Réfugiés yézidis : solidaires dans leur isolement, ils s’unissent pour rester forts face à l’adversité Par Maria Serrano, chargée de campagne à Amnesty International

Il y a deux ans, le groupe armé se désignant sous le nom d’État islamique (EI) a ravagé le nord de l’Irak, menant une campagne systématique de nettoyage ethnique contre les minorités.

Le groupe armé a enlevé des milliers d’hommes, femmes et enfants yézidis, les a forcés à se convertir à l’islam et a tué des centaines d’hommes de sang-froid. Les femmes et les jeunes filles capturées ont été victimes d’actes de torture et ont notamment été violées, mariées de force, « vendues » ou offertes en « cadeau » à des combattants de l’EI ou à leurs sympathisants et réduites en esclavage sexuel. Les garçons ont été séparés de leur famille et envoyés dans des camps d’entraînement militaire.

« Selon les estimations, environ 3 800 femmes et enfants yézidis demeurent captifs. Des centaines de milliers de Yézidis sont en outre déplacés à l’intérieur de l’Irak. Beaucoup d’autres sont devenus des réfugiés.

L’EI est arrivé dans la province de Sinjar et a commencé à enlever des femmes et des enfants. Nous étions obligés de nous enfuir, nos maisons étaient détruites. »
Kurtey

Lorsque nous nous sommes rendus au camp de réfugiés de Nea Kavala en Grèce en juillet, il accueillait environ 400 hommes, femmes et enfants yézidis qui vivaient dans des conditions effroyables avec environ 2 000 autres demandeurs d’asile, attendant pendant que le reste de l’Europe traîne les pieds pour trouver des solutions à la crise des réfugiés.

Ils dormaient dans des tentes depuis des mois, dans des conditions d’hygiène déplorables, exposés aux insectes, aux serpents et aux températures écrasantes de l’été. Bien que les rations alimentaires distribuées par l’armée grecque leur permettent de survivre, ils nous ont dit que la nourriture était très mauvaise et qu’ils n’avaient pas assez d’eau potable.

Des membres de l’armée et de la police étaient assis à l’entrée du camp lorsque nous sommes arrivés. Des conteneurs dans lesquels les bureaux de l’armée grecque sont installés s’étendaient derrière eux. Une route goudronnée séparait les conteneurs des rangées de tentes alignées. Les premières tentes étaient occupées par des Yézidis. Beaucoup nous ont chaleureusement accueillis.

Dans la chaleur écrasante, à l’intérieur comme à l’extérieur de leurs tentes, des Yézidis nous ont raconté les histoires effrayantes de leur fuite.

Luttant pour survivre, ils ont traversé des montagnes et des frontières mais n’ont trouvé que la misère dans les camps de Turquie. Ils ont continué leur périple, espérant trouver une protection, forcés de payer des passeurs pour traverser la mer Égée, pour finalement se retrouver coincés en Grèce, les frontières de l’Europe leur étant fermées.

Le voyage a été particulièrement éprouvant pour les femmes yézidies âgées comme Sarif. Sarif est aveugle et sa famille nous a dit qu’elle avait plus de 100 ans. Son fils l’a portée sur son dos entre l’Irak et la Turquie.

Bahar Salaman a 91 ans et souffre de problèmes cardiaques. Elle ne pouvait pas non plus marcher, mais a suivi sa famille et a traversé la mer Égée, connue sous le nom de la « mer de la mort » pour certains Yézidis, parce qu’elle a englouti tellement de réfugiés.

Bahar Salaman, réfugiée yézidie âgée de 91 ans. © Amnesty International (Photo : Richard Burton)

Coincés dans un climat d’insécurité

La guerre a non seulement brisé des vies, mais elle a également mis à mal la coexistence entre différents groupes. Les tensions et la méfiance entre les Yézidis et d’autres groupes vivant dans le camp étaient palpables.

Les hommes yézidis organisaient des gardes la nuit, de peur d’être attaqués par d’autres demandeurs d’asile.

Nous avons également rencontré Kurtey, Ghazal, Karmey, Beshey et Noorey.

« Nous avons peur des bagarres, nous ne nous sentons pas en sécurité dans le camp », nous ont-elles dit.

Pour se protéger, elles avaient créé un « cercle de protection », trouvant la force dans l’unité, s’accompagnant les unes les autres aux sanitaires.

« Nous n’utilisons pas les douches des camps. Nous avons construit un hammam à côté de nos tentes à la place. »

Le traumatisme de la guerre était un souvenir vif et douloureux. Karmey a éclaté en sanglots lorsqu’elle s’est souvenue de comment elle a été obligée de fuir avec deux de ses enfants et a dû laisser les trois autres en Irak.

Karmey est une femme yézidie du nord de l'Irak. © Amnesty International (Photo : Richard Burton)

Toute la communauté yézidie, tant les hommes que les femmes, estimait que la police grecque ne faisait rien pour les protéger des agressions dans le camp. Les demandeurs d’asile d’autres nationalités dans le camp partageaient ce point de vue.

Tout comme d’autres femmes réfugiées, les femmes yézidies s’inquiétaient en raison de la nourriture, des soins médicaux et, plus généralement, de leurs conditions de vie déplorables en Grèce.

«  Nous passons nos journées à réfléchir, déprimées, allant de tente en tente  ».

Cependant, toutes étaient d’accord pour dire que les principaux problèmes étaient l’insécurité et le manque d’éducation pour leurs enfants.

« Avant, nous n’avions rien, mais au moins nous avions accès à l’éducation. L’espoir nous permettait de vivre, mais maintenant, notre espoir est brisé ».

Après être arrivés en Grèce et avoir passé plus de cinq mois dans le camp de Nea Kavala, les Yézidis ont l’impression d’avoir été oubliés et négligés par le monde.

Beaucoup attendent toujours d’être relocalisés ou de rejoindre leurs proches dans d’autres pays européens. Mais l’attente est trop longue et, pour eux, insupportable.

L’incertitude détruit leurs espoirs communs de rester ensemble, comme une communauté. Les demandeurs d’asile yézidis ont survécu aux violences de l’EI, ont parcouru des milliers de kilomètres pour s’enfuir et sont maintenant ignorés par les dirigeants européens. Des femmes yézidies nous ont courageusement dit :

« Nous voulons que notre voix soit entendue par tous les dirigeants européens. Sortez-nous de ce camp, sortez-nous de la Grèce ».

Kurtey Ismaed © Amnesty International (Photo : Richard Burton)

Tous les États européens partagent une responsabilité : ils peuvent et doivent proposer des places de relocalisation, réunir les familles et accorder des visas. La Grèce ne peut pas assumer seule la responsabilité d’offrir une protection aux réfugiés en Europe.

Toutefois, le gouvernent grec doit s’attaquer immédiatement et de toute urgence à l’insécurité qui règne dans certains camps et fournir aux demandeurs d’asile un abri et des soins adaptés. Il doit également veiller à ce que les femmes et les filles aient accès à des installations séparées et sûres.
Au début du mois d’août, quelques jours seulement après notre rencontre, les Yézidis ont décidé de quitter Nea Kavala. Plus de 400 d’entre eux ont passé deux nuits dehors avant d’être enfin déplacés vers le nouveau camp de Dimitra.

Deux ans après avoir été chassées de chez elles par l’EI, les femmes yézidies à qui nous avons parlé sont toujours en Grèce. Ici, sur le sol européen, elles attendent le jour où elles pourront retrouver leur famille ou être relocalisées ailleurs en Europe et où elles pourront enfin se sentir à nouveau en sécurité.

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