2009 — Halte aux disparitions forcées en afrique

« Je n’arrive pas à reprendre goût à la vie, parce que je pense tout le temps à mon fils. » La mère d’Ebrima Manneh, un journaliste gambien qui a disparu après avoir été arrêté en 2006.

La Journée internationale des personnes disparues, le 30 août, a pour but de demander que justice soit rendue aux victimes de disparitions forcées. Les victimes de disparitions forcées sont des personnes qui ont été privées de liberté par des agents de l’État ou par des individus opérant avec le soutien ou l’assentiment des pouvoirs publics. Les autorités affirment tout ignorer de leur détention ou de leur sort. Leurs amis et leur famille ne savent ni où elles se trouvent, ni même si elles sont encore en vie.

Les disparitions forcées sont un crime auquel des États recourent un peu partout dans le monde comme outil de répression, pour faire taire des dissidents, éliminer des opposants et persécuter des groupes ethniques, religieux et politiques. L’Afrique ne fait pas exception à la règle.

Les disparitions forcées sèment la terreur au sein de la population. Elles limitent l’exercice des droits humains. Dans les pays d’Afrique, l’ampleur des disparitions forcées et le contexte dans lequel elles s’inscrivent varient, mais toutes présentent des aspects communs qui font d’elles un crime bien particulier et l’une des violations des droits humains les plus graves qui soient.

Soustraits à la protection de la loi, les disparus sont à la merci de ceux qui les détiennent. Parmi les nombreux droits qui leur sont déniés figurent le droit à la sécurité et à la dignité, le droit de ne pas être arbitrairement privé de liberté, le droit à des conditions de détention humaines, le droit à une personnalité juridique et le droit à un procès équitable. Parfois, d’autres droits sont aussi bafoués, tels que le droit à une vie de famille, les droits de l’enfant, les droits aux libertés de pensée, d’expression, de religion et d’association et le droit de ne pas être victime de discrimination.

Le pire peut arriver aux personnes disparues et c’est souvent le cas : nombre d’entre elles sont torturées, voire tuées.

Les disparitions forcées bouleversent la vie des proches des victimes. Plongés dans l’angoisse et l’incertitude, ils sont dans l’impossibilité de faire leur deuil. Il arrive souvent qu’ils soient mis à l’écart, les gens ayant peur d’être vus en leur compagnie. De plus, beaucoup rencontrent des difficultés matérielles. Établir la vérité peut se révéler une mission quasiment impossible : les autorités affirment ne rien savoir, les avocats, les témoins et les membres de la famille sont fréquemment victimes de harcèlement et d’actes d’intimidation, et il devient chaque jour plus difficile d’obtenir des informations.

Les disparitions à caractère politique

Jestina Mukoko, directrice du Projet de paix pour le Zimbabwe, a été soumise à une disparition forcée par des agents de l’État, qui l’ont remise à la police après l’avoir torturée. Elle a été maintenue en détention illégalement entre décembre 2008 et février 2009. Pendant sa détention, des membres d’Amnesty International lui ont envoyé des centaines de cartes postales et de lettres pour lui témoigner leur solidarité.

Dans plusieurs pays d’Afrique, les opposants au gouvernement s’exposent à des disparitions forcées. Ces dix dernières années, plusieurs opposants en exil au gouvernement de Guinée équatoriale auraient été enlevés par des membres des forces de sécurité équato-guinéennes. Les autorités de ce pays refusent de reconnaître ces enlèvements ou arrestations alors que l’on sait que plusieurs de ces personnes sont détenues au secret dans des cellules secrètes dans la prison de Black Beach ou dans celle de Bata. Florencio Ela Bibang, Antimo Edu et Felipe Esono Ntumu « Pancho », trois anciens militaires, ont ainsi été arrêtés en avril 2005 au Nigeria par des membres des forces de sécurité nigérianes, qui les ont maintenus en détention jusqu’en juin dans des prisons situées à Lagos et à Abuja avant de les remettre, selon les informations recueillies, à des membres des forces de sécurité équato-guinéennes. Les trois hommes ont ensuite été transférés à la prison de Black Beach, à Malabo, où ils seraient détenus au secret dans une cellule secrète depuis lors. Florencio Ela Bibang et Antimo Edu ont été jugés par contumace en septembre 2005, en même temps que 70 autres accusés, et déclarés coupables d’avoir comploté en vue de renverser le gouvernement. Les autorités ont affirmé qu’ils se trouvaient en dehors du pays au moment du procès, alors qu’ils étaient apparemment détenus à l’époque dans la prison de Black Beach. Ebrima Manneh, un journaliste gambien, a été arrêté en 2006 pour avoir tenté de publier un article de la BBC qui critiquait le gouvernement gambien. Depuis lors, on ignore ce qu’il est advenu de lui, bien que la Cour de justice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ait rendu un arrêt historique ordonnant aux autorités gambiennes de le libérer et de lui verser des indemnités. Le gouvernement gambien n’a pas donné de suites à cette décision, et la famille de cet homme continue à craindre le pire.

Au Zimbabwe, entre octobre et décembre 2008, plus de 20 défenseurs des droits humains et militants politiques ont été soumis à des disparitions forcées par des agents de l’État. Leurs ravisseurs les ont remis à la police le 23 décembre ou aux environs de cette date. Nombre des victimes ont affirmé avoir été torturées pendant leur séquestration. Au lieu d’arrêter les ravisseurs et d’enquêter sur ces disparitions forcées, la police a arrêté les victimes et les a placées en détention illégale. Celles qui disaient avoir été torturées n’ont pas bénéficié de soins médicaux. Les victimes sont restées aux mains de la police pendant trois à quatre mois avant d’être libérées sous caution. Aucune enquête n’a été menée sur ces disparitions forcées.

Au Maroc et au Sahara occidental, des centaines de personnes ont disparu entre 1956 et 1999. Parmi elles figuraient notamment des opposants au gouvernement marocain, des syndicalistes, ainsi que des Sahraouis soupçonnés d’être opposés à l’annexion du Sahara occidental par le Maroc. Les efforts déployés par les autorités pour élucider le sort des disparus par l’intermédiaire de la création de l’Instance équité et réconciliation n’ont pas permis de répondre de manière adaptée aux revendications des familles. Nombre d’entre elles attendent toujours des informations détaillées sur le sort réservé à leurs proches et sur les démarches entreprises par les autorités pour enquêter sur leur sort et élucider leur disparition. Fatimatou Ahmed Salem Baad, une Sahraouie résidant à Agadir, a été arrêtée à son domicile par deux hommes en civil en avril 1984. Sa famille ne l’a jamais revue depuis. Houcine El Manouzi, membre du parti socialiste d’opposition, aurait été kidnappé par les forces de sécurité marocaines en novembre 2002, alors qu’il se trouvait en Tunisie ; là aussi, sa famille ne l’a pas revu depuis lors. Pour ces familles comme pour beaucoup d’autres, les rares informations que les autorités leur ont fournies jusque-là sont inacceptables.

Les disparitions forcées sont parfois utilisées par les forces gouvernementales pour exercer des représailles contre un groupe ethnique ou un mouvement d’opposition particulier. Au Soudan, le 10 mai 2008, des centaines de personnes ont été appréhendées après une attaque armée menée contre la ville d’Omdurman par le Mouvement pour la justice et l’égalité (MJE), un groupe armé d’opposition basé au Darfour. La vague d’arrestations qui a suivi cette offensive a essentiellement pris pour cible des civils du Darfour, notamment des membres de l’ethnie zaghawa. Les forces de sécurité soudanaises ont exécuté des civils dans les rues de Khartoum ; elles ont également arrêté illégalement et torturé des personnes au cours des mois suivants. La plupart des personnes appréhendées ont été maintenues au secret dans des lieux de détention non reconnus. Bien que nombre d’entre elles aient été remises en liberté, on reste sans nouvelles de centaines d’autres, dont on ignore le sort et le lieu de détention.

En février 2008, Ibni Oumar Mahamat Saleh, responsable d’un parti politique, a été appréhendé à son domicile de N’Djamena par des membres des forces de sécurité tchadiennes. Malgré les demandes de sa famille, d’organisations de défense des droits humains, des Nations unies et de l’Union européenne, on ne sait pas où il se trouve. On ignore également tout du sort et du lieu de détention des 14 militaires, au moins, et des civils qui ont été arrêtés en avril 2006, soupçonnés d’avoir participé à une attaque lancée cette année-là sur N’Djamena.

En Algérie, plus de 8 000 personnes ont disparu au cours du conflit interne des années 1990, selon des associations de familles de disparus. Nombre d’entre elles ont été arrêtées par les forces de sécurité et par des milices armées par l’État. Fawzi Gaicimi, enseignant du secondaire, a été appréhendé par les forces de sécurité en mai 1997 à Alger. Il était membre du Front islamique du salut (FIS), un parti qui a été interdit en 1992, lorsqu’il est apparu que cette formation risquait de remporter des élections nationales. Allaoua Ziou, un agriculteur, a été arrêté dans la préfecture de Guelma par la police locale en janvier 1995 et aurait été vu pour la dernière fois dix semaines plus tard, alors qu’il était détenu à Ain Hassainia. Le sort de ces deux hommes n’a jamais été élucidé.

Depuis 1999, les autorités algériennes ont adopté une politique d’impunité qui bénéficie aux membres des forces de sécurité, aux milices armées par l’État et aux groupes armés, l’objectif affiché étant de « tourner la page » de la « tragédie nationale ». Les familles de « disparus » se voient dénier le droit de connaître la vérité et d’obtenir justice et réparation, et ceux qui accusent les forces de sécurité de violations s’exposent à des poursuites aux termes des dispositions d’amnistie.

Dans certains pays, des disparitions forcées, souvent suivies d’exécutions extrajudiciaires, surviennent au cours d’activités de maintien de l’ordre.

Au Nigeria, des cas de disparitions de détenus et de personnes accusées de crimes sont régulièrement signalés. Chika Ibeku a été arrêté en avril 2009 par la police, puis placé en détention dans un centre de la Brigade d’intervention rapide (SOS) de Port-Harcourt, dans l’État de Rivers. On ignore où il se trouve actuellement et on craint qu’il n’ait été torturé et tué. Chika Ibeku était apparemment un ancien membre de Deewell, une bande criminelle. D’après sa famille, il avait remis ses armes à feu à la police après qu’il eut été fait état d’une amnistie pour les militants dans la région du delta du Niger. Le 9 avril, des agents de la Brigade d’intervention rapide ont confirmé que Chika Ibeku était détenu dans les locaux de l’unité du SOS, mais ont refusé de laisser sa famille et ses avocats lui rendre visite. Trois jours plus tard, le 12 avril, des agents du centre du SOS ont affirmé qu’ils ignoraient où il se trouvait.

Une nouvelle convention des nations unies

En 2006, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.

Élaborée à partir de l’expérience des familles de « disparus », avec le soutien d’organisations de défense des droits humains comme Amnesty International et l’appui de certains États, cette Convention décrit les violations liées aux disparitions forcées et les problèmes que rencontrent les personnes qui cherchent à enquêter sur celles-ci et à amener les responsables présumés à rendre des comptes. La Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées reconnaît aux familles de victimes le droit de savoir la vérité sur le sort de leur proche « disparu » et d’obtenir réparation. Les États parties sont tenus de protéger les témoins et d’engager des poursuites pénales contre toute personne soupçonnée d’être impliquée dans une disparition forcée. Ils doivent également instituer des garanties strictes pour protéger les personnes privées de liberté, engager des recherches pour retrouver la trace des personnes « disparues » et, en cas de décès, localiser leurs restes et les restituer aux familles.

La Convention oblige les États, si ce n’est déjà fait, à ériger les disparitions forcées en crimes. Ils doivent également poursuivre les responsables présumés de disparitions forcées qui se trouvent sur leur territoire, indépendamment du lieu où le crime a été commis, à moins qu’ils ne décident de les extrader ou de les remettre à une juridiction pénale internationale. Un Comité d’experts veillera à la mise en oeuvre des dispositions de la Convention et examinera les plaintes émanant d’individus et d’États, si ces derniers reconnaissent la compétence du Comité.

Il ne manque actuellement que huit ratifications pour que la Convention entre en vigueur. Tous les États devraient la ratifier dès que possible. Par ce geste, ils montreront clairement que les disparitions forcées ne sauraient être tolérées et offriront aux personnes à la recherche de ceux qui leur sont chers un outil dont elles ont le plus

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