« Les bidonvilles représentent ce qu’il y a de pire en matière de pauvreté urbaine et d’inégalités » Kofi Annan, ancien secrétaire général des Nations unies (Rapport 2003 d’ONU-Habitat) |
Plus d’un milliard de personnes, sur tous les continents, vivent dans des bidonvilles. Selon certaines prévisions, deux milliards de personnes vivront dans ce type d’habitat en 2030.
Les bidonvilles s’étendent en raison de l’urbanisation croissante et de la pénurie de logements abordables dans les villes. La pauvreté, la discrimination, les déplacements internes liés à des conflits, les catastrophes naturelles et les changements climatiques, les saisies de terrains au profit d’entreprises privées et les expulsions forcées obligent aussi les gens à supporter des conditions de logement et de vie inacceptables.
Les violations des droits humains sont généralisées et systématiques dans les bidonvilles. Les personnes qui y vivent sont privées de leurs droits à un logement convenable, à l’eau et à des installations sanitaires, à l’éducation et à la santé. Elles subissent la violence de la police et de bandes criminelles. Elles vivent également sous la menace permanente d’être expulsées de force de leur logement, faute de procédure légale et d’autres garanties en la matière, et ne se voient proposer aucune solution de relogement.
La pauvreté est un désastre sur le plan des droits humains et les bidonvilles en sont la manifestation la plus visible.
Compte tenu des difficultés qui pèsent sur la vie des habitants des bidonvilles, on peut facilement oublier que ce sont des endroits où, contre toute attente, des gens ont construit leur logement, constitué une famille, créé une activité professionnelle et formé des communautés. À chaque fois qu’un logement est détruit, ses habitants ne perdent pas uniquement des murs, mais tout ce qu’un foyer peut représenter – la sécurité, la famille, la santé, le travail et la collectivité. Comme le démontrent les cas suivants, le mépris pour la vie que l’on constate dans les bidonvilles conduit souvent à l’aggravation d’une situation déjà difficile : les personnes concernées perdent le peu qu’elles avaient et n’ont guère de possibilité de recourir à la justice.
Angola
J’ai demandé : « est-ce que nous vivons dans un pays sans lois ? La police, c’est vous. Au lieu de faire respecter la loi vous la violez. » Amelia André Maneco
Amelia André Maneco a cinq enfants et vit dans le quartier de Soba Kapassa, à Luanda, qui connaît des vagues d’expulsions forcées depuis 2002.
En 2005, en sortant de l’hôpital, où elle avait donné naissance à son quatrième enfant, elle a trouvé des policiers devant son domicile. « Ils nous ont dit de sortir nos affaires de nos maisons parce qu’ils allaient les démolir. J’ai demandé à des policiers pourquoi ils faisaient cela et je les ai suppliés d’arrêter. « Ils ont emmené mon mari, Kapassola, et l’ont jeté à l’arrière d’une voiture, comme un sac de patates, parce qu’il avait dit à notre fils aîné de ne pas quitter la maison. Ils l’ont accusé de rébellion et l’ont retenu au poste de police pendant de longues heures. » La maison en briques d’Amelia a été démolie en 2005. Son mari et elle ont bâti une nouvelle maison en tôle de zinc. « Ils ne nous ont donné ni argent pour déménager ni terrain où nous installer, a-t-elle expliqué. Ils sont revenus deux fois cette année-là pour démolir nos maisons et essayer de nous faire quitter le quartier. » Les démolitions ont cessé et Amelia et son mari ont pu reconstruire une maison en briques. Ils n’ont reçu d’indemnisation pour aucune des trois démolitions. |
Cambodge
« Cela revient à laisser des personnes mourir […] on les tue en les affamant. » Leng Sopheap
Leng Sopheap, âgée de quarante-huit ans et mère de trois enfants, a été expulsée de force de son domicile de Sambok Chab en mai-juin 2006. Elle a été relogée à Andong avec sa famille.
La vie à Andong était difficile. Le terrain était nu et inondé. Il n’y avait pas de maisons, d’eau salubre, d’électricité, de toilettes ni d’emplois. Elle gagnait moins d’un demi-dollar par jour en vendant des gâteaux au sucre de palme et n’avait pas de quoi s’alimenter ni nourrir ses enfants. Leng Sopheap, qui est infectée par le VIH, n’avait plus la possibilité de se rendre dans un centre de soins, ce qui était pourtant nécessaire dans son cas. Elle doit se rendre régulièrement dans un tel établissement afin de recevoir un traitement antirétroviral gratuit. « C’était impossible de vivre là-bas, a-t-elle expliqué. Cette [réinstallation] n’avait pas pour objectif d’aider les gens. Ils étaient déjà pauvres, maintenant ils le sont encore plus et vivent dans la misère. » Après avoir passé quelques mois à Andong, Leng Sopheap est repartie en ville, laissant ses enfants aux soins de deux organisations non gouvernementales (ONG). Son compagnon et elle vivent actuellement dans des rues proches du lieu où elle habitait auparavant. Elle a trouvé du travail : elle vend de la canne à sucre et envoie de l’argent à ses enfants, mais n’en a pas assez pour louer un logement. Selon Leng Sopheap, tous les quartiers pauvres qui disposaient de logements en location ont été ou seront bientôt démolis, ce qui lui laissera peu de possibilités de reconstruire sa vie et l’obligera à vivre en situation de grande insécurité. |
Roumanie
« les odeurs sont insupportables. Il y a un panneau qui avertit du danger. Les enfants souffrent de maux de tête. » Erzsébet Fodor
Erzsébet Fodor et les membres de sa famille ont été expulsés de force de leur domicile en août 2004. Ils ont été relogés rue Primaverii, dans des préfabriqués métalliques installés à la périphérie de Miercurea Ciuc/Csíkszereda (district de Harghita) et cachés derrière une station d’épuration.
La vie est terriblement difficile dans la rue Primaverii. Comme l’explique Erzsébet Fodor : « Lorsque toutes les familles vont se coucher, il n’y a pas assez de place. On ne peut pas prendre de bain, on ne peut pas se laver. C’est trop petit. » En hiver, les températures peuvent atteindre - 26° C. Les préfabriqués sont chauffés au moyen de poêles à bois. Le bois est fourni par la municipalité mais en quantité insuffisante, cette quantité n’équivalant qu’à trois mois de chauffage par an. Lorsque les réserves de bois sont épuisées, les habitants brûlent du combustible solide, comme du plastique, qu’ils trouvent dans les ordures. Lorsqu’Erzsébet Fodor a été expulsée de force de son ancien domicile, elle n’a reçu aucun préavis. « Ils nous ont dit qu’on devait aller rue Primaverii, se souvient-elle. Ils ne nous ont pas donné d’autre possibilité et ont dit que, si on ne voulait pas aller là-bas, on pouvait rester dans la rue. » Les familles expulsées ont tenté, en vain, de faire part aux autorités de la situation dramatique qu’elles vivaient. « Si nous allons à l’hôtel de ville, le maire ne nous laisse même pas entrer dans le bâtiment où se trouve son bureau. » |
Kenya
« les eaux usées s’écoulent dans des égouts à ciel ouvert, serpentent dans tout le quartier et entre les maisons voisines, jusqu’au fleuve. » Mama Esther
Quelque deux millions de personnes vivent dans les bidonvilles et les agglomérations informelles de Nairobi, soit près de 60 % de la population totale de la ville. Mukuru Kwa Njenga est l’une de ces agglomérations. Elle est située à 10 kilomètres au sud-est du centre-ville, dans la zone industrielle de Nairobi, et on estime sa population à 75 000 personnes.
Dans les bidonvilles de Nairobi, les infrastructures et les services sont tout à fait insuffisants pour répondre aux besoins fondamentaux des habitants. Bien souvent, ces quartiers ne disposent pas de routes, d’égouts, d’approvisionnement en eau, d’électricité ni d’éclairage public. Lorsque ces services existent, ils sont bien inférieurs à la norme. Mukuru Kwa Njenga ne fait pas exception. Mama Esther, qui habite ce quartier, a déclaré à Amnesty International : « Nous sommes environ 15 familles sur ce terrain, qui appartient à un seul propriétaire. Chaque famille loue une maison d’une pièce et paie entre 400 et 700 shillings [entre 3,80 et 6,60 euros environ]. Je paie un loyer de 400 shillings. Comme vous le voyez, il n’y a qu’une seule chambre mais on la divise en deux pour que mes trois enfants puissent dormir dans l’autre partie. « Les 15 familles vivant sur ce terrain utilisent la même latrine à fosse, que l’on peut voir à l’extérieur. Il y a aussi une salle d’eau commune attenante, dont l’entrée est couverte par une bâche en plastique. « Nous sommes tellement nombreux que nous devons nous organiser dans la journée pour l’utilisation de la latrine et, surtout, de la salle d’eau. » |
Les gouvernements doivent agir sans délai
En finir avec les expulsions forcées
Les gouvernements doivent prendre toutes les mesures nécessaires, notamment adopter des lois et des politiques conformes au droit international relatif aux droits humains, afin d’empêcher et de prévenir les expulsions forcées.
Faire en sorte que les habitants des bidonvilles aient le même accès aux services publics que le reste de la population
Les gouvernements doivent lutter contre la discrimination directe et indirecte à l’égard des habitants des bidonvilles. Les lois et les dispositions ayant un effet discriminatoire doivent être réformées, modifiées ou abrogées. Les gouvernements doivent veiller à ce que les habitants des bidonvilles aient accès, au même titre que le reste de la population, à l’eau, aux infrastructures sanitaires, aux soins médicaux, au logement, à l’éducation, et bénéficient d’un maintien de l’ordre juste et efficace.
Permettre et garantir une participation active des habitants des bidonvilles à tous les projets visant à revaloriser les bidonvilles
Les gouvernements doivent mettre un terme à la répression contre les habitants des bidonvilles et ceux qui oeuvrent en faveur de ces personnes. Ils doivent prendre des mesures efficaces et supprimer les obstacles empêchant la participation active des habitants des bidonvilles à tout projet de revalorisation, d’urbanisme et d’établissement de budget affectant leur vie, directement ou indirectement. Les initiatives de revalorisation, les politiques et programmes de construction de logements doivent être conformes aux normes internationales en matière de droits humains, et particulièrement au droit à un logement convenable.