Rencontre Obama-Castro : il faudra plus qu’une poignée de main… Par Erika Guevara-Rosas, directrice du programme Amériques d’Amnesty

La Guerre froide est peut-être terminée officiellement, mais pour beaucoup à Cuba comme aux États-Unis, le temps semble s’être arrêté il y a plusieurs décennies.

Aux États-Unis, les mesures visant à reléguer au passé l’embargo économique vis-à-vis de Cuba n’ont guère donné de résultats. Et à Cuba, il suffit de taper le nom d’un défenseur des droits humains dissident, comme celui de Laritza Diversent Cambara, sur n’importe quel moteur de recherche en ligne, pour constater que la censure et la propagande héritées de l’ère de la Guerre froide sont plus prégnantes que jamais.

Tout comme des milliers d’autres dissidents depuis 50 ans, Laritza Diversent Cambara est publiquement désignée comme une « criminelle  », une « mercenaire anti-cubaine  », une « leader antirévolutionnaire », une personne « subversive ».

Elle dirige le Centre d’information juridique Cubalex, organisation qui propose une aide juridique et une assistance en termes de droits humains indépendante à tous les Cubains, notamment aux personnes injustement incarcérées pour avoir exprimé sans violence des opinions en désaccord avec celles du régime des frères Castro.

Défendre les droits humains n’est pas censé être un crime à Cuba, mais c’est tout comme. Le travail légitime de Laritza en a fait la cible d’une campagne de diffamation si violente qu’en 2015 la Commission interaméricaine des droits de l’homme a demandé la mise en place de mesures en vue d’assurer sa protection, ainsi que celle d’autres membres de Cubalex. Les médias pro-gouvernementaux l’ont diffamée dans de nombreux articles, l’accusant de mener une contre-révolution, de chercher à détruire son pays et même de tromper son mari.

Bien d’autres ont été moins chanceux – parler publiquement de la situation des droits humains à Cuba a valu à de nombreux militants de se retrouver derrière les barreaux.

La Commission cubaine des droits humains et de la réconciliation nationale (CCDHRN) a recensé plus de 1 400 détentions arbitraires de manifestants et de militants en janvier 2016.

Cependant, lorsque Barack Obama s’assiéra à la même table que Raúl Castro dans moins d’une semaine, il devra lui aussi sortir quelques cadavres du placard.

Les États-Unis ont à répondre de nombreux points en termes de protection et de respect des droits fondamentaux, particulièrement lorsqu’il s’agit de cette relation précaire en plein essor.

En continuant obstinément de soutenir un embargo économique obsolète qui n’a d’autre objectif que de perpétuer la rhétorique de la Guerre froide opposant «  eux » et « nous », les États-Unis contribuent à empêcher les citoyens cubains de jouir pleinement de leurs droits fondamentaux à la santé et l’éducation. Limiter les exportations de médicaments et d’autres biens de première nécessité n’a fait que porter préjudice aux Cubains pendant des décennies.

Cette rhétorique guerrière continue de faire des dégâts, et les seuls perdants sont les citoyens ordinaires. C’est précisément la raison pour laquelle les États-Unis et Cuba doivent bousculer cette mentalité, afin que la poignée de main historique qui fera les unes du monde entier prenne un sens durable, et ne se résume pas à un fugace numéro de relations publiques politiques.

Il est impératif qu’Obama et Castro saisissent cette occasion d’évoquer certaines préoccupations liées aux droits humains que les deux pays – et l’on peut s’en étonner – ont en commun, en vue de trouver les moyens d’y remédier.

Prenons la question des prisons, par exemple.

Il y a plus de similitudes entre le centre de détention américain sur la base navale de l’État de Guantánamo, dans l’est de Cuba, et les prisons où militants et dissidents cubains sont détenus, qu’on ne le perçoit de prime abord.

Les deux systèmes sont entourés du plus grand secret. À Guantánamo, comme dans les prisons cubaines, les familles ont bien du mal à obtenir des documents indiquant clairement les motifs d’incarcération de leurs proches.

Les prisonniers de Guantánamo sont détenus sans inculpation, tandis qu’à Cuba, les prisonniers politiques sont rarement inculpés et passent de longues périodes en « détention provisoire  ». Les observateurs indépendants et les organisations internationales ne peuvent pas vraiment se rendre dans ces structures : Amnesty International est autorisée à se rendre dans certains secteurs de Guantánamo seulement et n’est pas autorisée à mener des recherches dans les prisons cubaines.

En outre, l’accès à des procès équitables y est sévèrement restreint. Le système de commission militaire mis en place à Guantánamo Bay, entaché de graves irrégularités, est si partial qu’il est difficile de parler de justice, tandis que la procédure judiciaire cubaine impose aux prévenus de se faire représenter par des avocats approuvés par l’État.

Et les deux gouvernements insistent sur le fait qu’ils agissent en toute légalité : le président Barack Obama, en promettant de fermer Guantánamo et de transférer ses détenus sur le sol américain, et le président Raúl Castro en martelant que quiconque est placé sous les verrous, y compris les nombreux dissidents pacifiques, est un criminel.

La visite du président Barack Obama à Cuba sera historique, cela ne fait aucun doute.

Mais il en faudra davantage qu’une poignée de main mise en scène pour en finir avec le gel des droits humains hérité de la Guerre froide. Si les deux dirigeants ne s’engagent pas en faveur de mesures concrètes afin de combler leurs lacunes mutuelles en termes de droits humains, cette rencontre ne sera rien de plus qu’une occasion ratée d’impulser un véritable changement sur les deux rives du détroit de Floride.

Aucun des deux présidents ne saurait s’y résoudre.

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