France, des violences policières liées au confinement

France

Amnesty International a authentifié quinze vidéos d’usage illégal de la force et/ou de propos discriminatoires de la part des forces de l’ordre dans quatorze villes de France, pendant la période de confinement du 18 mars à la nuit du 24 au 25 avril. Toutes ces vidéos illustrent des cas de violations du droit international relatif aux droits humains : usage illégitime, excessif ou non-nécessaire de la force, insultes racistes ou homophobes. Ce travail de recherche a été réalisé avec la plateforme « Evidence Lab » d’Amnesty International, permettant des enquêtes pointues sur les droits humains au moyen de ressources en libre accès.

Le travail des forces de l’ordre est complexe et difficile, et heureusement une grande partie des contrôles se déroule dans le respect des droits. Néanmoins, notre méthodologie d’analyse d’événements filmés a révélé quinze cas préoccupants - une liste non-exhaustive - de contrôles et d‘interpellations entrainant un usage illégal de la force, et / ou des propos discriminatoires. Ces exemples nous amènent à exprimer à nouveau nos préoccupations, déjà portées de longue date, sur plusieurs tendances inquiétantes : un usage de la force non-justifié et utilisé comme punition, s’apparentant dès lors à des traitements cruels, inhumains et dégradants ; l’usage de techniques dangereuses ; des propos à caractère discriminatoire lors d’opérations de police. La gravité des faits constatés, leur répétition en différents endroits du territoire, montrent qu’il ne s’agit pas de comportements isolés. Ils appellent à une réaction immédiate, globale et concrète des pouvoirs publics.

Des vidéos qui montrent l’usage illégal de la force par la police française pendant le confinement

Dans sept des vidéos analysées par Amnesty International, un ou plusieurs membres des forces de l’ordre portent des coups aux personnes contrôlées ou arrêtées : coups de pied, de poing, ou à l’aide d’un objet. Dans quatre situations, ces coups étaient portés alors que les personnes étaient au sol. Dans aucune de ces situations le fait de porter des coups ne peut se justifier par un objectif opérationnel légitime. Ainsi, à Toulouse, dans la nuit du 24 au 25 avril, un homme a été frappé à plusieurs reprises, à l’aide d’une muselière, sur la tête et la nuque, alors qu’il ne présentait aucun signe d’agressivité au moment des faits, et qu’il était plaqué au sol. Tout en le frappant, les policiers lui donnent des ordres (« couche toi », « mets tes mains dans le dos »). Le fait de frapper un individu pour qu’il obtempère n’est pas conforme au droit international car ce n’est ni nécessaire ni proportionné.

Dans plusieurs cas, il semble que le contexte antérieur à l’interpellation filmée est invoqué pour justifier les coups portés. Aux Ulis, Sofiane, qui a été conduit sous un porche et frappé alors qu’il était allongé à terre, aurait dans un premier temps fui le contrôle de police [1]. En aucun cas il ne peut être considéré comme légitime que les forces de l’ordre utilisent la force comme punition corporelle. Les infractions et délits commis par les personnes ne peuvent faire l’objet de punitions que dans un cadre légal, c’est-à-dire via une décision administrative ou judiciaire (selon le contexte) et avec un accès à une procédure équitable.

Dans deux vidéos analysées, la police aurait eu recours au taser. L’une d’elles montre l’arrestation d’un homme à Villeneuve Saint Georges, contrôlé alors qu’il était sorti réparer sa voiture le 7 avril [2]. Son certificat médical, auquel Amnesty International a eu accès, fait état de coups et blessures volontaires et de « lésions sur le membre inférieur gauche compatible avec des lésions de taser »[3]. Il a été « tasé » à plusieurs reprises alors qu’il était plaqué au sol par des agents. L’usage de la force n’apparait donc pas nécessaire. En outre, le taser semble avoir été utilisé en mode « contact », un mode dont le seul effet est d’infliger de la douleur, ce qui n’est pas un objectif légitime. Amnesty international recommande l’interdiction de l’utilisation des tasers en mode contact [3].

Dans chacun de ces cas, l’objectif de l’usage de la force semble davantage de punir la personne, ce qui n’est pas légitime. De plus, cela n’est pas nécessaire, car d’autres moyens sont disponibles : de la négociation à l’usage d’une force plus faible visant spécifiquement à obtenir l’objectif visé (fouille de la personne pour obtenir des papiers, techniques de contrôle pour la menotter). Enfin, porter des coups pour obtenir qu’une personne, déjà maitrisée, obtempère est disproportionné car il s’agit d’actes dégradants et pouvant causer des blessures.

Dans plusieurs cas analysés, la personne interpellée est plaquée au sol, dont des plaquages sur le ventre dans au moins cinq cas, de façon plus ou moins brève, avec plus ou moins de pression. Ainsi, à Toulouse, l’homme interpellé dans la nuit du 24 au 25 avril a été plaqué au sol et menotté les bras dans le dos. Sur les 30 dernières secondes de la vidéo, il est maintenu allongé sur le ventre, menotté les mains dans le dos, avec un policier qui lui appuie sur le torse avec son genou pour le plaquer au sol. On ne sait pas combien de temps il est maintenu dans cette position.

Amnesty International a dénoncé à plusieurs reprises les dangers liés au plaquage ventral, qui crée un risque d’asphyxie positionnelle [4] et présente donc un risque létal. Suite au décès de Cédric Chouviat après qu’il ait subi une clé d’étranglement et un plaquage ventral en janvier dernier, Amnesty international a demandé la suspension de l’utilisation de cette technique en France, compte tenu de la répétition des décès liés à son utilisation.

Une autre vidéo parmi celles que nous avons analysées montre l’arrestation du journaliste Taha Bouhafs le 19 avril à Villeneuve-la-Garenne [5], alors qu’il couvrait, avec d’autres collègues, des affrontements entre forces de l’ordre et des jeunes. On y voit le journaliste se faire menotter de manière assez vive par deux membres des forces de l’ordre, alors qu’il ne présentait pas de menace. L’usage de la force à l’encontre des journalistes alors qu’ils sont en train d’exercer leur métier est particulièrement inquiétant car il constitue une entrave à la liberté de la presse, et une atteinte à la liberté d’expression.

Des injures homophobes et racistes de la part des forces de l’ordre

Deux vidéos analysées permettent d’entendre les policiers formuler des injures à caractère discriminatoire. A Torcy, le 19 mars, un policier échange des insultes avec un voisin qui observait la scène. Le policier tient des propos aux caractères homophobe (« tafiole », « baltringue ») et discriminatoire (« rentre dans ton pays ») [6].

Le 26 avril, à l’Île- Saint- Denis, un policier qualifie la personne interpellée de « bicot » et indique « qu’il aurait fallu lui accrocher un boulet au pied » alors même que cette personne venait d’être récupérée de la Seine [7].

S’agissant de ce second cas, les autorités françaises ont immédiatement réagi, et de façon appropriée, en dénonçant publiquement les propos tenus, en prenant des mesures hiérarchiques de suspension des policiers concernés et du point de vue judiciaire en procédant à l’ouverture d’une enquête par le Procureur de la République, confiée à l’Inspection générale de la police nationale. Lorsqu’ils émanent de représentant des forces de l’ordre, les propos discriminatoires ont une influence particulièrement néfaste sur le respect des droits humains dans leur ensemble. Ils vont à l’encontre des mesures mises en œuvre par l’État dans le cadre de son obligation de lutter contre toutes les formes de discriminations. De tels propos sont susceptibles de créer un sentiment de méfiance envers la police de la part des groupes visés. De ce fait, les victimes d’actes ou d’infractions à caractère discriminatoires peuvent être moins enclines à porter plainte auprès de la police et obtenir à terme réparation.

Même dans le cas où le policier fait lui-même l’objet d’insultes de la part d’un tiers, il ne doit pas répondre par des insultes ou par l’usage de la force. Si besoin, ils peuvent envisager de recourir aux moyens procéduraux appropriés (plainte en matière civile – en droit international, l’outrage est un terme trop large pour être sanctionné au pénal sans constituer une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression). Seules des menaces ou violences physiques à son encontre peuvent justifier un usage de la force, en dernier recours et de manière proportionnée.

L’usage illégal de la force ou les discriminations de la part des forces de l’ordre, et toute forme d’impunité en cas de violations des droits humains, contribuent à altérer la confiance de la population en la police. Cette perte de confiance est particulièrement problématique dans un contexte de lutte contre une pandémie, où la confiance dans les autorités est un élément important pour la mise en œuvre des mesures de protection du droit à la santé. Une approche visant à la compréhension et l’acceptation des mesures de confinement est en général plus efficace qu’une approche répressive rigoureuse qui risque de contribuer à une augmentation des tensions et un rejet de ces règles.

Dans leur ensemble, les vidéos analysées démontrent une approche particulièrement répressive de la part des autorités qui est très préoccupante.

Nos recommandations

Amnesty International appelle les autorités françaises à réagir de façon systématique à toute situation révélant des propos et des pratiques discriminatoires de la part de certains membres des forces de l’ordre. La condamnation publique de ces comportements, l’adoption de mesures disciplinaires à titre conservatoire et l’ouverture d’enquêtes judiciaires sont les mesures indispensables pour lutter contre toutes formes de discriminations et toute forme d’impunité.

Elles constituent des éléments-clés de l’obligation incombant aux États de s’engager « à poursuivre par tous les moyens appropriés et sans retard une politique tendant à éliminer toute forme de discrimination raciale » conformément à l’article 2 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale de 1965, ratifiée par la France.

Compte tenu de la gravité des violations constatées dans les vidéos authentifiées, Amnesty international France appelle les pouvoirs publics à réagir et à prendre des mesures pour prévenir les cas d’usage illégal de la force et de discrimination. Des instructions claires doivent être données aux agents déployés sur le terrain pour rappeler les conditions de l’usage de la force et le risque de sanctions en cas de non-respect de ce cadre légal. Tous ces cas de violations des droits humains doivent faire l’objet d’enquêtes indépendantes, impartiales et efficaces, afin de garantir aux victimes un accès à la justice.

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