Des millions de victimes toujours dans l’attente de la vérité

Malgré les engagements répétés du président Joko Widodo de faire face aux violations des droits humains commises en 1965 – exécutions extrajudiciaires, disparitions forcées et torture notamment – des millions de victimes et leurs familles attendent toujours, un demi-siècle plus tard, vérité, justice et réparations. À l’occasion du 51e anniversaire de ces violations, Amnesty International, Asia Justice and Rights (AJAR), East-Timor and Indonesia Action Network (ETAN), La’o Hamutuk, TAPOL, Watch Indonesia ! et Yayasan HAK, demandent aux autorités indonésiennes de ne pas s’en tenir à l’exercice rhétorique. Nous les engageons à prendre des mesures concrètes afin de lutter contre l’impunité pour ces crimes, conformément au droit international et aux normes internationales.

En août 2015, dans son discours délivré lors de la Journée d’indépendance, le président Joko Widodo a annoncé la création d’un mécanisme non judiciaire, un « comité de réconciliation », afin de « résoudre » toutes les violations des droits humains commises par le passé, pour que les « générations futures en Indonésie n’aient plus à porter le fardeau de l’histoire ». Cependant, les victimes et les ONG craignent que ce mécanisme n’accorde la priorité à la réconciliation, au détriment de la vérité et de la justice.

Nos organisations estiment que la mise sur pied d’un mécanisme non judiciaire pour faire la lumière sur les violations commises par le passé ne dédouane pas l’Indonésie des obligations qui lui incombent au titre du droit international. Ces obligations consistent à enquêter et, s’il existe suffisamment de preuves recevables, à poursuivre les auteurs présumés de violations des droits humains et de crimes de droit international dans le cadre de procès équitables, sans recourir à la peine de mort. Si ce processus n’est pas mis en œuvre, les victimes n’auront pas de recours effectif et seront privées de leur droit à des réparations adaptées. En outre, cela risque d’éroder la confiance de la population dans la détermination des autorités à lutter contre la culture générale de l’impunité en Indonésie et d’adresser le message erroné selon lequel il est possible de commettre de tels actes sans être inquiété.

En avril 2016, le gouvernement a lancé une initiative positive et organisé une conférence sur les violations des droits humains de 1965. Elle a rassemblé des victimes, des universitaires, des militants des droits humains, des artistes, des représentants de l’armée et du gouvernement indonésiens afin de témoigner sur les événements qui se sont déroulés en Indonésie à cette époque. Hélas, au terme de cette conférence, les autorités n’ont pas réussi à élaborer une marche à suivre afin d’en finir avec l’impunité pour les violations massives des droits humains de 1965 et ont même écarté l’éventualité de présenter des excuses publiques pour le rôle qu’elles ont joué dans ces crimes.

Par la suite, la volonté du gouvernement de faire face aux violations commises par le passé a été accueillie par un regain de scepticisme, lorsque le président Joko Widodo a nommé le général Wiranto au poste de ministre coordinateur des Affaires politiques, de la Justice et de la Sécurité en juillet 2016. En effet, Wiranto a été inculpé de crimes contre l’humanité par un tribunal parrainé par l’ONU au Timor oriental et désigné comme suspect dans l’enquête diligentée en 1999 par la Commission nationale des droits humains (la Komnas HAM) pour les violations flagrantes des droits fondamentaux qui ont eu lieu au Timor oriental en marge du référendum de 1999. À ce jour toutefois, il n’a jamais été poursuivi en Indonésie.

Amnesty International, Asia Justice and Rights (AJAR), East-Timor and Indonesia Action Network (ETAN), La’o Hamutuk, TAPOL, Watch Indonesia ! et Yayasan HAK exhortent les autorités indonésiennes à faire face aux violations massives de 1965 en garantissant les droits à la vérité, à la justice et à des réparations. Poursuivre en justice les responsables de violations des droits humains et de crimes relevant du droit international adressera un message fort quant à l’engagement de l’Indonésie envers la justice et l’état de droit, et renforcera les initiatives des victimes et de leurs familles qui luttent depuis des années pour que les auteurs présumés des crimes graves commis dans différentes régions du pays aient à rendre des comptes.

Complément d’information

On estime qu’entre 500 000 et un million de personnes ont été victimes d’homicides illégaux, et des centaines de milliers d’autres détenues sans jugement pendant des périodes allant de quelques jours à plus de 14 ans, lors de l’offensive systématique lancée par l’armée indonésienne contre les membres du Parti communiste indonésien (PKI) et ses sympathisants présumés. Lors de leurs investigations, la Commission nationale des droits humains (Komnas HAM) et d’autres organisations de défense des droits humains ont recueilli des informations sur un grand nombre d’atteintes à ces droits commises durant cette période : homicides illégaux, actes de torture, disparitions forcées, viols, esclavage sexuel et autres violences sexuelles, esclavage, arrestations et placements en détention arbitraires, déplacements forcés ou encore travaux forcés. Bon nombre de victimes et leurs familles ont également vu leurs droits sociaux, économiques et culturels bafoués. Aujourd’hui encore, elles sont victimes de discrimination en droit et en pratique.

La Komnas HAM a mené pendant trois ans une enquête sur les violations des droits humains commises en 1965, qu’elle a achevée en juillet 2012. Elle affirme que les éléments découverts correspondent à de graves violations des libertés fondamentales, notamment des crimes contre l’humanité, comme définies par la Loi n° 26/2000 sur les tribunaux des droits humains. À ce jour cependant, rien n’indique que les autorités ont décidé d’ouvrir une information judiciaire. Parallèlement, les initiatives visant à établir la commission vérité au niveau national sont au point mort, en raison d’une absence de volonté politique.

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