"Si tout le monde aide une dictature, pourquoi pas nous ?"

Une des fonctions essentielles d’un État démocratique est de protéger ses citoyens. Il doit garantir la sécurité de toutes et de tous, notamment dans des périodes troublées comme celle que nous connaissons actuellement. Pour ce faire, il doit mettre en place des politiques de renseignement, de prévention, voire d’espionnage, qui permettent d’étouffer dans l’oeuf les attentats contre les institutions et les citoyens (tout en respectant, bien entendu, les droits fondamentaux qu’il s’est engagé à garantir). Il doit aussi se donner les moyens de répliquer aux attaques éventuelles si elles ne peuvent être prévenues. Et pour cela, il faut des outils, des armes de qualité.

La Wallonie a une longue tradition, précisément, en la matière. Malgré une gestion parfois cahotique, des entreprises d’état comme la FN ont su préserver les compétences de leurs travailleurs et rester concurrentielles — du moins sur le plan technique— sur un marché de l’armement particulièrement difficile. La Région peut donc jouer un rôle important en fournissant — littéralement — les armes nécessaires aux démocraties pour se défendre et en même temps garantir l’emploi de plusieurs milliers d’ouvriers et d’employés.

Là où les choses se compliquent, bien entendu, c’est lorsque la clientèle de nos entreprises ne vise pas à défendre les droits de ses citoyens, mais plutôt les avantages de dictatures ou encore intervient militairement à l’étranger sans respecter les règles de base du droit humanitaire. Les organisations syndicales internationales, tout comme les ONG de défense des droits humains, dénoncent depuis longtemps ces pays qui traitent leurs femmes comme des sous-humains, interdisent toute représentation syndicale, emprisonnent et torturent leurs militants, favorisent l’esclavage, décapitent et mutilent leurs opposants.

Les citoyens européens ont donc obtenu depuis 2008 qu’une Position Commune soit adoptée au niveau de l’Union européenne afin de réglementer les ventes d’armes et d’éviter ainsi de participer activement à des violations des droits humains ou à des crimes de guerre. Les citoyens wallons —d’ailleurs propriétaires d’entreprises comme la FN— ont aussi vu avec satisfaction que leurs élus adoptaient en 2012 un décret définissant les règles d’attributions de licences de vente d’armement. Il faudra attendre 2013 pour voir les Nations unies adopter elles aussi un traité mondial sur les armes légères, immédiatement signé par la Belgique.

Ces règles visent toutes la même chose : éviter de contribuer aux violations des droits humains, ou aux crimes de guerre. Le décret wallon est très clair dans son deuxième critère :

“(...)
Après avoir évalué l’attitude du pays destinataire à l’égard des principes énoncés en la matière dans les instruments internationaux concernant les droits de l’homme, le Gouvernement :
a) refuse la licence d’exportation s’il existe un risque manifeste que la technologie ou les équipements militaires dont l’exportation est envisagée servent à la répression interne (…)
La répression interne comprend, entre autres, la torture et autres traitements ou châtiments cruels, inhumains et dégradants, les exécutions sommaires ou arbitraires, les disparitions, les détentions arbitraires et les autres violations graves des droits de l’homme et des libertés fondamentales (…).”

Tous les critères du décret

Et c’est bien ce qui nous préoccupe avec l’Arabie Saoudite, le principal client en 2014 de la Wallonie (plus de 3 milliards de contrats), tel que cela apparaît dans le rapport 2014 du gouvernement wallon au parlement wallon.
Car ce pays rassemble tous les critères définis dans le Décret [1] : interdiction des syndicats [2], interdiction de tout rassemblement depuis 2011, répression des manifestations, tortures et mauvais traitements, exécutions arbitraires, refus d’à peu près tous les droits aux femmes, bombardements au Yemen visant des cibles civiles et à l’aide de bombes à sous-munitions (interdites par le droit international [3]), autant de pratiques qui ne peuvent que soulever le coeur des militants et des citoyens.

Une partie des armes que nous fournissons au pouvoir saoudien sont destinées apparemment à la police et aux forces de sécurité, celles-là même qui répriment toute expression divergente et encadrent les décapitations et crucifixions sur les places publiques. Quelles garanties avons-nous que les armes fournies ne seront pas utilisées pour commettre des violations des droits humains et surtout ne seront pas envoyées en Syrie ou au Yémen pour soutenir des milices locales, alors que les intentions des Saoudiens semblent claires en la matière [4] ? L’usage par Daesh de fusils FAL vendus fin des années 70 au Qatar montre la “flexibilité” de l’usage de ces armes [5]. Enfin, la fourniture de blindés et de canons via le Canada aux Saoudiens pourrait contribuer à terme à des crimes de guerre, si Ryad décidait de les utiliser au Yémen.

“Si ce n’est pas nous qui vendons ces armes, d’autres le feront”.

C’est un argument que l’on entend régulièrement et qui ne tient pas compte bien entendu des règles qui ont été fixées au niveau mondial, européen et régional. Si d’autres pays ne respectent pas ces réglementations, il nous revient de les interpeller et de faire usage des mécanismes ad hoc. Mais ce n’est certainement pas une raison pour se faire complices de régimes qui violent tous les droits de leurs travailleurs/euses et décapitent leurs opposants pacifiques.

Des armes wallonnes ont été livrées en 2009 à la Libye, malgré nos recommandations. Aujourd’hui, personne ne peut nous dire où elles se trouvent. Certaines (FN 2000) ont été retrouvées, cependant, aux mains de brigadistes d’al-Quds [6], à Gaza ; d’autres ont servi plus que probablement à Al-Quaida [7] et circulent donc encore.

On le voit : quand on joue avec les armes, il faut être prudent. Les revendications d’Amnesty International et des autres organisations de défense des droits humains ne visent pas l’arrêt de la production d’armes en Wallonie (ni d’ailleurs de tout commerce avec des pays comme l’Arabie Saoudite). Mais c’est un appel à nos dirigeants, afin qu’ils appliquent le décret wallon, tout simplement. C’est aussi un appel aux travailleurs wallons, afin qu’ils se montrent solidaires des travailleurs, hommes, femmes et enfants, qui risquent de mourir tués par les armes qu’ils auront fabriquées. Les syndicats belges se sont battus pendant des années pour se voir garantir leurs droits essentiels. Il est temps de soutenir celles et ceux qui font de même aujourd’hui ailleurs.

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