Émirats Arables Unis. L’envers d’un décor de rêve

Les voyageurs qui visitent les Émirats arabes unis découvrent rarement la cruelle réalité cachée derrière une façade scintillante : de lourdes peines d’emprisonnement destinées à réduire au silence ceux qui réclament des réformes politiques pacifiques.

Compte-rendu d’un séjour récent, par une employée d’Amnesty International.

Le front de mer de Doubaï au crépuscule. @ iStockphoto.com/Sophie James

On a du mal à imaginer que les Émirats arabes unis (EAU) aient une face cachée. Entre la majestueuse mosquée Sheikh Zayed, à Abou Dhabi, et les attractions de Doubaï – vertigineuse tour Burj Khalifa, gratte-ciel étincelants, eaux turquoise de Jumeirah Beach – le pays semble presque parfait.

Pourtant, cette modernité insolente et cette beauté intemporelle masquent un lourd secret dont les millions de touristes et d’investisseurs étrangers n’entendront guère parler.

Après les soulèvements du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord, la peur s’est emparée des EAU. Les autorités ont restreint encore davantage la liberté de parole et d’action. Quiconque réclame un changement politique pacifique peut désormais s’attendre à être qualifié d’« islamiste », arrêté arbitrairement, inculpé d’infractions à la sécurité nationale formulées de manière imprécise, bref, à devenir un paria.

POURQUOI EST-ON JETÉ EN PRISON ?

Le procès collectif dit des 94 en est un exemple flagrant. Le 2 juillet 2013, 69 accusés sur 94 – dont de nombreux avocats spécialisés dans les droits humains, juges, universitaires ou leaders étudiants – ont été condamnés à des peines de sept à 15 ans d’emprisonnement pour atteintes à la sécurité nationale.

Beaucoup d’entre eux étaient membres d’Al Islah (Association pour la réforme et l’orientation sociale), groupe menant des débats religieux et politiques pacifiques depuis sa création officielle, en 1974.

Parmi les condamnés incarcérés figure notamment l’avocat défenseur des droits humains Mohammed al Roken, qui fait l’objet d’un appel mondial en page 28. D’après l’un des huit accusés jugés par défaut du procès des 94, Mohammed Saqer, il s’est chargé d’affaires politiquement sensibles, qui l’opposaient au gouvernement et qu’aucun autre avocat n’acceptait de plaider.

Parmi d’autres prisonniers bien connus, on peut citer Mohammed al Mansoori, Sheikh Sultan Bin Kayed al Qassimi, Hussain Ali al Najjar al Hammadi et Saleh Mohammed al Dhufairi.

Amnesty International estime que Mohammed al Roken et les sept autres condamnés sont des prisonniers d’opinion. Les éléments que nous avons recueillis montrent que leur procès, entaché d’incohérences et d’erreurs, a été d’une iniquité flagrante.

Une nouvelle loi très sévère sur la cybercriminalité a permis l’incarcération d’autres personnes au seul motif qu’elles avaient publié des tweets relatifs au procès des 94.

DÉSHABILLÉS ET ENCAGOULÉS

Lors d’un récent séjour aux EAU, certains proches des prisonniers m’ont informée que ces derniers, dépouillés de leurs vêtements, n’avaient plus qu’une serviette à s’enrouler autour de la taille et qu’on leur enfilait une cagoule dès qu’ils quittaient leur cellule.

On m’a parlé d’hommes (maris, fils ou frères) maintenus en détention au secret sans inculpation pendant des mois, sans pouvoir consulter un avocat ni voir leur famille.

Au cours du procès collectif, de nombreux accusés ont dit avoir subi des mauvais traitements allant jusqu’à la torture, et notamment avoir été exposés jour et nuit à une lumière vive, placés dans une cellule délibérément surchauffée, roués de coups pendant de longues périodes d’isolement et privés de sommeil ; leurs tortionnaires leur ont arraché les poils de la barbe et du torse. Un prisonnier a déclaré avoir été pendu par les pieds pendant si longtemps qu’il a fini par s’uriner dessus.

Pour l’instant, leurs témoignages ont été ignorés, ainsi que les demandes concernant l’ouverture d’une enquête sur certaines allégations crédibles selon lesquelles les déclarations ayant servi d’éléments de preuve lors du procès ont été extorquées sous la torture.

LES FAMILLES HARCELÉES ET RÉDUITES AU SILENCE

À Doubaï, j’ai remarqué que la plupart des gens répugnaient à parler du procès. Ceux qui acceptaient faisaient très attention à ce qu’ils disaient. Certains nous ont demandé de ne pas révéler leur nom. Ils craignent de subir des représailles pour le simple fait de nous avoir adressé la parole.

Les familles des prisonniers ont cherché plusieurs fois à organiser des rencontres et ont écrit à des responsables publics, mais même les médias locaux ou les groupes nationaux de défense des droits humains ne sont pas intéressés par leur message.

Les proches des détenus se sont d’ailleurs heurtés à une campagne visant à les faire taire. Ils ont été harcelés, des emplois leur ont été refusés, leurs comptes en banque ont été gelés, leur téléphone et leurs mouvements ont été surveillés. Des agents de la sûreté de l’État ont demandé aux amis d’au moins un des prisonniers de leur communiquer des renseignements sur eux moyennant paiement.

Lors de la projection publique à Doubaï d’un documentaire sur le procès des 94 réalisé par une nouvelle organisation, l’International Gulf Organization (IGO), nous avons constaté que les préoccupations relatives aux droits humains soulevées par Amnesty International n’étaient pas abordées dans cette vidéo de 40 minutes.

Au cours du débat qui a suivi, destiné à un public largement favorable au gouvernement, nous n’avons pas été autorisés à poser de questions sur les thèmes passés sous silence dans la vidéo. Les proches des prisonniers ont été refoulés à l’entrée et, une fois encore, réduits au silence.

Je me suis sentie frustrée. Je n’ose imaginer comment pouvaient se sentir les familles.

PRIVÉS DE LIBERTÉ AUX EAU

Après l’emprisonnement de Mohammed al Roken, il n’y a plus dans le pays qu’un seul avocat spécialiste des droits humains qui aie le courage de se charger d’affaires relatives à la sûreté de l’État. Avec son équipe, il est actuellement victime de harcèlement.

J’ai entendu dire qu’on est parvenu, aux EAU, à faire taire toutes les voix dissidentes. Devant le spectacle de modernité étincelante de Doubaï, j’ai bien peur que ces propos ne reflètent la réalité. C’est maintenant à la communauté internationale d’être la voix de ces prisonniers et de leurs familles.

PASSEZ À L’ACTION ! >>> En envoyant un message, vous pourriez contribuer à faire libérer Mohammed al Roken. Toutes les informations nécessaires se trouvent en pages 28-29.


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