Kenya : les transferts illégaux de « terroristes présumés » doivent faire l’objet d’une enquête

DÉCLARATION PUBLIQUE

Index AI : AFR 32/010/2008-
ÉFAI

Amnesty International et plusieurs autres organisations internationales, ainsi que des organisations kenyanes, ont demandé au gouvernement de Nairobi, aujourd’hui, jeudi 31 juillet 2008, de mener une enquête indépendante et impartiale sur le transfert illégal de plusieurs dizaines de personnes, du Kenya vers des pays tiers, notamment vers la Somalie, l’Éthiopie et les États-Unis.

Ces organisations (dont la liste figure plus bas) considèrent que ces transferts ont été effectués en contravention avec le droit international et appellent le gouvernement kenyan à veiller à ce qu’il soit mis fin à ce genre de pratiques.

Au moins 140 personnes (représentant au moins 17 nationalités, kenyane comprise) ont ainsi été arrêtées par les autorités kenyanes entre décembre 2006 et février 2007.

La plupart d’entre elles ont été interpellées alors qu’elles tentaient de se réfugier au Kenya, fuyant la Somalie, en proie à une nouvelle escalade de la violence. Les autorités kenyanes avaient à l’époque affirmé que ces arrestations visaient à empêcher l’arrivée de « terroristes » en provenance du pays voisin. Ces personnes ont été placées en détention dans plusieurs commissariats. La plupart ont été retenues pendant des semaines, sans inculpation. Certaines auraient été torturées ou soumises à divers autres mauvais traitements. Plusieurs auraient été frappées par des policiers kenyans et contraintes de se déshabiller, pour être ensuite photographiées. Elles n’ont pas eu le droit de contester la légitimité de leur détention, n’ont pas eu accès à un avocat et n’ont eu aucun contact avec leurs familles. Les personnes arrêtées n’ont pas été autorisées à formuler une demande d’asile et n’ont pas non plus pu se mettre en contact avec le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), comme le leur garantit pourtant la législation.

En janvier et février, au moins 85 de ces personnes ont été transférées en toute illégalité, sans pouvoir exercer le moindre recours devant une quelconque instance judiciaire, vers la Somalie, puis vers l’Éthiopie. Plus d’une quarantaine d’entre elles étaient toujours détenues au secret, voire clandestinement, en Éthiopie à la fin de l’année 2007. Des informations récentes indiqueraient toutefois qu’un certain nombre d’entre elles auraient été relâchées depuis.

Publiquement, le gouvernement kenyan soutient qu’aucun de ses ressortissants n’a été remis illégalement à la Somalie, à l’Éthiopie ou à un autre pays tiers. Une affirmation manifestement démentie par la réalité. Plusieurs Kenyans auraient en effet été victimes de transferts de ce type, dont Mohamed Abdulmalik, arrêté le 13 février 2007 par la police kenyane et détenu au secret dans plusieurs commissariats de Mombasa, avant d’être envoyé à Nairobi, toujours aux mains de la police, sans pour autant faire l’objet d’aucune inculpation.

On est ensuite resté sans nouvelles de Mohamed Abdulmalik jusqu’au 26 mars 2007, date à laquelle le ministère américain de la Défense a diffusé un communiqué de presse, dans lequel il annonçait que celui-ci se trouvait désormais dans le camp de Guantánamo. L’ambassadeur des États-Unis au Kenya, Michael Ranneberger, a confirmé que Mohamed Abdulmalik avait été « emmené dans le camp cubain avec l’accord du gouvernement kenyan [...] dans le cadre de la collaboration entre les deux gouvernements dans la lutte contre le terrorisme mondial ».

Au moment de l’arrestation de Mohamed Abdulmalik, la pratique des « restitutions extraordinaires », consistant à envoyer des ressortissants étrangers soupçonnés d’être des « terroristes » dans des pays tiers, où ils risquaient fort d’être torturés, était largement connue. Le gouvernement kenyan savait parfaitement que, s’il remettait Mohamed Abdulmalik aux autorités américaines, celui-ci risquait très vraisemblablement de faire l’objet d’une « restitution extraordinaire » ou d’être envoyé dans un centre de détention comme celui de Guantánamo, la base aérienne de Bagram, en Afghanistan, ou l’une des prisons clandestines mises en place par la CIA hors du territoire américain et surnommées « sites noirs », avec tous les risques de torture et d’autres mauvais traitements que cela entraînait manifestement.

Mohamed Abdulmalik est maintenant détenu à Guantánamo depuis plus d’un an, mais ce n’est qu’en avril 2008 que son avocat américain a été autorisé à le rencontrer pour la première fois. Mohamed Abdulmalik n’a pour l’instant pas été en mesure d’exercer le droit, qui est le sien au titre de la législation internationale, de contester la légalité de sa détention.

Maintenant que Mohamed Abdulmalik se trouve à Guantánamo, il est de la responsabilité du gouvernement kenyan d’intervenir de toute urgence en sa faveur, auprès des plus hautes autorités américaines. Le gouvernement kenyan doit demander au gouvernement des États-Unis d’inculper le détenu d’une infraction pénale bien précise et de le faire juger équitablement par un tribunal civil ordinaire, dans le plus strict respect des normes internationales, ou, à défaut, de le libérer et, si le détenu le souhaite, de le renvoyer au Kenya.

Le gouvernement kenyan doit en outre :

veiller à ce qu’une enquête efficace, indépendante et impartiale soit menée sur les arrestations, détentions et transferts des personnes dont il est ici question, ainsi que sur la manière dont elles ont été traitées en détention ;
veiller à ce que cette enquête débouche sur des poursuites contre les éventuels auteurs de violations des droits humains ;
rendre publique l’identité des personnes encore détenues dans des pays tiers, ainsi que le lieu précis où elles se trouvent, et demander aux gouvernements qui les détiennent soit de les libérer immédiatement, soit de les inculper d’une infraction pénale clairement identifiable.

Signataires :
Amnesty International -
Redress -
Reprieve -
Human Rights Watch -
OMCT -
Muslim Human Rights Forum -
Cageprisoners -
East Africa Law Society -
International Commission of Jurists-Kenya -
Kenya Human Rights Commission -
Independent Medico-Legal Unit and Kituo Cha Sheria

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