30 août 2009 — Journée internationale des disparus — Témoignages

Mexique

On recense au moins 700 cas de disparitions forcées datant de la « guerre sale » qu’a connue le Mexique des années 60 aux années 80, agissements imputés à l’armée et à des agences du renseignement interne.

Personne n’a été tenu de rendre des comptes pour ces crimes, le lieu où se trouvent les victimes n’a toujours pas été établi et leurs proches n’ont toujours pas reçu de réparations. Le cas de Rosendo Radilla illustre parfaitement tout cela.

Rosendo Radilla

Il y a plus de trente ans, Tita Radilla Martinez a vu son père, Rosendo Radilla, pour la dernière fois. Il avait soixante ans lors de sa disparition forcée, en août 1974. La dernière fois que quelqu’un a aperçu cet homme, militant des droits sociaux et ancien maire d’Atoyac, c’était dans une caserne, quelques jours après son arrestation illégale à hauteur d’un barrage routier de l’armée, près d’Atoyac, ville de l’État de Guerrero (Mexique). Des codétenus ont affirmé qu’il avait été torturé.
« Les gens me demandent "Pourquoi ne pardonnes-tu pas ?", explique Tita Radilla Martinez. Parce que personne ne me dit ce qui est arrivé à mon père. Est-il mort ou vivant ? Je l’ignore. Je me souviens qu’il était frileux. Quand il a été arrêté, j’ai pensé à ça. A-t-il froid, faim ou soif ? Est-ce qu’il souffre ? Comment va-t-il ? C’est comme ça que nous avons passé toute notre vie. On me dit "Ne rouvre pas cette blessure". "Rouvrir" ? La plaie est à vif, elle n’a jamais cicatrisé. »
Mais ses proches, quant à eux, n’ont pas voulu baisser les bras. Ils ont porté l’affaire devant la Cour interaméricaine des droits de l’homme. Ils espèrent que, cette année, un arrêt de la Cour contraindra le gouvernement mexicain à leur dire la vérité et à concrétiser leur droit à la justice et à des réparations.
« Il ne s’agit pas de déterrer le passé, assure Tita Radilla Martinez. Le passé n’a jamais cessé d’être présent. Nous n’arrivons pas à comprendre comment une trentaine d’années a pu s’écouler. On se dit toujours : demain, peut-être. Nous avons passé tout ce temps à attendre, à compter les jours. »

Kosovo

Des milliers de disparitions forcées et d’enlèvements se sont produits avant, pendant et après le conflit de 1999 au Kosovo.

D’après les estimations, environ 3 000 Albanais du Kosovo ont disparu aux mains de la police, des groupes paramilitaires et de l’armée serbes. Quant aux membres de l’Armée de libération du Kosovo (UÇK), ils auraient enlevé quelque 800 Serbes, Roms et membres d’autres groupes minoritaires.

la famille Kumnova

Le 25 mars 1999, un jour après l’éclatement du conflit internationalisé au Kosovo, la famille Kumnova a abrité des proches venant d’autres secteurs de la ville de Gjakovë (Ðjakovica). Ils appartenaient tous à la communauté albanaise du Kosovo.
Le 31 mars, des policiers serbes se sont rendus chez les Kumnova. Lorsqu’ils ont entendu la police arriver, les hommes – Albion Kumnova (vingt-deux ans), Artan Efendia (vingt-trois ans), Gëzim Deva (vingt-neuf ans), Lutfi Bunjaku (quarante-sept ans) et Bekim Bunjaku (seize ans) – ont couru se cacher dans le jardin d’un voisin, de peur d’être arrêtés ou tués. Ce voisin, Shkëlzen Binishi (trente-trois ans), s’y cachait également. Ils ont été repérés ; dix policiers sont allés dans le jardin, les ont arrêtés et les ont emmenés de force. On ne les a jamais revus en vie.
Cinq des corps ont été exhumés près de Bajna Bašta en Serbie, en septembre 2001, et ont été remis à leur famille le 29 septembre 2005 et le 20 septembre 2006. Le corps d’Albion Kumnova n’a quant à lui jamais été retrouvé ; pour le Comité international de la Croix-Rouge, cet homme est toujours considéré comme porté disparu.
En 2009, le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie a conclu que les dépouilles de membres de la communauté albanaise tués et enterrés au Kosovo par les forces serbes avaient été exhumées par des employés du ministère serbe de l’Intérieur en avril et mai 1999, dans le cadre d’une large opération orchestrée par les autorités serbes visant à étouffer ces atrocités. En tout, les restes d’au moins 900 personnes tuées au Kosovo ont depuis été exhumés en Serbie, dans des charniers ou des tombes individuelles sur des terrains appartenant au ministère serbe de l’Intérieur.
Certes, ces dépouilles mortelles ont été exhumées et remises à la famille des défunts, mais la procédure visant à traduire en justice les auteurs présumés des meurtres a très peu avancé ces dix dernières années. Les familles de ces hommes n’ont reçu aucune information selon laquelle une enquête sur leur disparition forcée serait menée soit au Kosovo soit en Serbie.

« Tous les jours, nous sommes allées demander des nouvelles de nos fils. Nous pensions que les policiers serbes nous diraient quelque chose ; je connaissais tous les Serbes de ?akovica à cette époque et nous ne pouvions imaginer que les Serbes de notre ville commettraient de tels crimes contre nous. Plus tard, j’ai de nouveau rencontré M.M. [une policière serbe qu’elle connaît] et lui ai demandé si elle avait des nouvelles. « Elle m’a répondu " Non, je suis désolée ", avant d’ajouter : " Tu sauras ce qui est arrivé à ton fils dans un an ou deux, c’est comme ça en temps de guerre ". » Nesrete Kumnova, Ðakovica/Gjakovë, mars 2009, mère d’Albion Kumnova.

« S’il vous plaît, aidez-nous à faire toute la lumière sur ces affaires, contrairement à la MINUK [Mission d’administration intérimaire des Nations Unies au Kosovo]. Ils n’ont rien élucidé du tout. Je vous donnerai le nom du policier qui a emmené mon mari et mon fils, et il devra dire ce qu’il a fait d’eux et comment il les a tués. Je vous demande de faire ce qu’il faut pour que les responsables de ces crimes soient traduits en justice si une loi en ce sens existe.  » Floza Bunjaku, Ðakovica/Gjakovë, février 1999. Elle est la mère de Bekim Bunjaku et l’épouse de Lufti Enver Bunjaku.

Caucase du Nord – Tchétchénie

On ne connaît pas le nombre exact de personnes ayant fait l’objet d’une disparition forcée dans le cadre des deux conflits armés et de l’opération antiterroriste qui y a fait suite en Tchétchénie. Selon certaines ONG, pour le seul second conflit, ce chiffre se situe entre 3 000 et 5 000.
Au cours des deux années précédant mai 2008, les observateurs ont signalé un déclin de ce type de violation en république de Tchétchénie. Cependant, depuis mai 2008, les défenseurs des droits humains ont indiqué une hausse du nombre de disparitions forcées et d’enlèvements présumés en Tchétchénie, semble-t-il imputable aux agents de la force publique. D’après l’organisation Memorial, le nombre d’enlèvements recensés au cours des quatre premiers mois de 2009 en Tchétchénie s’élève à 58, contre sept pour la même période en 2008 (le chiffre total pour 2008 était de 42).
Dans plusieurs cas, il a été ordonné à des personnes dont un proche fait l’objet d’une disparition forcée présumée d’abandonner leurs recherches. Des parents de disparus qui persistent à réclamer des informations et que justice soit faite ont été victimes de manœuvres de harcèlement, d’actes d’intimidation et d’autres formes de représailles. Il semble que la peur soit à son comble lorsque ce sont des agents des forces de l’ordre tchétchènes qui sont soupçonnés d’être responsables de disparitions forcées.

Oumar Bissaïev

Oumar Bissaïev a disparu à Grozny en novembre 2007. Le 23 novembre, des hommes armés en tenue de camouflage l’auraient sommé de s’arrêter alors qu’il se trouvait au volant de son véhicule, dans la capitale tchétchène.
Ces hommes armés appartenaient semble-t-il à la deuxième division des forces spéciales de la police (PMSN-2) du ministère de l’Intérieur tchétchène, basée dans l’arrondissement Staropromyslovski, à Grozny. Oumar Bissaïev aurait été jeté dans une des deux voitures se trouvant à proximité, une VAZ-21112 noire immatriculée B 518 ?? 95, et emmené vers le centre de Grozny. Des hommes armés ont suivi à bord de son véhicule, une Gazel. Au mois de mars 2009, en dépit de demandes répétées auprès des autorités tchétchènes, la famille d’Oumar Bissaïev n’avait toujours pas reçu d’informations sur le sort qui lui a été réservé ou le lieu où il se trouvait.

Ingouchie

Amnesty International continue à recevoir des témoignages faisant état de disparitions forcées et d’enlèvements en Ingouchie. L’organisation poursuit son action en faveur du cas ci-dessous

Ibraguim Gazdiev

Ibraguim Gazdiev, alors âgé de vingt-neuf ans, aurait été saisi par des hommes armés en tenue de camouflage le 8 août 2007, dans la ville de Karaboulak (République d’Ingouchie, dans le Caucase du Nord), où il résidait. Depuis lors, personne ne l’a revu, et sa famille pense qu’il est – ou a été – détenu au secret.Les autorités affirment ne pas le détenir.
Le père d’Ibraguim Gazdiev, Moukhmed Gazdiev, a immédiatement porté la disparition de son fils à la connaissance du parquet et une information judiciaire a été ouverte. Celle-ci a cependant peu avancé jusqu’à présent. Moukhmed Gazdiev a dit avoir été menacé pour avoir essayé de découvrir ce qui est arrivé à son fils. Amnesty International craint qu’Ibraguim Gazdiev ne soit fortement exposé au risque d’être torturé ou tué en détention secrète.

Pakistan

Depuis que le Pakistan est devenu, vers la fin 2001, un allié de poids dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme » menée sous l’égide des États-Unis, des centaines, si ce n’est des milliers de personnes, citoyens pakistanais et ressortissants étrangers confondus, ont fait l’objet d’arrestations arbitraires au Pakistan, se sont vues privées du droit de faire appel à un avocat, de s’entretenir avec leur famille et de solliciter l’aide de la justice, et ont été incarcérées dans des lieux de détention secrets. Soustraites à la protection de la loi, elles sont victimes de disparitions forcées.
Plusieurs centaines de personnes ont été illégalement remises aux autorités de pays étrangers, des États-Unis notamment. Un grand nombre, voire la plupart de ces personnes ont subi la torture ou d’autres formes de mauvais traitements. La pratique consistant à soumettre des détenus à une disparition forcée, infligée dans un premier temps à des personnes dont le placement en détention était justifié par leur participation à des actes de terrorisme, s’est étendue aux opposants au gouvernement pakistanais, en particulier aux nationalistes baloutches et sindhis.
Des dizaines de personnes ont été relâchées par les autorités américaines ou ont « réapparu » au Pakistan, mais on ignore toujours ce qu’il est advenu de centaines d’autres, peut-être incarcérées dans des lieux tenus secrets au Pakistan ou dans d’autres pays. Leurs familles, qui savent que le recours à la torture et aux mauvais traitements est courant dans les centres de détention au Pakistan, continuent de craindre pour la vie de leurs proches.
Bien qu’il ait promis à plusieurs reprises de résoudre la crise des disparitions dans le pays, le nouveau gouvernement civil pakistanais n’a encore fourni aucune information concernant les centaines de personnes semble-t-il maintenues en détention secrète par le gouvernement.

Masood Janjua et Faisal Faraz

Amina Janjua se bat inlassablement en faveur de la libération de son époux, Masood Janjua, arrêté au Pakistan il y a quatre ans de cela avec Faisal Faraz alors qu’ils se rendaient en bus à Peshawar le 30 juillet 2005. Plusieurs autres victimes de disparition forcée ont affirmé les avoir vus durant leur détention, mais les agents gouvernementaux ont nié les détenir et avoir connaissance de leur sort. Un témoignage de la plus haute importance, celui d’un ancien détenu du même lieu de détention, a été porté à l’attention de la Cour suprême, mais l’audience a été renvoyée plusieurs fois. Avant qu’ils ne puissent examiner l’affaire en novembre 2007, les juges de la Cour suprême ont été déposés au début de la période d’état d’urgence, le 3 novembre 2007, ce qui a réduit à néant les espoirs nourris par les proches des deux hommes, impatients de les retrouver. On ignore toujours ce qu’ils sont devenus.

Masood Janjua, un homme d’affaires âgé de quarante-cinq ans, est maintenu en détention secrète depuis plus de trois ans. Le 30 juillet 2005, il effectuait un trajet en bus lorsque des membres des forces de sécurité l’ont arrêté. Les autorités ont nié le détenir mais Amina Janjua a présenté à la Cour suprême une déclaration faite sous serment par cinq personnes affirmant que son mari a en fait été placé dans plusieurs lieux de détention successifs – notamment dans un bâtiment militaire surnommé « Atelier 501 » à Rawalpindi – par l’l’Inter-Services Intelligence, les très craints services de renseignements de l’armée pakistanaise.

Amina

Amina est la fondatrice et la porte-parole de Défense des droits humains, une organisation pakistanaise qui apporte soutien et conseils aux parents de disparus dans le pays.
Défense des droits humains a acquis une certaine notoriété au Pakistan, et ses membres organisent régulièrement des rassemblements à travers le pays, entretenant des contacts avec le mouvement des avocats et effectuant des démarches auprès du président et de politiciens influents, au sujet de leurs proches disparus. Les familles ont formé des recours auprès de la Cour suprême, qui a examiné ces affaires en 2006 et 2007. Défense des droits humains représente désormais quelque 563 familles de disparus.

Atiq ur RehmanAtiq-ur Rehman

Atiq-ur Rehman, vingt-neuf ans, scientifique travaillant pour la Commission pakistanaise à l’énergie atomique, a été arrêté à Abbotabad, dans la province de la Frontière du Nord-Ouest, le 25 juin 2004, jour de son mariage. La police a refusé d’enregistrer la plainte de sa famille en expliquant qu’il était détenu par un service de renseignements. L’ONG Défense des droits humains a porté cette affaire et quelques autres devant la Cour suprême. Lors des audiences se déroulant devant la Cour, des représentants de l’État ont nié le maintenir en détention et savoir où il se trouvait. Il a été licencié pour « absence délibérée ». On ignore tout du sort de cet homme et de l’endroit où il se trouve.

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