L’accès à la justice pour les victimes de viol

Quelle justice pour les victimes de viol ?

Le viol est un crime grave puni par la loi. Avoir accès à la justice pour ce type de crime est un des droits fondamentaux des victimes, rappelé dans la Convention d’Istanbul sur les violences faites aux femmes ratifiée par la Belgique en 2016. Pourtant, le pays ne respecte pas encore l’intégralité de ses engagements et plusieurs dysfonctionnements judiciaires sont à mettre en avant.

Tout d’abord, il faut rappeler que seules 10% des victimes de viol environ se rendent à la police pour dénoncer leur agression. Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce chiffre : amnésie traumatique ; sentiment de honte ou de responsabilité ; délai de prescription dépassé ; etc., mais aussi la conscience de la difficulté et de la lourdeur du processus judiciaire et du faible nombre de condamnations effectives. Et ce à juste titre, 53% des affaires de viols sont classées sans suite et sur les affaires poursuivies, très peu d’auteurs sont condamnés à une peine de prison effective.

Les victimes peuvent ainsi appréhender la remise en question de leur parole et le coût tant économique que mental d’une procédure si longue. Pourtant, 85% des répondant·e·s de notre dernier sondage en 2019 estiment que les victimes ne doivent pas être découragées et qu’elles devraient tout de même porter plainte.

Comment expliquer ce haut taux de classement sans suites ? Quelles sont les étapes dans le parcours d’une victime de viol qui porte plainte et quels en sont les obstacles potentiels ? Comment la justice pourrait-elle améliorer la qualité des poursuites ?

Un système judiciaire tourné sur l’auteur

Le droit pénal est centré sur l’auteur·e d’une infraction. Il vise avant tout à réprimer, au nom de la société, le non-respect du droit en vigueur, et ceci peut se faire au détriment de la reconnaissance et du dédommagement du préjudice subi par les victimes, qui n’occupent qu’une place secondaire. Comme l’analyse le Conseil supérieur de la Justice (CSJ) : « C’est notamment pour cela que la place accordée à bon nombre de victimes est encore limitée et que leurs attentes ne recueillent pas l’attention qu’elles méritent pourtant. Pour les victimes de violences sexuelles, des traumatismes supplémentaires peuvent certainement en résulter. Bien que la prise de conscience générale au niveau de la police et de la justice ait évolué, les mesures dont elles disposent sont encore lacunaires et permettent la subsistance de l’impunité dans de nombreux cas ».

Classement sans suite

Selon les statistiques officielles du Ministère de la Justice, 53 % des affaires de viol sont classées sans suite, principalement pour manque de preuve (63 %), auteur·e inconnu·e (16 %) et absence d’infraction (8,5 %).

Le manque de preuve

La loi belge permet de porter plainte pendant plusieurs années, mais pour prouver la pénétration et l’absence de consentement, qui sont les deux éléments constitutifs du viol, il sera demandé d’apporter des preuves matérielles, comme un certificat médical. Obtenir de telles preuves n’est pas aisé dans une grande partie des cas, notamment lorsque la plainte est déposée plusieurs jours, mois voire années après l’acte. Les prélèvements effectués à l’hôpital ne peuvent se faire que si le viol est très récent, la plupart des preuves disparaissant après 24 h. Les preuves de l’agression sont également difficiles à collecter lorsque le viol s’est passé sans laisser de trace de violence physique apparente, lorsque la victime s’est retrouvée en situation de sidération par exemple.

Un certain nombre de preuves psychologiques pourraient être plus systématiquement recherchées par les enquêteurs·trices. Il s’agit par exemple d’essayer de dresser le portrait psychologique de la victime et de l’auteur·e présumé·e, de reconstituer le parcours de la victime depuis les faits, d’interroger les proches, etc. Le Conseil supérieur de la Justice a récemment recommandé aux acteurs judiciaires d’améliorer les enquêtes en ce sens.

Communication sur le classement sans suite

La personne ayant porté plainte est informée par courrier du classement sans suite de son dossier et de la possibilité de se constituer partie civile pour bénéficier de réparations financières. Des efforts ont été faits ces dernières années pour améliorer la qualité des courriers judiciaires, mais malgré cela, le sentiment de nombreuses victimes est que tout s’arrête et que leur agression n’a pas été reconnue.

Le classement sans suite n’est pourtant pas une fin en soi : le dossier peut être rouvert à tout moment, si un nouvel élément lié au dossier apparaît ou si une plainte est déposée à l’encontre de la même personne. Ceci mériterait d’être mieux expliqué.

COMPRENDRE LA PROCÉDURE

Légalement, une personne ayant réalisé des prélèvements suite à un viol doit être automatiquement dirigé·e vers un Service judiciaire d’accueil des victimes (SAV), dans une maison de justice. Ce service offre un accompagnement tout au long de la procédure, permet d’en comprendre le déroulement, le « théâtre », de visiter la salle de l’audience à l’avance, etc. Le SAV est crucial et gagnerait à être mieux connu. Il existe encore des cas dans lesquels une victime n’entend pas parler de ce service, notamment lorsqu’aucun prélèvement n’a été opéré, quand la victime porte plainte trop longtemps après les faits.

MANQUE DE FORMATION DU PERSONNEL JUDICIAIRE

Un autre élément problématique est le manque de formation des acteur·rice·s du monde judiciaire dans la prise en charge des dossiers de violences sexuelles. S’il est évident que les agent·e·s de police en charge de l’enquête doivent être formé·e·s, cela vaut aussi pour tous le personnel judiciaire impliqué dans ce type de dossier. Comme le précise le CSJ : « Les infirmiers en médecine légale, les médecins (légistes) les autres experts judiciaires (tels que les psychologues et psychiatres), les magistrats de parquet, les juges d’instruction et les juges du tribunal correctionnel doivent également bénéficier de formations (ou recyclages). En ce qui concerne la formation, on constate qu’il y a relativement peu de magistrats qui suivent la formation spécialisée dispensée par l’Institut de Formation judiciaire. L’IFJ doit composer avec des restrictions légales de sorte que toutes les formations, même celles qui paraissent indispensables, ne peuvent pas être rendues obligatoires »”.

Comme pour le personnel policier, ce manque de formation peut entraîner de la victimisation secondaire tout au long de la procédure. Questions maladroites, recherche de la responsabilité et culpabilisation de la victime, réflexions sexistes, peuvent se retrouver en divers moments de la procédure. Ceci concerne en particulier les avocat·e·s, qui sous couvert de leur « immunité de plaidoirie », peuvent poser des questions ou tirer des conclusions très culpabilisantes pour la victime.

Examen psychologique

L’examen psychologique de la victime, encore parfois appelé “examen de crédibilité”, est réalisé par un·e expert·e psychologue sur demande du·de la juge. Cette expertise sert à vérifier si la victime dit bien la vérité, ainsi qu’à vérifier la teneur et l’ampleur du traumatisme causé par l’agression. Un·e expert·e sensible à la victimisation secondaire saura faire comprendre à la victime qu’il·elle la croit et qu’il·elle n’y est pour rien dans son agression, mais une personne non-formée peut tenir des discours culpabilisants.

Conditions d’audience

Un effort particulier doit être apporté à l’accueil des victimes lors des audiences. D’un tribunal à l’autre, les conditions peuvent considérablement varier. Il est nécessaire notamment de faire attendre la victime dans les meilleures conditions en limitant les temps morts ; d’éviter qu’elle se retrouve à proximité de l’auteur·e présumé·e ; de consacrer un temps suffisant aux échanges. Plusieurs juges ont témoigné au CSJ le fait que dans leurs tribunaux, les audiences ne durent que 30 à 45 minutes, ce qui ne permet pas de creuser les dossiers autant que nécessaire.

Le saviez-vous ?

Une personne qui dépose plainte pour agression sexuelle n’est aujourd’hui pas à l’abri d’être poursuivie par l’auteur·e présumé·e pour « dénonciation calomnieuse ». Sa parole peut donc être remise en question et elle peut faire l’objet d’une sorte de « contre-enquête » pour déterminer si elle a menti ou pas.

En plus de constituer une victimisation secondaire pour la victime, ceci peut constituer un frein à l’accès à la justice, car une victime pourrait redouter de faire l’objet de poursuites par l’auteur·e des faits et donc éviter de déposer plainte.

Il est envisageable de modifier le cadre légal en garantissant que la personne poursuivie pour agression sexuelle ne puisse porter plainte pour « dénonciation calomnieuse » uniquement si elle a obtenu un acquittement ou un non-lieu.

Voir aussi : Les recommandations d’Amnesty et de SOS Viol

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