Ferguson — Que le monde sache que la vie des noirs compte

Alors qu’Amnesty USA a dépêché sur place, à Ferguson, des bénévoles pour surveiller les manifestations et la manière dont les autorités les encadrent, Larry Fellows, jeune leader de la société civile et des groupes jeunes d’Amnesty, nous raconte son combat au quotidien.

Par : Larry Fellows III, organisateur et leader à Ferguson

La fumée suffocante remplit le ciel de la nuit ; des explosions sonores font trembler les rues en béton noir pendant que des cris intenses d’hommes, de femmes et d’enfants résonnent dans l’air comme dans une superproduction hollywoodienne. Mais nous ne sommes pas dans un film de Michael Bay. Nous sommes dans la vraie vie, un lundi soir, le 18 août 2014, à Ferguson. C’est ma vie. La fumée des gaz lacrymogènes remplit l’air, les explosions sonores proviennent des véhicules blindés qui s’approchent des manifestants et envoient les bombes lacrymogènes. Les hommes, les femmes et les enfants ici présents sont mes amis, mes voisins, des résidents de Saint Louis, dans le Missouri. Nous sommes tous dans les rues depuis plus d’une semaine pour exiger des comptes.


©Scott Olson/Getty Images

Une voix grave résonne depuis le toit de l’une des voitures blindées : "s’il vous plaît, retournez chez vous." Mais C’EST CHEZ MOI. C’est ici que je suis né, que j’ai pêché avec mon grand-père au parc January-Wabash quand j’étais petit, ici que j’ai été diplômé de Hazelwood East, que j’ai porté fièrement mon chapeau à l’effigie des Cardinals de St. Louis. Alors, quand on me dit de rentrer chez moi, qu’est ce que cela signifie exactement ?

Lorsque les émeutes ont été réprimées par l’intimidation et que des armes militaires ont été pointées vers les manifestants non-violents, j’ai commencé à me demander pourquoi ils ne voulaient pas que nos voix soient entendues. Quand des Noirs périssent par la main de la police à un rythme alarmant, nos voix ne devraient-elles pas compter ? Dans un premier temps, le 10 août, je suis allé présenter mes condoléances à la famille de Mike Brown et leur montrer que nous sommes tous dans le même bateau. Ce dimanche soir m’a ouvert les yeux sur la façon dont la vie des Noirs est considérée par le système et sur l’importance de notre droit, en tant qu’être humain, à manifester pacifiquement dans les rues. C’est pourquoi j’ai continué de protester. Malgré l’agressivité dont ont fait preuve les forces de l’ordre, nos vies comptent assez pour moi et d’autres personnes que pour descendre dans les rues et dire « ça suffit, assez c’est assez ».

C’est quand Amnesty est arrivée à QuikTrip, notre QG, que la gravité de la façon dont nous étions traités m’a vraiment frappé. Le fait qu’Amnesty doive être là pour observer et protéger le droit de manifester de manière pacifique m’a montré à quel point notre lutte est connectée à d’autres, et ce, partout dans le monde.

Depuis plus de 50 ans, Amnesty International se bat pour s’assurer que chaque être humain puisse jouir de ses droits et être ce qu’il veut, peut et devrait être. Mes parents m’ont inculqué le respect de moi-même mais aussi celui des autres, quelle que soit leur origine. C’est pourquoi je défends les droits de tout le monde et je suis très heureux de devenir l’un des jeunes leaders.

Pendant plus de 120 jours, j’ai travaillé activement à rendre justice à Mike Brown et à d’autres Afro-américains qui ont péri par la main des forces de l’ordre. J’ai commencé par une simple présence à une veillée tenue par la famille de Mike Brown pour évoluer vers d’infatigables heures de protestation avec des gens qui sont maintenant devenus des amis pour la vie, ma « famille du mouvement ». Que se soit pour distribuer des vivres comme l’eau et la nourriture, du matériel de protection contre les gaz lacrymogènes, ou encore me soulever contre les forces de l’ordre pour notre droit à élever notre voix pacifiquement, je me suis nourri de l’injustice qui a frappé les Noirs. J’ai continué jour après jour, oubliant de manger ou dormant très peu voire pas du tout. Je dois me battre, je dois élever ma voix, je dois protester contre tout ça.

À chaque instant, je suis conscient que je proteste contre ces fonctionnaires qui sont censés nous protéger et nous servir, et ce, parce qu’ils ont échoué dans leur travail au service de la communauté. Je proteste parce que je veux voir des officiers qui s’identifient aux collectivités qu’ils servent, et qui respectent les droits humains de ceux qu’ils sont censés protéger. La couleur de ma peau ne devrait pas être considérée comme une menace ou justifier l’usage des armes ; le sang qui coule dans mes veines n’est pas différent de celui d’un d’autre. Les enfants devraient pouvoir marcher dans les rues ou jouer au ballon dans leurs quartiers sans être harcelés. La voix de la communauté devrait prévaloir sur la manière dont elle est contrôlée.

Ma lutte personnelle à Ferguson et dans la région de St. Louis a suscité ma passion et mon respect pour toute vie humaine et droit humain. J’ai acquis des connaissances et des compétences dont je n’aurais jamais cru avoir besoin. Maintenant, je veux aider en informant le monde de ces problèmes et de la signification réelle de cette lutte. En tant que jeune leader, je tiens à encourager les communautés, petites et grandes, à s’organiser et à faire pression en vue d’un changement au niveau local, national et international, à s’engager viscéralement et à vouloir systématiquement changer les choses. Je veux que les gens de ces communautés, dont les revendications sont tombées aux oubliettes, m’apprennent à m’assurer que leur présence compte et que leurs voies soient entendues. Je veux que notre travail compte.

Je veux que le monde sache que la vie des Noirs compte (#BlackLivesMatter) et je veux que vous nous aidiez à faire passer ce message. Je veux que vous ayez des discussions difficiles et inconfortables avec vos amis, votre famille et votre communauté sur la race et les droits humains. Je veux que le clergé parle à ses communautés religieuses et que les enseignants discutent avec leurs élèves du profilage racial et de la brutalité policière. Je veux que vous preniez part aux actions sur les réseaux sociaux et en ligne. Je veux que vous manifestiez votre colère et votre solidarité dans les rues et dans les allées du pouvoir.

Je veux que vous nous rejoigniez, ce mouvement et moi, pour construire un monde juste et équitable où les jeunes Noirs n’ont pas à craindre pour leur vie. Un monde où la justice n’est pas reléguée à un signe, mais imprégnée des expériences vécues par tous. Je veux que vous vous leviez avec moi pour prendre position pour les droits humains et la dignité pour tous.

(Article traduit de l’anglais par Lola Smets. Tiré du blog Livewire Amnesty : http://blog.amnestyusa.org/us/this-...

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