Renvoyés dans leur pays, les Afghans risquent d’être torturés et tués

  • Les retours depuis l’Europe se multiplient, alors que la situation en Afghanistan devient de plus en plus dangereuse
  • Les États européens prétendent à tort que certaines régions d’Afghanistan sont sûres
  • 2016 a été une année record en termes de personnes tuées et 2017 suit la même voie
  • En Belgique, 41 retours forcés et 160 retours volontaires assistés ont été dénombrés en 2016

Les États européens mettent en danger des milliers d’Afghans, en les renvoyant de force dans un pays où ils courent un risque considérable d’être torturés, enlevés, tués ou soumis à d’autres atteintes aux droits humains, écrit Amnesty International dans un nouveau rapport publié jeudi 5 octobre .

Alors que le nombre de victimes civiles est plus élevé que jamais en Afghanistan, les gouvernements européens obligent de plus en plus de demandeurs d’asile à repartir affronter les menaces qu’ils ont fuies, en violation flagrante du droit international. C’est ce que constate Amnesty International dans son nouveau rapport.

La Belgique a ainsi procédé en 2015 à 23 retours forcés et à 54 retours volontaires assistés ; en 2016, 41 retours forcés et 160 retours volontaires assistés ont été dénombrés.

« Nous appelons la Belgique et tous les États membres de l’Union européenne à cesser de renvoyer des Afghans dans leur pays tant que subsiste un risque réel qu’ils soient exposés à de graves violations des droits humains. Le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés doit également insister dans ce sens », explique Philippe Hensmans, directeur de la section belge francophone d’Amnesty International.

Intitulé Retour forcé vers l’insécurité. L’Europe renvoie des demandeurs d’asile en Afghanistan (une synthèse est disponible en français), le rapport d’Amnesty International dénonce le sort dramatique d’Afghans renvoyés dans leur pays et qui, à leur retour dans leur pays, ont été tués ou blessés dans des attentats à la bombe, ou qui vivent désormais dans la peur permanente de persécutions motivées par leur orientation sexuelle ou le fait de s’être convertis au christianisme.

« Désireux avant tout d’augmenter le nombre des expulsions, les gouvernements européens appliquent une politique à la fois irresponsable et contraire au droit international. Délibérément aveugles à tous les éléments qui montrent que la violence atteint un niveau record et qu’aucune région d’Afghanistan n’est épargnée, ils mettent des hommes, des femmes et des enfants en danger de torture, d’enlèvement, de mort ou d’autres calamités », déclare Anna Shea, chercheuse d’Amnesty International spécialiste des droits des réfugiés et des migrants.

Selon ce nouveau rapport, des enfants non accompagnés et de jeunes adultes qui étaient mineurs à leur arrivée figurent parmi les personnes renvoyées de force en Afghanistan. Plusieurs personnes interrogées par Amnesty International pour les besoins de ce rapport ont été envoyées dans des secteurs de l’Afghanistan qu’elles ne connaissaient pas, en dépit de l’insécurité qui y régnait et de l’impunité dont jouissaient les auteurs de crimes tels que la torture.

« Ces retours constituent des violations flagrantes du droit international et ils doivent cesser immédiatement. Les mêmes pays européens qui s’étaient naguère engagés pour que les Afghans connaissent un avenir meilleur anéantissent aujourd’hui tous leurs espoirs et les condamnent à repartir dans un pays qui est devenu encore plus dangereux que lorsqu’ils l’ont quitté », déplore Horia Mosadiq, chercheuse d’Amnesty International spécialiste de l’Afghanistan.

Les retours forcés et les victimes civiles se multiplient

Le nombre de retours forcés depuis l’Europe est en augmentation rapide, à un moment où celui des victimes civiles enregistrées par l’ONU atteint un niveau record.

Si l’on en croit les statistiques officielles de l’Union européenne (UE), entre 2015 et 2016, le nombre d’Afghans renvoyés dans leur pays par des États européens a presque triplé, passant de 3 290 à 9 460. Ces retours correspondent à avec une baisse très nette des avis favorables donnés aux demandes d’asile, passés de 68 p. cent en septembre 2015 à 33 p. cent en décembre 2016.

Dans le même temps, on assiste à une augmentation du nombre des victimes civiles en Afghanistan, comme en témoignent les chiffres publiés par la Mission d’assistance des Nations unies en Afghanistan (MANUA).

Selon la MANUA, 11 418 personnes ont été tuées ou blessées en 2016. Des civils ont été pris pour cible dans toutes les régions du pays. La plupart des attaques ont été perpétrées par des groupes armés, notamment par les talibans et le groupe se faisant appeler État islamique (EI). Au cours du seul premier semestre 2017, la MANUA a recensé 5 243 victimes civiles.

Plus de 150 personnes ont été tuées le 31 mai dernier à Kaboul dans l’explosion d’une bombe, à proximité de plusieurs ambassades européennes. Cet attentat, l’un des plus meurtriers jamais commis dans la capitale afghane, a également fait au moins 300 blessés.

Meurtres, mutilations et persécutions

Les chercheurs d’Amnesty International se sont entretenus avec plusieurs familles qui leur ont fait part du calvaire qu’elles avaient vécu après avoir été contraintes de quitter l’Europe. Certaines ont perdu des êtres chers ; d’autres ont échappé de peu à des attaques lancées contre la population civile ; d’autres encore vivent dans la peur des persécutions, dans un pays qu’elles connaissent à peine.

Sadeqa (le nom de la personne a été modifié) et ses proches ont fui l’Afghanistan en 2015, après que son mari, Hadi, eut été enlevé, roué de coups et finalement relâché après paiement d’une rançon. Au terme d’un voyage périlleux de plusieurs mois, ils sont arrivés en Norvège, espérant y trouver un avenir meilleur, en lieu sûr. Malheureusement, les autorités norvégiennes leur ont refusé l’asile, leur donnant le choix entre la détention dans l’attente de leur expulsion et un retour « volontaire », assorti d’une allocation de 10 700 euros.

Le mari de Sadeqa a disparu quelques mois après leur retour en Afghanistan. Les jours ont passé, sans que personne ne sache ce qu’il était devenu. En fait, Hadi avait été tué. Sadeqa pense qu’il a été assassiné par ses ravisseurs. Aujourd’hui, elle a peur ne serait-ce que de se rendre sur sa tombe.

La famille Farhadi a elle aussi été renvoyée de force en Afghanistan par la Norvège en octobre 2016. Un mois plus tard, elle se trouvait à côté de la mosquée Baqir-ul-Uloom, à Kaboul, lorsque celle-ci a été la cible d’un attentat à la bombe, qui a tué au moins 27 personnes. Cet attentat a été revendiqué par le groupe armé se faisant appeler État islamique (EI).

Sous la violence de la déflagration, le petit Subhan Farhadi, âgé à l’époque de deux ans, est tombé des bras de sa mère et a été blessé. Lorsque les membres de la famille Farhadi sont rentrés chez eux, ils ont constaté que Subhan saignait des oreilles. L’enfant continue de se plaindre de douleurs à une oreille, plusieurs mois après l’attentat.

Farid (le nom de la personne a été modifié) a fui l’Afghanistan avec sa famille lorsqu’il était enfant. Ils ont tout d’abord gagné l’Iran, d’où il est ensuite parti seul pour aller en Norvège, où il s’est converti au christianisme. Le jeune homme a été expulsé en mai 2017 vers Kaboul, une ville qui concentre à elle seule 19 p. cent des victimes civiles recensées en 2016 en Afghanistan et où le niveau de violence est le plus élevé de tout le pays.

Farid n’avait aucun souvenir de l’Afghanistan. Il vit désormais dans la crainte des persécutions, dans un pays où les groupes armés, notamment les talibans, s’en prennent à ceux et celles qui abandonnent l’islam pour se convertir à d’autres religions. « J’ai peur », a-t-il confié à Amnesty International. « Je ne connais rien de l’Afghanistan. Où vais-je aller ? Je n’ai pas les moyens de vivre seul, et je ne peux pas vivre avec ma famille parce qu’ils verront que je ne prie pas. »

Azad (le nom de la personne a été modifié), a lui aussi grandi en Iran. Il a ensuite gagné les Pays-Bas avec son frère. Renvoyé en Afghanistan en mai 2017, il se présente comme gay et craint que son orientation sexuelle ne soit découverte par des personnes qui lui veulent du mal. Il avait tellement peur d’être renvoyé en Afghanistan qu’il a fait une tentative de suicide, juste avant d’être expulsé. « J’essaie d’être un homme ici. Je deviens fou. La nuit, j’ai très peur. Je suis vraiment terrorisé », a-t-il déclaré à Amnesty International.

« Une coupe de poison »

Les États européens n’ignorent aucunement la dangerosité de la situation en Afghanistan. Au contraire, ils l’ont reconnue lorsque les membres de l’Union européenne (UE) ont signé un accord de coopération baptisé « Action conjointe pour le futur », destiné à renvoyer chez eux des demandeurs d’asile afghans.

Dans un document ayant fuité, l’administration de l’UE reconnaît que l’Afghanistan est confronté à « une détérioration de sa situation sécuritaire et une aggravation des menaces auxquelles les gens sont exposés, avec un nombre record d’attaques terroristes et de civils tués ou blessés ». Ce qui ne l’empêche pas de conclure, avec un total cynisme, qu’il faut « que 80 000 personnes au moins puissent retourner chez elles dans un futur proche ».

Selon des informations dignes de foi, cette « nécessité » aurait été exprimée par des pressions exercées sur le gouvernement afghan. Le ministre afghan des Finances, Ekil Hakimi, a déclaré devant le Parlement : « Si l’Afghanistan ne coopère pas avec les pays de l’Union européenne dans le cadre de la crise des réfugiés, cela aura des conséquences négatives pour le montant de l’aide allouée à notre pays. »

Dans le même ordre d’idées, une source afghane connaissant bien l’accord et s’exprimant sous le sceau de la confidentialité a qualifié ledit accord de « coupe de poison » que le gouvernement afghan aurait été obligé d’avaler en échange d’une aide.

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