Communiqué de presse

En Aceh il y a la paix mais pas de justice

Par Olof Blomqvist, attaché de presse pour la région Asie-Pacifique à Amnesty International, revenu récemment d’Indonésie

À une époque, Simpang KKA désignait un carrefour près d’un moulin à pâte à papier en Aceh, une région située dans le nord de l’île de Sumatra, en Indonésie. Mais depuis le 3 mai 1999, ce nom est synonyme de l’une des pires tueries commises durant le terrible conflit qui a déchiré l’Aceh pendant plusieurs décennies.

L’année 1999 était censée marquer le début d’une période de répit pour de nombreux habitants de la région, après une décennie d’opérations militaires qui avaient pris fin en août 1998 avec la chute du président Suharto. Ce conflit qui a duré 29 ans, et qui a été particulièrement intense entre 1989 et 2005, a fait entre 10 000 et 30 000 morts, dont de nombreux civils.

Mais le 3 mai 1999 – il y a quasiment 14 ans aujourd’hui –, la situation était très tendue dans le secteur du village de Cot Morong, dans le nord de l’Aceh. On disait qu’un soldat avait disparu dans ce secteur quelques jours plus tôt, et l’armée avait à la suite de cela fait plusieurs incursions dans le village de Cot Morong, fouillant les maisons et harcelant les villageois.

Quand quatre camions militaires sont entrés dans le village, ce matin-là, les villageois ont eu peur et ont tenté des les diriger vers un carrefour à proximité. Des responsables politiques se sont rendus à ce carrefour pour négocier avec l’armée, et une foule nombreuse s’est rassemblée à cet endroit.

Soudain, sans aucun avertissement préalable et apparemment sans qu’il n’y ait eu aucun acte de provocation, les soldats se sont mis à tirer de manière aveugle sur la foule. Des milliers de gens ont commencé à fuir dans la panique générale, mais pas toujours assez vite : 21 personnes ont été tuées et des dizaines d’autres blessées.

Faisal [1] était là le jour du massacre.

« Je rampais pour éviter les balles. Je voyais les gens qui s’enfuyaient en courant être atteints par des balles tirées par les soldats. Je priais et priais tout en rampant, et j’ai finalement réussi à me réfugier dans un magasin de meubles. Mais des soldats m’avaient suivi. »

« J’ai crié : "Pourquoi vous faites ça, je n’ai rien fait de mal", mais les soldats ont commencé à me frapper. J’ai reçu tellement de coups de pied que j’ai perdu connaissance. Je crois que j’ai survécu uniquement parce que les soldats ont pensé que j’étais mort, et parce que le corps de quelqu’un qu’ils ont tué est tombé sur moi et m’a recouvert. »

Faisal s’est réveillé trois jours plus tard dans un hôpital où sa sœur l’avait conduit. Leur frère a été tué par l’armée pendant le massacre.

Aujourd’hui, cela fait presque 15 ans que la tuerie de Simpang KKA a eu lieu et personne n’a jamais eu à répondre de ces faits.

Le 18 avril 2013, Amnesty International a lancé un rapport, intitulé Time to Face the Past, qui porte sur les manquements du gouvernement indonésien à l’égard des personnes, comme Faisal et sa famille, pour qui le conflit en Aceh est toujours une plaie ouverte.

Presque huit ans se sont écoulés depuis la fin du conflit et les autorités indonésiennes n’ont toujours pas mis en place de commission vérité pour établir ce qui s’est passé pendant ce conflit, et ce alors même qu’elles avaient promis de le faire dans le cadre de l’accord de paix de 2005. De nombreuses familles dont la vie a été déchirée par les violences continuent de se battre pour garder la tête hors de l’eau, alors que faute d’enquêtes dignes de ce nom la très grande majorité des responsables des atteintes aux droits humains sont toujours en liberté.

Faisal fait partie de ceux qui ont reçu du gouvernement une indemnisation à la suite des accords de paix de 2005, mais il estime qu’elle est loin d’être suffisante.

« J’ai seulement reçu une indemnité financière en 2010, et cela après des années de démarches. J’ai dû aller toutes les semaines aux bureaux du gouvernement pour réclamer. J’en suis venu à devoir mendier, alors que j’étais dans mon droit.

« Et la petite somme que j’ai obtenue a plus ressemblé à un don qu’à une indemnisation ; ça n’avait rien à voir avec ce qui m’était arrivé. Le gouvernement n’a jamais reconnu que des atteintes aux droits humains avaient été commises pendant le conflit. »

Faisal dit qu’il se sent mieux maintenant, mais il n’a jamais pu réellement se libérer des événements traumatisants qu’il a vécus ce jour de mai 1999.

Il a cependant tenté d’utiliser cette expérience pour aider les autres personnes qui se sont retrouvées dans la même situation que lui. Avec d’autres, il a rejoint une association locale de défenses des victimes qui fournit des conseils et une aide psycho-sociale depuis quelques années.

« Même s’il y a la paix aujourd’hui en Aceh, nous n’avons pas le sentiment d’avoir la justice. J’ai peur pour les orphelins qui grandissent sans savoir ce qui est arrivé à leurs parents. Ils vont grandir en se demandant pourquoi la justice n’est pas de leur côté.

« Et puis, tant qu’il n’y a pas de justice, qu’est-ce qui peut empêcher le gouvernement de déclarer la loi martiale à un moment ou un autre, une fois de plus ? Nous ne recherchons pas la vengeance, nous avons seulement peur de voir se reproduire ce qui est arrivé dans le passé. »

Notes

[1Son nom a été modifié afin de préserver son anonymat.

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