KAZAKHSTAN

Les cas de torture et d’autres mauvais traitements imputables aux forces de sécurité étaient manifestement toujours aussi nombreux, malgré les déclarations du gouvernement selon lesquelles le problème était en voie d’être réglé. Les forces de sécurité ont employé une force excessive pour disperser d’importants mouvements de grève dans le secteur du pétrole et du gaz, arrêtant des dizaines de manifestants ainsi que des sympathisants des grévistes, des syndicalistes et des militants de l’opposition. Seize personnes au moins ont été tuées en décembre lors d’affrontements entre manifestants et policiers. Accusée d’incitation à la discorde sociale pendant les grèves, l’avocate d’un syndicat a été condamnée à six ans d’emprisonnement. Les autorités ont renvoyé de force en Chine et en Ouzbékistan des demandeurs d’asile et des réfugiés, en dépit des protestations internationales et de plusieurs interventions de l’ONU.

RÉPUBLIQUE DU KAZAKHSTAN
Chef de l’État : Noursoultan Nazarbaïev
CHEF DU GOUVERNEMENT : Karim Massimov
Peine de mort : abolie sauf pour crimes exceptionnels
Population : 16,2 millions
Espérance de vie : 67 ans
Mortalité des moins de cinq ans : 28,7 ‰
Taux d’alphabétisation des adultes : 99,7 %

Contexte

Le président Noursoultan Nazarbaïev a été réélu en avril à la tête de l’État avec 95 % des voix, en l’absence de rivaux. L’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) a estimé que le scrutin avait été entaché de « graves irrégularités ». Peu après, le chef de l’État a fait part de son intention de créer un parlement bipartite. Il a dissous en novembre le Parlement à parti unique et a convoqué des élections anticipées en janvier 2012.
Confrontées à une vague sans précédent d’attentats à l’explosif, de probables attentats-suicides et d’attaques violentes menés dans tout le pays par des groupes armés non identifiés, les autorités ont multiplié les opérations antiterroristes contre les groupes islamiques et les partis et organisations islamistes non reconnus ou interdits. Au moins 35 personnes, dont des membres des forces de sécurité et des civils, ont été tuées lors de ces violences, présentées par le gouvernement comme des attentats terroristes perpétrés par des groupes islamistes illégaux. Plusieurs groupes de défense des droits humains ont accusé les pouvoirs publics de prendre ces atteintes présumées à la sécurité nationale comme prétexte pour renforcer la surveillance de l’État sur les groupes religieux. Une nouvelle loi encadrant sévèrement les organisations religieuses a été adoptée en octobre. Elle obligeait notamment ces dernières à se faire de nouveau enregistrer auprès des autorités dans un délai de 12 mois, sous peine de dissolution. Par ailleurs, elle prévoyait que toute mosquée refusant de se placer sous l’autorité du Conseil musulman, organisme contrôlé par l’État, serait déclarée illégale.
De violents affrontements ont éclaté entre manifestants et policiers le 16 décembre à Janaozen, une ville pétrolière du sud-ouest du pays, à l’occasion de la célébration du 20e anniversaire de l’indépendance du Kazakhstan. Au moins 15 personnes ont été tuées et plus de 100 autres blessées lors de ces affrontements, les plus graves de ces dernières années. Un manifestant a été tué un peu plus tard, dans d’autres circonstances. Selon les autorités, 42 bâtiments, dont la mairie, auraient été totalement brûlés ou détruits. Le président Nazarbaïev a décrété l’état d’urgence pendant 20 jours à Janaozen, où il a envoyé des renforts militaires, ainsi qu’une commission spéciale chargée d’enquêter sur les violences. Toutes les communications avec la ville ont été temporairement interrompues. Le chef de l’État, qui s’est rendu sur place le 22 décembre, a attribué les violences à de « jeunes houligans » ayant profité du mécontentement et de la colère des grévistes pour détruire et piller des biens publics et privés. Il a ajouté que les forces de sécurité avaient agi dans le strict respect de la loi. Après la diffusion de vidéos filmées lors des événements, le parquet général a néanmoins ouvert une enquête judiciaire sur la force dont elles avaient fait usage. Il a en outre invité l’ONU à participer à une enquête impartiale sur les violences commises.

Torture et autres mauvais traitements

En juillet, le Comité des droits de l’homme [ONU] a examiné le rapport remis par le Kazakhstan sur la mise en œuvre du PIDCP. Il regrettait que le pays n’ait pas davantage progressé sur la voie de l’élimination de la torture et s’interrogeait sur la volonté politique des autorités de respecter leurs engagements, notamment en enquêtant de manière efficace sur les allégations de torture ou d’autres mauvais traitements. Le même mois, le président a signé un décret autorisant le retour du système pénitentiaire sous l’autorité du ministère de l’Intérieur. Cette initiative représentait un important pas en arrière, réduisant à néant des années de travail de la part du gouvernement et des ONG pour introduire des réformes. L’accès des observateurs aux prisons et aux centres de détention provisoire s’était nettement amélioré depuis le transfert de ces établissements sous l’autorité du ministère de la Justice en 2004. Il était en revanche toujours aussi difficile de se rendre dans les lieux de détention relevant du ministère de l’Intérieur, notamment les postes de police. Or, la plupart des allégations de torture continuaient de concerner ces lieux.
*Nikolaï Maïer, âgé de 21 ans, et quatre de ses amis auraient été agressés le 25 juillet par 15 policiers, alors qu’ils se trouvaient dans la cour de leur immeuble, à Roudni. Plusieurs témoins ont affirmé avoir vu les policiers frapper les jeunes gens à coups de pied et de matraque en caoutchouc.
Nikolaï Maïer a perdu connaissance. Les cinq hommes ont été placés en garde à vue. Nikolaï Maïer a été inculpé d’atteinte à la vie et à la santé d’agents des forces de l’ordre. Il a été conduit le lendemain matin à l’hôpital, où il a été médicalement établi qu’il était commotionné et souffrait de lésions cérébrales, oculaires et fémorales. Il a ensuite été placé en résidence surveillée. Malgré les éléments médicaux attestant de l’état du jeune homme et les nombreuses plaintes formulées par sa famille et son avocat, le parquet n’a pas ouvert d’enquête sur les tortures, entre autres mauvais traitements, qu’il aurait subies aux mains de la police. Les services régionaux du ministère de l’Intérieur du Kostanaï ont estimé que le recours à la force par les policiers avait été justifié dans cette affaire. Le procès s’est ouvert au mois de novembre mais à la fin de l’année aucun jugement n’avait été prononcé.
*Après les violences survenues à Janaozen le 16 décembre, un certain nombre de personnes interpellées puis relâchées, ainsi que des proches de détenus, ont déclaré que des dizaines de personnes, dont des jeunes filles, avaient été arrêtées et détenues au secret par la police dans des cellules surpeuplées. Selon ces témoins, les détenus auraient été déshabillés, frappés, notamment à coups de pied, et soumis à des jets d’eau froide. Des journalistes ont affirmé avoir entendu des cris provenant des pièces où se déroulaient les interrogatoires dans les postes de police. Il a été difficile pour les observateurs indépendants, tenus à distance, de vérifier ces allégations. Un homme au moins serait mort des suites des tortures qui lui auraient été infligées pendant sa garde à vue.

Droits des travailleurs

Dans le sud-ouest du Kazakhstan, des milliers d’employés du secteur pétrolier ont mené une série de grèves et de manifestations à partir du mois de mai. Ils entendaient ainsi faire valoir leurs revendications sur les salaires et les conditions de travail. Les sociétés les employant ont saisi la justice. Les grèves ont été déclarées illégales et des centaines de grévistes ont été licenciés.
Les pouvoirs publics ont fait usage d’une force excessive pour disperser les manifestations, notamment à Janaozen, arrêtant des dizaines de grévistes, ainsi que des syndicalistes et des militants de l’opposition. La plupart des personnes interpellées ont été condamnées à des peines légères de détention administrative ou à des amendes. Les forces de sécurité ont par ailleurs menacé, arrêté et frappé des proches et des sympathisants des grévistes. Elles ont également harcelé les observateurs des droits humains. Un certain nombre de journalistes indépendants qui couvraient les grèves ont été agressés par des inconnus en octobre. L’absence d’enquêtes officielles sur ces atteintes aux droits fondamentaux n’a fait qu’accentuer le mécontentement des travailleurs et attiser les tensions. Les événements survenus le 16 décembre à Janaozen ont profondément marqué les esprits, dans le pays comme à l’étranger. Le chef de l’État s’est rendu sur place le 22 décembre. À son retour, il a limogé plusieurs cadres dirigeants (régionaux et nationaux) d’entreprises pétrolières et gazières, ainsi que le gouverneur de la région, à qui il reprochait de ne pas avoir réagi de manière adéquate face aux revendications des travailleurs en grève.
*Le 16 décembre, à Janaozen, des jeunes et des employés du pétrole en grève depuis mai ont détruit les décorations qui avaient été installées sur la grande place de la ville. Ils auraient également jeté des pierres en direction de policiers et d’agents municipaux. Selon des témoins, certains policiers auraient tiré en l’air, à titre d’avertissement, mais d’autres auraient ouvert le feu directement sur la foule qui s’était massée sur la place et comptait des femmes et des enfants venus fêter l’anniversaire de l’indépendance du pays. Sur des vidéos filmées par des amateurs, on pouvait voir des membres des forces de sécurité tirant délibérément sur des manifestants qui tentaient de fuir et frappant des blessés allongés sur le sol. Au moins 15 personnes ont été tuées et plus de 100 autres blessées lors de ces événements. Les services du procureur général ont annoncé que 16 personnes avaient été arrêtées pour avoir organisé les violences et que plus de 130 autres avaient été interpellées pour y avoir participé.
*L’avocate et syndicaliste Natalia Sokolova, représentant les employés de la compagnie pétrolière Karajanbasmounaï, a été déclarée coupable, le 24 mai, d’avoir organisé un grand rassemblement non autorisé à Aktaou ; elle a été condamnée à une peine de détention administrative. Le jour où elle devait être remise en liberté, elle a été inculpée d’« incitation à la discorde sociale » et placée en détention provisoire pour deux mois. Les demandes répétées de sa famille pour lui rendre visite en détention n’ont pas abouti. Natalia Sokolova a été condamnée le 8 août par le tribunal de la ville d’Aktaou à six années d’emprisonnement. Son appel a été rejeté le 26 septembre par le tribunal régional de Manguistaou, qui n’a pas accepté l’argument invoqué par sa défense, selon lequel elle avait uniquement agi dans le cadre de ses fonctions de conseillère juridique du syndicat pour lequel elle travaillait. Un recours introduit devant la Cour suprême était en instance à la fin de l’année.

Réfugiés et demandeurs d’asile

Les autorités ont multiplié les initiatives visant à expulser des demandeurs d’asile et des réfugiés originaires de Chine et d’Ouzbékistan, en dépit des protestations internationales et de plusieurs interventions de l’ONU.
*Ershidin Israil, un enseignant ouïghour de nationalité chinoise, a été renvoyé de force dans son pays le 30 mai. Les autorités chinoises ont confirmé le 14 juin qu’elles le détenaient et qu’il était traité en tant que « terroriste de premier plan présumé ». Ershidin Israil avait fui la Chine pour se réfugier au Kazakhstan en septembre 2009, quelques jours après avoir accordé une interview à Radio Free Asia. Il avait alors révélé qu’un jeune Ouïghour, qui avait participé aux troubles de juillet 2009 à Ürümqi, avait semble-t-il été battu à mort alors qu’il se trouvait en détention. Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) lui avait accordé en mars 2010 le statut de réfugié au Kazakhstan et Ershidin Israil avait obtenu l’autorisation de s’installer en Suède. Cependant, le 3 avril 2010, il avait été placé en détention par les autorités kazakhes. Il avait demandé à cinq reprises l’asile au Kazakhstan, mais toutes ses demandes avaient été rejetées par la justice.
*Le 9 juin, le Kazakhstan a extradé 28 Ouzbeks vers leur pays d’origine, où ils risquaient fort d’être torturés. Le Comité contre la torture [ONU] avait pourtant réaffirmé en mai les mesures provisoires de protection demandées en 2010 et interdisant au Kazakhstan d’extrader ces personnes. Fin décembre, quatre autres hommes d’origine ouzbèke, maintenus en détention au Kazakhstan, risquaient toujours de subir un retour forcé. Les femmes et les enfants de ces 32 hommes (extradés ou menacés de l’être) étaient également détenus et risquaient eux aussi d’être renvoyés de force en Ouzbékistan. Des proches des hommes arrêtés se sont mobilisés en leur faveur. Ils ont publiquement dénoncé les conditions dans lesquelles ils étaient détenus ainsi que les mauvais traitements, notamment les coups, que leur auraient infligés les forces de sécurité, et souligné les risques qu’ils couraient s’ils étaient expulsés vers leur pays d’origine. En raison de leur intervention, ces proches ont été menacés et soumis à des actes d’intimidation par les forces de sécurité.
Ces hommes avaient fui l’Ouzbékistan car ils craignaient d’y être persécutés en raison de leurs convictions ou pratiques religieuses ou de leur appartenance à des organisations islamistes interdites ou non reconnues. Ils avaient été arrêtés par les autorités kazakhes en juin 2010, à la demande du gouvernement ouzbek. Les recours formés contre la décision d’extradition ont été rejetés le 15 mars par un tribunal de district d’Almaty.

Visites et documents d’Amnesty International

  • Kazakhstan. Des Ouzbeks risquent la torture s’ils sont renvoyés dans leur pays (EUR 57/002/2011).
  • Kazakhstan. Amnesty exhorte les autorités à protéger les droits d’employés du secteur pétrolier dans le sud-ouest du pays (EUR 57/004/2011).
Toutes les infos
Toutes les actions
2024 - Amnesty International Belgique N° BCE 0418 308 144 - Crédits - Charte vie privée
Made by Spade + Nursit