Robert King, 29 ans à l’isolement - Etats-Unis

« Passer 29 ans à l’isolement, c’est une forme de torture psychologique terrible »

Noir américain, Robert King a passé 29 ans en isolement dans un pénitencier de Louisiane pour un crime qu’il n’a pas commis. Aujourd’hui, il dénonce inlassablement les failles du système judiciaire américain et milite pour la libération de son codétenu, toujours prisonnier du système, dans des conditions inhumaines. Robert King était de passage dans nos locaux à Bruxelles en mai dernier et nous l’avons rencontré.

Robert King, 72 ans, a le visage serein d’un homme que la vie n’a pourtant pas épargné. Il aura en effet passé près de 30 ans à l’isolement, dans une cellule de trois mètres sur deux, 23 heures sur 24. Une cellule où il était à peine possible de se coucher, où il subissait des pratiques dégradantes et humiliantes de la part de ses geôliers.

Robert King fait partie des trois détenus de la prison d’Angola (« the Angola Three »), en Louisiane, tous membres des Blacks Panthers, un mouvement auquel il a adhéré en prison qui luttait contre la ségrégation et les conditions carcérales. « J’ai été arrêté, puis innocenté pour un crime que je n’avais pas commis. J’ai été disculpé et libéré en février 2001 et depuis, je voyage à travers le monde pour dénoncer la détention à l’isolement », explique Robert King.

Robert King a été condamné en 1970 pour vol à main armée. Avec Herman Wallace et Albert Woodfox, ils ont ensuite été reconnus coupables par un jury partial du meurtre d’un gardien de prison, alors qu’ils ont toujours nié ce crime. « Je ne suis pas un ange, avoue-t-il. J’avais faim, et j’ai effectivement volé de la nourriture. Mais je n’ai jamais commis le crime pour lequel j’ai été condamné. Je n’étais même pas présent au moment des faits. »

La prison d’Angola, surnommée l’Alcatraz du Sud » est située sur une ancienne plantation de canne à sucre qui employait jadis des esclaves noirs d’origine surtout angolaise. Elle est entourée de barbelés et de marécages infestés de crocodiles. Plus de 75% des détenus sont des Noirs. Les détenus qui ne sont pas à l’isolement travaillent à la production et dans les champs. Robert King y voit un terrible symbole mais aussi un lien direct entre la prison et l’esclavage. « Pour moi, la prison c’est la continuité de l’esclavage on lui a juste donné un autre nom. A l’époque de l’esclavage, les esclaves étaient en quelque sorte en prison. Le 13ème amendement n’a pas aboli l’esclavage, il l’a rendu légal sous les traits de la prison. Quand vous êtes condamnés, les prisons reçoivent le droit de vous traiter comme un esclave. Certes la prison d’Angola est moins rentable que l’esclavage car il faut payer les prisonniers 4 centimes/heure. »

Aujourd’hui, les Etats-Unis comptent plus de prisonniers à l’isolement qu’aucun autre pays occidental. L’administration pénitentiaire a équipé des ailes entières de bâtiments dédiés à ce type de cellule. Amnesty International considère que l’isolement carcéral infligé pendant des années constitue une torture physique et morale, un traitement cruel, inhumain et dégradant qui doit être aboli en toute circonstance.

Pour Robert King, il s’agit bien d’une forme de torture psychologique qui laisse des séquelles terribles. « J’ai pu constater les impacts neurologiques de ces conditions de détention qui m’ont fait temporairement perdre la vue. Selon différentes études, l’isolement total peut réduire la taille du cerveau. Et je ne peux qu’en témoigner ! »

Et quand on lui demande ce qui lui a permis de tenir dans ces conditions, il n’hésite pas longtemps : « La conscience politique », répond-il en faisant référence à sa rencontre avec le mouvement des Black Panthers qui lui a donné les clés pour comprendre le système pénitencier américain fondé sur le racisme. « J’ai compris qu’il y avait un seul monde mais qu’il comprenait plusieurs couleurs. J’ai pris conscience de ce que je pouvais faire et me battre pour tous les prisonniers, pas seulement les Noirs, et comment je pouvais contribuer à changer le système. »

A la question de savoir si cette situation pourrait se répéter sous Obama, Robert King répond qu’« Il y a certainement des progrès accomplis, mais il faudra du temps pour défaire tout ce qui a été mis en place depuis des siècles. Et d’ajouter en souriant : « N’oublions pas qu’Obama est un homme noir dans une maison blanche… »

Parmi les trois de la prison d’Angola incarcérés pour un crime qu’ils n’ont pas commis, Herman Wallace est décédé en octobre 2013 trois jours après sa libération ordonnée par un juge contre la volonté farouche des autorités de Louisiane de le maintenir en détention, et Albert Woodfox est toujours enfermé. Il a déjà passé 42 ans en détention, dont la plupart à l’isolement. Avec Amnesty, Robert King milite invariablement pour sa libération.

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