Le gouvernement sévit contre des manifestations

Les autorités vietnamiennes ont réagi avec brutalité face à une série de manifestations ayant eu lieu dans le pays au mois de mai 2016, après qu’une catastrophe écologique a décimé les stocks de poisson du Viêt-Nam.

Des dispositifs policiers très étendus, visant à prévenir et sanctionner la participation à des manifestations, ont donné lieu à toutes sortes de violations des droits humains, notamment à des actes de torture et d’autres traitements et châtiments cruels, inhumains ou dégradants, ainsi qu’à des atteintes à la liberté de réunion pacifique et au droit de circuler librement.

Amnesty International demande que les violations cessent et que le gouvernement respecte et favorise le droit à la liberté de réunion pacifique, en prévision d’éventuelles nouvelles manifestations dans les jours et semaines à venir.

Après des cas de mortalité massive de poissons dans les eaux côtières des quatre provinces centrales de Hà T ?nh, Qu ?ng Bình, Qu ?ng Tr ? et Th ?a Thiên-Hu ?, des manifestations ont été organisées dans des villes du pays entier chaque dimanche ces trois dernières semaines. Les participants ont demandé aux autorités d’expliquer les raisons de cette catastrophe écologique. Au lieu d’essayer d’apporter des réponses aux manifestants, les autorités ont pris des mesures visant à prévenir et sanctionner la participation aux actions de protestation. La sévérité de ces mesures s’est accrue à chaque nouvelle manifestation.

Depuis le début de ce mouvement, des policiers en uniforme et/ou en civil ont été postés devant le domicile de défenseurs des droits humains et de militants des droits sociaux durant les manifestations. Un des militants à qui Amnesty International a parlé, qui vit dans une des quatre villes sur lesquelles nous avons enquêté, nous a dit que des policiers ont dormi dans des voitures garées devant chez lui pendant les nuits ayant précédé les dernières manifestations, et qu’il continue à être sous surveillance. Lui-même et un autre militant ont séparément déclaré à Amnesty International qu’il leur avait été dit que s’ils essayaient de se rendre aux manifestations, ils se retrouveraient impliqués dans des accidents de la circulation. Selon les recherches que nous avons effectuées, les militants visés par des mesures de surveillance et des actes d’intimidation se chiffrent en dizaines, voire plus.

Le premier jour, dimanche 1er mai 2016, plusieurs personnes ont été rouées de coups quand elles ont pris part à des manifestations à travers le pays, durant lesquelles des dizaines de participants ont été arrêtés et incarcérés pendant plusieurs heures avant d’être relâchés. Vingt militants auraient été appréhendés dans la seule ville d’H ? Chí Minh-Ville.

Le 8 mai, deuxième dimanche marqué par des manifestations, l’accès à Facebook a selon des militants vietnamiens été bloqué dans tout le pays. Les événements ont inclus un défilé au lac Hoàn Ki ?m, à Hanoï, auquel 1 000 personnes auraient participé. Les autorités ont réagi en frappant et en arrêtant des dizaines de participants. Amnesty International a recueilli les propos d’un passant qui a déclaré que quand des hommes en civil ont tenté d’arrêter une jeune femme, qui se trouvait là avec deux jeunes enfants, ils ont giflé les deux enfants, et ont poussé l’un d’eux, une fillette, par terre, la cognant à la tête. Ils les ont ensuite forcés tous les trois à monter à bord d’un bus avec d’autres manifestants, où ils ont continué à les frapper.

À l’intérieur du bus, un des enfants est tombé à terre et a reçu un coup de pied à la tête. Un homme a donné plusieurs coups de pied dans le ventre de la jeune femme, hurlant qu’il la tuerait. La femme et les deux enfants ont été autorisés à descendre du bus, avant que celui-ci ne démarre et n’emmène les personnes restées à bord au poste de police du quartier de Quang Trung, où entre 40 et 50 manifestants ont été détenus pendant plusieurs heures avant d’être libérés. Si les violences perpétrées au lac Hoàn Ki ?m étaient principalement le fait d’hommes en civil, des policiers en uniforme encerclant la zone ont regardé sans intervenir.

La réaction des autorités à la troisième manifestation, le 15 mai, a été la plus sévère et la plus violente. Amnesty International a parlé à quatre militants qui s’étaient rendus à H ? Chí Minh-Ville afin de prendre part à la manifestation prévue ce jour-là. Un militant a déclaré à Amnesty International que la forte présence policière dans la ville ce matin-là a empêché qu’une manifestation de moyenne à grande ampleur puisse se tenir, et qu’à 9 h 30, la place Quach Tri Trang de la ville était déjà envahie par des policiers en uniforme et en civil, qui fouillaient et arrêtaient des personnes au hasard, semble-t-il. Trois des militants qui se sont entretenus avec Amnesty International avaient été arrêtés dans des cafés à proximité des zones de la ville où les manifestations étaient prévues. Ils ont déclaré à Amnesty International avoir été roués de coups par des policiers durant leur arrestation. La quatrième personne dont Amnesty International a recueilli les propos a été appréhendée alors qu’elle essayait de filmer des policiers en train de fouiller le sac à dos d’un autre homme.

Les trois militants frappés durant leur arrestation ont indiqué à Amnesty International que les violences étaient principalement perpétrées par des hommes et des femmes en civil, même si certains portaient l’uniforme des Jeunes bénévoles du Parti communiste. Un militant a dit à Amnesty International qu’il avait été saisi par quatre ou cinq hommes, dont l’un lui a comprimé le cou, tandis que les autres lui donnaient des coups de poing dans la poitrine et à la tête. Il a été poussé à bord d’une voiture, où ses agresseurs ont continué à lui donner des coups de poing à la tête. Il a été conduit dans un poste de police, où les hommes en civil sont entrés dans le bâtiment où ils semblaient travailler, selon ses dires. Quand il a voulu utiliser son téléphone pour prendre une photo de ce qui se passait au poste de police, il a été menacé par un homme en civil flanqué de quatre ou cinq policiers en uniforme, qui lui a dit d’éteindre son téléphone, ajoutant : « ta vie est moins précieuse que ce téléphone. »

Les deux autres, un homme et une femme, ont décrit des violences similaires. La militante a été agressée par quatre femmes en civil qui l’ont poussée à terre et l’ont rouée de coups. Elle a ensuite été saisie par les bras et les jambes par sept ou huit hommes et femmes, qui l’ont frappée tout en la portant vers une voiture située à 70 mètres ; là, les coups ont cessé. Elle a été transférée dans un poste de police local. L’homme a dit à Amnesty International que plusieurs hommes en civil s’en sont pris à lui et lui ont donné cinq ou six coups de poing à la tête, et des coups de pied dans l’estomac avant de le mettre dans une voiture et de le conduire dans un poste de police. Lorsqu’il est arrivé au poste, un homme en civil lui a mis quatre ou cinq coups de poing à la tête. Plus tard cette nuit-là, il a de nouveau été attaqué ; à cette occasion il a été giflé à plusieurs reprises par un des hommes qui l’avaient frappé durant son arrestation. L’agresseur arborait l’uniforme des Jeunes bénévoles durant l’arrestation, mais portait des habits civils au moment de cette deuxième attaque.

Le manque d’information, compte tenu du contexte politique fermé au Viêt-Nam, fait qu’il est difficile de confirmer le nombre de personnes frappées et arrêtées à travers le pays. Certaines sources fiables estiment cependant qu’il est possible que jusqu’à 300 hommes et femmes aient été arrêtés le 15 mai à H ? Chí Minh-Ville. Les propos recueillis par Amnesty International ont permis d’établir que les personnes arrêtées ont été placées en garde à vue dans des postes de police de toute la ville, où des fonctionnaires ont pris leur photo et leurs empreintes, et les ont interrogées. Un homme ayant parlé à Amnesty International a déclaré que la police a analysé le contenu de son téléphone, faisant un rapport écrit détaillé de ses contacts et de ses photos. Il affirme que lorsqu’un autre homme détenu au même poste de police a essayé de supprimer des informations de son téléphone, il a été saisi par quatre ou cinq policiers, qui lui ont serré le cou et ont déchiré sa chemise.

La plupart des personnes arrêtées le 15 mai ont été remises en liberté le soir même. Amnesty International a parlé avec une militante qui avait fait le trajet jusqu’à H ? Chí Minh-Ville pour la manifestation. Elle a déclaré qu’elle avait été détenue jusque tard le soir, quand des policiers de sa ville sont arrivés pour la ramener chez elle.

D’autres indiquent que peu après minuit ils ont été transportés par bus jusqu’à un centre d’accueil pour personnes sans domicile fixe, qui est situé dans la rue Trang Long et administré par le ministère du Travail et des Affaires sociales. Trois des personnes qui se sont entretenues avec Amnesty International ont été transférées de postes de police à ce centre d’accueil. Elles affirment qu’elles se trouvaient parmi environ 60 hommes et femmes amenés de postes de police de la ville toute entière. Près de la moitié ont été relâchés quand la police a confirmé leur identité et leur adresse. Des policiers de leur quartier sont venus les chercher et les ont ramenés dans des postes de police proches de chez eux. Pendant trois jours, jusqu’au 18 mai, les 30 autres personnes, qui incluaient deux ou trois femmes, ont été maintenues en détention au secret dans le centre pour personnes sans domicile fixe, sans qu’on ne leur permette de contacter leur famille ou représentant légal, tandis que la police continuait à les soumettre à des interrogatoires. Les 30 personnes étaient réparties entre trois pièces séparées, ne pouvaient pas changer d’habits et n’avaient ni lit ni literie pour dormir.

Le matin du 16 mai, deux hommes détenus au centre d’accueil ont été frappés par des policiers qui ont utilisé des matraques classiques et électriques. Selon les informations reçues par Amnesty International, un homme se trouvant dans une des pièces protestait avec colère contre le traitement qui leur était infligé, quand des policiers sont entrés dans la cellule et l’ont attaqué devant les autres détenus. Quand un autre homme qui était dans la même pièce s’est indigné, ils l’ont également agressé. Les policiers ont alors traîné les deux hommes hors de la cellule et ont continué à les frapper. Un des hommes rencontrés par Amnesty International a déclaré qu’il a regardé par la fenêtre de la cellule tandis que les policiers éloignaient les deux hommes et les rouaient de coups. Il a dit à Amnesty International qu’un des hommes s’est effondré après avoir reçu des décharges infligées avec une matraque électrique.

Les 30 détenus ont été libérés le 18 mai, au bout de trois jours. Un des hommes a dit à Amnesty International que son épouse avait passé les trois jours à essayer d’obtenir de ses nouvelles auprès de nombreux postes de police à travers H ? Chí Minh-Ville. À chaque fois, les policiers ont refusé de lui donner des renseignements.

Les agissements des autorités vietnamiennes en réaction à ces manifestations sont contraires à un certain nombre des obligations qui sont les leurs en matière de droits humains, en vertu du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et de la Convention contre la torture, auxquels le Viêt-Nam est partie. Ces deux traités prohibent la torture et toute autre forme de traitement cruel, inhumain ou dégradant. La torture est définie par la Convention contre la torture comme tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d’obtenir des aveux, de la punir, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination, lorsque de telles douleurs ou souffrances sont infligées par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite.

Un grand nombre des événements décrits ci-dessus correspondent à cette définition.

L’interdiction absolue de la torture et d’autres formes de mauvais traitements inscrite dans le droit international ne souffre aucune exception. Comme certains organes et experts des Nations unies l’ont souligné, notamment le Comité des droits de l’homme et le rapporteur spécial sur la torture, la détention au secret favorise la torture et d’autres formes de mauvais traitements.

En tant qu’État partie au PIDCP, le Viêt-Nam est également tenu de respecter, protéger et concrétiser le droit de circuler librement et la liberté de réunion pacifique. Si l’exercice de ces droits peut être soumis à certaines restrictions, celles-ci ne sont autorisées par le droit international que si elles sont prévues par la législation ; elles doivent être imposées dans l’objectif de protéger certains intérêts publics - notamment la sécurité nationale, l’ordre public, la santé ou les mœurs -, ou les droits et les libertés d’autrui. Et il doit être possible de prouver qu’elles sont nécessaires et proportionnées à la réalisation du but ainsi visé. Empêcher des personnes de quitter leur domicile pour qu’elles ne puissent pas participer à des manifestations pacifiques, et frapper et arrêter des manifestants et passants non violents ne sont pas des agissements correspondant aux restrictions autorisées de ces droits.

Complément d’information
Les manifestations de moyenne à grande ampleur sont rares au Viêt-Nam, bien que le pays soit partie au PIDCP et que sa Constitution garantisse la liberté de réunion pacifique. De nouvelles manifestations auront sans doute lieu dans les jours et semaines à venir, et coïncideront avec deux autres événements majeurs dans le pays. Dimanche 22 mai, jour durant lequel devrait se dérouler la quatrième série de manifestations en rapport avec cette catastrophe écologique, doivent se tenir des élections législatives - 500 députés seront élus, sur une liste de 870 candidats parmi lesquels seuls 11 n’appartiennent pas au Parti communiste. Ces derniers temps, des personnes du pays tout entier se sont plaintes de ne pas pouvoir envoyer de SMS contenant le mot « élection » (b ?u en vietnamien), en venant à la conclusion que les opérateurs téléphoniques étaient responsables du blocage. Le 23 mai, le président américain Barack Obama entamera une visite de deux jours au Viêt-Nam, devenant le quatrième président américain successif à se rendre dans le pays.

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