Les victimes du régime de Jean-Claude Duvalier attendent justice

La crise politique que traverse actuellement Haïti ne doit pas servir de prétexte pour priver de justice les victimes de violations des droits humains commises sous le régime de Jean-Claude Duvalier, ont déclaré Amnesty International, Human Rights Watch, la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) et Avocats sans frontières Canada (LWBC). Le 20 février 2016, cela fera deux ans qu’une décision judiciaire a ordonné la réouverture de l’enquête contre Jean-Claude Duvalier – décédé en octobre 2014 – et ses collaborateurs.

En effet, le 20 février 2014, la Cour d’appel de Port-au-Prince a rétabli les accusations de crimes contre l’humanité et de crimes liés à de graves atteintes aux droits humains contre Jean-Claude Duvalier et d’autres personnes, et a nommé l’un des juges siégeant à la cour pour poursuivre les investigations sur cette affaire. Cependant, aucune conclusion n’a encore été rendue publique.

« Les victimes des crimes perpétrés sous le régime de Duvalier et leurs familles attendent justice depuis 30 ans, a déclaré Amanda Klasing, chercheuse sur les droits des femmes à Human Rights Watch. Les responsables haïtiens et leurs alliés internationaux doivent veiller à ce que cette enquête, malgré l’incertitude politique, ne sorte pas des écrans radar. »

Depuis plus d’un an, Haïti sombre dans une crise politique : le pays a dû se passer de Parlement opérationnel tout au long de l’année 2015 et n’a pas élu de successeur au président Michel Martelly, qui a achevé son mandat le 7 février. Conséquence de cette crise, de nombreux juges ont passé un temps considérable à traiter les conflits électoraux et aucun nouveau juge n’a été nommé, aucune institution n’étant dotée de l’autorité adéquate. La capacité du système judiciaire à garantir la bonne administration de la justice en pâtit directement.

La décision de la Cour d’appel a annulé une décision prononcée en janvier 2012 par un juge d’instruction. Ce magistrat avait statué que Jean-Claude Duvalier ne pouvait pas être inculpé de crimes contre l’humanité ni d’autres crimes sur la base des plaintes déposées par des personnes ayant été victimes de disparitions forcées et de torture lorsqu’il était au pouvoir, de 1971 à 1986, car le délai de prescription avait expiré et les crimes contre l’humanité n’étaient pas inscrits dans le droit haïtien au moment où ils avaient été perpétrés.

À la suite de la mort de Duvalier en octobre 2014, de nombreuses organisations nationales et internationales, ainsi que l’expert indépendant de l’ONU sur la situation des droits humains en Haïti et le Comité des droits de l’homme de l’ONU, ont rappelé aux autorités haïtiennes leur devoir de poursuivre les procédures engagées contre les collaborateurs de Duvalier. Dans les plaintes déposées par les victimes, figuraient les noms de plusieurs responsables du gouvernement de l’époque, aux côtés de celui de Duvalier. Certains ont été cités dans la décision de la Cour d’appel de 2014.

Après la mort de Duvalier, le juge de la Cour d’appel chargé de mener des investigations complémentaires a continué d’interroger victimes et témoins.

« Cependant, il faut encore prendre des mesures importantes afin de finaliser l’enquête, d’établir la responsabilité pénale individuelle des collaborateurs de Duvalier et de mener un procès équitable et impartial », a déclaré Pascal Paradis, directeur général d’Avocats sans frontières Canada.

« Les retards répétés dans l’enquête sur les coaccusés de Duvalier dont les noms avaient été cités témoignent de la réticence des autorités haïtiennes à engager des poursuites contre les responsables présumés des violations des droits humains commises sous le régime de Duvalier », a déclaré Pierre Espérance, secrétaire général de la FIDH.

Le gouvernement n’a pas alloué de ressources supplémentaires au juge d’instruction de la Cour d’appel afin de lui assurer les moyens nécessaires pour mener une enquête aussi complexe. Malgré ses multiples requêtes au Conseil supérieur du pouvoir judiciaire, ses attributions n’ont pas été ajustées pour lui permettre de se concentrer sur cette affaire. À la connaissance d’Amnesty International, aucune mesure spécifique n’a été prise en vue de garantir la sécurité du juge et celle des victimes et des témoins.

Cette absence de volonté politique est aggravée par la situation politique en Haïti, car les autorités se sont largement mobilisées pour faire face aux conflits électoraux lors des scrutins législatifs, présidentiel et municipaux, et pour négocier des solutions à la crise politique. Peu d’efforts ont été entrepris en vue de répondre aux problèmes relatifs aux droits humains – notamment en matière de lutte contre l’impunité et, en particulier, en ce qui concerne l’enquête sur les collaborateurs de Duvalier.

Au lendemain de l’élection par le Parlement d’un président de transition le 14 février, les autorités de transition doivent veiller à ce que toutes les victimes d’atteintes aux droits humains sous le régime de Duvalier et leurs familles puissent exercer leur droit de connaître la vérité et d’obtenir justice et réparation, notamment des indemnités et autres dédommagements, ont déclaré les quatre organisations. Elles doivent allouer au juge d’instruction les ressources nécessaires pour poursuivre l’enquête et s’assurer de l’équité de l’enquête et des futures procédures – en bannissant toute ingérence politique.

« Il faudra sans doute du temps pour qu’une conclusion juste et équitable à l’affaire Duvalier redonne aux Haïtiens confiance dans la justice, a déclaré Erika Guevara Rosas, directrice du programme Amériques d’Amnesty International. Les autorités de transition doivent s’assurer que l’enquête et l’affaire concernant Jean-Claude Duvalier progressent rapidement. »

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