Violations contre l’opposition

Le fait que l’État ougandais restreigne les libertés d’expression, d’association, de réunion pacifique et de circulation en visant tout particulièrement le Forum pour le changement démocratique (FDC), empêche ce parti d’opposition de contester en justice les résultats des élections qui se sont tenues récemment dans le pays.

Les élections présidentielle et législatives en Ouganda ont eu lieu le 18 février 2016. Aux termes de la Loi relative aux élections présidentielles, les candidats souhaitant contester les résultats disposent de 10 jours pour préparer et déposer un recours devant la Cour suprême. Dans le contexte des tensions post-électorales, l’État et les forces de sécurité doivent veiller à ce que les droits civils et politiques, y compris les droits aux libertés d’expression, d’association et de réunion pacifique, et le droit de participer à la vie politique soient pleinement respectés.

Le 20 février, la Commission électorale a déclaré que le président sortant, Yoweri Museveni, avait remporté l’élection sous la bannière du Mouvement de résistance nationale (NRM) avec 60,75 % des voix. Le colonel à la retraite Kizza Besigye, candidat du FDC qui était alors assigné à résidence, a recueilli 35,37 % des suffrages et Amama Mbabazi, ancien Premier ministre et candidat indépendant, 1,43 %. Ce dernier a déclaré publiquement que, selon lui, les élections étaient entachées d’irrégularités.

Détention arbitraire et violations des droits aux libertés d’expression, d’association et de circulation de Kizza Besigye

Lors d’une conférence de presse télévisée qu’il a donnée à son domicile le 21 février, Kizza Besigye a rejeté les résultats de l’élection présidentielle en indiquant qu’il se réservait le droit de saisir la Cour suprême. Il a ajouté : « Nous [les membres du FDC] devons donc et sommes autorisés à recueillir des éléments susceptibles de nous inciter à former un recours ou à prendre toute autre décision. » Il a aussi annoncé son intention de se rendre à la Commission électorale le lendemain matin et a appelé ses sympathisants à l’accompagner. En réaction, la police a émis une déclaration indiquant que toute tentative de cet ordre serait illégale étant donné que Kissa Besigye ne lui avait pas fait part de ses intentions, comme le prévoit la Loi relative au maintien de l’ordre public, et que tout défilé violerait le droit des enfants de retourner à l’école.

Le lendemain matin peu après 9 heures, Kissa Besigye a été arrêté par des agents de l’unité de terrain de la police alors qu’il s’apprêtait à sortir de chez lui, où il était détenu sans inculpation depuis le 19 février. Au moment de son arrestation, une quarantaine de personnes, principalement des journalistes ougandais et étrangers, attendaient calmement devant son domicile. Un spécialiste d’Amnesty International, présent sur les lieux, a vu un policier pulvériser du poivre dans les yeux d’Issac Kasamani, un photojournaliste, alors que celui-ci ne l’avait visiblement pas provoqué. Kissa Besigye a été emmené au poste de police de Naggalama, où il a été détenu plusieurs heures avant d’être reconduit chez lui par la police.

À l’instar de tous les Ougandais, Kissa Besigye a le droit de circuler librement et de retrouver d’autres personnes dans le cadre d’une réunion pacifique. Outre les dispositions contraignantes des droits régional et international relatifs aux droits humains, l’article 29(1)(d) de la Constitution ougandaise garantit la liberté de se rassembler et de manifester pacifiquement et sans arme et de former des recours. En vertu de l’article 29(2)(a), les Ougandais ont le droit de circuler librement sur tout le territoire.

La Loi relative au maintien de l’ordre public, qui a été contestée devant la Cour constitutionnelle en décembre 2013, est incohérente et incompatible avec le droit à la liberté de réunion inscrit dans la Constitution ougandaise, l’article 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et l’article 11 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (la Charte africaine). L’Ouganda est tenu par ces instruments relatifs aux droits humains qui, entre autres obligations, exigent que la police facilite la liberté de réunion pacifique.

Kissa Besigye ne peut toujours pas circuler librement. Il a été arrêté de nouveau en tentant de quitter son domicile les 23, 24 et 25 février. Il a été détenu les 23 et 24 février au poste de police de Naggalama et le 25 février à celui de Kira Road, avant d’être reconduit chez lui dans la soirée. Il est assigné à résidence depuis le 19 février sans aucun fondement juridique au regard du droit ougandais, ce qui s’apparente à une détention arbitraire et bafoue ses droits aux libertés d’expression, d’association et de circulation.

Dans une déclaration officielle publiée sur Internet le 24 février, la police a clarifié sa position au sujet de l’arrestation de Kissa Besigye. Elle a expliqué que cet homme avait été interpellé à titre préventif parce qu’il avait appelé ses sympathisants à l’accompagner à la Commission électorale. Elle l’a accusé d’avoir tenu des propos et mené des activités incitant à la violence et à la défiance à l’égard de la loi.

Les déclarations de Kissa Besigye qu’Amnesty International a consultées ne contiennent pourtant aucune incitation à la violence.

Le 21 février, celui-ci a indiqué aux médias :

« Je me rendrai à la Commission électorale demain matin. J’ai l’intention d’y être à 9 heures pour réclamer une copie des résultats qu’elle a publiés et, comme certains de nos documents ont été saisis, je demanderai aussi des copies de ce qu’ils ont [...] et que nous contestons. La population doit être au courant de nos démarches. C’est pourquoi j’invite tous nos dirigeants et citoyens qui s’intéressent au processus à m’accompagner à la Commission électorale demain et à tous les endroits où nous avons l’intention d’aller afin de tenter de réunir ce dont nous avons besoin pour étayer nos actions à venir. […] [L’Ouganda] est notre pays. Nous devons avoir des droits dans notre pays. Nous devons être traités avec dignité dans notre pays. Et si le régime continue d’être restrictif, de me détenir chez moi, ce qui est illégal, je vous appelle, mes compatriotes, à protester.

 »

Dans une déclaration écrite publiée sur Twitter le 21 février et intitulée Mon message à la jeunesse ougandaise : Prenez les rênes de votre pays ! Prenez les rênes de votre avenir !, il a exhorté ses sympathisants à l’accompagner à la Commission électorale, en précisant que le défilé serait pacifique.

Le droit à la liberté d’expression est protégé par l’article 29 de la Constitution ougandaise, l’article 19 du PIDCP et l’article 9 de la Charte africaine.

Dans sa déclaration du 24 février, la police a aussi affirmé que Kissa Besigye n’était pas assigné à résidence, qu’il pouvait « communiquer sans restriction avec ses avocats, sa famille et les cadres du parti » et que rien ne l’empêchait de préparer un recours en justice pour le compte du FDC afin de contester les résultats de l’élection présidentielle. Son avocat, Ernest Kalibbala, a expliqué à Amnesty International qu’en raison de demandes arbitraires l’équipe juridique n’avait pas pu voir son client facilement à son domicile et que le fait que celui-ci ne puisse pas se rendre au cabinet avait une incidence sur la qualité de la représentation dont il bénéficiait compte tenu de la nature de l’affaire.

Dans un rapport (en anglais) publié en décembre 2015 et intitulé “We Come in and Disperse Them” : Violations of the Right to Freedom of Assembly by the Ugandan Police, Amnesty International a indiqué que, aux termes de la section 24(1) de la Loi relative à la police (1994), les arrestations préventives ne sont autorisées que dans un certain nombre de cas extrêmement précis : un policier doit avoir une raison valable de penser qu’une telle mesure est nécessaire pour empêcher une personne d’occasionner des blessures à elle-même ou à autrui, de subir une blessure physique, de causer une perte ou d’endommager des biens, de commettre un outrage à la décence dans un lieu public, de bloquer illégalement une route ou de faire du mal ou d’infliger une souffrance indue à un enfant ou à une autre personne fragile. Kissa Besigye n’a pas été traduit en justice, comme l’exige pourtant le droit international. Le Comité des droits de l’homme [ONU] a estimé que, lorsque la détention provisoire était justifiée par des questions de sécurité publique, elle ne devait pas être arbitraire et devait se fonder sur des motifs et des procédures établis par la loi, que les raisons devaient être communiquées, que la détention devait pouvoir être contrôlée par un tribunal et qu’une indemnisation devait être prévue en cas de violation.

Dans les six jours qui ont suivi l’annonce des résultats de l’élection présidentielle, Kissa Besigye a vu ses droits de circuler librement et de s’engager avec des membres du personnel, des sympathisants et des bénévoles du FDC restreints de manière inadmissible, ce qui ne lui a pas permis de préparer correctement le recours.

Raids arbitraires au siège du FDC et arrestations

En raison de raids au siège du FDC et du harcèlement et des arrestations ciblant plusieurs cadres du parti, les membres ont eu des difficultés à se réunir et à recueillir des éléments en vue de contester en justice les résultats de l’élection.

Le 19 février, alors que le vote se poursuivait à Kampala en raison du retard pris la veille, des agents de l’unité de terrain de la police, accompagnés de collègues de la police militaire, ont fait irruption dans les locaux du FDC à Najjanankumbi, un quartier de la ville. Vers 13 heures, un spécialiste d’Amnesty International a vu la police militaire bloquer momentanément l’accès par Entebbe Road. Huit témoins avec lesquels des représentants de l’organisation se sont entretenus séparément sur place, principalement des habitants du quartier et des chauffeurs, ont indiqué que la police avait lancé des grenades lacrymogènes sur les personnes massées devant le bâtiment peu avant 13 heures. Un hélicoptère a survolé les lieux à basse altitude. Selon les témoins interrogés par Amnesty International, la police de terrain a tiré sur la foule, ce qui a été confirmé par une séquence télévisée. Cependant, l’organisation n’a pas pu vérifier de manière indépendante s’il s’agissait de balles en caoutchouc ou de munitions réelles.

Des policiers sont entrés et ont commencé à faire sortir les occupants. Plusieurs cadres du FDC, parmi lesquels Kissa Besigye, ont été arrêtés. Celui-ci a été transporté au poste de police de Naggalama avant d’être reconduit chez lui, où il a été assigné à résidence.

La police a eu recours à la force de manière excessive et illégale. Certains manifestants rassemblés devant le bâtiment ont lancé des projectiles, y compris des pierres, aux policiers. Toutefois, sur la base des observations directes d’Amnesty International et des récits de multiples témoins indépendants qui se trouvaient à l’intérieur ou à l’extérieur du bâtiment, ces personnes n’ont fait que réagir aux brutalités policières.

Dans une déclaration émise plus tard, le général de division aérienne à la retraite Mugisha Muntu, président du FDC, a indiqué que les dirigeants du parti s’étaient réunis au siège pour préparer une conférence de presse. L’interruption d’une réunion privée organisée par un parti politique n’a aucun fondement juridique, même aux termes de la Loi relative au maintien de l’ordre public. Plus particulièrement, la section 4(2)(e) de ce texte dispose qu’il ne s’applique pas à une réunion des organes d’un parti politique.

Le 22 février, la police est encore entrée de force au siège du FDC. Cinq personnes, dont Harold Kaija, secrétaire général adjoint, ont été arrêtées. Des représentants d’Amnesty International se sont entretenus avec quatre d’entre elles. Elles ont indiqué qu’elles avaient été conduites, dans un véhicule privé, au poste de police de Katwe, où elles avaient été détenues environ cinq heures. La police a saisi le téléphone de chacune des cinq personnes et l’iPad de l’une d’elles. Selon le registre de la police, qu’Amnesty International a pu consulter, elles ont toutes été inculpées d’incitation à la violence et doivent se présenter le 29 février. Elles ont pu récupérer leur téléphone au poste de police de Katwe le 23 février en fin d’après-midi. Les personnes interrogées craignaient que la police ait consulté les coordonnées et d’autres informations contenues dans leur appareil.

Le fait que l’État s’en prenne avec insistance à un candidat mécontent et aux cadres d’un parti d’opposition pendant le délai imparti pour contester les résultats de l’élection empêche non seulement ces personnes d’entamer une procédure juridique mais exacerbe aussi les tensions liées à la période électorale. Le rapporteur spécial des Nations unies sur le droit de réunion pacifique et d’association, Maina Kiai, a déclaré qu’il était dans l’intérêt de l’État que les désaccords et les différences d’opinion soient exprimés pacifiquement et publiquement afin d’éviter le recours à d’autres moyens, notamment la violence.

Contexte des élections de 2016

Au moment des élections, l’État a ordonné la fermeture des réseaux sociaux pendant quatre jours. Du 18 février à l’aube jusqu’au 21 février, la Commission ougandaise des communications (UCC) a exigé des principaux fournisseurs du secteur qu’ils bloquent l’accès à ces plateformes. Selon le directeur exécutif de l’UCC, cette mesure était justifiée par des questions de sécurité nationale, qui n’ont cependant pas été précisées. Elle constituait une violation de la liberté d’expression des Ougandais et de leur droit fondamental de chercher et de recevoir des informations. Dans son rapport intérimaire, la Mission d’observation électorale de l’Union européenne (UE) a fait remarquer que ce blocage restreignait sans raison la liberté d’expression et l’accès à l’information.

Les missions d’observation électorale nationale et internationale ont joué un rôle essentiel dans le contexte des droits humains entourant la tenue des élections de 2016 en Ouganda. Dans sa déclaration provisoire, le groupe d’observateurs du Commonwealth a estimé que les restrictions concrètes pesant sur les droits fondamentaux que sont les libertés de réunion et de circulation avaient eu une incidence sur l’équité de la campagne. Il a constaté que les journalistes subissaient un contrôle de la part des pouvoirs publics, des pressions exercées par les cadres des partis, l’influence des propriétaires de médias, des manœuvres d’intimidation, voire des actes de violence.

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