Torture, cannibalisme forcé, viol : un impact psychologique dévastateur

Des gens forcés à consommer de la chair humaine et à éviscérer des cadavres dans le cadre la guerre civile ayant commencé au Soudan du Sud en 2013 font partie des milliers de personnes souffrant de traumatismes et de détresse psychologique, alors que les services de santé mentale sont rares dans le pays, a déclaré Amnesty International mercredi 6 juillet à l’occasion du cinquième anniversaire de la création du Soudan du Sud.

Dans un nouveau rapport, intitulé « Our hearts have gone dark » : The mental health impact of South Sudan’s conflict, l’organisation fournit des informations sur l’impact psychologique des massacres, viols, actes de torture, enlèvements et même d’un cas de cannibalisme forcé, sur les victimes et les témoins de ces crimes.

«  Si les décès et les destructions matérielles causés par le conflit et les précédentes décennies de guerre sont immédiatement apparents, les cicatrices psychologiques, moins visibles, sont négligées », a déclaré Muthoni Wanyeki, directrice régionale pour l’Afrique de l’Est, la Corne de l’Afrique et les Grands lacs à Amnesty International.

« Si la fin des atrocités parmi lesquelles la torture, le viol et le meurtre devrait être une première mesure d’urgence évidente afin de prévenir tout impact supplémentaire sur la santé mentale, il convient également d’agir pour réparer les dégâts déjà provoqués, en prodiguant des soins et d’autres réparations adéquates aux victimes. »

S’appuyant sur des entretiens réalisés auprès de 161 victimes et témoins de violations des droits humains, ainsi qu’auprès de spécialistes de la santé mentale, de responsables du gouvernement et des Nations unies, et de représentants d’organisations non gouvernementales, le rapport met en évidence une grave pénurie de services de santé mentale à travers le pays pour les personnes ayant besoin de soutien et de soins.

Du fait de cette absence quasi-totale de services, certains troubles psychologiques tels que la dépression et le syndrome de stress post-traumatique ne sont pas traités. On ne compte actuellement que deux psychiatres en exercice dans ce pays de 11 millions d’habitants, et les personnes souffrant de troubles psychologiques sont régulièrement placées dans des prisons plutôt que soignées, alors qu’elles ont désespérément besoin d’aide.

Beaucoup des personnes interrogées ont décrit des symptômes correspondant au syndrome de stress post-traumatique et à la dépression, notamment des cauchemars, une tendance à l’irritabilité et une incapacité à se concentrer.

Malith, qui a survécu à un des pires épisodes de cette guerre en décembre 2013, quand des membres des forces gouvernementales ont abattu environ 300 hommes à Gudele, un quartier de Djouba, la capitale, a déclaré à Amnesty International : « Parfois je rêve que je suis mort en même temps que ceux qui ont été tués. Je me réveille en sueur, tremblant [...] Je pense à la manière dont j’ai survécu. Pourquoi les autres sont-ils morts ? Et là, je me sens mal. »

Un autre rescapé du massacre de Gudele, Phillip, a expliqué qu’il s’est caché sous une pile de corps sans vie durant la tuerie. Quand des soldats l’ont découvert, ils l’ont forcé à boire le sang et à manger la chair de cadavres, le menaçant de le tuer s’il ne s’exécutait pas.

Il a expliqué : « La nuit quand je dors, ceux qui ont été tués reviennent dans mes cauchemars. » Il a ajouté : «  Je ne peux pas dormir, je ne veux rien de ce qu’on me propose. Je ne crois pas que la manière dont je me sens changera un jour. »

Depuis le début du conflit, le gouvernement arrête systématiquement ceux qu’il perçoit comme des opposants. Des détenus ont notamment parlé d’homicides, de passages à tabac, de quantités de nourriture et d’eau insuffisantes, qui ont débouché sur une détresse psychologique prolongée.

Lual a déclaré à Amnesty International qu’il a été forcé par des membres du Service national de la sûreté à éviscérer, dans des locaux à Djouba, d’autres détenus qui avaient été tués, afin qu’ils ne flottent pas quand ils seraient jetés dans la rivière.

Il a déclaré à Amnesty International : «  Je me sens désespéré [...] Je suis déprimé, je ne suis jamais heureux [...] Je pense au suicide [...] Je me sens mal à cause de tout cela, et je me déteste. »

À Bentiu, la capitale de l’État d’Unité, où est situé l’un des plus grand site de protection des civils du pays, des femmes sorties de l’enceinte du camp pour se procurer de la nourriture, du carburant ou des médicaments ont connu des violences sexuelles qui continuent à leur causer une profonde détresse psychologique.

Nyawal a déclaré qu’elle et son amie ont été violées deux fois en un jour par deux groupes de soldats des forces gouvernementales à Bentiu alors qu’elles se trouvaient hors du site, en 2015.

Elle a déclaré : « Ce qui s’est passé me rend furieuse [...] Ça a bouleversé ma vie. Je ne suis rien. Il n’y a rien de bon dans ma vie [...] J’ai honte. »

La grande majorité des personnes rencontrées ont déclaré qu’elles n’avaient reçu aucun soutien psychologique, et n’avaient pas bénéficié de soins de santé mentale.

« Le gouvernement, soutenu par la communauté internationale, doit honorer ses obligations au regard du droit international, et respecter, protéger et concrétiser leur droit à la santé, notamment à la santé mentale. Il doit également prévenir des actes tels que la torture, qui continuent à causer des dommages psychologiques à beaucoup, ouvrir des enquêtes impartiales et poursuivre les auteurs présumés », a déclaré Muthoni Wanyeki.

«  En faire plus pour répondre aux besoins de santé mentale est non seulement essentiel pour le bien-être des personnes, mais également crucial pour que les citoyens puissent véritablement reconstruire leurs communautés et leur pays. »

Les noms ont été modifiés pour protéger l’identité des personnes rencontrées.

Complément d’information

Le Soudan du Sud est devenu un pays indépendant le 9 juillet 2011 après des décennies de guerre, de longues négociations et un « oui » massif lors du référendum sur la sécession avec le Soudan.

Il a basculé dans une guerre civile deux ans plus tard, après que le président Salva Kiir a accusé son influent vice-président, Riek Machar, de préparer un coup d’État afin de le renverser.

Les forces gouvernementales et de l’opposition ont délibérément attaqué et tué des civils, enlevé et violé des femmes, commis des actes de torture, détruit et pillé des biens civils et attaqué des personnels et des équipements humanitaires.

Des milliers de personnes ont été tuées, dont des femmes et des enfants, des villes et villages entiers détruits et environ 1,7 millions de personnes déplacées à l’intérieur du pays.

Au bout de deux ans de pourparlers de paix intermittents, les deux dirigeants ont convenu d’un cessez-le-feu permanent et ont plus tard formé un gouvernement d’union avec le président Kiir aux commandes et Riek Machar en tant que vice-président. Si l’accord a mis fin au conflit sur le papier, le pays continue à être ravagé par la violence.

Le rapport d’Amnesty International s’appuie principalement sur des recherches effectuées par l’organisation en avril et mai 2015, ainsi qu’en mai 2016, dans les villes de Djouba, Malakal et Bentiu, qui ont toutes été touchées par le conflit.

En mai 2016, à la seule prison centrale de Djouba, on recensait 82 détenus - dont 16 femmes - dont il avait été établi qu’ils souffraient de troubles mentaux. Plus de la moitié de ces détenus n’avaient commis aucune infraction.

La Commission d’enquête sur le Soudan du Sud de l’Union africaine, dirigée par l’ancien président nigérian Olusegun Obasanjo, a indiqué dans son rapport final que les traumatismes semblaient être une conséquence majeure du conflit.

Une étude réalisée entre octobre 2014 et avril 2015 par la South Sudan Law Society (Association des juristes du Soudan du Sud) et le Programme des Nations Unies pour le développement auprès de 1 525 personnes au Soudan du Sud dans des zones touchées par le conflit a permis de déterminer que 41 % des personnes interrogées présentaient « des symptômes correspondant à un diagnostic de syndrome de stress post-traumatique ».

Selon le ministère de la Santé, on compte seulement un médecin et demi et deux infirmières/sages-femmes pour 100 000 habitants, tous par ailleurs basés de manière disproportionnée dans des zones urbaines.

Le secteur de la santé s’est vu alouer seulement 3 % du budget national pour 2015-2016, ce qui est bien loin des 15 % promis par les gouvernements africains dans la Déclaration d’Abuja en 2001.

La santé mentale est définie comme un état de bien-être émotionel et psychologique, qui permet aux individus de faire face aux situations de stress normales de la vie de tous les jours, de travailler de manière productive et d’être des membres actifs au sein de la collectivité.

L’Organisation mondiale de la santé estime que dans les situations de conflit armé et d’autres urgences, la proportion de la population souffrant de troubles mentaux légers ou modérés augmente de 10 % à 15-20 %.

En reconnaissance de l’importance du bien-être mental pour le développement, en septembre 2015, les Nations unies ont inclus la santé mentale au nouvel Objectif de développement durable en matière de santé.

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