« Les journées sont interminables mais je tente de garder le cap » Par Ali Aarrass

Il y a cinq ans, le 14 décembre 2010, le belgo-marocain Ali Aarras était extradé par l’Espagne vers le Maroc, malgré le risque de torture qu’il encourait sur le territoire marocain. Détenu au secret et torturé, il a ensuite été condamné à 12 ans de prison pour des faits qu’il nie avoir commis et uniquement sur base d’"aveux" qui lui ont été extorqués sous la torture par les autorités marocaines. Il purge aujourd’hui sa peine à la prison de Salé II.

Bien qu’il bénéficie de la double nationalité, l’État belge n’a, à ce jour, toujours pas dépêché d’aide consulaire pour venir en aide à ce père de famille, qui a été victime de mauvais traitements en détention à plusieurs reprises. Malgré plusieurs grèves de la faim, sa situation ne s’est toujours pas améliorée.

Malgré plusieurs grèves de la faim, sa situation ne s’est toujours pas améliorée.

Ali Aarrass nous a envoyé de sa cellule ce témoignage touchant sur ses conditions d’incarcération.

"Les journées sont interminables mais je tente de garder le cap, pour ma famille, pour moi. J’aimerais tellement les revoir. Mes parents, mon épouse, ma fille que j’aime tant. Ils me manquent tous tellement...

Je me retrouve toujours seul dans cette cellule parce que je suis détenu sous un régime de haute sécurité, qui implique mon isolement permanent. Il n’y a jamais rien pour se distraire. Pourtant j’arrive à vivre tout en espérant le meilleur que je puisse avoir dans cette prison : l’appel téléphonique à ma famille, entendre leur voix, m’assurer qu’ils vont bien, échanger des rires avec eux.... C’est mon oxygène...

Puis il y a les quantités de courriers que je reçois de partout, grâce à Amnesty International. C’est mon baume au cœur ! Mon énergie !

Les journées sont interminables mais tant que je suis conscient, je prends le dessus et je résiste à tout. Aux menaces, aux humiliations, aux insultes et même aux mauvais traitements...

Les parties les plus pénibles sont les nuits.

La nuit dernière, comme de tas d’autres nuits, je me suis réveillé en sueur à cause d’un cauchemar. Il était 3 heures du matin. Ces sursauts provoqués par frayeurs et angoisses sont habituels et m’obligent à me lever et à faire des va et viens le long de ma cellule. J’ai du mal à marcher mais je me suis forcé. Je suis encore sous le traumatisme dû à la torture et aux mauvais traitements vécus depuis bien trop longtemps, qui perdurent. La journée j’arrive à surpasser mes peurs, mais pendant mon sommeil mon subconscient prend le dessus et contre cela je ne sais rien faire.

Je passe pas mal de temps à essayer de retrouver le sommeil, très souvent en vain parce que pour bien dormir il faut se sentir en lieu sûr. J’en profite pour faire ma prière de l’aube. C’est dans ce silence perturbé par mes pleurs que je me recueille et implore Dieu de veiller sur ma famille, mes connaissances, tous les opprimés du monde entier... Je réserve la fin de ma prière pour Le supplier de me rendre justice et liberté. Je Le remercie pour le droit à la vie qu’Il m’a donné et pour les bienfaits dont Il m’a comblé, quoi qu’il en soit...

Il fait toujours noir lorsque je termine. Le sommeil finit par me vaincre mais les bruits des clés dans les serrures et les voix des gardiens me réveillent de nouveau. Il faut que je m’apprête pour recevoir le petit déjeuner.

Ce sont mes nuits depuis bien longtemps...

On a beau me dire que tout le soutien l’extérieur ne servira à rien, je reste persuadé que c’est faux. Parce que même si je ne retrouvais pas ma liberté avant la fin de cette peine injuste, je peux vous garantir que le travail des défenseurs des droits de l’homme nous fait le plus grand bien !

Et si j’avais un message à faire passer au monde entier, ce serait le suivant :

Vous qui jouissez d’une liberté totale !
Vous qui n’avez pas idée de que ce serait que de la perdre !
Vous qui préférez peut être l’ignorer !
Vous qui pensez que cela n’arrive qu’aux coupables !
Détrompez-vous, je suis un homme innocent et me voilà pourtant !
Prenez quelques minutes pour encourager et soutenir ces défenseurs des droits de l’homme et leur travail.
Ce travail qui permet à des personnes comme moi de tenir bon et de garder espoir.
De ne jamais nous sentir seuls !
Quand on est accompagnés, on a une capacité à résister et à dénoncer qui reste incompréhensible pour beaucoup et surtout pour ceux qui nous soumettent à ces conditions inhumaines.

Il y a des choses qui ne s’oublient pas.

Je n’oublierai jamais ceux qui me soutiennent".

Ali Aarrass
Prison de Salé II
Maroc

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