très nombreuses atteintes aux droits humains commises dans le pays depuis des années, il est également important de réfléchir sur le rôle joué par certains pays étrangers, notamment la France, qui fournissent une assistance militaire au Togo.

La France maintient une coopération militaire avec le Togo depuis des décennies et celle-ci a continué après la décision prise par l’Union européenne en 1993 de suspendre sa coopération. Dans un document publié en 1999, Amnesty International constatait que l’assistance militaire technique de la France au Togo s’apparentait à un soutien tacite au Président Eyadéma(9). Six ans plus tard, la France n’a toujours pas réévalué l’assistance militaire technique avec le Togo et les tâches confiées aux assistants militaires français au sein de l’état-major togolais et des d’autres unités militaires ne semblent pas avoir été modifiées. Les informations disponibles sur le site de l’ambassade de France au Togo concernant la Mission de Coopération Militaire et de Défense française, indiquent que 20 militaires sont actuellement détachés au titre de la coopération militaire au Togo. L’aide directe en matériel s’élève à plus de soixante millions de francs entre 1989 et 2002(10). Amnesty International estime que le montant réel est supérieur aux chiffres communiqués dans les avis. A titre d’exemple, en 1999, le montant d’aide directe au Togo s’élevait à 5 millions de francs selon les rapports parlementaires de l’Assemblée et du Sénat. Or le ministre des affaires étrangères a révélé en réponse à la question écrite d’un député que l’aide matérielle pour le Togo s’élevait à 13,6 millions de francs(11).

Par ailleurs, Amnesty International a fait analyser des balles en caoutchouc ainsi qu’une grenade lacrymogène utilisées à Lomé lors de la répression d’avril. Il en ressort que ces matériels sont de fabrication française.

Amnesty International estime que la France doit s’assurer que les matériels de sécurité et de police qu’elle fournit et la formation qu’elle dispense ne sont pas utilisés pour commettre des violations des droits fondamentaux. L’organisation ne s’est pas prononcée sur la suspension de la coopération de l’UE avec le Togo. En revanche, elle est opposée aux transferts d’équipements ou de compétences dans les domaines militaire, de sécurité et de police lorsque l’on peut raisonnablement estimer qu’ils serviront à commettre des violations des droits de l’homme, comme des mauvais traitements, des actes de tortures, et des exécutions extrajudiciaires. Amnesty International estime qu’il est temps que la France tire les leçons des récentes violations des droits humains commises par les forces de sécurité togolaises et exige que la promotion et la protection des droits humains deviennent une priorité dans les relations entre la France et le Togo.

CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS

La répression qui a précédé et suivi l’élection présidentielle d’avril 2005 a démontré que le recours systématique à l’intimidation et à la violence par les forces armées et des milices a survécu au général Eyadéma.

Bien que, dans un premier temps, la communauté internationale ait réagi avec vigueur au coup de force qui a installé le fils du président Eyadéma à la tête de l’État, au fil des semaines et face à l’intransigeance du pouvoir togolais, cette détermination a faibli. En dépit d’atteintes graves aux droits humains et d’allégations de fraudes électorales, la victoire de Faure Gnassingbé a été avalisée par l’Union africaine et de nombreux pays, notamment la France.

Face à ce silence qui s’apparente au mieux à de l’impuissance et au pire à de la complicité, le désespoir de la population togolaise qui aspire à un changement et au respect de l’état de droit est absolu. La terreur a certes fait régner le silence et poussé des milliers de personnes à fuir leur pays. Mais la communauté internationale a le devoir de ne pas abandonner la population togolaise. Amnesty International salue à cet égard l’envoi dans la sous-région, en juin 2005, d’une mission d’évaluation des faits sous les auspices du Haut Commissariat aux droits de l’homme.

En 1999, Amnesty International avait publié un recueil de documents intitulé : Togo. Il est temps de rendre des comptes(12). Cette exigence de rendre des comptes est encore plus urgente actuellement car la succession par la violence et la fraude électorale du général Eyadéma par son fils peut faire craindre la perpétuation de ce régime de terreur durant une période indéfinie. L’histoire va-t-elle se répéter et les mêmes pratiques répressives vont-elles se perpétuer ? S’il n’est pas mis un terme à l’impunité et au non-respect de l’état de droit, la population togolaise risque d’être totalement abandonnée durant des années au bon vouloir d’un régime qui a fait la preuve de sa détermination à employer tous les moyens pour se maintenir au pouvoir.

Amnesty International appelle les autorités togolaises à :

* Libérer tous les prisonniers d’opinion et ouvrir une enquête sur les allégations de torture et de mauvais traitements commis par les forces de sécurité lors de l’arrestation et au cours de la détention des personnes arrêtées afin de traduire les auteurs de ces actes en justice.
* Libérer les personnes détenues sans inculpation à moins qu’elles ne soient inculpées d’une infraction prévue par la loi.
* Ouvrir une enquête sur les viols et les allégations de viols afin d’identifier les auteurs de ces actes et de les traduire en justice conformément aux engagements internationaux en matière de droits humains.
* Fournir sur le long terme aux victimes de viol des soins médicaux et un soutien psychologique gratuits et assurer la possibilité de réparation pour les victimes de ces actes.
* S’agissant plus particulièrement de l’armée :

Le gouvernement togolais devrait définir sans ambiguïté le rôle des FAT et adresser des instructions claires aux responsables de l’application des lois leur enjoignant de se conformer en toutes circonstances aux principes de base du droit international en matière de droits de l’Homme ; et enfin, mettre en place un mécanisme de contrôle du respect de ces directives ;
Le nombre de violations des droits humains diminuera si les organes chargés de l’application des lois - armée, gendarmerie et forces de police - sont tenus de répondre de leurs actes. Les forces de sécurité devraient recevoir des instructions indiquant clairement qu’aucune violation des droits de l’Homme ne sera tolérée et que les responsables seront systématiquement traduits en justice.
Les responsables de l’application des lois devraient avoir une connaissance élémentaire des droits qu’il est de leur devoir de protéger. Au fil des années, les Nations unies ont adopté un certain nombre de codes et de déclarations concernant les arrestations arbitraires, la détention sans jugement, les mauvais traitements et la torture, les exécutions extrajudiciaires et le recours excessif à la force et aux armes à feu. Ces codes et déclarations comprennent :

- le Code de conduite pour les responsables de l’application des lois et les Principes directeurs en vue d’une application efficace du Code de conduite pour les responsables de l’application des lois ;
- les Principes de base relatifs au recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois ;
- les Principes relatifs à la prévention efficace des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires et aux moyens d’enquêter efficacement sur ces exécutions ;
- l’Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement ;
- l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus et les Dispositions visant à assurer l’application effective de cet Ensemble de règles ;
* - la Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Exclure l’adoption de lois d’amnistie

Les lois d’amnistie, qui ont pour effet d’empêcher la manifestation de la vérité et d’éviter aux coupables de rendre compte de leurs actes devant la loi, ne devraient pas être acceptables qu’elles soient adoptées par les responsables de violations ou par leur successeur. Cependant, Amnesty International ne prend pas position en ce qui concerne les grâces accordées après la condamnation une fois que la vérité est connue et que la justice a suivi son cours.

Amnesty International appelle également la communauté internationale à :

* Soutenir le travail du Haut Commissariat aux droits de l’homme des Nations unies et rendre public le résultat de la mission d’établissement des faits qui s’est rendue au Togo, au Bénin et au Ghana en juin 2005. La mission devrait être suivie de la mise en place d’une commission d’enquête internationale disposant des moyens adéquats pour mener à bien une enquête exhaustive dans tout le pays. Afin d’être efficace, cette commission internationale doit répondre aux critères suivants :

 la commission doit être indépendante, impartiale et compétente ;
 la commission doit être en mesure d’enquêter le temps qu’elle estime nécessaire ;
 la commission doit pouvoir se déplacer librement au Togo et dans les pays voisins ;
 la commission doit pouvoir interroger tous les témoins qu’elle estime nécessaire sans que ceux-ci soient soumis à une pression des autorités togolaises ;
 les témoins doivent pouvoir être interrogés par la commission sans avoir peur de représailles, d’intimidation ou de harcèlement de la part des autorités togolaises ;
 les résultats de cette commission d’enquête doivent être rendus publics.

* Condamner et suspendre les transferts d’équipements ou de compétences dans les domaines militaires, de sécurité ou de police provenant de pays étrangers, dont la France, qui contribuent à perpétuer les violations des droits humains au Togo. Amnesty International demande au gouvernement français de reconnaître sa part de responsabilité dans la crise des droits humains dans laquelle le Togo est plongé et d’agir pour mettre fin à ces atrocités.
* Veiller à ce que les demandeurs d’asile ne soient pas rapatriés de force au Togo, s’ils risquent d’y être victimes de graves violations des droits humains, et veiller à ce que les revendications formulées par les demandeurs d’asile, y compris en détention, soient toutes examinées de façon approfondie et impartiale. Amnesty International exhorte les gouvernements étrangers, notamment ceux d’Europe, à examiner la requête des demandeurs d’asile en lien avec la situation des droits humains au Togo.

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Notes :

(1) Témoignage d’un psychologue chargé de faire le suivi auprès des réfugiés togolais au Bénin.
(2) L’article 62 de la constitution togolaise exige que tout candidat à l’élection présidentielle justifie d’une résidence sur le territoire national pendant les 12 derniers mois au moins, ce qui empêche de facto la candidature de Gilchrist Olympio qui vit en exil depuis la tentative d’assassinat dont il a fait l’objet en mai 1992.
(3) Voir le communiqué de la Coalition Togo publié le 20 avril 2005 : Togo. La libre participation au processus électoral est rendue impossible (index AI : AFR 57/010/2005). La Coalition Togo regroupe les associations suivantes : Amnesty International, ACAT-France, Agir ensemble pour les droits de l’Homme, Franciscans International, la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH), FIACAT, Organisation Mondiale Contre la Torture (OMCT), Secours Catholique-Caritas France, Survie.
(4) Ce slogan signifie « La liberté totale » en langue éwé, une langue parlée dans le sud du pays.
(5) Il faut préciser que le bilan de la LTDH comprend toutes les personnes qui auraient été tuées depuis le 5 février 2005, date de l’annonce de la mort du président Gnassingbé Eyadema alors que le MTDLDH n’a comptabilisé que les victimes à partir d’avril 2005, le début de la distribution des cartes électorales. Cependant, entre ces deux dates, l’ensemble des sources fait état d’une vingtaine de morts, ce qui ne permet donc pas d’expliquer l’écart important entre les estimations de ces deux organisations togolaises.
(6) Il faut souligner que le bilan d’Amnesty International ne se base que sur les informations obtenues au Bénin et que l’organisation n’a pu se rendre au Togo par soucis de ne pas mettre inutilement les témoins et les familles de victimes en danger.
(7) Au cours de la conférence nationale tenue en 1991, plusieurs participants dont des membres de la Commission Défense et Sécurité ont rappelé que l’armée togolaise ne jouait plus le rôle traditionnel d’une armée. Un des participants a déclaré que « l’armée togolaise est un corps professionnel allogène au sein de la société tant elle est haïe et assimilée au pouvoir dictatorial et policier d’Eyadéma. L’armée togolaise a renoncé à ses tâches traditionnelles pour se transformer en milice tribale privée au service exclusif d’Eyadéma et d’un groupe d’officiers originaires de Pya [ville natale du Président Eyadéma] ». Un autre document publié par la Conférence nationale de 1991 a conclu que l’armée togolaise avait combattu « un ennemi intérieur qui n’est autre que le peuple ».
(8) Amnesty International a détaillé la structure et le rôle des forces de sécurité togolaises dans plusieurs documents. Voir notamment : Togo. Les forces armées tuent impunément (AFR 57/013/1993), 5 octobre 1993, et Togo. État de terreur (AFR 57/001/1999), 5 mai 1999.
(9) Voir le document d’Amnesty International : Togo. État de terreur (AFR 57/001/1999), 5 mai 1999.
(10) Voir les avis Lois de finance publiés entre 1989 et 2002.
(11) La coopération militaire française en question, étude de l’observatoire des transferts d’armements, Belkacem Elomari.
(12) Togo. Il est temps de rendre des comptes (AFR 57/022/1999), 20 juillet 1999.

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