2009 — Halte aux disparitions forcées en europe et en asie centrale

« J’en appelle à tous les membres de la communauté mondiale […] Je vous en supplie […] protestez, manifestez, réunissez-vous en masse […] si ce mouvement fait le tour du monde, je suis sûr que mon fils me sera rendu. » Moukhmed Gazdiev, le père d’Ibraguim Gazdiev, qui a disparu en Ingouchie (Fédération de Russie) en 2007.


La Journée internationale des personnes disparues, le 30 août, a pour but de demander que justice soit rendue aux victimes de disparitions forcées.
Les victimes de disparitions forcées sont des personnes qui ont été privées de liberté par des agents de l’État ou par des individus opérant avec le soutien ou l’assentiment des pouvoirs publics. Les autorités affirment tout ignorer de leur détention ou de leur sort. Leurs amis et leur famille ne savent ni où elles se trouvent, ni même si elles sont encore en vie. .
Les disparitions forcées sont un crime auquel des États recourent un peu partout dans le monde comme outil de répression, pour faire taire des dissidents, éliminer des opposants et persécuter des groupes ethniques, religieux et politiques. L’Europe et l’Asie centrale ne font pas exception à la règle. .
Les disparitions forcées sèment la terreur au sein de la population. Elles limitent l’exercice des droits humains. Leur nature même fait qu’il est difficile de déterminer précisément leur nombre, mais d’après des estimations établies à partir de données collectées par les Nations unies et par d’autres organisations, plusieurs centaines de millions de personnes dans le monde en ont été victimes depuis la Seconde Guerre mondiale. Certaines disparitions ne sont jamais élucidées, et de nouveaux cas continuent à être signalés. .
Dans les pays d’Europe et d’Asie centrale, l’ampleur des disparitions forcées et le contexte dans lequel elles s’inscrivent varient, mais toutes présentent des aspects communs qui font d’elles un crime bien particulier et l’une des violations des droits humains les plus graves qui soient. .

Plus de dix ans après la fin de la guerre en Bosnie-Herzégovine, on est toujours sans nouvelles d’au moins 13 000 personnes. Le père Tomislav Matanovic, trente-trois ans, curé de la paroisse de Prijedor, a disparu avec ses parents le 19 septembre 1995, alors qu’ils se trouvaient tous trois au poste de police d’Urije. En septembre 2001, les restes de trois corps menottés ont été retrouvés au fond d’un puits dans un village des environs de Prijedor et identifiés comme ceux du père Matanovic et de ses parents. En février 2005, 11 policiers, qui auraient été les dernières personnes à avoir vu le père Matanovic vivant, ont été acquittés du chef de détention illégale, faute de preuves. Son meurtre n’a donné lieu à aucune poursuite.


Soustraits à la protection de la loi, les disparus sont à la merci de ceux qui les détiennent. Parmi les nombreux droits qui leur sont déniés figurent le droit à la sécurité et à la dignité, le droit de ne pas être arbitrairement privé de liberté, le droit à des conditions de détention humaines, le droit à une personnalité juridique et le droit à un procès équitable. Parfois, d’autres droits sont aussi bafoués, tels que le droit à une vie de famille, les droits de l’enfant, les droits aux libertés de pensée, d’expression, de religion et d’association et le droit de ne pas être victime de discrimination. .
Le pire peut arriver aux personnes disparues et c’est souvent le cas : nombre d’entre elles sont torturées, voire tuées. .
Les disparitions forcées bouleversent la vie des proches des victimes. Plongés dans l’angoisse et l’incertitude, ils sont dans l’impossibilité de faire leur deuil. Il arrive souvent qu’ils soient mis à l’écart, les gens ayant peur d’être vus en leur compagnie. De plus, beaucoup rencontrent des difficultés matérielles. Établir la vérité peut se révéler une mission quasiment impossible : les autorités affirment ne rien savoir, les avocats, les témoins et les membres de la famille sont fréquemment victimes de harcèlement et d’actes d’intimidation, et il devient chaque jour plus difficile d’obtenir des informations.

Les disparitions à caractère politique

Dans certains pays d’Europe et d’Asie centrale, les opposants au gouvernement s’exposent à des disparitions forcées. .
Au Turkménistan, des dizaines de personnes ont disparu à la suite de procès iniques en décembre 2002 et janvier 2003. Elles ont été déclarées coupables d’être impliquées dans un attentat perpétré en novembre 2002 contre le président de l’époque, Saparmourad Niazov. Nombre d’entre elles auraient été torturées en détention provisoire et huit d’entre elles seraient mortes en détention. Boris Chikhmouradov, ancien ministre des Affaires étrangères du Turkménistan, a été condamné à vingt-cinq ans d’emprisonnement lors d’un procès à huis clos le 29 décembre 2002, sanction aggravée le lendemain en une peine de réclusion à perpétuité. Son frère, Konstantin Chikhmouradov, a été condamné à dix-sept années d’emprisonnement. Leurs épouses, Tatiana et Ayna Chikhmouradov, ont écrit à maintes reprises à des représentants de l’État et se rendent régulièrement dans le service d’application des peines pour s’enquérir de leur sort. À ce jour, leurs questions sont restées sans réponse.

En Biélorussie, quatre hommes ont disparu sans laisser de traces en 1999 et en 2000 ; selon certaines sources, ils ont été victimes d’une disparition forcée, qui pourrait avoir été suivie d’une exécution sommaire. Iouri Zakharenko, ancien ministre de l’Intérieur et leader de l’opposition, a été vu pour la dernière fois en mai 1999. Viktor Gontchar, ancien viceprésident du Parlement biélorusse dissous, et son compagnon, Anatoly Krassovsky, homme d’affaires, ont « disparu » en septembre 1999. On est sans nouvelles de Dimitri Zavadsky, cameraman de télévision, depuis juillet 2000. À ce jour, les autorités biélorusses ont ignoré les pressions que la communauté internationale a exercées sur elles, notamment sous la forme d’une résolution de l’Assemblée générale des Nations unies, pour les amener à enquêter sur ces disparitions forcées. Elles auraient également saisi des exemplaires d’un rapport sur les cas de ces hommes émanant de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, et harcelé des personnes cherchant à diffuser ce texte au sein de la Biélorussie.

Les disparitions dans les conflits armés

Au cours de certains conflits armés, les disparitions forcées ont été utilisées comme arme de guerre, parfois à très grande échelle, pour assurer la domination d’un groupe ethnique, religieux ou politique.

Durant la guerre qui a ravagé le Kosovo en 1999, plus de 3 000 Albanais du Kosovo ont été victimes de disparitions forcées imputables à la police, aux groupes paramilitaires et à l’armée serbes. Des centaines de familles, au Kosovo et en Serbie, ignorent toujours ce qu’il est advenu de leurs proches. Même dans les cas où des corps ont été retrouvés, des poursuites ont rarement été engagées. Sanje Berisha, originaire de Gjakovë/Dakovica, se souvient : « Ils ont ordonné aux femmes et aux enfants d’aller sur la route, et aux hommes de rester à l’intérieur. Ils ont arrêté 11 hommes. Ilir Berisha, mon fils, était le plus jeune d’entre eux. Il avait dix-sept ans. » Par la suite, Ilir Enver Berisha a été tué et enterré, puis son corps a été transféré du Kosovo en Serbie, où les autorités serbes l’ont enseveli dans une fosse commune, à Batajnica. En septembre 2006, sa dépouille a été restituée à sa famille pour qu’elle puisse être inhumée au Kosovo, mais personne n’a été traduit en justice pour rendre compte de cet homicide.

On est sans nouvelles de quelque 13 000 personnes en Bosnie- Herzégovine et de plus de 2 000 personnes en Croatie depuis la guerre de 1991-1995, et l’impunité perdure.

Les opérations antiterroristes

Dans le cadre du programme mondial de « restitutions » et de détentions secrètes mis en place par l’Agence centrale du renseignement (CIA) des États-Unis après 2001, de nombreuses disparitions forcées ont eu lieu, des personnes étant maintenues en détention au secret prolongée dans des prisons ou des sites secrets et soustraites à la protection de la loi. Lorsqu’il a été révélé que des territoires et établissements européens avaient été utilisés par la CIA pour ce programme, dans certains cas avec la connaissance ou la coopération de responsables européens, il est apparu que des États européens étaient impliqués dans des disparitions forcées. Certains n’étaient pas intervenus pour les empêcher, d’autres avaient fourni une aide plus ou moins importante.
De nombreux appels ont été lancés en direction des États européens pour les inciter à mener des enquêtes efficaces et transparentes sur le rôle joué par leurs responsables et l’utilisation faite de leur territoire dans le cadre des « restitutions » et des détentions secrètes, à rendre publiques les conclusions de ces investigations et à adopter des mesures correctives et préventives. Cependant, la plupart des États impliqués n’ont pris aucune disposition pour établir les responsabilités quant à ces violations des droits humains, que ce soit au niveau national ou par l’intermédiaire des institutions européennes.

En Pologne, une enquête pénale sur l’existence d’une prison secrète a finalement été ouverte en 2008, mais les autorités de ce pays ont indiqué que ses résultats et les procès sur lesquels elle pourrait déboucher auraient probablement un caractère confidentiel. En Italie, des poursuites ont été engagées sur l’enlèvement et la « restitutions » dont Abu Omar, un réfugié égyptien transféré d’Italie en Égypte, a fait l’objet en 2003, mais elles se heurtent à de sérieuses difficultés, la sécurité nationale étant invoquée pour limiter les éléments de preuve auxquelles la justice peut accéder. En Allemagne, une enquête parlementaire sur la responsabilité des autorités allemandes est en cours et un tribunal a émis des mandats d’arrêt à l’encontre de 13 agents de la CIA, mais le gouvernement allemand refuse de les transmettre. D’autres États européens impliqués dans le programme de « restitutions » et de détentions secrètes de la CIA, dont la Macédoine et la Roumanie, ont fait encore moins pour que les responsables soient tenus de rendre des comptes.

La Tchétchénie, qui a tenté de faire sécession de la Fédération de Russie en 1991 et a par la suite été ravagée par deux guerres, est depuis longtemps le théâtre d’une opération antiterroriste. Les forces fédérales russes et des responsables tchétchènes de l’application des lois seraient impliqués dans des milliers de disparitions forcées. La liste exhaustive des personnes disparues n’a pas encore été établie et les autorités font barrage aux demandes de mise en place d’un laboratoire médicolégal d’identification génétique.

Le 3 août 2008, Makhmadsalors Delilovitch Massaïev a été enlevé à Grozny, la capitale tchétchène, par des hommes en tenue de camouflage. En 2006, cet homme avait été maintenu en détention illégale pendant près de quatre mois à Tsenteroï, dans un établissement placé sous la responsabilité de Ramzan Kadyrov, alors Premier ministre de la Tchétchénie. Dans une interview publiée dans un journal en juillet 2008, Makhmadsalors Delilovitch Massaïev avait déclaré qu’il avait été maltraité, humilié et menacé et qu’il avait été détenu pendant un mois environ dans un bus sans chauffage ni sanitaires. On craint qu’il n’ait été soumis à une disparition forcée pour qu’aucune suite ne soit donnée à la plainte qu’il avait déposée contre sa détention.


En raison du risque de représailles, les personnes prêtes à témoigner sont rares en Tchétchénie et il est difficile et dangereux d’y collecter des informations sur les violations des droits humains.

Makhmadsalors Delilovitch Massaïev a eu le courage de s’exprimer : dans une interview publiée par le journal indépendant Novaïa Gazeta en juillet 2008, il a accusé les autorités de l’avoir soumis à des mauvais traitements alors qu’il était en détention, en 2006. Un mois après, en août 2008, il a été enlevé par des hommes en tenue de camouflage. On ne l’a jamais revu depuis lors.

Une nouvelle convention des nations unies

Face à l’ampleur du phénomène des disparitions forcées et à l’ancienneté de certaines d’entre elles, on peut se sentir impuissant. Toutefois, la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies en 2006, donne de nouvelles raisons d’espérer. .
Élaborée à partir de l’expérience des familles de disparus, avec le soutien d’organisations de défense des droits humains comme Amnesty International et l’appui de certains États, la Convention décrit les violations liées aux disparitions forcées et les problèmes que rencontrent les personnes qui cherchent à enquêter sur celles-ci et à amener les responsables présumés à rendre des comptes.

Ce traité international est le premier à reconnaître aux familles de victimes le droit de connaître le sort de leur proche disparu et d’obtenir réparation. Les États parties à la Convention sont tenus de protéger les témoins et d’engager des poursuites pénales contre toute personne soupçonnée d’être impliquée dans une disparition forcée. Ils doivent également instituer des garanties strictes pour protéger les personnes privées de liberté, engager des recherches pour retrouver la trace des personnes disparues et, en cas de décès, localiser leurs restes et les restituer aux familles.

La Convention oblige les États à poursuivre ou à extrader les responsables présumés de disparitions forcées qui se trouvent sur leur territoire, indépendamment du lieu où le crime a été commis, à moins qu’ils ne décident de remettre les suspects à une juridiction pénale internationale. .
Un Comité d’experts veillera à la mise en oeuvre des dispositions de la Convention et examinera les plaintes émanant d’individus et d’États.

Il ne manque actuellement que huit ratifications pour que la Convention entre en vigueur. Tous les États devraient la ratifier dès que possible. Par ce geste, ils montreront clairement que les disparitions forcées ne sauraient être tolérées et offriront aux personnes à la recherche de ceux qui leur sont chers un outil dont elles ont le plus grand besoin.

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