Réponse d’Amnesty International à la déclaration du bureau du procureur de la CPI selon laquelle il ne peut enquêter sur les crimes commis durant le conflit de Gaza

Mardi 3 avril 2012, le bureau du procureur de la Cour pénale internationale (CPI) a diffusé une mise à jour sur son examen préliminaire de la situation en Palestine. Cet examen préliminaire a été initié après que l’Autorité palestinienne eut soumis une déclaration à la CPI en janvier 2009, au lendemain du conflit long de 22 jours dont la bande de Gaza et le sud d’Israël ont été le théâtre, afin qu’il soit déterminé si la CPI pouvait ouvrir une enquête sur les crimes commis durant ce conflit. Le bureau du procureur a conclu qu’il n’était pas en mesure de procéder à une enquête et de lancer des poursuites pour ces crimes, à moins que les organes compétents au sein des Nations unies (en particulier le secrétaire général et l’Assemblée générale) ou l’Assemblée des États parties de la CPI (composée de 121 États ayant ratifié le Statut de Rome de la CPI) ne décident que la Palestine est un État, aux fins de son adhésion au Statut de Rome

Amnesty International a réagi en diffusant un communiqué de presse (voir à la fin de ce document) critiquant cette décision et affirmant que le procureur devrait plutôt demander à la Chambre préliminaire de la CPI de se prononcer sur la question.

Les questions et réponses ci-après fournissent des informations de référence complémentaires afin d’expliquer la position d’Amnesty International.

Ni l’Autorité palestinienne ni Israël n’ont ratifié le Statut de Rome, et le Conseil de sécurité des Nations unies n’a pas déféré la situation à la CPI. La CPI est-elle compétente malgré tout ?

Les États n’ayant pas ratifié le Statut de Rome ont la possibilité, au titre de l’article Article 12(3) du Statut, de déposer une déclaration auprès de la CPI acceptant la compétence de celle-ci sur certains crimes commis sur leur territoire par quelque personne que ce soit, quelle que soit sa nationalité, et commis par ses ressortissants n’importe où. L’Autorité palestinienne a fait cette déclaration le 22 janvier 2009 - immédiatement après qu’un cessez-le-feu eut mis fin à ce conflit dévastateur - acceptant la compétence de la CPI à l’égard d’« actes commis sur le territoire de la Palestine à partir du 1er juillet 2002 ». Cette déclaration est donc susceptible de couvrir les crimes de droit international commis par les deux parties lors du conflit qui s’est produit dans la bande de Gaza et le sud d’Israël entre le 27 décembre 2008 et le 18 janvier 2009. Amnesty International a recueilli des éléments prouvant que des crimes de guerre ont été perpétrés aussi bien par les forces israéliennes que par les groupes armés palestiniens durant ce conflit

La Côte d’Ivoire, qui n’a pas non plus ratifié le Statut de Rome, a par exemple elle aussi fait une déclaration acceptant la compétence de la CPI le 18 avril 2003.

Pourquoi est-il nécessaire de déterminer que la Palestine est un État pour que la CPI puisse procéder à une enquête ?

Aux termes de l’article 12(3), seul un « État » peut accepter la compétence de la CPI. La validité de la déclaration faite par l’Autorité palestinienne dépend de la capacité de la Palestine à être considérée comme un État au sens où l’entend le Statut de Rome, et cela doit être établi avant que la CPI ne puisse ouvrir une enquête sur la base de cette déclaration.

Amnesty International considère-t-elle que la Palestine est un État ?
Amnesty International ne prend pas position sur la question de savoir si la Palestine est un État. En tant qu’organisation de défense des droits humains, ce qui nous préoccupe est le respect des droits fondamentaux des Palestiniens et des Israéliens, et notamment de veiller à ce qu’ils obtiennent justice, vérité et réparations.

Si Amnesty International ne prend pas position sur le statut d’État de la Palestine, pourquoi critique-t-elle la déclaration du bureau du procureur ?
Bien qu’elle ne se prononce pas sur le statut d’État de la Palestine, Amnesty International reconnaît que cette question est centrale à la capacité de la CPI à juger les crimes commis pendant le conflit entre Gaza et Israël sur la base de la déclaration de l’Autorité palestinienne.

Étant donné que ce qui est en jeu est l’accès à la justice pour les victimes de crimes de guerre des deux camps, Amnesty International demande que les juges de la CPI se prononcent sur le sujet sur le terrain du droit, en toute indépendance, au lieu de laisser des organes externes prendre une décision politique, ce qui laissera certainement la question ouverte indéfiniment, tandis que les victimes continueront à être privées de justice.

Par ailleurs, déléguer cette décision à un organe politique affaiblit l’indépendance cruciale qui est celle de la Cour et expose la CPI au risque d’une influence politique externe sur des questions de justice.

La position adoptée par le bureau du procureur dresse un nouvel obstacle considérable sur la voie de la justice pour les victimes et ne dit rien du fait que le procureur n’ait toujours pas demandé à la Chambre préliminaire de trancher sur le plan judiciaire, et en toute indépendance, la question de la compétence de la CPI dans ce cas précis, bien que l’enquête préliminaire dure depuis déjà plus de trois ans.

Pourquoi Amnesty International est-elle opposée à ce que les Nations unies ou l’Assemblée des États parties à la CPI déterminent si la Palestine est un État ou non ?

Amnesty International n’est pas opposée aux processus politiques d’établissement du statut d’État. Cependant, dans ce cas précis, le statut d’« État » de la Palestine est contesté et il est peu probable que la question soit résolue de manière opportune par les organes des Nations unies. Le 23 septembre 2011, Mahmoud Abbas, le président palestinien, a soumis à Ban Ki-moon, le secrétaire général des Nations unies, une demande d’adhésion de l’État de Palestine comme membre à part entière des Nations unies, mais le Conseil de sécurité des Nations unies n’a pas encore pris de décision. La question a dans les faits été mise en suspens, en grande partie à cause de l’opposition du gouvernement des États-Unis. Si le gouvernement israélien et quelques juristes de premier plan soutiennent que la Palestine ne remplit pas les conditions requises pour être un État, un certain nombre d’éminents experts du droit international estiment que l’Autorité palestinienne a le droit de faire cette déclaration, en vertu de l’article 12(3) du Statut de Rome, et que les juges de la CPI doivent se prononcer sur sa validité.

En outre, les raisons invoquées par le bureau du procureur concernant la nécessité pour les Nations unies ou l’Assemblée des États parties de la CPI de trancher laissent à désirer. Il affirme ainsi qu’il revient aux Nations unies ou à l’Assemblée des États parties à la CPI de décider si « la Palestine constitue ou non un État aux fins d’adhésion au Statut de Rome et, par conséquent, d’exercice de la compétence de la Cour visée à l’article 12 ?1 ». Une démarche inclusive a été adoptée pour l’adhésion au Statut de Rome, notamment avec l’acceptation de la demande d’adhésion des Îles Cook, bien qu’il ne s’agisse pas d’un État membre des Nations unies. Cette approche s’inspire largement de la pratique en vigueur au sein de l’Assemblée générale des Nations unies, selon laquelle tout cas d’incertitude est examiné selon que l’État est reconnu en tant que tel aux fins du dépôt d’un instrument de ratification. Il convient de noter que l’Autorité palestinienne n’a pas essayé de devenir un État partie au Statut de Rome en déposant un instrument d’adhésion, mais a plutôt accepté la compétence de la CPI en faisant une déclaration en ce sens en vertu de l’article 12(3). La question de la compétence de la CPI est distincte de la capacité à adhérer au Statut de Rome, et ce sont les juges de la CPI, pas un organe politique externe, qui sont les mieux placés pour y répondre.

Pourquoi Amnesty International est-elle en faveur d’une décision de justice sur cette question ?
L’interprétation du Statut de Rome est de la responsabilité des juges. La principale question est de savoir si la Palestine est un État ainsi que l’entend le Statut de Rome. Une décision de justice à ce propos, rendue par un panel indépendant de juges spécialistes du droit international et du Statut de Rome, pourrait donc permettre d’apporter une réponse rapide à la question du statut de la Palestine aux fins de l’article 12(3), et ainsi de déterminer si la déclaration dans laquelle l’Autorité palestinienne accepte la compétence de la CPI est valide.

Sur quoi les juges de la CPI pourraient-ils se fonder pour trancher sur le terrain juridique ?
La Chambre préliminaire de la CPI est actuellement le seul organe habilité à mener une telle procédure. L’article 19(3) du Statut de Rome dispose : « le Procureur peut demander à la Cour de se prononcer sur une question de compétence ou de recevabilité. » Toutefois, comme la formulation le laisse entendre, cette procédure ne peut être engagée que par le procureur. Comme il ne leur a toujours pas demandé de se prononcer, les juges de la CPI n’ont pas été en mesure de se pencher sur la question.

Depuis combien de temps Amnesty International demande-t-elle que le procureur requière une décision de la part de la Chambre préliminaire ?
Amnesty International en a pour la première fois fait la demande en septembre 2010, lorsque l’organisation a constaté que ni les autorités israéliennes ni le gouvernement de facto du Hamas n’avaient effectué d’enquêtes nationales dignes de ce nom sur les crimes commis durant le conflit de Gaza

Quel avantage y aurait-il à ce que la CPI soit compétente ?
S’il est établi que la déclaration de l’Autorité palestinienne est valide, cela pourrait permettre aux victimes palestiniennes comme israéliennes d’obtenir justice et réparations devant la CPI, alors que leurs autorités les privent actuellement de voies de recours. Le fait que la CPI soit considérée compétente pourrait par ailleurs inciter Israël et le gouvernement de facto du Hamas à mener de véritables enquêtes au niveau national et, si suffisamment d’éléments recevables sont réunis, à poursuivre les responsables présumés, comme Amnesty International les y exhorte depuis la fin du conflit.

Pourquoi Amnesty International qualifie-t-elle la déclaration du procureur de « dangereuse »  ?
Il y a deux raisons à cela :

Tout d’abord, en décidant, sans se fonder sur le droit, que la CPI ne peut agir sans que les Nations unies ou l’Assemblée des États parties à la CPI ne déterminent que l’Autorité palestinienne est un État, le bureau du procureur envoie aux auteurs de crimes de droit international le message selon lequel ils sont actuellement hors de la portée de la justice internationale. Une telle impunité perpétue le type de climat dans lequel les violations des droits humains peuvent continuer de toutes parts et augmente le risque que d’autres personnes ne meurent ou ne soient blessées. Des groupes armés palestiniens continuent à effectuer des tirs de roquettes sans discrimination vers Israël, et l’armée israélienne continue à mener des attaques aveugles et disproportionnées dans la bande de Gaza (voir, par exemple, Israël et territoires palestiniens occupés). Toutes les parties doivent protéger les civils à Gaza et en Israël à la suite de l’annonce d’un cessez-le-feu

Ensuite, la décision du bureau du procureur d’adopter une position en faveur d’une détermination politique du statut d’État, plutôt que de demander aux juges de prendre une décision s’appuyant sur le droit, crée le risque que le bureau du procureur se voie reprocher un parti pris politique et un manque d’indépendance, pour avoir demandé à des organes politiques externes de déterminer sa compétence. Cela pourrait menacer la crédibilité de la CPI, en particulier à un moment où elle est accusée de se focaliser sur l’Afrique et d’éviter certaines situations plus épineuses sur le plan politique.

Maintenant que le procureur a fait cette déclaration, que demande Amnesty International ?
Malgré sa déclaration récente, le bureau du procureur n’a pas bouclé son examen préliminaire de la situation en Palestine et reste donc saisi de ce dossier. Amnesty International l’engage donc à reconsidérer la position exprimée dans la déclaration, et exhorte une nouvelle fois le procureur à demander qu’une décision de justice soit rendue sur la compétence de la CPI dans cette situation.

Quelles autres mesures Amnesty International préconise-t-elle afin que les victimes du conflit de 2008-2009 entre la bande de Gaza et Israël obtiennent justice, vérité et réparations ?

Tout récemment, Amnesty International a demandé à l’Assemblée générale des Nations unies de réexaminer lors de sa 66e session le rapport relatif à la mission d’établissement des faits de l’ONU sur le conflit de Gaza, ainsi que l’avait recommandé le Conseil des droits de l’homme de l’ONU en mars 2011. Amnesty International a exhorté l’Assemblée générale à soumettre ce rapport (aussi connu comme le « rapport Goldstone ») au Conseil de sécurité, en recommandant à celui-ci de déférer la situation dans la bande de Gaza au procureur de la CPI, conformément à l’article 13(b) du Statut de Rome. Si le Conseil de sécurité saisissait le procureur, celui-ci pourrait ouvrir une enquête sur les crimes commis pendant le conflit sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur la validité de la déclaration de l’Autorité palestinienne. L’Assemblée générale n’a adopté aucune mesure en ce sens lors de sa 66e session, et Amnesty International n’a connaissance d’aucune initiative prise par le Conseil de sécurité afin de débattre de la question.

Amnesty International a par ailleurs demandé à l’ensemble des États d’exercer leur compétence universelle pour les crimes de droit international, notamment ceux recensés dans le cadre du conflit de Gaza en 2008-2009. Les États doivent enquêter sur les crimes de droit international perpétrés durant ce conflit et, si suffisamment d’éléments de preuve recevables sont réunis, en poursuivre les auteurs présumés devant leur justice nationale, quelle que soit la nationalité des victimes ou des suspects.

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