UKRAINE. Des militants condamnés pour une manifestation écologiste non violente

ÉFAI - 18 juin 2010

Amnesty International est préoccupée par les violations des droits humains qui auraient été perpétrées contre des militants écologistes lors de manifestations à Kharkiv. L’organisation considère deux de ces militants, Andreï Evarnitski et Denis Tchernega, comme des prisonniers d’opinion, car ils ont uniquement été condamnés pour avoir fait l’exercice de leurs droits à la liberté d’expression et de réunion ; elle demande donc leur libération immédiate et sans conditions. Bien que leur peine ait par la suite été réduite, l’organisation continue à réclamer que la légalité des charges retenues fasse l’objet d’une enquête et que ces hommes se voient accorder une indemnisation pour les épreuves qu’ils ont subies.

Amnesty International déplore par ailleurs que la police n’ait semble-t-il pas protégé les manifestants contre les actions violentes d’employés d’une société de sécurité et de bûcherons, qui ont fait plusieurs blessés. L’organisation s’inquiète également des allégations concernant le recours à la violence contre des manifestants pacifiques et la privation de soins médicaux.

Le 20 mai 2010, des équipes de bûcherons employées par le conseil municipal de Kharkiv ont commencé à abattre des arbres dans le parc Gorki, un espace vert de 1 800 hectares créé au 19e siècle. Le conseil municipal de Kharkiv prévoit de construire une route et des lieux de loisirs commerciaux ; il s’est cependant abstenu de mener une consultation auprès du public ainsi que l’avaient ordonné les services nationaux de protection de l’environnement en 2007, et les certificats d’attribution des terrains et d’inspection des lieux, documents indispensables à la poursuite des opérations, n’ont pas été obtenus. L’ouverture du chantier s’est uniquement fondée sur une décision du comité exécutif du conseil municipal de Kharkiv prise le 19 mai, la veille du début des opérations de déboisage, et autorisant l’abatage de 503 arbres. D’après l’organisation écologiste Petcheneg, au cours de la première semaine seulement, les bûcherons avaient déjà coupé 20 % d’arbres de plus que le nombre fixé par la décision du comité exécutif.

Lorsque les équipes de bûcherons ont débuté le travail le 20 mai, des riverains et des militants écologistes ont commencé à se rassembler dans le parc et ont essayé de faire cesser l’abattage en barrant l’accès aux arbres, en s’asseyant sur des branches et en s’enchaînant aux troncs. De plus en plus de personnes ont rallié cette action de protestation, de sorte qu’au 2 juin, date à laquelle les manifestants ont été dispersés par les équipes de bûcherons, près de 200 personnes de tous âges s’étaient réunies dans le parc. Tout au long de leur mobilisation, les manifestants se sont heurtés à des agents de sécurité employés par une société commerciale établie par le conseil municipal, désignée sous l’appellation « Garde municipale ». Les agents de sécurité ont été rejoints par les équipes de bûcherons et les employés d’une entreprise de construction. À plusieurs reprises durant l’action de protestation, ceux-ci auraient essayé de contraindre les manifestants à quitter les lieux en recourant à la force et les auraient insultés. Des policiers étaient présents pendant la plupart de ces épisodes mais ne seraient pas intervenus pour protéger les manifestants des agissements de la « Garde municipale », des bûcherons et des ouvriers du bâtiment.

PRISONNIERS D’OPINION
Le 28 mai, la police a arrêté 10 à 12 personnes, parmi lesquelles figuraient Andreï Evarnitski et Denis Tchernega. Ces personnes se trouvaient dans le parc le 28 mai à 6 heures du matin lorsqu’un grand nombre d’agents de sécurité de la « Garde municipale » ont commencé à briser la chaîne humaine formée par les manifestants. Elles ont été conduites au poste de police du district de Dzerjinski, où elles ont été placées en garde à vue pendant environ huit heures avant d’être présentées devant un juge et remises en liberté. Huit d’entre elles, dont Andreï Evarnitski et Denis Tchernega, ont alors été inculpées. Une a ensuite été acquittée, deux ont dû payer une amende et trois autres cas sont encore en instance de jugement. Le 9 juin, Andreï Evarnitski et Denis Tchernega ont été condamnés à 15 jours de détention.
Des séquences vidéo des événements montrent que les manifestants n’ont pas recouru à la violence et qu’ils ont suivi les policiers sans faire d’éclat. Des témoins déclarent que les policiers n’ont à aucun moment émis de requêtes ou adressé de demandes aux manifestants qui puissent expliquer ces charges.
Le 18 juin, les peines prononcées contre Andreï Evarnitski et Denis Tchernega ont été ramenées à neuf jours en appel ; ils devaient être libérés le jour-même à 18 heures. Amnesty International continue à déplorer qu’ils aient été condamnés pour avoir exprimé leur opinion de manière pourtant pacifique, et demande que la légalité des charges retenues contre eux fasse l’objet d’une enquête et qu’ils reçoivent une indemnisation digne de ce nom pour les épreuves qu’ils ont traversées. L’organisation engage par ailleurs les autorités à veiller à ce que personne d’autre ne soit condamné pour avoir exercé ses droits à la liberté d’expression et de réunion, et à garantir que la police respecte et protège ces droits.

ALLEGATIONS RELATIVES AU RECOURS A LA VIOLENCE PAR LA « GARDE MUNICIPALE » ET LES BUCHERONS
Amnesty International s’inquiète également du fait qu’à plusieurs occasions, au cours des 14 jours qu’a duré cette action de protestation, les manifestants ont été victimes des violences, des menaces et des tactiques dangereuses (voir ci-après) de la « Garde municipale » et des bûcherons, qui ont mis leur vie et leur bien-être en péril. La police, pourtant présente, ne serait pas intervenue et a donc échoué dans sa mission de protection des manifestants.
Par exemple, le 21 mai, Youri Kaltchenko et Evgueni Solovev auraient été roués de coups par des bûcherons.

Le 27 mai, deux personnes ont été blessées lorsque plusieurs manifestants ont été cloués au sol par une pelleteuse dont le conducteur abaissait délibérément la pelle. Les manifestants ont demandé à des policiers se trouvant sur place de les protéger, mais ceux-ci n’ont pas réagi ; peu après, des inconnus vêtus de vestes orange d’ouvriers du bâtiment ont sauvagement battu les manifestants. D’après les informations recueillies, les policiers ont assisté aux violences pendant une demi-heure et n’ont rien fait pour protéger les manifestants. Le 31 mai, des membres de la « Garde municipale » auraient essayé d’éloigner les manifestants de la zone d’abattage ; plusieurs manifestants, dont des journalistes, ont alors reçu des coups. Lioubov Melnik, âgée de 52 ans, a indiqué qu’elle avait été frappée à plusieurs reprises dans le dos par des agents de sécurité, ce qui lui a valu une lésion à la moelle épinière pour laquelle elle a dû être hospitalisée. Des policiers étaient présents mais n’ont rien fait. Des manifestants ont également déclaré qu’au cours de la nuit du 31 mai au 1er juin, des pièges en fil de fer ont été tendus sur les chemins empruntés par les personnes amenant eau et nourriture aux manifestants ; plusieurs ont trébuché et se sont blessées. Le 2 juin, à 16 h 45, des membres de la « Garde municipale » et des bûcherons équipés de tronçonneuses sont arrivés sur place. Selon les informations reçues, des bûcherons ont menacé certains manifestants de leur tronçonneuse et ont commencé à scier des arbres, que des manifestants y soient perchés ou non. Un manifestant, assis sur une branche en hauteur, n’a pas été en mesure de descendre de l’arbre car les bûcherons avaient retiré les cordes le reliant au sol, et il a été gravement blessé lorsqu’un arbre voisin lui est tombé dessus après avoir été abattu. Un autre manifestant a été blessé lorsque des employés de la « Garde municipale » l’ont fait chuter d’un arbre en tirant sur ses cordes.

Amnesty International a rappelé aux autorités ukrainiennes qu’en vertu du droit international relatif aux droits humains, les États sont tenus non seulement de protéger la liberté d’expression et de réunion en n’interférant pas avec ces droits, mais également de veiller à ce que l’on puisse faire l’exercice de ces droits sans interférence de la part de tiers. L’organisation exhorte donc les autorités à enquêter sur le recours à la force et sur les agissements dangereux imputés à l’entreprise de sécurité « Garde municipale » et aux équipes de bûcherons, ainsi que sur le fait que la police n’ait pas protégé les manifestants des exactions d’acteurs non étatiques. S’il s’avère que ces acteurs ont agi illégalement, les autorités doivent faire en sorte qu’ils soient déférés à la justice dans le cadre d’une procédure équitable et que les victimes reçoivent des réparations, une indemnisation notamment.

LE DROIT A LA SANTE
Enfin, Amnesty International a exprimé la préoccupation que lui inspire le fait que des manifestants blessés se seraient vu refuser des soins et que des membres de la « Garde municipale » auraient fait pression sur eux afin de les inciter à ne pas signaler leurs blessures.
D’après certaines informations, des éléments de la « Garde municipale » se sont présentés devant Lioubov Melnik, hospitalisée après que des employés de cette entreprise lui eurent fait perdre l’équilibre et l’eurent frappée, et lui ont demandé de déclarer qu’elle n’avait pas été battue mais qu’elle s’était blessée en tombant. Lioubov Melnik affirme que peu après leur avoir opposé un refus, elle a été informée par l’hôpital qu’il n’y avait plus de lits disponibles et qu’elle était autorisée à rentrer chez elle. Elle est tombée malade le 1er juin, et sa famille l’a successivement conduite dans les trois hôpitaux de Kharkiv afin d’essayer de la faire soigner. Les trois hôpitaux ont refusé de la prendre en charge.

Amnesty International a demandé aux autorités d’enquêter sur le refus des hôpitaux de Kharkiv de dispenser des soins médicaux, conformément à la Constitution ukrainienne et au Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, auquel l’Ukraine est partie.

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