Communiqué de presse

Afghanistan. L’Accord-cadre de responsabilité mutuelle de Tokyo et le long et difficile chemin vers la justice

Amnesty International prie instamment les hauts responsables réunis ce mercredi 3 juillet à Kaboul pour étudier l’état d’avancement des travaux visant à atteindre les objectifs de l’Accord-cadre de responsabilité mutuelle de Tokyo (Accord-cadre de Tokyo, également appelé Cadre de Tokyo) de prendre immédiatement des mesures correctives afin d’améliorer l’accès à la justice pour tous en Afghanistan.

En juillet 2012, l’Afghanistan et la communauté internationale étaient convenus au titre de l’Accord-cadre de Tokyo d’« améliorer l’accès à la justice pour tous, en particulier les femmes, en veillant à ce que la Constitution et d’autres lois fondamentales soient appliquées promptement, avec équité et en toute transparence ; [et de] veiller à ce que les femmes puissent pleinement jouir de leurs droits économiques, sociaux, civils, politiques et culturels ».

L’évolution en Afghanistan, passée et récente, montre non seulement que le gouvernement afghan et ses partenaires donateurs n’ont pas atteint cet objectif, mais aussi qu’ils sont récemment revenus sur leurs engagements.

Justice de transition

Amnesty International est profondément préoccupée par le fait que le Plan d’action pour la paix, la réconciliation et la justice de 2005 n’a pas été pleinement mis en œuvre avant son expiration en 2009. Ce Plan d’action avait été approuvé par le gouvernement et ses donateurs en 2006 et visait à traiter des violations des droits humains commises par le passé et à promouvoir la réconciliation nationale. Quelques points du Plan d’action ont certes été réalisés, dont la création d’un comité chargé de conseiller le président sur les grandes questions politiques, mais ce comité ne s’est pas distingué en tant que mécanisme de contrôle crédible capable d’empêcher des personnes inappropriées d’occuper des postes dans la fonction publique. L’esprit et les objectifs du Plan d’action ont été encore davantage affaiblis par la promulgation, en 2009, de la Loi sur la réconciliation nationale, l’amnistie générale et la stabilité nationale. Ce texte accorde l’immunité de poursuites aux personnes qui ont été impliquées dans de graves violations des droits humains et dans des crimes de guerre au cours des 30 dernières années, ainsi qu’aux talibans et aux autres membres de groupes armés qui s’engagent à coopérer avec le gouvernement afghan.

Amnesty International prie instamment toutes les personnes réunies à Kaboul pour examiner l’Accord-cadre de Tokyo de veiller à ce qu’aucun individu susceptible d’avoir commis des crimes de droit international, quelle que soit sa position actuelle, ne bénéficie d’une quelconque amnistie. Les responsables de ces actes doivent être rapidement déférés à la justice dans le cadre d’une procédure conforme aux normes internationales d’équité et excluant la peine capitale.

Surveillance des droits humains

L’Accord-cadre de Tokyo prévoit de « permettre à la Commission indépendante afghane des droits de l’homme [AIHRC] et aux organisations de la société civile d’Afghanistan d’exercer leurs fonctions ». Les compétences, l’indépendance et l’efficacité dont fait preuve actuellement cette même Commission constituent un point important que les participants à la réunion doivent examiner de toute urgence. L’AIHRC a vu ses travaux considérables sérieusement ébranlés en décembre 2011, lorsque le président Karzaï a décidé de ne pas renouveler les mandats de trois de ses membres. L’AIHRC venait d’achever une « cartographie des conflits », rapport analysant les allégations de crimes et violations graves commis par des factions armées entre 1978 et 2001. Ce rapport n’a toujours pas été publié. Plus récemment, la nomination, en juin 2013, de cinq nouveaux membres de la Commission, dont certains n’ont aucune compétence reconnue en matière de droits humains, a été contestée à juste titre par des défenseurs afghans des droits humains et par la haut-commissaire aux droits de l’homme des Nations unies. Ces nominations ont en outre eu lieu alors que la société civile n’a pas été dûment consultée, ainsi que le requièrent les Principes de Paris de 1993 sur les institutions nationales des droits humains.

Il appartient aux participants à la réunion de Tokyo de prendre d’urgence des mesures, conformément à la résolution 2096 (2013) du Conseil de sécurité de l’ONU, afin que tous les intéressés coopèrent sans réserve avec l’AIHRC dans le respect de leur indépendance et de leur sécurité .

Réalisation des droits des femmes et des filles

L’Accord-cadre de Tokyo constituait aussi un engagement à rendre compte « de la mise en œuvre, avec la participation de la société civile, de la loi sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes, notamment par la prestation de services aux victimes et par la répression des infractions, ainsi que de l’exécution du Plan d’action national pour les femmes ». Cependant, les fragiles progrès réalisés dans les domaines législatif et politique pour les droits fondamentaux des femmes et des filles en Afghanistan sont aujourd’hui menacés. La mise en œuvre de la loi sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes et du Plan d’action national pour les femmes est rendue difficile en raison, notamment, d’une mauvaise connaissance de la loi et d’un manque de volonté politique de la part des responsables de l’application des lois. En outre, en mars 2012, le président Karzaï a porté un coup à la Déclaration des droits fondamentaux de la femme afghane, qu’il avait pourtant signée en janvier 2002, ainsi qu’à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, à laquelle l’Afghanistan est partie, en cautionnant un code de conduite du Conseil des oulémas (érudits religieux) qui dispose que les femmes ne doivent voyager qu’accompagnées d’un tuteur masculin et qu’elles ne doivent pas se trouver en compagnie d’hommes sur le lieu de travail ou dans les établissements d’enseignement. Ces derniers mois, certains parlementaires ont aussi tenté d’affaiblir la loi sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes, provoquant l’indignation de nombreux défenseurs des droits des femmes.

À travers tout le pays, des femmes et des filles demeurent exposées à l’omniprésence de la violence domestique, de la traite, de ce que l’on appelle les crimes d’« honneur », des mariages forcés et des mariages d’enfants, et au risque permanent de servir de monnaie d’échange pour régler des différends. Les attaques d’écoles et les agressions d’étudiantes se poursuivent aussi. L’AIHCR a rassemblé des informations sur plus de 4 000 cas de violences contre des femmes commises entre le 21 mars et le 21 octobre 2012. Le chiffre réel est probablement bien plus élevé.

En ce qui concerne la mise en œuvre des droits politiques des femmes, la participation de ces dernières aux processus de paix et de réconciliation demeure, à ce jour, marginale. Seules neuf femmes ont été nommées au Haut Conseil pour la paix d’Afghanistan – organe chargé de négocier avec les talibans et avec les autres membres de groupes armés – et même ces femmes ont été écartées des principales négociations de paix, contrairement aux dispositions des résolutions du Conseil de sécurité sur les femmes, la paix et la sécurité.

Pour terminer, lors de la Conférence de Tokyo, en juillet 2012, les partenaires donateurs de l’Afghanistan se sont engagés à verser 16 milliards de dollars des États-Unis au titre de l’aide civile. Les donateurs se doivent de combler le fossé entre ce qu’ils ont promis et ce qu’ils ont déjà versé, en particulier pour garantir l’accès à la justice pour tous.

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