Intersectionnalité et violences sexuelles

Violences sexuelles et intersectionnalité.

La violence basée sur le genre est à la fois une cause et une conséquence des inégalités hommes/femmes qui persistent au sein de notre société. Être une femme est un facteur de risque majeur de se trouver un jour confrontée à une ou plusieurs formes de violence. Mais qu’en est-il des personnes qui cumulent plusieurs types de discriminations ? Certaines femmes, comme les femmes racisées, les femmes porteuses de handicap, les femmes lesbiennes, les femmes de catégories socioprofessionnelles moins favorisées ou encore les femmes trans, expérimentent des discriminations supplémentaires qui s’ajoutent à la discrimination liée à leur genre. Les personnes intersexuées occupent également une position subalterne dans l’ordre patriarcal, ce qui les inscrit à la marge et les expose à de multiples violences.

Toutes ces catégories d’individus sont notamment rendues vulnérables aux agressions sexuelles et, si elles en sont victimes, toutes les étapes de leur parcours judiciaire seront également influencées par les discriminations dont elles sont victimes dans la société. Comme le résume la psychiatre Muriel Salmona, psychiatre et présidente de l’Association mémoire traumatique et victimologie : « Dans une société sous domination masculine et profondément inégalitaire, plus les femmes seront discriminées et vulnérables, plus elles seront exposées à des manipulations et à des phénomènes d’emprise et du coup ciblées par les prédateurs sexuels ».

L’intersectionnalité est le concept qui désigne la prise en compte des différentes formes de discrimination qui peuvent s’opérer simultanément. Pour comprendre le phénomène du viol dans sa globalité, pour déconstruire les mythes et stéréotypes qui y sont liés et pour proposer des solutions réellement adaptées aux besoins de toutes, il est nécessaire d’avoir une lecture intersectionnelle des violences sexuelles.

Violences sexuelles et racisme

Aux stéréotypes de la culture du viol s’ajoutent les stéréotypes racistes sur le comportements sexuels des femmes racisées (c’est à dire des femmes non-blanches). Le sondage Amnesty-SOS Viol de 2019 a notamment mis en évidence que 18 % répondant·e·s (23% des hommes et 14% pensent que les femmes noires ont une sexualité plus libérée, qu’elles sont plus « chaudes »). Les images fantasmées des femmes racisées qui circulent, notamment dans les productions pornographiques, renforcent l’objectivation des corps de ces femmes et les exposent encore plus aux violences sexuelles.

Les nombreux stéréotypes racistes rendent également plus difficiles leurs parcours pour obtenir justice, l’ensemble des acteurs qui interviennent dans les procédures pouvant avoir des réactions ou des commentaires inappropriées liées aux stéréotypes racistes qu’ils ont assimilés inconsciemment.

Violences sexuelles et migration

Les femmes migrantes peuvent avoir été victimes de violence sexuelle dans leurs pays d’origine. Cela peut d’ailleurs motiver la décision de quitter leur pays. Elles peuvent aussi être confrontées à ces violences sur le chemin de l’exil ou dans les pays d’accueil. La précarité de leur situation les expose davantage aux violences sexuelles commises par des passeurs, des douaniers, des agents d’État ou encore des hommes lambdas, profitant de leur situation pour les agresser ou pour les obliger à échanger des moyens de subsistance ou de locomotion contre des rapports sexuels.

Que ce soit sur le chemin de l’exil ou dans le pays d’accueil, leur situation administrative augmente également leur vulnérabilité. Elles n’ont par exemple pas toujours accès à un dépôt de plainte sécurisé, car si leur séjour est irrégulier, elles prennent le risque de recevoir un ordre de quitter le territoire lorsqu’elles se présentent au commissariat pour porter plainte. Les femmes confrontées à des violences sexuelles dans leur couple sont également freinées dans leurs accès à la protection et à la justice lorsque leur titre de séjour est lié à une procédure de regroupement familial, car en se séparant de leur conjoint, elles risquent de perdre leur droit de rester sur le territoire du pays d’accueil.

Voir aussi  : Ces femmes qui prennent tous les risques

Violences sexuelles et classisme

Les inégalités socio-économiques engendrent des dynamiques de pouvoir qui peuvent empêcher les personnes de s’opposer ou de résister à une personne qui les contraint à avoir des rapports sexuels. Ces abus de pouvoir peuvent prendre plusieurs formes, parmi lesquelles l’instrumentalisation d’une supériorité hiérarchique ou d’une notoriété. Une expression connue de tou·te·s incarne la légitimation de la violence sexuelle opérée par des hommes puissants : il s’agit du « droit de cuissage », qui sous-entend qu’il existe un droit d’accès aux corps des femmes par leur supérieur. Cette appellation grivoise minimise la gravité de ce type de viol et le légitimise. Pour rappel, 7% des femmes avaient été victimes de relations sexuelles forcées par leur supérieur hiérachique selon le sondage d’Amnesty - SOS Viol en 2014.

Au-delà de ces rapports sexuels obtenus sous la contrainte, des hommes utilisent également leur prestige ou leur influence pour dénigrer leurs victimes, en les accusant de vouloir nuire à leur réputation et tirer un bénéfice de fausses accusations.

Violences sexuelles et validisme

Plusieurs études montrent que les femmes porteuses de handicap sont plus exposées aux violences sexuelles. Une enquête réalisée sur internet par l’Encéphale, en France, a mis en évidence que 88 % des femmes autistes de haut niveau interrogées déclarent avoir subi une ou plusieurs violences sexuelles (pouvant être des attouchements, baisers non désirés, tentative de viol ou viol) et 51 % d’entre elles déclarent avoir subi une pénétration contrainte. Une étude de l’Agence européenne pour les droits fondamentaux de 2014 démontre également une plus grande exposition à la violence des femmes porteuses de handicap. Que l’on considère les chiffres des violences commises par un partenaire, par quelqu’un d’autre, au cours de l’enfance ou pendant l’âge adulte, les pourcentages de femmes victimes sont supérieurs de 10 points chez les femmes porteuses de handicaps que chez les autres.

Comment expliquer cet état de fait ? Les femmes porteuses de handicap sont particulièrement vulnérables aux agressions sexuelles. Elles sont souvent en situation de dépendance par rapport aux personnes qui les encadrent et la relation qui en résulte peut être un facteur de violence. Par ailleurs, leur condition physique et/ou mentale peut être un frein pour s’opposer à une agression.

Les personnes travaillant dans les structures d’accueil ou dans les services en lien direct avec des personnes en situation de handicap, ne sont pas toujours formées au dépistage et à la prise en charge des personnes qui subissent des violences sexuelles, ce qui peut invisibiliser cette problématique.

Le personnel policier et judiciaire n’est pas non plus toujours formé et les infrastructures ne sont pas toujours adaptées pour recevoir des personnes porteuses de handicap, ce qui augmente le risque d’impunité.

Violences sexuelles et homophobie, lesbophobie, biphobie et transphobie

L’hétérosexualité est souvent considérée comme étant la norme dans notre société, ce qui peut engendrer une dévalorisation des personnes qui n’y correspondent pas. Les gays, les lesbiennes, les bisexuel·le·s et les personnes transgenres sont la cible de nombreuses agressions, qu’elles soient verbales ou physiques. La discrimination dont ils·elles sont victimes se traduit notamment par des stéréotypes concernant la fréquence de leurs rapports sexuels et le nombre de leurs partenaires, ou encore par l’érotisation des femmes lesbiennes et transgenres. Cette hypersexualisation peut engendrer des comportements violents.

Certains viols visant les personnes homosexuelles ou trans sont même qualifiés de « punitifs » ou « correctifs », en prétextant de vouloir les guérir.

Violences sexuelles et intersexuation

Les personnes Inter* (parfois appelées « intersexuées » ou « intersexes ») sont nées avec des variations des caractéristiques sexuelles ne correspondant pas aux définitions typiques du « masculin » et du « féminin ». D’ordre chromosomique ou anatomique, ces différentes peuvent être visibles dès la naissance ou apparaître bien plus tard. Bien qu’elles soient en grande majorité des variations saines et naturelles du corps humain, ces variations font pourtant encore aujourd’hui l’objet de nombreuses procédures de normalisation sexuelle. Plusieurs opérations chirurgicales et traitements hormonaux non consentis sont ainsi imposés aux enfants dans le but de les rapprocher des idéaux stéréotypés des sexes « féminin » et « masculin ». Dans la mesure où elles ne correspondent pas à des besoins à des médicaux réels, ces opérations sont de graves violations des droits humains des personnes intersexuées (droit à la santé, droit à l’intégrité physique, droit de ne pas subir de traitement cruel, inhumain ou dégradant, etc.) et peuvent avoir de sévères conséquences : stérilisation forcée, perte de sensibilité, souffrance physique et psychologique intense, risque de suicide, etc.

Les personnes Inter* sont également exposées à de nombreuses violences sexuelles, d’abord dans le cadre médical (viol par pénétration non consentie avec les doigts, exposition forcée, photographie des organes génitaux non consentie, etc.) tout au long de leur parcours mais aussi à l’extérieur.

Violences sexuelles et travail du sexe

Les travailleur·se·s du sexe (TDS), c’est-à-dire les personnes prostituées, les escortes, les assistant·te·s sexuel·le·s, les acteur·rice·s porno, etc., sont particulièrement exposé·e·s à la violence sexuelle dans l’exercice de leur fonction. Des clients associent en effet le consentement à la transaction financière et estiment avoir tous les droits sur la personne qu’ils ont en face d’eux. Par ailleurs, en Belgique, le travail du sexe est légal, mais toutes les formes d’organisation de celui-ci sont interdites. Le racolage et l’organisation collective de travailleur·se·s peuvent être poursuivis. La précarité liée à ce statut juridique, et les conséquences sur la sécurité des personnes qui en découlent, rendent les TDS particulièrement vulnérables au viol. Les TDS peuvent en effet être découragé·e·s par la peur d’être poursuivi·e·s pour racolage si ils·elles portent plainte pour viol. L’impunité qui découle de ce statut juridique précaire peut être un facteur qui encourage des potentiels agresseurs à passer à l’acte.

La stigmatisation des personnes qui exercent des métiers liés au sexe produit des représentations négatives qui peuvent les freiner dans les démarches pour obtenir justice ou réparation.

Voir aussi : Les travailleuses et travailleurs du sexe ont des droits et ont besoin de protection

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