Plus de 300 000 femmes meurent chaque année des complications d’une grossesse ou d’un accouchement – soit une femme toutes les 90 secondes. Cette situation n’est pas seulement une urgence sanitaire mondiale, c’est un scandale au regard des droits humains.Retour ligne automatique
Mortalité maternelle : une femme meurt chaque minute…
La grande majorité des femmes qui meurent des complications d’une grossesse ou d’un accouchement sont pauvres et issues des pays en développement. Dans certains pays d’Europe occidentale, une femme sur 25 000 meurt au cours de la grossesse ou de l’accouchement. Par comparaison, en Afrique sub-saharienne, le risque de mortalité maternelle est de 1 sur 26, et peut atteindre 1 sur 7 dans certains pays. Dans les pays riches, un nombre disproportionné de femmes touchées viennent de milieux marginalisés ou défavorisés.
Violations des droits fondamentaux des femmes et des mères
• Accès aux soins
La présence de personnel qualifié lors de l’accouchement et les soins obstétricaux d’urgence sont essentiels pour réduire la mortalité maternelle. Mais dans trop d’endroits, les services de santé sont de mauvaise qualité ou tout simplement inaccessibles, en particulier pour les femmes vivant dans la pauvreté et celles qui habitent dans des zones reculées.
Lorsque les femmes vivant dans la pauvreté doivent payer pour les soins de santé, le temps joue contre elles : retards dans la décision d’aller à la clinique ou à l’hôpital, retards dans les transports car il faut recueillir de l’argent, et retards dans les soins dispensés à l’arrivée. Tous ces retards peuvent être mortels.
• Accès à la contraception et aux informations relatives au contrôle des naissances
Quelque 200 millions de femmes dans le monde ne peuvent pas encore bénéficier de méthodes de planning familial et de contraception sûres, efficaces et choisies par elles. Environ un décès maternel sur trois pourrait être évité si les femmes pouvaient décider si elles veulent avoir un enfant et quand elles le veulent.
• Droit à l’avortement
19 millions d’avortements sont pratiqués chaque année dans de mauvaises conditions, et entraînent la mort de 68 000 femmes. Ces avortements provoquent souvent des complications cliniques qui peuvent se révéler fatales. Parallèlement, l’impossibilité de subir un avortement en toute légalité et en toute sécurité cause des grossesses non souhaitées.
Plus d’un million d’enfants perdent leur mère chaque année
La pauvreté a une incidence sur la mortalité maternelle, or le décès de la mère lié à une maternité ou aux complications qui en résultent enfoncent davantage la famille dans la pauvreté. Quand elles meurent, les femmes laissent derrière elles des familles qui doivent lutter pour survivre. Plus d’un million d’enfants perdent ainsi leur mère chaque année.
Un scandale pour les droits humains
L’objectif numéro cinq des objectifs du Millénaire pour le développement vise à réduire de 75 % – par rapport à 1990 – la mortalité maternelle d’ici 2015. Très peu de pays sont en passe d’atteindre cet objectif. En Afrique sub-saharienne, où le problème est le plus aigu, les progrès sont négligeables. La mortalité maternelle n’est pas seulement une question de santé publique – elle représente aussi un grave problème de droits humains. Les femmes ont le droit de bénéficier des services susceptibles de leur sauver la vie ou d’éviter que des lésions invalidantes se produisent au moment de l’accouchement.
ÉTUDE DE CAS : LE PÉROU
Ci-dessous, vous pouvez visualiser directement le document au format PDF :
Le Pérou demeure l’un des pays d’Amérique latine présentant les plus forts taux de mortalité maternelle. Les profondes inégalités qui caractérisent la société péruvienne se traduisent par de grandes différences au niveau de la mortalité maternelle entre les régions riches et les régions pauvres. Selon le ministère péruvien de la Santé, les femmes des zones rurales ont deux fois plus de risques de mourir en raison de facteurs liés à la grossesse que celles des zones urbaines.
La mortalité maternelle pourrait être réduite de manière significative si les obstacles qui empêchent ou ralentissent l’accès des femmes aux services d’obstétrique d’urgence étaient supprimés. Ces obstacles sont plus difficiles à franchir pour les femmes issues de populations exclues ou isolées.
Ces décès ainsi que l’inégalité qui en est à l’origine constituent une violation des droits fondamentaux des femmes, notamment du droit au meilleur état de santé susceptible d’être atteint. Le gouvernement péruvien n’a pas mis en place de système de santé qui puisse répondre de façon appropriée aux besoins essentiels d’une population disséminée, multilingue et multiculturelle.
Malgré les récentes réformes gouvernementales visant à réduire la mortalité maternelle, les progrès globaux signalés sont le résultat des améliorations réalisées dans les zones urbaines plutôt que rurales. Cela reflète une répartition inégale des ressources en matière de santé, qui exacerbe plutôt qu’elle ne réduit les inégalités sociales sous-jacentes.
Discrimination et exclusion
La pauvreté est le principal facteur de mortalité des femmes enceintes. Néanmoins, au Pérou, la pauvreté ne peut être séparée de la discrimination. Les indigènes représentent une part disproportionnée des populations rurales pauvres et les femmes autochtones sont confrontées à une double exclusion du fait de leur genre et de leur origine ethnique. Par ailleurs, les dépenses de santé sont réparties de façon inégale, favorisant systématiquement les zones urbaines et côtières et perpétuant l’indifférence à l’égard des départements ruraux les plus pauvres. Les régions les plus pauvres du Pérou sont aussi celles où le nombre de décès liés à une grossesse est le plus élevé. Les chiffres fournis par le gouvernement indiquent que plus de 50 % des naissances en zone rurale ne sont toujours pas assistées par un professionnel qualifié, composante essentielle d’un accouchement en toute sécurité.
En vertu du droit péruvien, ceux qui vivent dans la pauvreté ne devraient payer que 1 nuevo sol (0,25 euro) pour s’affilier au régime public d’assurance santé et bénéficier de certains services médicaux gratuits, notamment de soins obstétricaux. Cependant, le manque d’argent est l’une des principales raisons qui empêche les personnes vivant dans la pauvreté de se rendre dans les centres de santé. Nombre d’entre elles ne savent pas à quoi elles ont droit et, en pratique, on leur demande de payer le transport et les frais médicaux. D’autres facteurs dissuadent les femmes de demander à recevoir des soins médicaux indispensables pendant leur grossesse.
La confiance et la communication sont essentielles pour encourager les femmes à se rendre dans des centres de santé. Le personnel médical est souvent nommé pour une courte période en zone rurale, et n’a ni le temps ni l’envie d’apprendre la langue locale et de comprendre les coutumes. Eduardo, un infirmier travaillant au centre de santé de San Juan de Ccarhuacc (département de Huancavelica) a expliqué : « La principale raison pour laquelle les femmes ne vont pas au centre de santé, c’est la peur […]. Tous les ans, le personnel change. Les mères s’habituent à une personne et le changement est brutal. » Le manque de communication peut avoir de graves conséquences sur l’accès à la prise en charge maternelle et sur sa qualité. Criselda, la femme de Fortunato, un ouvrier du bâtiment de San Juan de Ccarhuacc, ne parle que le quechua. À la suite d’une chute dans les champs, elle souffrait de douleurs abdominales et s’est rendue au centre de santé. Selon Fortunato, le médecin qui ne comprenant pas ce qu’elle disait, l’a renvoyée chez elle en affirmant que tout allait bien. Elle a fait une fausse couche deux jours plus tard. Fortunato et Criselda pensent que le médecin n’a peut-être pas correctement interprété ses symptômes parce qu’elle ne parlait pas quechua, et aucun interprète n’est prévu pour faciliter la communication entre les médecins et les patients.
Le manque de tolérance à l’égard des différences culturelles, notamment des positions d’accouchement traditionnelles, rend également les femmes réticentes à l’idée d’accoucher dans des centres de santé. Des concertations entre les populations et les professionnels de la santé ont permis de modifier les attitudes à certains endroits mais, trop souvent, le personnel de soins hésite encore à intégrer les coutumes traditionnelles à la prise en charge maternelle.
Un accès difficile
Une grande partie du territoire péruvien est peu praticable – montagnes dans les Andes et jungle dans la région amazonienne. Dans les deux cas, les femmes enceintes issues de populations rurales ont souvent de grandes difficultés à se rendre dans un centre de santé qui puisse leur prodiguer les soins essentiels. Une seule ambulance couvre toute une région du département de Huancavelica qui compte sept centres de santé, et deux ou trois situations d’urgence peuvent se présenter en même temps. Yolanda, âgée de trente-quatre ans et mère de huit enfants, vit à la périphérie de San Juan de Ccarhuacc, à près d’une heure de marche du centre de santé. Le chemin sinueux entre sa maison et le centre de santé n’est pas carrossable. À la suite de complications survenues à la naissance de son troisième enfant, on a dû la conduire à Huancavelica, la capitale du département. Casimira, une professionnelle de la santé bénévole travaillant à Ccarhuacc, a expliqué : « Il n’y aucun moyen de transport. Les femmes arrivent sur des civières faites de bâtons et de couvertures. »
La mise à disposition d’informations accessibles, concernant notamment le repérage des signes de complications lors de la grossesse, est un élément essentiel pour permettre aux femmes de prendre des décisions éclairées concernant leur santé en matière de procréation. Cependant, ces informations ne sont pas toujours fournies aux femmes habitant des zones reculées, en particulier à celles qui ne parlent pas espagnol.
Dans la plupart des centres de santé, aussi bien le personnel que les usagers manquent d’informations sur le droit à des soins médicaux disponibles, accessibles, acceptables et de qualité.
D’autres informations font défaut aux femmes issues de ces populations et aux professionnels de la santé nommés dans des régions isolées, qui constituent un passage obligé de leur carrière dans le secteur public. Giovanna, un médecin de Lima mutée au centre de santé de Ccarhuacc, a indiqué qu’elle se sentait particulièrement mal préparée à ce poste : « Cela m’aurait aidé d’avoir plus d’informations sur la situation et les antécédents des femmes avant d’arriver à Ccarhuacc. » Elle a ajouté que cela lui aurait été utile de recevoir une formation sur les pratiques traditionnelles d’accouchement.
Les avortements pratiqués dans de mauvaises conditions constituent une cause importante de décès maternels au Pérou, où l’avortement est considéré comme une infraction sauf lorsqu’il est nécessaire pour sauver la vie ou préserver la santé de la mère. Le gouvernement péruvien est tenu, en vertu de ses propres lois, de permettre le recours à l’avortement pour les femmes dont la santé serait gravement compromise si la grossesse se poursuivait. Cependant, les règlements sont flous et il n’est pas expliqué clairement aux femmes ni au personnel de santé dans quels cas l’avortement est légal. Par conséquent, les femmes dont l’état de santé nécessite un avortement ne peuvent y avoir accès facilement et beaucoup avortent clandestinement dans des conditions dangereuses. Les femmes souffrant de complications à la suite d’un avortement hésitent également à demander les soins nécessaires car elles redoutent des sanctions au niveau des centres de santé. Les jeunes femmes en particulier peuvent craindre d’être harcelées par la police dans ces centres. En 2006, l’âge légal de consentement à des relations sexuelles pour les filles a été repoussé de quatorze à dix-huit ans. Ce changement, motivé par des préoccupations concernant les sévices sexuels contre des enfants, est cependant susceptible de dissuader des jeunes femmes de demander une prise en charge pendant la grossesse et l’accouchement. En effet, plus de 183 000 bébés ont été mis au monde par des jeunes filles âgées de quinze à dix-neuf ans en 2007.
Suivi et évaluation
Les données relatives à la mortalité maternelle au Pérou demeurent insuffisantes et incomplètes. Les statistiques concernant l’accès aux soins médicaux et la mortalité maternelle ne sont pas ventilées, ce qui masque les disparités entre les zones rurales et urbaines. Les chiffres sont très inférieurs à la réalité, les médecins ayant tendance à ne pas signaler les décès maternels par crainte d’être accusés d’erreur médicale.
L’absence de données systématiques sur la disponibilité et l’utilisation des services obstétricaux d’urgence représente un obstacle significatif à l’élaboration de programmes efficaces visant à lutter contre la mortalité maternelle. Sans ces informations, il est également beaucoup plus difficile d’amener les autorités à rendre des comptes quant au fait qu’elles ne protègent ni ne garantissent les droits des femmes à la vie et à la santé. L’obligation de suivi et d’évaluation de la politique gouvernementale relative aux questions de santé publique – notamment la forte mortalité maternelle – fait partie des obligations internationales du Pérou en matière de droits humains.
Conséquences
Les conséquences de la mort d’une mère en couches sont profondes et durables pour sa famille et son entourage.
La mère de José, de Ccarhuacc, est morte en couches en 1999, alors qu’il n’avait que quinze ans. Lorsque le travail a débuté, la sage-femme était en congé, le père de José et des proches de sa mère ont donc fait naître le bébé eux-mêmes. Cependant, après l’accouchement, le placenta n’a pas été expulsé et ils n’ont pas su comment réagir. Deux heures plus tard, sa mère est morte. La petite fille a survécu.
À la suite du décès de sa femme, le père de José a sombré dans la dépression et l’alcoolisme. José a dû assumer la responsabilité de ses huit frères et soeurs, ainsi que de la parcelle de terre de la famille. Sa soeur et lui ont tous les deux été obligés d’abandonner l’école pour faire face à cette situation.