La crise des droits humains persiste

Déclaration écrite d’Amnesty International en prévision de la 33e session du Conseil des droits de l’homme des Nations unies (13-30 septembre 2016)

Amnesty International salue l’intérêt témoigné par le Conseil des droits de l’homme à la crise au Burundi depuis la mi-2015, notamment avec l’établissement de l’Enquête indépendante des Nations Unies sur le Burundi, une mission d’experts indépendants, qui doit présenter son dernier rapport lors de cette session. Après une période de répression ouverte au cours de la seconde moitié de l’année 2015, associée à la découverte quasi-quotidienne de corps sans vie dans les rues de Bujumbura, la crise au Burundi est entrée dans une nouvelle phase, moins ouvertement violente mais marquée par un climat de peur, qui s’est emparé de la capitale et d’autres zones du pays. Compte tenu des graves violations des droits humains qui persistent, la communauté internationale doit maintenir et renforcer son suivi de la situation au Burundi.

Aperçu de la situation des droits humains.

Amnesty International continue à recevoir régulièrement des informations faisant état de graves violations des droits humains, notamment d’homicides ciblés, de disparitions forcées, d’arrestations arbitraires, de détentions illégales, d’actes de torture et d’autres mauvais traitements.

Comme le Haut-Commissariat aux droits de l’homme l’a indiqué, le recours à la torture et à d’autres peines et traitements cruels, inhumains ou dégradants au Burundi a considérablement augmenté dans le contexte de la crise politique actuelle. Préoccupé par les informations relatives à la détérioration de la situation du pays, le Comité contre la torture a demandé au Burundi de produire un rapport spécial, qui a été examiné lors de sa 58e session en juillet. Amnesty International a recueilli des informations sur des actes de torture et d’autres formes de mauvais traitements perpétrés par le Service national de renseignement et la police, ainsi que sur des violations commises par des membres des Imbonerakure, la branche de jeunesse du parti au pouvoir. Les victimes ont notamment été agressées verbalement, frappées à coups de branche, de barre de fer et de matraque de police ; piétinées ; eu des poids suspendus aux testicules ; été forcées à s’asseoir dans de l’acide ; menacées de mort ; et privées de soins médicaux. Certaines ont également déclaré qu’on leur avait infligé des décharges électriques et versé de l’eau dans les oreilles.

Les Imbonerakure continuent à commettre de graves violations, et Amnesty International reçoit encore des témoignages faisant état de la présence des Imbonerakure pendant certaines arrestations, ainsi que de campagnes d’intimidation menées par ceux-ci contre les personnes qui refusent de joindre le parti au pouvoir, et de passages à tabac, d’homicides et de tentatives d’homicide. Des réfugiés ont indiqué que les Imbonerakure ont frappé des personnes qui fuyaient le Burundi pour la Tanzanie. De nombreux réfugiés auxquels Amnesty International a parlé ont cité la peur inspirée par les Imbonerakure et leurs menaces parmi leurs raisons pour avoir quitté le pays.

La société civile et les médias indépendants, qui servaient autrefois de contrepoids face au gouvernement, ont été décimés, et continuent à faire l’objet d’attaques. Ces derniers mois, des journalistes, des utilisateurs des médias sociaux et des écoliers burundais ont été arrêtés pour avoir exercé leur droit à la liberté d’expression. Même ceux qui se trouvent hors du pays continuent à être pris pour cible : en juillet, un procureur burundais a exigé que quatre avocats ayant contribué au rapport de la société civile destiné au Comité contre la torture soient radiés du barreau.

Le cas de Jean Bigirimana, un journaliste ayant disparu, est un exemple extrêmement préoccupant des difficultés auxquelles sont confrontés ceux qui sont en quête de justice au Burundi. Journaliste travaillant pour Iwacu, un des derniers médias indépendants subsistant dans le pays, Jean Bigirimana a été vu pour la dernière fois le 22 juillet 2016. Peu après la disparition du journaliste, le rédacteur en chef d’Iwacu a reçu un appel anonyme l’informant que Jean Bigirimana avait été emmené par des personnes appartenant semble-t-il au Service national de renseignement. Des enquêtes réalisées par ses collègues, après que des investigations initialement effectuées par le Service national de renseignement et la Commission indépendante sur les droits humains n’ont livré aucun résultat, ont mené à la découverte de deux corps dans une rivière. Ceux-ci ont été retrouvés par les autorités dans un état de décomposition avancé, puis inhumés avant de pouvoir être identifiés. L’épouse de Jean Bigirimana aurait déclaré qu’aucun des deux n’était celui de son mari.

Nécessité d’un suivi continu et renforcé, et de la production de rapports publics

Les victimes d’atteintes aux droits humains au Burundi continuent à éprouver de grandes difficultés à obtenir justice. Le journaliste Esdras Ndikumana a été maintenu en détention pendant plusieurs heures et torturé en août 2015, après avoir été arrêté sur la scène de l’homicide du général Adolphe Nshimirimana, alors qu’il se trouvait sur place pour en rendre compte. Bien qu’un communiqué de presse diffusé par la présidence ait promis une enquête, celle-ci a peu avancé. En octobre 2015, Esdras Ndikumana a officiellement porté plainte contre X (agents des services de renseignement non nommés) auprès de la Cour suprême, mais le procureur a déclaré au journaliste qu’il devait lui fournir le nom des personnes qui l’avaient frappé avant que le ministère public ne puisse ouvrir une enquête. Le cas d’Esdras Ndikumana illustre les obstacles que rencontrent les victimes de torture quand elles se mettent en quête de justice au Burundi, même lorsque la victime cherche activement à obtenir justice et a recueilli des assurances de la part du plus haut niveau du gouvernement.

Dans ce contexte d’absence de vérité, de justice et de réparations pour les graves violations des droits humains qui ont été commises, un suivi, ainsi que la production de rapports publics par des observateurs internationaux et régionaux sont essentiels. Outre le suivi actuellement effectué par des observateurs des Nations unies et de l’Union africaine (dont environ un quart des 200 observateurs des droits humains et experts militaires prévus sont actuellement en place), plusieurs autres missions d’enquête se sont tenues, notamment la Mission d’experts indépendants des Nations Unies sur le Burundi et la mission d’établissement des faits de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples ayant eu lieu dans le pays en décembre 2015. Ces initiatives sont importantes et il convient de continuer sur cette lancée.

Le suivi et les rapports publics dont se chargent les observateurs internationaux et régionaux ont plusieurs rôles importants à jouer : prendre le relais là où la communauté nationale de défense des droits humains est la cible de graves attaques ; garantir la création d’un historique qui jette les bases de l’obligation de rendre des comptes au moyen de futurs mécanismes judiciaires ; maintenir un niveau de pression et de surveillance qui puisse avoir un effet dissuasif ; et contribuer à l’élaboration de solutions à la crise, en identifiant les réformes requises.

Les mesures prises à ce jour semblent malheureusement avoir déplacé plutôt que découragé les violations des droits humains. Cela est clairement illustré par la récente augmentation du nombre de disparitions forcées, qui fait suite aux exécutions extrajudiciaires et à la découverte régulière dans les rues de victimes d’homicide. Une réaction ferme est requise pour répondre à cette tendance. Cela devrait notamment prendre la forme d’une capacité accrue de documentation sur le terrain, par le biais d’une augmentation des effectifs et de l’incorporation de compétences spécifiques telles qu’une expertise médicolégale, au sein du bureau du Haut-Commissariat des droits de l’homme au Burundi, ainsi que de tout mécanisme d’enquête ad hoc.

Recommandations

Amnesty International exhorte donc le Conseil des droits de l’homme à :

 demander au Haut-commissariat des droits de l’homme de produire des rapports publics réguliers, en plus des communiqués de presse et synthèses semi-publiques destinés au gouvernement burundais et à la communauté diplomatique ;

 solliciter un renforcement de la capacité de documentation du bureau du Haut-Commissariat des droits de l’homme au Burundi, par le biais d’une augmentation des effectifs et de l’inclusion au sein de ceux-ci de personnes dotées de compétences spécifiques, comme par exemple une expertise médicolégale ;

 établir un mandat à long terme sur le Burundi au titre des procédures spéciales, avec l’obligation claire de rendre compte de la situation ;

 dans la lignée du travail de la Mission d’experts indépendants des Nations Unies sur le Burundi, créer un mécanisme international et régional ad hoc chargé de mener des enquêtes exhaustives sur l’ensemble des actes de violence perpétrés depuis avril 2015, y compris les agissements des forces de sécurité et d’autres institutions burundaises, afin de mettre en place des processus d’obligation de rendre des comptes et les réformes requises, ainsi que l’a recommandé la mission d’établissement des faits de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples ;

 encourager les autorités burundaises à ratifier dans les meilleurs délais et sans réserve la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, et à reconnaître la compétence du Comité des disparitions forcées - en vertu des articles 31 et 32 de la Convention - pour recevoir et examiner les communications présentées par des victimes ou en leur nom, et celles soumises par un État partie déclarant qu’un autre État partie ne respecte pas ses obligations au titre de la Convention ;

 demander aux autorités burundaises d’établir un mécanisme national de prévention indépendant, efficace et pourvu des ressources nécessaires, conformément au Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et aux lignes directrices formulées par le Sous-comité des Nations unies pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

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