« Vous entendez votre âme pleurer » : justice pour les trois d’Angola

« Vous entendez votre âme pleurer… où que vous alliez, vous êtes ligoté, vous êtes enchaîné, vous êtes dans une cellule de deux mètres sur trois. » Robert King, 17 avril 2012

Voilà 40 ans, trois jeunes Noirs – Albert Woodfox, Herman Wallace et Robert King – ont été placés à l’isolement cellulaire dans le pénitencier de l’État de Louisiane, surnommé « Angola », aux États- Unis. Couramment appelés les « Trois d’Angola », ces hommes ont été rapprochés par leur résistance face à la dureté des conditions de détention. Ils ont fondé dans la prison une section du parti des Black Panthers en 1971, avant d’être placés à l’isolement. Ils ont fait campagne pour que les détenus soient mieux traités et connaissent de meilleures conditions carcérales, pour la solidarité entre détenus noirs et blancs, et pour mettre fin au viol et à l’esclavage sexuel, monnaie courante à Angola.

Robert King a été libéré en 2001, mais Albert Woodfox, aujourd’hui âgé de 65 ans, et Herman Wallace, 70 ans, sont toujours détenus à l’isolement, et aujourd’hui dans deux prisons louisianaises distinctes. Ils passent 23 heures par jour dans une petite cellule, seuls. Lorsqu’ils étaient à Angola, ces hommes communiquaient par l’intermédiaire d’autres prisonniers, au moyen de petits mots ou tout simplement en échangeant des cris, quand ils le pouvaient.

Le 17 avril 2012, 40 ans jour pour jour après le placement à l’isolement des Trois d’Angola, le gouverneur de Louisiane s’est vu remettre une pétition signée par plus de 67 000 personnes de plus de 125 pays réclamant que soit mis fin au régime d’isolement cellulaire d’Albert Woodfox et Herman Wallace. Le combat pour leur libération se poursuit.

Albert Woodfox, Herman Wallace et Robert King expliquent ici comment ils survivent à l’isolement et poursuivent leur lutte pour la justice.

Robert King

« Je sais que la pression de l’opinion est efficace » Robert KING

« Je sais que la pression de l’opinion est efficace et que la position du public compte. J’ai vu ces forces à l’oeuvre dans les tribunaux. J’ai vu qu’elles pouvaient faire pencher la balance, au moment décisif, pour ceux qui prononcent un jugement, une condamnation, une peine. Je les ai vues aussi à l’oeuvre dans les médias, lorsqu’ils se font l’écho d’histoires qui doivent être racontées. Les autorités doivent savoir que les gens les ont à l’oeil et qu’elles sont responsables de leurs actes devant nous, le peuple.

Depuis plus de 11 ans, depuis ma libération en 2001 après 31 années passées au pénitencier d’Angola (dont 29 à l’isolement cellulaire), je fais campagne pour que justice soit rendue à Herman et Albert et contre un système judiciaire cruel et immoral qui torture et incarcère à tort des milliers de personnes. J’ai voyagé dans plus de 40 pays et parlé à des milliers de jeunes, à des étudiants, à des responsables politiques, à des ONG, à des avocats et à des gens qui luttent pour la justice sociale. J’ai fait l’expérience de la torture illégale et inhumaine que subissent Herman et Albert sur le sol américain, et je continuerai à dénoncer l’injustice partout où elle se manifestera.

Mardi 17 avril, sur les marches du Capitole de l’État de Louisiane, à Baton Rouge, j’ai ressenti la puissance du peuple, de tous ces gens qui ont soutenu les Trois d’Angola au fil des ans. Nous avons remis au gouverneur Jindal une pétition portant plus de 65 000 signatures, réclamant que soit immédiatement mis fin au régime d’isolement cellulaire de Herman et Albert.

On ne pouvait pas nous ignorer – les médias étaient là, et les associations étaient avec nous pour nous soutenir. Amnesty a marqué la journée de sa présence. Pour moi, c’était une journée douce-amère, amère en raison de la profonde tristesse qui l’accompagnait, mais douce si l’on songeait qu’elle était le point d’orgue de tant d’années d’efforts et de luttes. Le vent tourne et l’heure du changement a sonné. Nous avons le vent dans le dos et nous devons continuer à avancer…

Le combat pour la justice est sans fin… le combat pour libérer Herman, Albert et tous les prisonniers politiques continue. »

Albert Woodfox

« C’est la douleur qui me permet de savoir que je suis en vie » Albert Woodfox

« À l’heure où nous commémorons notre 40e année de détention dans une cellule 23 heures par jour, je voudrais dire quelques mots sur la vie à l’isolement.

Je ne suis autorisé à sortir de mon univers de deux mètres sur trois que pour une heure d’exercice. C’est mon lot quotidien depuis 40 ans. Aucun mot ne peut décrire la douleur et la souffrance que j’éprouve.

En toute franchise, je ne connais pas l’étendue des dégâts causés par ce traitement, mais je sais que c’est la douleur qui me permet de savoir que je suis en vie. Si je m’attardais sur la souffrance endurée et que je me mettais à penser aux conséquences de ces 40 années passées dans une cage, 23 heures par jour, la folie tiendrait la victoire qu’elle cherche depuis 40 ans. Je n’ai pas de mots pour exprimer les années de torture mentale, affective et physique que j’ai subies. Je vous demande de vous imaginer un instant au bord du néant, face au vide – c’est à devenir fou ! Se battre pour l’humanité ! Tout en étant poussé vers l’abîme par les vents de la cruauté humaine, sans voir le bord !

Des hommes et des femmes du monde entier se sont joints à l’appel pour que justice soit rendue aux Trois d’Angola. Je suis honoré et touché qu’Amnesty International se soit associée à cet appel. Pour les Trois d’Angola, pour toutes les personnes emprisonnées aux États-Unis et dans le monde entier en raison de leurs opinions, de leurs actes ou de leurs convictions politiques !

Je tiens donc bon, trouvant chaque jour la force de me battre pour la vie. »

Herman Wallace

« Pour survivre à l’isolement, il faut avoir assez de volonté pour supporter ces tortures infligées avec l’assentiment de l’État ». Herman Wallace

« Le 17 avril, cela fera 40 ans que nous aurons été incarcérés à l’isolement. Rien n’a changé pour Albert et moi, ni pour les centaines de milliers de détenus des prisons américaines.

Mais cela n’importe pas aux politiciens qui donnent des leçons de droits humains au reste du monde, ni aux directeurs non élus des prisons américaines, qui nous obligent à rester dans des cellules de deux mètres sur trois 23 heures par jour, alors que nous avons été condamnés sans preuve pour un crime dont nous sommes en réalité innocents.

Survivre à l’isolement cellulaire, c’est survivre à la menace quotidienne de violences sadiques, à la destruction de vos effets personnels, à l’enfermement dans un cachot ou au transfert dans une unité psychiatrique où les hommes hurlent, jurent et se jettent des excréments à la figure. Pour survivre à l’isolement, il faut avoir assez de volonté pour supporter ces tortures infligées avec l’assentiment de l’État. Les juges de l’État comme les juges fédéraux connaissent l’existence de ces salles de torture illégales, et pourtant les tolèrent.

Votre condamnation morale et l’action que vous accomplissez en signant la pétition d’Amnesty pèsent lourd dans la balance. Il nous faut envoyer un message clair aux autorités en leur disant qu’il n’est pas acceptable de nous maintenir ainsi à l’isolement cellulaire depuis 40 ans. Nous souhaitons vous remercier, Amnesty International et vous, pour tout ce que vous faites, et vous demander de nous rejoindre dans notre lutte pour la justice, qui dure depuis quatre décennies. »

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