Des accusations motivées par des considérations politiques pour les « prisonniers de Bolotnaïa »

Près de trois ans après la manifestation de la place Bolotnaïa à Moscou le 6 mai 2012, les enquêtes pénales ouvertes contre des manifestants sont toujours en cours et de nouvelles arrestations continuent d’avoir lieu. Le 7 avril 2016, Maxime Panfilov, un habitant d’Astrakhan âgé de 30 ans, a été arrêté pour participation à une émeute de grande ampleur et pour avoir fait usage contre un policier de « la force sans mettre en péril la vie ou la santé », et il risque des peines maximales de huit et cinq ans d’emprisonnement respectivement pour ces deux infractions présumées. Il a immédiatement été envoyé par avion à Moscou, et le lendemain un juge du tribunal du district de Basmanny, à Moscou, a ordonné son placement en détention jusqu’au 7 juin.

Amnesty International considère que les accusations de participation à une émeute en lien avec la manifestation de la place Bolotnaïa du 6 mai 2012 sont motivées par des considérations politiques, et craint que le droit de Maxime Panfilov à un procès équitable n’ait été violé. Il a été privé d’avocat au cours du premier interrogatoire d’une importance cruciale mené durant sa détention, et il a été incarcéré sans que soient envisagées des solutions de remplacement malgré ses problèmes de santé, en violation de la législation russe et du droit international et des normes internationales relatifs aux droits humains. De plus, Maxime Panfilov a été privé, à la suite de son arrestation, de ses médicaments habituels, ce qui pourrait constituer un traitement cruel, inhumain ou dégradant.

Des accusations motivées par des considérations politiques

Amnesty International s’est par le passé déjà dite préoccupée par le fait que les poursuites judiciaires engagées dans l’affaire Bolotnaïa sont motivées par des considérations politiques et visent à dissuader les gens de participer à des mouvements de protestation ou à des activités d’opposition. La plupart des violences qui ont été commises au cours de la manifestation sont imputables aux policiers, qui ont utilisé une force excessive contre des manifestants pacifiques pour la plupart, ou sont dues au fait que la police n’a pas laissé entrer sur la place ceux qui le voulaient conformément aux arrangements qui avaient été préalablement conclus avec les organisateurs. Malgré cela, aucun policier n’a fait l’objet d’une enquête pour recours excessif à la force.

Les autorités ont tenu à qualifier les événements du 6 mai 2012 d’« émeute de grande ampleur », alors que des témoignages et des analyses réalisées par des experts indiquent clairement qu’il s’est agi d’une manifestation pacifique au cours de laquelle ont eu lieu des épisodes isolés de violences parfois graves.

Amnesty International estime que les poursuites judiciaires qui sont en cours contre des manifestants et liées aux événements de la place Bolotnaïa ont été engagées pour des motifs politiques. Les accusations portées contre ces personnes résultent du fait que ces événements ont été qualifiés d’« émeute de grande ampleur » contrairement à la réalité des faits, et violent leur droit à la liberté de réunion pacifique.

Interrogatoire mené en l’absence d’un avocat

En violation des dispositions du Code de procédure pénale russe et des normes internationales relatives à l’équité des procès, selon les déclarations de Maxime Panfilov, l’avocat commis d’office qui lui avait été assigné a été absent pendant toute la durée de l’interrogatoire, et il n’est arrivé qu’à la fin. L’avocate qu’il avait choisie n’a pas été autorisée à être présente lors de l’interrogatoire. Elle s’est rendue au centre de détention pour le voir dans la nuit du 7 avril, mais le directeur de la prison l’a renvoyée au motif qu’il était trop tard pour rendre visite à un client. Maxime Panfilov n’a pu voir l’avocate qu’il avait choisie que dans la salle du tribunal. Le parquet a déclaré devant la cour qu’il avait partiellement admis sa culpabilité au cours de son interrogatoire. Le 8 avril, l’avocate choisie par Maxime Panfilov a contesté cette déclaration et indiqué à la presse que ce dernier avait seulement admis avoir été présent sur la place Bolotnaïa au moment des faits, et avoir « tenu un casque de policier » (les manifestants se passaient les casques perdus par les policiers sur la place Bolotnaïa), mais n’avait pas admis avoir utilisé la violence. L’avocate a dit craindre que Maxime Panfilov n’ait été induit en erreur par l’avocat commis d’office.

Violation de la présomption d’innocence

Comme il est d’usage dans les salles de tribunal en Russie, Maxime Panfilov a été placé dans une cage métallique au cours de l’audience. Son avocate a demandé qu’il soit sorti de la cage, mais sa requête n’a pas été acceptée. La Cour européenne des droits de l’homme a estimé que le fait de placer des personnes dans une cage dans une salle de tribunal a une forte dimension théâtrale et représente un rituel d’humiliation, et que cela n’est pas compatible avec les garanties d’un procès équitable. Le fait de placer un suspect dans une cage crée une impression de culpabilité qui n’est pas compatible avec le principe de présomption d’innocence et qui peut avoir un impact sur l’impartialité du tribunal.

Préoccupations en matière de santé

Maxime Panfilov souffre du syndrome de Gilles de la Tourette et a besoin de doses quotidiennes d’un tranquillisant qui lui permet de fonctionner et de dormir correctement. À la suite de son arrestation inattendue à Astrakhan, il a été transféré à Moscou sans qu’il ait eu la possibilité de se préparer pour son incarcération, notamment sans qu’il ait pu emporter avec lui les médicaments qui lui sont prescrits. Lors de l’audience au tribunal du district de Basmanny, des observateurs ont signalé qu’il n’arrivait pas à se concentrer et qu’il avait du mal à répondre aux questions, ce qui semble résulter directement du fait qu’il n’a pas pu prendre régulièrement ses médicaments. À un moment donné, son avocate a demandé une pause au cours de l’audience et ensuite elle a répondu aux questions du juge pour le compte de son client. Le fait de le priver de ses médicaments et de ne pas lui permettre de bénéficier des soins de santé dont il a besoin durant sa détention peut constituer un traitement cruel, inhumain ou dégradant et une violation du droit à la santé.

Décision de placement en détention en violation de la législation russe et des normes internationales relatives aux droits humains

Lors de l’audience d’examen du maintien en détention, la juge a rapidement accepté la requête de placement en détention de Maxime Panfilov présentée par le service d’enquête, indiquant dans sa décision qu’il n’existait « aucune raison de choisir une mesure non privative de liberté ».

Les normes internationales relatives aux droits humains prévoient que la détention ne doit être utilisée que dans les cas où il existe un risque important de fuite, d’atteinte à autrui ou d’ingérence dans les éléments de preuve ou dans l’enquête. Aux termes de la législation russe, le juge est chargé d’examiner et de reconnaître la nécessité d’un placement en détention, et non l’absence de motifs justifiant des mesures non privatives de liberté, et peut recourir à des mesures non privatives de liberté. Au titre de l’article 100 du Code de procédure pénale de la Fédération de Russie, les mesures restrictives doivent être appliquées « à titre exceptionnel  », et l’article 108 dispose que les mesures de privation de liberté ne doivent être appliquées que « quand il est impossible d’appliquer d’autres mesures restrictives moins sévères  ». De plus, la loi oblige le juge à examiner et préciser les « circonstances factuelles et spécifiques » justifiant la détention. Cependant, la détention provisoire est extrêmement fréquente en Russie, et, comme cela a été le cas pour Maxime Panfilov, les juges s’empressent souvent d’approuver la demande de placement en détention des services d’enquête, sans étudier les autres possibilités ni justifier la nécessité et la proportionnalité de ce choix.

Complément d’information

Le 6 mai 2012, des dizaines de milliers de personnes ont défilé dans le centre de Moscou et voulu se rassembler sur la place Bolotnaïa pour protester contre les résultats contestés de l’élection à l’issue de laquelle Vladimir Poutine a été réélu au poste de président de la Russie. La plupart d’entre elles n’y sont pas parvenues.

Ne tenant aucun compte des arrangements conclus avec les organisateurs de la manifestation, la police a bloqué deux des trois points d’accès à la place et réduit la largeur du troisième. La pression exercée contre le cordon de police s’est inévitablement accrue. Quand le cordon a finalement été brisé, avec des cas isolés de violence, les policiers ont commencé à disperser de façon violente les manifestants. Au cours des quelques heures qui ont suivi, la police a utilisé une force excessive et souvent recouru arbitrairement à la force pour arrêter et retenir les manifestants, dont la plupart étaient pacifiques. Des actes de violence isolés, graves dans certains cas, ont été commis par un petit nombre de manifestants, et des policiers ont ainsi été blessés. Des centaines de personnes ont été arrêtées sur les lieux de la manifestation, et la majorité d’entre elles ont été remises en liberté sans inculpation.

La Commission présidentielle des droits humains a analysé des séquences vidéo des événements du 6 mai et conclu qu’il ne s’agissait pas d’une émeute de grande ampleur, et que les affrontements entre la police et des manifestants avaient été provoqués par des initiatives de la police.

La Cour européenne des droits de l’homme a estimé dans l’affaire Frumkin c. Russie que les autorités, en réprimant la manifestation de la place Bolotnaïa, avaient violé le droit à la liberté de réunion pacifique. Elle a en outre jugé que les troubles à l’ordre public ont découlé du fait que les autorités n’ont pas communiqué de façon adéquate avec les organisateurs de cet événement, plutôt que des agissements des manifestants.

Jusqu’à présent, 11 personnes ont eu à purger une peine d’emprisonnement et six sont toujours derrière les barreaux. La plupart de ces personnes étaient des manifestants pacifiques et elles n’auraient dès lors jamais dû être jugées. Deux des actuels « prisonniers de Bolotnaïa  », les militants politiques Sergueï Oudaltsov et Leonid Razvozjaïev, n’ont pas participé aux mouvements de protestation du 6 mai 2012, mais ils ont été déclarés coupables d’avoir organisé une manifestation violente. Deux autres hommes sont actuellement en détention provisoire. L’un d’eux est Maxime Panfilov. Le second, Dimitri Boutchenkov, accusé de participation aux violences commises sur la place Bolotnaïa, a été arrêté à Moscou le 3 décembre 2015, mais il nie avoir participé de quelque manière que ce soit à la manifestation du 6 mai 2012 place Bolotnaïa. Plusieurs autres personnes inculpées d’infractions en lien avec cette manifestation ont été maintenues en détention ou placées en résidence surveillée pendant plusieurs mois en 2012-2013 avant d’être mises hors de cause avant toute condamnation. Le 22 décembre 2015, Ivan Nepomnyachtchikh, 25 ans, a été condamné à une peine de deux ans et demi d’emprisonnement pour participation à une émeute de grande ampleur. Il a été accusé d’avoir frappé un policier avec un parapluie, alors même qu’une séquence vidéo présentée à titre de preuve a montré qu’il n’avait pas de parapluie et qu’il tentait d’éviter les coups de matraque assénés par un policier.

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