Les 21 et 28 juin, la police a arrêté au moins 41 personnes, dont une femme et 40 hommes, parce qu’elles avaient porté le drapeau amazigh lors de différentes manifestations réclamant « un changement politique » qui ont eu lieu à travers le pays. Dix-huit d’entre elles ont été arrêtées à Alger, en deux groupes distincts de cinq et 13 manifestants, quatre à Oran et trois à Tamanrasset le 21 juin. Seize autres manifestants ont été arrêtés les 27 et 28 juin. Trente-quatre manifestants se trouvent toujours en détention, dans l’attente de leur procès.
Ces 34 personnes ont été inculpées au titre de l’article 79 du Code pénal algérien pour « atteinte à l’intégrité du territoire national », cet article prévoyant une peine allant d’un à dix ans d’emprisonnement et une amende de 3 000 à 70 000 dinars algériens (environ 25 à 600 dollars des États-Unis).
Amnesty International tient à souligner que le fait d’arrêter, de harceler et d’intimider une personne ou d’engager des poursuites contre elle uniquement parce qu’elle a porté un drapeau constitue une violation flagrante des droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique et des droits culturels de la communauté amazighe, ces droits étant garantis par la Constitution algérienne et par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, auxquels l’Algérie est partie.
Placés en détention et poursuivis en justice pour avoir porté un drapeau
Le 30 juin, le juge d’instruction près le tribunal de Sidi M’hamed a ordonné le placement en détention provisoire de 16 manifestants arrêtés pendant les manifestations pacifiques du 28 juin à Alger parce qu’ils portaient des drapeaux amazighs.
Selon l’un de leurs avocats, les manifestants ont été arrêtés près de la rue Didouche Mourad, dans le centre d’Alger, après que la police eut fouillé leurs sacs, alors qu’ils se rassemblaient en vue de la manifestation. Parmi eux figure Samira Messouci, une jeune élue de 25 ans du parti Rassemblement pour la culture et la démocratie, un vendeur de drapeaux, des passants et un Palestinien. Toutes ces personnes sont actuellement détenues à la prison d’El Harrach, tristement connue en raison des mauvaises conditions de détention, notamment de la surpopulation carcérale. Trois autres protestataires au moins, dont le journaliste Bouzid Ichalalene, ont été arrêtés le même jour et relâchés au bout de plusieurs heures sans inculpation.
Une semaine plus tôt, le 23 juin, les juges d’instruction près les tribunaux de Bab El Oued et de Sidi M’hamed avaient ordonné le placement en détention provisoire de 18 hommes arrêtés le 21 juin, à Alger, lors de manifestations pacifiques. Les avocats de ces deux groupes de personnes ont fait appel de cette décision ; la date de l’audience d’appel n’a pas encore été fixée.
Le frère de Saïd Akli, l’un des manifestants arrêtés lors des manifestations du 21 juin, qui est âgé de 39 ans, a indiqué à Amnesty International que Saïd Akli avait l’intention de participer aux manifestations avec deux amis qui venaient de la ville de Bouira, mais qu’il a été arrêté avec ces deux amis sur la plage parce qu’ils portaient un drapeau. Ils avaient prévu de rejoindre le cortège des manifestants dans le centre d’Alger plus tard dans la journée.
Le militant et protestataire Messoud Leftissi, qui est lui aussi maintenu en détention pour avoir porté le drapeau amazigh, faisait également partie de ce groupe. Messoud Leftissi a été inculpé en mai 2019, dans une autre affaire, d’« incitation à attroupement armé » (au titre de l’article 100 du Code pénal) pour avoir brandi une pancarte critiquant l’armée lors d’une manifestation contre le système politique actuel. L’audience dans cette affaire a été renvoyée au 6 juillet.
Placés sous contrôle judiciaire
Le 24 juin, le juge d’instruction près le tribunal de Sidi Jamel, à Oran, a ordonné le placement sous contrôle judiciaire de trois manifestants inculpés au titre de l’article 79 du Code pénal pour avoir porté le drapeau amazigh ; les trois hommes ont de ce fait été remis en liberté. Ils devront se présenter au tribunal tous les mercredis jusqu’à ce qu’une date soit fixée pour leur procès. Un homme est toujours détenu en raison d’accusations sans rapport avec les manifestations.
Les trois manifestants arrêtés à Tamanrasset le 21 juin ont été relâchés le jour même, après avoir passé plusieurs heures en détention. Ils n’ont pas été inculpés.
Autres cas
Amnesty International a également rassemblé des informations sur d’autres cas de personnes qui ont été arrêtées pour avoir porté le drapeau amazigh. Le 24 juin, un juge de la ville de Bordj Bou Arreridj a ordonné le placement en détention de Khaled Chouater, docteur en médecine, qui avait publié sur Facebook une photo sur laquelle il tient le drapeau amazigh. Il a été inculpé au titre de l’article 79 du Code pénal.
Le 25 juin, deux étudiants ont été arrêtés pour avoir porté le drapeau amazigh lors d’une nouvelle journée de manifestations à Alger. Ils ont été détenus pendant plusieurs heures avant d’être présentés devant le procureur près le tribunal de Sidi M’hamed pour « atteinte à l’intégrité du territoire national », au titre de l’article 79 du Code pénal. Le juge a ordonné leur mise sous contrôle judiciaire pour une période de deux semaines.
À Mascara, le 26 juin, la police a arrêté Djamel Belleg, qui est âgé de 55 ans, dans un café, et l’a interrogé au sujet des raisons pour lesquelles il a porté le drapeau amazigh pendant les manifestations organisées les vendredis dans la ville. Il n’a fait l’objet d’aucune inculpation.
À Annaba, la police a arrêté et agressé le journaliste Mustapha Bendejmaa alors qu’il filmait une manifestation et portait le drapeau amazigh, et ces violences lui ont laissé des contusions sur le bras. Dans un entretien accordé au site d’information en ligne Tout sur l’Algérie (TSA), Mustapha Bendejmaa a déclaré qu’il a été emmené au poste de police, où les policiers l’ont contraint à se dévêtir et l’ont soumis à une fouille à corps. Il a été relâché huit heures après son arrestation.
À Oran, neuf manifestants au moins ont été arrêtés de façon arbitraire, puis remis en liberté le jour même.
Complément d’information
Des manifestations massives largement pacifiques menées par des avocats, des étudiants et des journalistes, entre autres, ont lieu chaque vendredi dans toute l’Algérie depuis le 22 février. Ces manifestations organisées à l’origine contre un cinquième mandat du président Bouteflika, réclament depuis « un changement radical de système politique ».
Les autorités algériennes ont pris des mesures pour reconnaître les droits culturels des Amazighs : elles ont inscrit le tamazight en tant que langue officielle dans la Constitution en 2016, et institué un jour férié pour « yannayer » (qui marque le début du premier mois de l’année amazigh) à compter du 12 janvier 2018. Elles ont également créé l’Académie algérienne de la langue amazighe, qui est chargée de promouvoir cette langue. La Constitution algérienne reconnaît également que l’« Amazighité » est une des composantes fondamentales de l’identité algérienne.
Figurent au nombre des personnes arrêtées : Khaled Aliche, Djaber Bacha, Abderrahmane Bibi, Akli Boudjmil, Khaled Boudraa, Mohand Ider Ali, Guerroudj Idir, Bilal Karoune, Hamza Lakhal, Tahar Meharzi, Chatri Mouloud, Timssi Nasser, Kamel Okbi, Hamza Oudihat, Amine Ouidri, Samir Ould Taleb et Makhlouf Safi.