Un recul dangereux pour les femmes et les jeunes filles en Pologne par Anna Błuś, chercheuse sur l’Europe centrale et orientale

Enceinte à l’âge de 11 ans, une jeune fille violée par son propre père n’aura d’autre choix que de mener sa grossesse à terme. De même, une femme qui risque fortement de mourir en couches ou d’accoucher d’un bébé mort-né, ne pourra pas demander d’interrompre sa grossesse. Voilà les conséquences d’une nouvelle loi qui doit être débattue au Parlement polonais à partir du 21 septembre et qui, si elle est adoptée, se traduira par l’interdiction quasi totale de l’avortement.

Le 16 septembre, à Varsovie et dans le monde, des manifestants se rassemblent pour une journée d’action mondiale contre la modification de la loi en Pologne. Ce projet de loi prévoit que les femmes et les jeunes filles qui ont recouru ou tenté de recourir à un avortement pourront être poursuivies en justice et seront passibles d’une peine de prison comprise entre trois mois et cinq ans, et prévoit d’augmenter la peine de prison maximale encourue par toute personne qui les aide ou les encourage à pratiquer un avortement.

La loi sur l’avortement en Pologne est déjà l’une des plus restrictives d’Europe. En effet, l’avortement n’y est autorisé qu’en cas de viol ou d’inceste, lorsque le fœtus souffre d’une malformation grave et irréversible, ou d’une maladie incurable mettant sa vie en danger, ou lorsque la vie ou la santé de la femme ou de la jeune fille est en danger. Le projet de loi prévoit l’interdiction de l’avortement en toutes circonstances, sauf lorsque des professionnels de santé l’estiment nécessaire pour sauver la vie de la femme enceinte. Il aura pour conséquence de mettre la santé des femmes en danger, et de placer les médecins dans des situations impossibles. Sans directives claires sur les circonstances dans lesquelles une femme ou une jeune fille est assez proche de la mort pour être autorisée à pratiquer un avortement légal pour raisons médicales, la responsabilité incombera aux médecins de le retarder autant que possible.

« Si j’ai une patiente enceinte de 32 semaines et atteinte de prééclampsie, je dois attendre qu’elle-même ou son bébé commence à mourir avant d’agir, a déclaré le professeur Romuald Dębski au cours d’un débat au Parlement en avril dernier. En cas de grossesse extra-utérine et d’hémorragie, je peux pratiquer un avortement. Mais s’il n’y a pas d’hémorragie, et donc pas de risque immédiat pour la vie, je dois attendre qu’elle commence à mourir. »

Aux termes du projet de loi, causer accidentellement la mort de l’« enfant conçu » est passible d’une peine maximum de trois ans de prison pour les professionnels de santé. Cette disposition risque d’avoir un effet « paralysant » et de saper leur capacité à prodiguer des soins médicaux, des informations et des conseils adaptés à leurs patientes, mettant ainsi en péril la vie et la santé des femmes et des jeunes filles.

Au cours des dernières années, les lois sur l’avortement en Pologne ont été remises en cause par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). La Cour a statué que dans trois affaires, dont le cas d’une victime de viol de 14 ans, des obstacles inacceptables à l’accès des femmes et des jeunes filles à un avortement sûr et légal ont bafoué les obligations incombant à la Pologne au titre de la Convention européenne des droits de l’homme.

Selon les chiffres officiels, 1 000 avortements sont pratiqués en Pologne chaque année. Cependant, les données disponibles ne prennent pas en compte les avortements pratiqués clandestinement ou à l’étranger. D’après les organisations de défense des droits des femmes, le chiffre réel s’élèverait à 150 000.

« Aujourd’hui, les médecins ont peur de pratiquer des avortements légaux, a déclaré Krystyna Kacpura, directrice de la Fédération pour les femmes et le planning familial. Ils ont peur d’être stigmatisés, peur des répercussions pour leurs hôpitaux. Peur également de la criminalisation. »

À la lumière des décisions rendues par la CEDH, il apparaît clairement que les pratiques actuelles en Pologne doivent être réformées et que toute nouvelle restriction piétinerait de nombreuses obligations régionales et internationales relatives aux droits humains. De telles restrictions constitueraient une mesure régressive bafouant le droit international.

Des centaines de milliers de femmes ont rejoint le combat pour leurs droits, notamment grâce au travail monumental d’organisations comme celle de Krystyna. Au cours de manifestations qui ont gagné les rues de Pologne ces derniers mois, des manifestants ont brandi des cintres, symboles des méthodes archaïques et dangereuses auxquelles les femmes seraient contraintes de recourir, particulièrement celles qui n’ont pas les moyens de se rendre à l’étranger pour avorter.

Il ne s’agit pas de se montrer alarmiste. Il suffit de regarder dans d’autres pays où des lois similaires sont en vigueur pour constater leur impact négatif. Les recherches menées par Amnesty International en Irlande, au Salvador, au Nicaragua et au Paraguay montrent que dans tous ces pays, les femmes et les jeunes filles paient un lourd tribut aux restrictions à l’avortement sûr et légal. L’enjeu, c’est leur santé, leur bien-être et même leur vie.

Le Parlement ouvrira le débat sur le projet de loi mercredi 21 septembre. S’il se prononce pour, la nouvelle loi pourrait être promulguée en quelques jours. Dans ce cas, nous assisterons à une violation des conventions et traités internationaux relatifs aux droits humains, qui mettra les femmes face à un dilemme : interrompre leur grossesse et aller en prison, ou poursuivre leur grossesse et risquer leur vie.

En outre, un principe conquis de haute lutte serait mis à mal, à savoir que les décisions concernant le corps et la santé des femmes doivent être prises par les femmes elles-mêmes, en consultation avec les médecins, et non par la classe politique.

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