Afghanistan, les talibans doivent immédiatement mettre fin aux arrestations arbitraires de la société civile

Afghanistan, les talibans doivent immédiatement mettre fin aux arrestations arbitraires de la société civile

Sous le régime taliban, les droits à la liberté d’expression, à la liberté et à la liberté de réunion sont de plus en plus restreints, et toute forme de dissidence est réprimée par des disparitions forcées, des arrestations arbitraires et des détentions illégales

Les disparitions forcées de femmes et les arrestations arbitraires de journalistes et de militant·e·s de la société civile semblent être les dernières stratégies adoptées par les talibans pour réduire au silence les voix dissidentes. Les neuf cas que nous avons recensés indiquent que les arrestations arbitraires, les détentions illégales et les disparitions forcées de personnes ayant essayé de remettre en cause le régime taliban en manifestant pacifiquement ou en exerçant leur droit à la liberté d’expression sont de plus en plus fréquentes.

La situation est particulièrement inquiétante pour les femmes, qui courent le risque d’être victimes de disparitions forcées lorsqu’elles protestent contre la privation soudaine de leurs droits. Le refus obstiné des talibans de révéler où se trouvent ces femmes jusqu’à leur libération montre clairement leur refus de rendre des comptes et leur absence d’engagement en faveur de la protection du peuple afghan. Nous demandons que les talibans procèdent à la libération immédiate et inconditionnelle de toutes les personnes détenues pour avoir exercé leurs droits et cessent de dissimuler les informations relatives au sort de ces personnes et au lieu où elles se trouvent. Il est particulièrement inquiétant qu’une fillette de 13 ans se trouve parmi les personnes victimes d’une disparition forcée la semaine dernière.

En tant qu’autorité de facto, les talibans doivent respecter les normes internationales en matière de droits humains. Ils doivent permettre aux Afghan·e·s d’exercer leurs droits sans crainte de représailles.

Dans ce contexte, la vague de perquisitions domiciliaires menées par les talibans au cours des dernières semaines constitue une atteinte aux droits humains. Les fouilles de ce type doivent être menées conformément aux règles de procédure et respecter le droit des personnes de ne pas être soumises à une immixtion arbitraire ou illégale dans leur vie privée, leur famille, leur domicile ou leur correspondance, ainsi que leur droit à la protection de la loi contre ce type de pratiques. Ces perquisitions doivent concerner des situations évaluées de façon individuelle.

Les perquisitions domiciliaires effectuées à grande échelle et sans discernement sont injustifiables au regard du droit relatif aux droits humains – surtout compte tenu des informations selon lesquelles les talibans feraient irruption dans les logements, intimideraient les occupant·e·s et détruiraient leurs biens. Les talibans ont déclaré que ces perquisitions seraient motivées par la volonté de « sécuriser » Kaboul, notamment en « débarrassant la ville des voleurs, des ravisseurs, des éléments mauvais et des criminels en général [1] ». Ils affirment avoir confisqué des armes, des explosifs et des véhicules appartenant au gouvernement dans le cadre de ces perquisitions [2].

La communauté internationale – notamment les pays de la région et les pays ayant un contact direct avec les talibans – doit condamner les atteintes aux droits humains commises en ce moment par les talibans et leur demander de respecter et de protéger le droit international relatif aux droits humains.

À partir de ses enquêtes et de ses analyses, Amnesty International conclut que les talibans ont créé un climat de peur en se rendant responsables de plus en plus de disparitions forcées et d’autres graves atteintes au droit international relatif aux droits humains, comme des arrestations arbitraires et des détentions illégales ciblant les militant·e·s des droits des femmes et les dissident·e·s, afin d’étouffer les opinions critiques.

En Afghanistan, en janvier et février, plus de 60 personnes – dont des enfants – ont subi des arrestations arbitraires, des détentions illégales ou des disparitions forcées aux mains des autorités talibanes. Le nombre de personnes victimes de ces atteintes au cours de cette période pourrait être plus élevé que ce qu’ont indiqué les médias, en raison du climat d’intimidation créé par les talibans et de la réduction de l’espace accordé à la liberté de la presse.

Certains des cas cités ci-dessous – dont ceux des manifestantes – ont commencé par des disparitions forcées aux mains des autorités talibanes et ont débouché sur des détentions illégales et souvent au secret ; même lorsque les talibans ont reconnu les détentions, ils n’ont pris aucune mesure pour que les personnes détenues soient déférées à la justice dans un délai raisonnable ou pour qu’elles soient inculpées d’une infraction prévue par la loi. Il est souvent difficile de distinguer entre les arrestations arbitraires et les disparitions forcées. Néanmoins, Amnesty International considère les cas de détention illégale de femmes comme des disparitions forcées, car les talibans ont, dans un premier temps, nié leur implication, notamment en ce qui concerne Tamana Zaryab Paryani, Parvana Ibrahimkhel et leur famille. En outre, cinq mois après sa disparition, on ignore toujours le sort d’Alia Azizi.

Il convient aussi de souligner que, selon des sources ayant pu s’entretenir avec Amnesty International, les personnes ayant subi une détention arbitraire n’ont pas pu consulter un avocat et leur affaire a été traitée par la Direction des services talibans du renseignement [3] ou par le ministère taliban de l’Intérieur [4]. Parmi les cas sur lesquels Amnesty International a enquêté, un seul a été présenté au parquet taliban, début mars 2022 [5]

Disparition forcée et arrestation arbitraire de manifestantes et de membres de leur famille

Le 11 février, les talibans ont illégalement arrêté 29 militantes des droits des femmes se trouvant dans un refuge à Kaboul et n’ont pas immédiatement reconnu leur implication dans ces faits [6] . Quarante personnes, dont des hommes et des enfants de leur famille, auraient été détenues. Le 20 février, le ministère taliban de l’Intérieur a annoncé qu’il avait fait procéder à l’arrestation de certaines des manifestantes se trouvant dans une « maison » à Kaboul, et a affirmé que ces femmes avaient été incitées par des intervenants extérieurs à protester contre le régime [7]. Il a aussi diffusé une vidéo dans laquelle les femmes « avouent » qu’elles ont été poussées à manifester et à scander des slogans contre les talibans. Néanmoins, pour Amnesty International, les circonstances de l’enregistrement de la vidéo sont floues – en particulier parce que les talibans sont réputés pour intimider et torturer les personnes détenues. Le 28 février, les médias ont annoncé que les talibans avaient libéré les manifestantes et leurs familles [8].

Plus tôt cette année, les talibans avaient nié à plusieurs reprises avoir arrêté le 19 janvier deux manifestantes en faveur des droits des femmes et leurs proches : Tamana Zaryab Paryani, qui a été placée en détention avec ses trois sœurs, et Parvana Ibrahimkhil, détenue avec son beau-frère. Le 13 février, les talibans ont fini par les libérerCompte Twitter d’UNAMA News, 13 février 2022. [9]. Les autorités talibanes ont ensuite libéré Zahra Mohammadi et Musarl Ayar, qui avaient été arrêtées le 2 février pour avoir participé à des manifestations contre les politiques discriminatoires des talibans envers les femmes et les filles.

Alia Azizi, responsable de la prison pour femmes de Hérat, a été soumise à une disparition forcée en octobre 2021 après avoir pris ses fonctions sous le régime taliban, d’après sa famille [10]. Amnesty International a évoqué l’affaire auprès des autorités, qui n’ont pas encore répondu [11].

Arrestations arbitraires d’anciennes personnalités politiques, de militant·e·s de la société civile et de journalistes

Les talibans – en particulier la Direction générale du renseignement – ont procédé à des détentions arbitraires de militant·e·s, de journalistes, de défenseur·e·s des droits des femmes et de membres de l’ancien gouvernement ; une pratique qui s’est intensifiée au fil du temps. Selon les renseignements obtenus par Amnesty International dans le cadre de son enquête, les hommes ont essentiellement été arrêtés dans des lieux publics. Ces arrestations et ces détentions sont arbitraires : en effet, les personnes arrêtées et détenues n’ont pas fait l’objet de poursuites et, dans la plupart des cas, elles n’ont pas été autorisées à consulter un avocat ou à voir leur famille et n’ont pas été déférées à la justice ni inculpées d’une infraction prévue par la loi.

Parmi les personnes arrêtées arbitrairement qui sont toujours en détention figure Mawlavi Din Mohammad Azimi, ancien responsable politique et membre de la Commission électorale indépendante [12]. Selon son neveu, la Direction générale talibane du renseignement l’a arrêté le 6 janvier dans le district 15 de Kaboul [13]. Cependant, depuis le 31 janvier, sa famille a été en mesure de le voir dans les bureaux du service des enquêtes de cette institution, à Kaboul [14] Toujours selon son neveu, Mawlavi Din Mohammad Azimi souffre d’hypertension artérielle et de diabète, et les talibans l’auraient accusé d’entretenir des liens avec d’anciens responsables politiques opposés au régime actuel. Ce n’est que le 3 mars qu’il a été libéré.

Les talibans ont arrêté Azeem Azeemi, un militant âgé d’une vingtaine d’années et vivant à Chahar-Rahi Shahid, près de l’aéroport de Kaboul. Il avait prévu d’organiser, avec d’autres militant·e·s, une manifestation contre la visite dans la capitale afghane du conseiller à la sécurité nationale du Pakistan [15]. Selon les informations fournies par une de nos sources, le 18 janvier, il a été arrêté et on lui a bandé les yeux avant qu’il ait été en mesure d’organiser la manifestation. Plus tard, ce même jour, la Direction générale du renseignement, dont le siège se trouve dans le quartier de Shash Darak, a arrêté trois autres manifestants – Ahmad Shah, Abdul Karim et Hayatullah Raofi – qui s’y étaient présentés pour exiger la libération d’Azeem Azeemi. Dans le contexte de cette manifestation, Belal Azeemi a lui aussi été arrêté par les services de renseignement talibans, a ajouté notre source [16]. À partir du 5 février, les familles d’Azeem Azeemi et d’autres militant·e·s ont été autorisées à leur rendre visite. Jusqu’au 3 mars, ces personnes étaient détenues dans les locaux du service des enquêtes de la Direction générale du renseignement, à Kaboul [17]. Aujourd’hui, d’après certains médias, les talibans accusent Azeem Azeemi d’avoir fomenté une manifestation qualifiée d’« illégale » dans le but de troubler la sécurité du pays et de fuir vers l’Ouest [18]. Avant la manifestation, Azeem Azeemi avait informé – par l’intermédiaire de son compte Twitter – le porte-parole et responsable de la sécurité des talibans à Kaboul de leur projet de manifester [19].

Le 1er février, dans la province de Hérat, les talibans ont arrêté Fayaz Ghouri, ancien représentant du gouvernement et militant de la société civile [20]. D’après certaines sources, Fayaz Ghouri a été arrêté dans la soirée, dans la rue Mukhabirat de Hérat, par la Direction provinciale du renseignement [21]. Ces sources ont ajouté que les talibans avaient nié son arrestation pendant plusieurs jours [22]. Le 2 mars, il a été transféré à la prison centrale de Hérat, et sa famille n’a pu lui rendre visite qu’une seule fois. Sous le gouvernement précédent, Fayaz Ghouri avait travaillé pour le ministère afghan de la Lutte contre les stupéfiants dans la province de Hérat et était bénévole pour une organisation de la société civile œuvrant pour la solidarité à Hérat. Notre source a indiqué qu’il avait critiqué sur Facebook certaines des politiques du régime taliban. Son dossier a été transmis au parquet.

Un climat d’intimidation

Les cas d’arrestations et de détentions arbitraires, les disparitions forcées (en particulier de manifestantes) et l’absence d’obligation de rendre des comptes des talibans ont créé un climat d’intimidation pour les familles des victimes et d’autres personnes, qui n’osent plus dénoncer publiquement les violations des droits humains ni demander des mesures de réparation et un changement. En raison de la limitation de l’accès à Internet, la possibilité de signaler des violations des droits humains est encore plus fragile qu’elle ne l’était par le passé.

Les talibans auraient découragé les familles de victimes de rendre publiques des informations sur leur affaire ou de s’adresser aux médias [23]. À cet égard, une source a déclaré à Amnesty International que les talibans auraient dit aux familles des victimes qu’elles « feraient mieux de se taire » car les personnes détenues seront libérées si leur « innocence » est établie [24]. Elle a ajouté qu’en raison de la crainte de représailles de la part des talibans, les victimes ont peur de parler.

Selon certaines sources avec lesquelles Amnesty International s’est entretenue, les talibans auraient permis aux personnes détenues, y compris les femmes, d’entrer en contact avec leurs familles pour leur dire qu’elles étaient détenues par les autorités et qu’elles étaient susceptibles d’être libérées après enquête et leur dire de ne pas s’adresser aux médias ou mener des campagnes de mobilisation. Il semble que l’objectif soit d’empêcher les familles des personnes détenues de se mettre en relation avec les [25].

La chute de l’Afghanistan aux mains des talibans a aussi eu un effet très négatif sur la liberté de la presse dans le pays. Depuis le 15 août 2021, de nombreux médias ont été fermés, un grand nombre de journalistes ont quitté le pays par peur des talibans ou bien après avoir perdu leur emploi, et au cours des six derniers mois, environ 50 journalistes et professionnel·e·s des médias ont été arrêtés [26].

En outre, depuis leur prise de pouvoir, les talibans ont mis en place des règles extrêmement contraignantes : les médias ont l’ordre de ne pas traiter des sujets insultant des personnalités nationales ou considérés par les talibans comme contraires aux « normes islamiques », et les journalistes doivent produire de l’information en coordination avec les autorités talibanes [27].

La réponse des talibans

Le 10 mars 2022, Amnesty International est entrée en contact par courriel avec le ministère de l’Intérieur et des Affaires étrangères ainsi qu’avec le ministère de l’Information et de la Culture (qui représentent les autorités talibanes en Afghanistan) pour leur donner une occasion de fournir plus d’informations en ce qui concerne les résultats de l’enquête menée par l’organisation. À ce jour, les autorités talibanes n’ont pas répondu.

Complément d’information et méthodologie

En janvier et février, Amnesty International a suivi les cas d’arrestations arbitraires de dissident·e·s, de journalistes et de militant·e·s ainsi que les cas de disparitions forcées de militant·e·s des droits des femmes. L’organisation a mené 11 entretiens. Six de ces entretiens concernaient des arrestations arbitraires et cinq portaient sur des disparitions forcées. Deux de ces entretiens ont été menés avec des familles de victimes. Dans les cas où il n’a pas été possible de mener des entretiens, faute de connexion Internet ou en raison de la peur, Amnesty International s’est aussi fiée à des informations parues dans les médias.

Depuis la prise de pouvoir des talibans en Afghanistan, en août 2021, l’organisation a recensé des cas d’exécutions extrajudiciaires et d’homicides volontaires de membres de l’ancien gouvernement et des anciennes forces de sécurité par les talibans. Selon un rapport des Nations unies publié en janvier, plus de 100 anciens membres du gouvernement et des forces de sécurité ont été tués depuis le 15 août 2021, date à laquelle le gouvernement a été renversé par les talibans.

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