Définition de la torture
L’article premier de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants fournit une définition juridique de la torture internationalement acceptée. Ainsi, le terme “torture” désigne tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment :
– d’obtenir d’elle ou d’une tierce personne des renseignements ou des aveux
– de la punir d’un acte qu’elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d’avoir commis
– de l’intimider ou de faire pression sur elle ou d’intimider ou de faire pression sur une tierce personne
– ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu’elle soit.
Ces douleurs et ces souffrances doivent par ailleurs être infligées par un agent de la fonction publique ou par toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite. La torture ne s’étend toutefois pas à la douleur ou aux souffrances résultant uniquement de sanctions légitimes, inhérentes à ces sanctions ou occasionnées par elles.
En termes juridiques, l’interdiction absolue de la torture et des autres mauvais traitements est intangible, c’est-à-dire qu’elle ne peut souffrir aucune dérogation, même dans des circonstances exceptionnelle. Le moindre acte de torture est un crime aux termes du droit international. Cela signifie - au moins pour les 157 États qui ont ratifié la Convention contre la torture - que les gouvernements doivent ériger ces actes en infraction, mener des enquêtes approfondies et impartiales sur toute plainte de torture et poursuivre les auteurs présumés de tels actes dès lors que les preuves sont suffisantes.
Amnesty et la torture - une chronologie
Les méthodes de torture
Les méthodes de torture recensées par Amnesty International varient d’un pays à l’autre et d’une région à l’autre. Vous trouverez ci-après quelques exemples de méthodes sur lesquelles l’organisation dispose d’informations.
Les coups sont aujourd’hui la méthode de torture et de mauvais traitements la plus répandue dans le monde. Une personne peut être frappée à coups de pied ou de poing, ou par le moyen d’un bâton, d’une crosse de fusil, d’un fouet improvisé, d’un tuyau en fer, d’une batte de baseball ou d’une matraque à impulsion électrique. Les coups provoquent contusions, hémorragies internes, fractures osseuses, dents cassées, lésions aux organes internes. Dans certains cas ils entraînent la mort.
Les décharges électriques, le maintien dans des positions douloureuses et l’isolement prolongé (certaines personnes sont détenues à l’isolement pendant des mois, voire des années) comptent parmi les autres méthodes courantes.
Bien que moins courantes, les méthodes suivantes restent fréquemment utilisées : coups de fouet, simulacre d’exécution et simulacre de noyade, asphyxie, souvent au moyen d’un sac en plastique ou d’un masque à gaz dont l’arrivée d’air est coupée.
Dans certaines régions, des informations ont été recueillies à propos de personnes en détention à qui l’on introduit des aiguilles sous les ongles, ou que l’on brûle avec une cigarette ou même qui reçoivent des coups de couteau. Des cas de prisonniers amenés par la force à boire leur propre urine, de l’eau sale ou des produits chimiques sont également signalés. La privation de sommeil et la privation sensorielle font aussi partie des méthodes recensées. Des cas de personnes privées de nourriture et d’eau pendant plusieurs jours ont été signalés.
Dans plusieurs pays, il est fait état de l’usage du viol et des menaces de viol. L’humiliation compte aussi au nombre des méthodes répandues. Le simulacre d’exécution et les menaces de violences contre la victime et/ou les membres de sa famille sont des formes courantes de torture mentale.
L’administration forcée de substances psychotropes a été signalée, de même que la pratique de stérilisations et d’avortements forcés en tant que forme de torture.
De nombreux prisonniers sont détenus dans des cellules répugnantes et surpeuplées, où il règne une chaleur étouffante. Le recours délibéré à des conditions de détention épouvantables constitue un acte de torture.
Plusieurs nations continuent de faire usage de châtiments judiciaires corporels, dont les formes les plus communes sont la flagellation et l’amputation. L’amputation et le marquage au fer rouge comptent parmi les méthodes visant à mutiler de manière permanente ; tous les châtiments corporels peuvent toutefois provoquer des blessures permanentes ou de longue durée. Quelles que soient les dispositions législatives au niveau national, toutes les formes de châtiments corporels sont interdites au regard du droit international car elles sont cruelles, inhumaines et dégradantes et constituent dans bien des
cas des actes de torture.
Dans certains pays, les autorités utilisent la religion d’une personne pour la torturer ou la maltraiter : rasage forcé de la barbe d’un musulman par exemple.
Des personnes sont soumises à des températures extrêmes pendant de longues périodes (plusieurs jours, souvent). Des victimes expliquent qu’on leur a versé de l’eau bouillante en permanence sur la peau ou qu’on leur a perforé le genou, le coude ou l’épaule avec une perceuse électrique.
Parmi les autres méthodes de torture, citons l’utilisation de chiens ou de rats, les injures répétées, souvent à caractère racial ou religieux, et le port forcé d’une cagoule ou d’un bandeau.
Il arrive que, de manière délibérée ou par négligence, des prisonniers soient privés de soins médicaux, ce qui dans certains cas entraîne la mort.
La torture peut provoquer des préjudices physiques permanents ou durables, et même si de nombreuses techniques ne laissent pas nécessairement de marque physique, toutes les méthodes sont susceptibles d’avoir des conséquences durables et dévastatrices. Au plan psychologique, citons : les troubles de l’anxiété, la dépression, l’irritabilité, le sentiment de honte et d’humiliation, les dysfonctionnements de la mémoire, la difficulté à se concentrer, les maux de tête, les troubles du sommeil et les cauchemars, l’instabilité émotionnelle, les problèmes de sexualité, l’amnésie, l’automutilation, les idées suicidaires et l’isolement social.
Ces dessins ont été réalisés avec l’aide d’un codétenu sur les indications d’Ali Aarrass (voir cas ci-dessus) et montrent les tortures qu’il a subies au Maroc en 2010.
Nous avons traduit de l’espagnol les descriptions rédigées par Ali (de haut en bas et de gauche à droite) :
1. « Traction des deux côtés, coups de fouet sur les jambes et les parties intimes. »
2. « Suspension pendant des heures, coups sur la plante des pieds et le derrière. »
3. « Maintien dans cette position pendant des heures, coups de fouet sur les jambes et le derrière. »
4. « Au moyen d’un chiffon ou d’une lavette, suffocation par introduction d’eau dans les narines et la bouche. »
Ampleur de la torture
Il est impossible de réaliser une évaluation statistique exhaustive et rigoureuse de l’étendue de la torture dans le monde. En effet, cette pratique se déroule dans l’ombre. Elle est un crime international, une source d’embarras politique et diplomatique et une violation que presque tous les gouvernements s’accordent à dénoncer et à condamner dans leurs discours, à défaut d’agir de façon concertée pour la combattre. Les gouvernements consacrent souvent plus d’énergie à nier ou à dissimuler l’existence de la torture qu’à mener des enquêtes efficaces et transparentes sur les accusations de tels actes, et à en poursuivre les auteurs.
Parallèlement, dans beaucoup de pays, les cas de torture sont probablement loin d’être tous signalés. De nombreuses victimes sont par exemple des suspects de droit commun, qui sont souvent moins en mesure de se plaindre ou qui ont tendance à ne pas être écoutés ou entendus quand ils le font. Beaucoup d’autres n’ont pas la possibilité de signaler les actes de torture ou ont trop peur pour le faire, ou encore pensent que cela ne servira à rien.
Il n’existe pas de statistiques fiables par pays. Il est impossible de dire combien de personnes ont été torturées au cours du siècle passé, de la dernière décennie ou de l’année qui vient de s’écouler. Toutes les statistiques sur la torture – qu’elles portent sur le nombre de pays concernés, ou sur une augmentation ou une diminution des actes signalés dans tel ou tel pays – doivent être prises avec prudence.
Cependant, les éléments recueillis par Amnesty International et les recherches mondiales qu’elle a menées, confortés par ses plus de 50 ans d’expérience de la collecte de données et du travail de campagne contre cette violation des droits humains, montrent que, 30 ans après l’adoption de la Convention des Nations unies, la torture prospère.
Au cours de ces cinq dernières années, Amnesty International a signalé des cas de torture et d’autres mauvais traitements dans au moins les trois quarts des pays du monde. Dans certains de ces pays, il s’agit uniquement d’actes isolés mais, dans la plupart d’entre eux, la torture reste monnaie courante.
Entre janvier 2009 et mai 2013, Amnesty International a reçu des informations faisant état de torture ou d’autres mauvais traitements commis par des agents de l’État dans 141 pays, dans toutes les parties du globe. Ce chiffre ne concerne que les cas dont l’organisation a eu connaissance, et ne reflète donc pas nécessairement la véritable étendue de cette pratique dans le monde. Ces statistiques péchant par excès de prudence, il est probable que la torture et les autres mauvais traitements soient en réalité bien plus répandus.
Qui est menacé ?
Personne n’est en sécurité lorsque des États ont recours à la torture ou admettent son usage. Tout le monde peut en être victime, quel que soit son âge, son genre, son origine ethnique ou ses opinions politiques. Souvent, les autorités commencent par torturer avant de poser des questions.
Certains sont torturés simplement parce qu’ils se trouvaient au mauvais endroit au mauvais moment, parce qu’ils ont été pris pour quelqu’un d’autre, ou parce qu’ils ont dérangé de puissants intérêts financiers ou politiques – ce qui peut être un véritable problème dans les pays où la police est corrompue.
Cependant, certaines personnes et certains groupes sont plus vulnérables que d’autres. Dans beaucoup de pays, des gens sont torturés en raison de leurs convictions politiques ou parce qu’ils exercent leur liberté d’expression. Les membres de certaines religions ou de groupes minoritaires sont aussi davantage menacés, de même que ceux qui sont pris pour cibles pour des motifs liés à leur identité. Les suspects de droit commun sont eux aussi souvent soumis à la torture. Les membres de groupes armés et les personnes soupçonnées d’infractions liées au terrorisme ou considérées comme une menace pour la sécurité nationale sont particulièrement vulnérables : dans beaucoup de pays, ils n’ont pratiquement aucune chance d’échapper à la torture.
Nombre de victimes de la torture sont issues de groupes déjà défavorisés : les femmes, les enfants, les membres de minorités ethniques, les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres ou intersexuées, et, très largement, les pauvres. Or, c’est justement pour ces personnes qu’il est difficile, voire impossible, d’obtenir réparation. En effet, elles manquent souvent des connaissances, des contacts ou des moyens financiers nécessaires pour porter plainte contre leurs tortionnaires. Elles peuvent se heurter à des autorités peu enclines à les croire, et subir de nouvelles violations pour avoir osé parler.
Les enfants et les jeunes sont victimes de torture dans de nombreux pays. En garde à vue, les mineurs sont particulièrement vulnérables au viol et à d’autres formes de violences sexuelles, tant de la part des policiers que des autres détenus.
Des viols et autres agressions sexuelles commis sur des femmes sont signalés dans de nombreux pays. En outre, les femmes ont parfois moins facilement accès aux recours juridiques et peuvent être soumises à des lois discriminatoires, ce qui restreint encore plus leurs possibilités d’obtenir justice en cas de torture.
Des femmes et des hommes – mais principalement des femmes – sont victimes de torture liée au genre, notamment sous la forme de viols et d’autres violences sexuelles. Certaines formes de torture et d’autres mauvais traitements sont spécifiques aux femmes, par exemple les avortements forcés ou à l’inverse le rejet des demandes d’avortement, les stérilisations forcées et les mutilations génitales féminines. En détention, les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres ou intersexuées ne se voient pas infliger les mêmes sévices que les prisonniers hétérosexuels. Ainsi, lestransgenres sont souvent détenus dans des établissements destinés aux personnes du genre qui était le leur à la naissance et non de celui de leur choix, et les gays et les lesbiennes subissent plus fréquemment que les hétérosexuels des violences sexuelles infligées par d’autres détenus ou par le personnel pénitentiaire.
Les mesures de lutte contre la torture doivent donc tenir compte des spécificités liées au genre, être valables pour tous les genres et comprendre des mesures particulières destinées à protéger les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles,transgenres ou intersexuées.
Quand et pourquoi torture-t-on ?
Les deux principales raisons pour lesquelles la torture est pratiquée sont d’une part la conviction qu’ont les gouvernements d’en tirer profit, et d’autre part la persistance d’une culture de l’impunité (le fait que les responsables de graves violations des droits humains et du droit international humanitaire ne soient pas traduits en justice).
Dans beaucoup de pays, la torture est utilisée non seulement pour faire souffrir la personne qui en est victime, mais aussi pour terroriser les autres – qu’il s’agisse de suspects de droit commun, d’opposants politiques ou de personnes perçues comme des ennemis – afin de les dissuader de commettre des actes que le gouvernement juge contraire à ses intérêts. La torture est souvent utilisée comme un moyen plus rapide d’arracher des « aveux » – la victime étant généralement prête à signer n’importe quoi pour que le supplice s’arrête. Avec la coopération des tribunaux qui ferment les yeux sur cette pratique, la police peut ainsi obtenir rapidement et facilement une inculpation, même si le véritable criminel est encore dans la nature. La torture peut aussi faire partie des habitudes policières destinées à humilier les victimes et à leur extorquer de l’argent.
Dans de nombreuses parties du monde, il est rare que les gouvernements considèrent la torture comme un crime grave aux termes du droit pénal et, à ce titre, mènent des enquêtes, engagent des poursuites et jugent et punissent les responsables. Lorsque des enquêtes sont effectivement ouvertes, elles piétinent généralement du fait de la passivité, de l’inefficacité ou de la complicité des autorités en charge de l’instruction. Les tortionnaires ont rarement à rendre des comptes.
De multiples facteurs font obstacle à la prévention, à l’obligation de rendre des comptes et à la justice. Ainsi, les détenus sont souvent coupés du monde extérieur et ne peuvent pas, en particulier, accéder dans les meilleurs délais aux services d’un avocat ni à des tribunaux indépendants. Le ministère public manque de détermination dans la conduite des enquêtes.
Les victimes craignent les représailles et l’attitude réprobatrice de la société, par exemple en cas de viol. Les rares agents de la force publique qui sont reconnus coupables ne sont condamnés qu’à des peines légères. Il n’existe pas de systèmes indépendants et dotés de moyens suffisants pour le traitement des plaintes et les enquêtes sur les violations présumées.
Les agents de l’État font preuve d’un esprit de corps injustifié et couvrent les actes commis par leurs collègues. Des tortionnaires sont amnistiés ou graciés. Et il n’existe pas de volonté politique de faire changer les choses.
Les personnes privées de liberté sont menacées de torture en l’absence de garanties strictes ou lorsque les garanties sont insuffisantes ou inappliquées.
La torture est très courante en garde à vue et en détention provisoire. Elle peut commencer juste après l’arrestation, voire au moment de l’interpellation – c’est pourquoi il est nécessaire de mettre en place des garanties dès le départ et de les respecter. Cependant, elle peut survenir à toutes les étapes du séjour de la personne entre les mains des services de police ou de sécurité – depuis son arrestation jusqu’à la fin de sa peine d’emprisonnement.
Le risque de torture est encore plus grand en cas de disparition forcée – pratique qui est elle-même presque toujours une forme de torture pour la personne disparue et de mauvais traitement pour sa famille. Comme la torture, la disparition forcée est interdite en toutes circonstances par le droit international.
Des informations continuent de faire état de personnes détenues dans des lieux non révélés ou dans des centres de détention secrets. Or, toute détention secrète équivaut à une disparition forcée.
La détention sans lien avec le monde extérieur, appelée détention au secret, favorise également la torture et s’apparente à un traitement cruel, inhumain et dégradant, voire à un acte de torture.
En ce qui concerne les violences commises par des personnes privées, les gouvernements ont l’obligation, en vertu du droit international et des normes internationales, de garantir à chacun sans aucune distinction le droit de ne pas subir de torture ni d’autres mauvais traitements. Ils doivent donc protéger toute personne contre les actes de même nature et de même gravité que la torture commis par des acteurs privés, qu’il s’agisse d’individus, de groupes ou d’institutions. Un gouvernement peut donc manquer à ses obligations internationales relatives à la torture et aux mauvais traitements s’il n’agit pas avec la diligence requise pour empêcher, poursuivre et punir des actes tels que la violence domestique ou les agressions racistes.
Obliger les États à rendre compte de leur passivité face aux violences commises par des personnes privées est
indispensable pour défendre les droits des personnes confrontées à la discrimination, comme les femmes, les enfants, les minorités, et les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres ou intersexuées. Dans un contexte de discriminationinstitutionnelle, les victimes ont d’autant moins de chance de recevoir aide et protection de la part des autorités. Par exemple, dans de nombreux pays, certaines formes de violences contre les femmes ne sont même pas reconnues comme des infractions et, quand elles le sont, elles font rarement l’objet de poursuites déterminées.
Dans un certain nombre de pays, des acteurs non gouvernementaux, tels que des membres de partis politiques ou de groupes armés, commettent des actes de torture.