communiqué de presse

Égypte. Une génération de jeunes militants sous les verrous

L’offensive des autorités égyptiennes contre la jeunesse militante est une manœuvre visant à écraser la pensée des jeunes esprits les plus courageux et les plus brillants du pays, et à tuer dans l’œuf toute menace future pour leur régime, écrit Amnesty International dans un nouveau rapport publié mardi 30 juin.

Intitulé Generation Jail : Egypt’s youth go from protest to prison, ce document présente les cas de 14 jeunes parmi les milliers qui sont arrêtés de manière arbitraire, détenus et emprisonnés en Égypte depuis deux ans, en lien avec les manifestations. Il montre que le pays est redevenu un État policier.

« Deux ans après la chute du président Mohamed Morsi, les manifestations massives ont laissé place aux arrestations massives. En ciblant sans relâche les jeunes militants, les autorités brisent les espoirs de toute une génération de construire un avenir meilleur, a déclaré Hassiba Hadj Sahraoui, directrice adjointe du programme Afrique du Nord et Moyen-Orient d’Amnesty International.

« Après le soulèvement de 2011, la jeunesse d’Égypte était portée aux nues comme étant l’espoir de la nation par les dirigeants militaires égyptiens et les partenaires internationaux du pays. Leur idéalisme et leur détermination à réclamer " pain, liberté et justice sociale " ont joué un rôle moteur pour le changement. Pourtant, aujourd’hui, bon nombre de ces jeunes militants croupissent derrière les barreaux, témoignant du fait que l’Égypte a régressé vers la répression tous azimuts. »

Amnesty International a une nouvelle fois dénoncé avec force l’homicide du procureur général Hisham Barakat lundi 29 juin lors d’un attentat à la bombe au Caire, que l’organisation a qualifié d’« acte meurtrier méprisable, lâche et impitoyable ». Si l’on souhaite que l’état de droit prévale en Égypte, les juges et les procureurs doivent être libres de faire leur travail sans avoir à craindre d’être victimes de violences.

L’organisation a exhorté les autorités à s’abstenir de réagir à cet attentat en durcissant encore le ton contre les manifestants et les militants pacifiques, en déplorant le nombre élevé de personnes actuellement incarcérées dans le cadre d’une vaste opération de répression contre la dissidence.

Plus d’un an après son arrivée au pouvoir, le gouvernement d’Abdel Fattah al Sissi ne montre aucun signe d’assouplissement de son régime répressif. Selon les dernières estimations de défenseurs égyptiens des droits humains, plus de 41 000 personnes ont été arrêtées, accusées ou inculpées d’une infraction pénale, ou condamnées à l’issue de procès iniques.

« L’ampleur de la répression est accablante. Le gouvernement égyptien a montré qu’il ne reculerait devant rien pour anéantir toute contestation de son autorité, a déclaré Hassiba Hadj Sahraoui.

« Parmi les prisonniers figurent des dirigeants de mouvements de jeunes internationalement reconnus, des défenseurs des droits humains et des mineurs arrêtés parce qu’ils portaient des tee-shirts avec des slogans contre la torture. »

Adoptée en novembre 2013, la Loi sur les manifestations permet aux autorités d’arrêter des manifestants pacifiques et de les poursuivre en justice de manière aléatoire, et érige en infraction le fait même de descendre dans les rues sans autorisation préalable. Elle donne carte blanche aux forces de sécurité pour faire usage d’une force excessive, y compris meurtrière, contre des manifestants pacifiques.

« La Loi sur les manifestations est devenue synonyme de prison pour les manifestants pacifiques, qui sont traités comme des criminels. Il faut l’abroger immédiatement  », a déclaré Hassiba Hadj Sahraoui.

La répression qui a démarré avec l’arrestation de Mohamed Morsi et de ses partisans, notamment des hauts responsables du mouvement des Frères musulmans en juillet 2013, s’est rapidement étendue pour englober tout le spectre politique égyptien.

Parmi les jeunes incarcérés de manière arbitraire figurent Ahmed Maher et Mohamed Adel, militants bien connus du Mouvement des jeunes du 6 avril, Ahmed Douma, blogueur et manifestant bien connu, ainsi qu’Alaa Abd El Fattah, blogueur critique qui a passé du temps en prison sous le régime de Hosni Moubarak et sous le régime du Conseil suprême des Forces armées (CSFA).

Citons également Yara Sallam et Mahienour El Massry, éminentes défenseures des droits humains.

Par ailleurs, on recense des personnes détenues pour avoir manifesté contre le renversement du président Mohamed Morsi, comme le ressortissant irlandais Ibrahim Halawa, les étudiants universitaires Abrar Al Anany et Menatalla Moustafa, et l’enseignante Yousra Elkhateeb.
Tous sont incarcérés pour avoir bravé la loi draconienne sur les manifestations ou d’autres lois qui restreignent de manière arbitraire le droit à la liberté de réunion pacifique.
Mi-2015, une nouvelle vague d’arrestations a vu au moins 160 personnes détenues dans des conditions s’apparentant à des disparitions forcées, selon le groupe égyptien Freedom For the Brave. Le mouvement des Frères musulmans a signalé de son côté de nouvelles interpellations de ses membres.

Les autorités égyptiennes tentent bien souvent de justifier leurs méthodes brutales en invoquant le maintien de la stabilité et de la sécurité. Si certains manifestants ont recouru à la violence durant les rassemblements, la réponse des forces de sécurité s’est systématiquement avérée disproportionnée.

Un grand nombre de personnes arrêtées ont été traînées devant les tribunaux pour des accusations forgées de toutes pièces ou à caractère politique, ou condamnées lors de procès collectifs impliquant des centaines d’accusés, reconnus coupables au mieux sur la base de preuves bien minces, ou uniquement sur la base de témoignages des forces de sécurité ou d’enquêtes menées par la sûreté de l’État.

D’autres sont détenus pendant des périodes prolongées sans inculpation ni jugement. C’est le cas de l’étudiant Mahmoud Mohamed Ahmed Hussein, qui avait tout juste 18 ans lorsqu’il a été interpellé en raison du slogan sur son tee-shirt, alors qu’il rentrait d’une manifestation.

Selon sa famille et ses avocats, il a été torturé pour « avouer » ses activités liées au terrorisme. Il a passé son 19e anniversaire derrière les barreaux et languit depuis plus de 500 jours en prison sans avoir été inculpé ni jugé.

Les milliers de manifestants déclarés coupables de charges fallacieuses ou d’infractions à des lois qui restreignent de manière arbitraire la liberté d’expression et de réunion pacifique offrent un contraste saisissant avec le nombre dérisoire de membres des forces de sécurité poursuivis pour les violations des droits humains commises depuis janvier 2011. Pas un seul n’a été inculpé de charges pénales pour la mort des centaines de partisans de Mohamed Morsi sur les places Rabaa Adawiya et al Nadha le 14 août 2013.
Amnesty International demande aux partenaires internationaux de l’Égypte de ne pas sacrifier les droits humains lors de leurs discussions avec les autorités.

Des dirigeants de pays influents de l’Union européenne (UE), comme la France, l’Italie et l’Allemagne, ont rencontré le président Abdel Fattah al Sissi, alors que son gouvernement incarcérait des milliers d’opposants politiques. Rien ne semble indiquer que l’arrêt des violations flagrantes des droits humains en Égypte figurait à l’ordre du jour de ces discussions.

Le Royaume-Uni a également convié le président égyptien à une rencontre : un porte-parole du gouvernement a confirmé cette information, alors que la veille un tribunal avait condamné à mort le président déchu Mohamed Morsi à l’issue d’un procès inique.

Le gouvernement des États-Unis a annoncé en mars qu’il levait le gel des transferts d’armes à destination de l’Égypte et qu’il proposait une assistance durable, au niveau militaire et de la sécurité, à l’armée et aux forces de sécurité égyptiennes.

« L’hypocrisie des partenaires de l’Égypte a été dévoilée dans la course aux accords commerciaux lucratifs, à l’influence politique et aux renseignements. En témoignent également les nouvelles ventes et les transferts d’équipement de maintien de l’ordre susceptibles de favoriser des violations des droits humains, a déclaré Hassiba Hadj Sahraoui.

« Les dirigeants du monde ne tiennent pas leur promesse faite au moment de la chute de Hosni Moubarak en février 2011, de se tenir aux côtés de la jeunesse égyptienne. L’Égypte emprisonne des militants pacifiques tandis que la communauté internationale préfère détourner le regard. Le silence des États, des dirigeants du monde et du Conseil des droits de l’homme est assourdissant. »

Les autorités justifient la répression en pointant du doigt la hausse des violences politiques. L’Égypte fait face aux attaques de groupes armés, qui selon le gouvernement ont fait des centaines de morts parmi les forces de sécurité, notamment dans le nord de la péninsule du Sinaï, ainsi que des victimes parmi la population civile. Amnesty International condamne sans réserve les attaques contre des civils, mais demande aux autorités de ne pas se servir de ces menaces comme prétexte pour bafouer les droits fondamentaux.

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