Torture : mettre fin à l’impunité

Les autorités tunisiennes doivent prendre rapidement des mesures en vue de mettre pleinement en œuvre les recommandations du Comité des Nations unies contre la torture et de mettre fin à l’impunité pour la torture et les mauvais traitements, a déclaré Amnesty International mercredi 18 mai 2016.
Amnesty International accueille avec satisfaction les Observations finales publiées vendredi 13 mai par le Comité contre la torture de l’ONU, organe d’experts indépendants chargé d’évaluer l’application par la Tunisie de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Tout en se félicitant des mesures positives prises par la Tunisie depuis 2009 et du dialogue ouvert et constructif qu’il a eu avec la délégation tunisienne, le Comité a déploré l’absence de diligence due et les lenteurs des magistrats et de la police judiciaire dans les enquêtes sur les allégations de torture et d’autres mauvais traitements, et a noté l’impunité persistante dont jouissent les membres des forces de sécurité accusés de tels actes. En particulier, le Comité a relevé avec préoccupation que, sur les 230 cas de torture présentés devant les tribunaux entre janvier et juillet 2014, 165 faisaient toujours l’objet d’investigations, tandis que deux cas seulement avaient débouché sur des condamnations.

Le Comité a noté que la définition de la torture en Tunisie n’est toujours pas conforme à celle énoncée dans la Convention contre la torture. Il a exhorté la Tunisie à accélérer le processus de réforme législative à cet égard, et à supprimer la disposition du Code pénal qui prévoit l’exonération de peine pour les fonctionnaires publics qui dénoncent des actes de torture.

Dans un rapport soumis au Comité en avril, Amnesty International a notamment fait part de ses préoccupations concernant l’usage persistant par les autorités tunisiennes de la torture et autres mauvais traitements en détention et l’absence d’investigations concluantes sur les allégations de tels actes. Elle a également pointé du doigt plusieurs cas de morts suspectes en détention. Dans son rapport, la Tunisie a déclaré que 34 détenus en moyenne sont morts en détention chaque année depuis 2013, sans fournir aucune information sur les investigations relatives à ces affaires.

Le Comité a invité la Tunisie à ouvrir immédiatement une enquête efficace sur toutes les allégations de torture et autres mauvais traitements et à suspendre sans délai les agents de l’État soupçonnés de tels actes. Il a demandé que des investigations impartiales et efficaces soient menées sur les décès en détention, soulignant qu’il est primordial que les victimes et les familles puissent participer à l’instruction judiciaire en tant que partie civile.

Amnesty International demande aux autorités tunisiennes de mettre rapidement en œuvre les recommandations du Comité concernant les lois et les pratiques antiterroristes en Tunisie. Il s’agit notamment de modifier la définition trop large des actes liés au terrorisme et de réduire la durée maximale de la garde à vue, conformément aux normes internationales. Ces recommandations confirment que toutes les personnes placées en détention provisoire doivent bénéficier de toutes les garanties judiciaires, y compris dans les affaires liées au terrorisme, et qu’il faut éliminer toutes les formes de détention secrète. Précisément, le Comité s’est dit préoccupé par la durée maximale de la garde à vue fixée à 15 jours dans les affaires liées au terrorisme et par les dispositions qui permettent de reporter l’assistance d’un avocat jusqu’à 48 heures.

Dans son rapport, Amnesty International a exposé des précisions sur la torture et les mauvais traitements infligés à plusieurs personnes détenues dans le cadre d’opérations de lutte contre le terrorisme menées à la suite d’une série d’attaques armées en Tunisie en 2015 qui se sont soldées par de très nombreuses victimes. Si les autorités doivent protéger le droit des citoyens à la vie et à la sécurité, elles sont tenues de le faire en recourant à des mesures respectant les obligations internationales de la Tunisie en termes de droits humains. Elles doivent faire en sorte que les suspects détenus pour des accusations liées au terrorisme et leurs familles soient protégés contre les actes de harcèlement, d’intimidation ou toute autre forme de représailles.

Par ailleurs, le Comité a fait part de ses préoccupations quant au harcèlement visant les plaignants et leurs familles. Il a recommandé que les autorités tunisiennes garantissent la protection des témoins et des plaignants en mettant en place un mécanisme indépendant, confidentiel et accessible pour porter plainte en cas de torture et de mauvais traitements, en instaurant un système de protection des victimes et de leurs familles contre toute forme de représailles, et en amenant les auteurs de ces représailles à rendre des comptes.

Amnesty International encourage les autorités tunisiennes à appliquer les recommandations du Comité concernant les violences faites aux femmes. Tout en saluant les initiatives visant à lutter contre les violences fondées sur le genre, le Comité a exhorté la Tunisie à accélérer l’adoption d’une loi globale sur les violences faites aux femmes, qui prenne en compte toutes les formes de violence, y compris les violences au sein de la famille et le viol conjugal. Il a en outre souligné la nécessité de modifier le Code pénal afin que les auteurs de violence sexuelle ne puissent pas échapper à la justice.

Le Comité s’est dit préoccupé par la criminalisation des relations librement consenties entre adultes du même sexe et par le fait que les homosexuels sont, sous la menace de la police, contraints de subir un examen rectal.

Il a exhorté la Tunisie à abroger l’article 230 du Code pénal qui érige en infraction les relations consenties entre adultes du même sexe. Il a également déploré le recours à des examens vaginaux non consentis, notamment à la suite d’accusations de relations sexuelles en dehors du mariage ou de rapports avec des travailleuses et travailleurs du sexe. Il a invité le gouvernement tunisien à mettre un terme à ces examens médicaux intrusifs qui ne sont pas justifiés d’un point de vue médical.

Dans le rapport qu’elle a soumis au Comité, Amnesty International a fait part de ses préoccupations quant à la multiplication des allégations de harcèlement sexuel et des cas de violence sexuelle imputables à des agents de l’État depuis le soulèvement de 2011. Ses recherches montrent que la criminalisation des relations consenties entre adultes du même sexe, du travail du sexe et de l’adultère expose les lesbiennes, gays et personnes bisexuelles, transgenres et intersexuées (LGBTI) et les travailleuses et travailleurs du sexe notamment, aux abus et aux violences des policiers.

Les autorités tunisiennes ont pris diverses mesures positives visant à briser le cycle d’abus qui a marqué la présidence de Zine el Abidine Ben Ali – torture et mauvais traitements généralisés et systématiques. Elles ont notamment modifié le Code de procédure pénale, réduisant la durée légale de la garde à vue, période pendant laquelle la plupart des allégations de torture et de mauvais traitements sont formulées. La Loi 2016-5 adoptée en février dernier garantit le droit des détenus de consulter un avocat, et de recevoir la visite d’un expert médical et de leur famille. Tout en saluant ce nouveau texte, le Comité recommande que la durée maximale ne soit pas dépassée dans la pratique.

Selon le Comité, l’État doit garantir que les détenus puissent consulter en toute confidentialité leurs dossiers médicaux et des médecins indépendants, et que les experts médicaux puissent signaler de manière confidentielle des traces de torture ou de mauvais traitements à une autorité d’enquête indépendante, sans risque de représailles.

Malgré des changements positifs, il faut faire davantage pour mettre en conformité les lois tunisiennes avec les normes internationales, briser le cycle de l’impunité et respecter les droits fondamentaux de tous les détenus, quelle que soit la nature des accusations dont ils font l’objet.

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