Afrique. Les expulsions forcées atteignent un niveau critique

COMMUNIQUÉ DE PRESSE

AFR 01/009/2006

Des recherches menées par Amnesty International et le Centre pour le droit au logement et contre les expulsions (COHRE) de Genève révèlent que la pratique des expulsions forcées a atteint des proportions épidémiques en Afrique, plus de trois millions d’Africains ayant été expulsés de leur domicile depuis 2000. Les deux organisations ont demandé ce mercredi 4 octobre aux gouvernements africains de mettre un terme aux expulsions forcées, et de respecter leurs obligations internationales en termes de droits
humains.

« Les données chiffrées, absolument effarantes, indiquent bien que les expulsions forcées sont l’une des violations des droits humains les plus répandues et les moins reconnues en Afrique », a déclaré Kolawole Olaniyan, directeur du programme Afrique d’Amnesty International.

La pratique des expulsions forcées est reconnue comme une grave violation des droits humains aux termes du droit international, et en particulier par la Commission africaine ; pourtant, partout sur ce continent, chaque année, des gouvernements continuent à expulser de force des centaines de milliers de personnes de leur domicile. Ces expulsions s’accompagnent souvent d’autres violations des droits humains, comme le recours excessif à la force par les personnes procédant à ces expulsions, ou encore des arrestations arbitraires, des passages à tabac, des viols, des actes de torture, voire des homicides.

Jean du Plessis, faisant fonction de directeur exécutif du COHRE, a déclaré : « De nombreux gouvernements africains justifient les expulsions forcées au nom du ‘développement’ et donc, dans l’intérêt public général. Cependant, le développement qui entraîne des expulsions forcées est fondamentalement contreproductif, parce que ces expulsions privent les gens de domicile, détruisent les biens et le capital productif, et empêchent l’accès à l’eau potable, aux infrastructures sanitaires, aux soins médicaux, aux moyens d’existence et à l’instruction. En pratiquant des expulsions forcées, les gouvernements africains enfoncent les gens dans la pauvreté, ils ne les en sortent pas. »

Kolawole Olaniyan d’Amnesty International a ajouté : « En ne mettant pas un terme aux pratiques d’expulsion forcée, les dirigeants africains violent leur obligation de protéger les droits humains et contredisent leurs engagements exprimés en faveur d’impératifs du développement, comme les objectifs de développement du millénaire et le NEPAD. »

Les exemples d’expulsions forcées sur tout le continent sont aussi nombreux qu’inquiétants. Parmi les exemples récents figurent :

Au Nigéria, deux millions de personnes environ ont été expulsées par la force de leurs domiciles, et de nombreux milliers d’autres ont perdu leur logement depuis 2000.

En août 2006, plus de 12 000 personnes ont été expulsées par la force du camp de Dar Assalaam au Soudan. La majorité des personnes expulsées avaient déjà été déplacées au Soudan pendant le conflit et installées dans des camps à l’intérieur ou aux alentours de la capitale Khartoum. Les autorités ont expulsé de ces camps des milliers de personnes, les réinstallant dans des zones désertiques sans accès à l’eau potable, à la nourriture et à d’autres biens essentiels. Le Soudan compte actuellement plus de quatre millions de personnes déplacées à l’intérieur du pays.

En 2005, le gouvernement du Zimbabwe a laissé sans voix la communauté internationale en expulsant de force, dans une opération de style militaire, environ 700 000 personnes de leur domicile, de leur entreprise ou les deux. À ce jour, le gouvernement n’a pris aucune mesure réelle pour améliorer la situation des personnes déplacées.

À Luanda, la capitale de l’Angola, au moins 6 000 familles ont été expulsées de force et ont vu leurs maisons démolies depuis 2001. Une grande partie de ces familles, qui n’ont reçu aucune compensation, ont vu leurs biens volés par ceux qui procédaient aux expulsions ; ces familles sont toujours sans abri.

Au Kenya, environ 70 000 personnes ont été expulsées de force de leur domicile en zone forestière depuis 2005, et 20 000 personnes au moins ont été expulsées de quartiers de Nairobi ou sa banlieue depuis 2000.

Au Ghana, plus de 7 000 personnes ont perdu leur domicile lorsqu’elles ont été expulsées par les gardes-chasse du parc national de Digya, en mars et avril 2006. Ces expulsions ne se sont arrêtées qu’en avril, et seulement après le naufrage d’un bateau transportant plus de 150 expulsés, coûtant la vie à 10 personnes au moins. Les personnes restant dans le parc sont toujours menacées d’expulsion forcée. En mai 2006, quelque 800 personnes ont également vu leurs domiciles détruits à Legion Village, à Accra, et environ 30 000 personnes du quartier d’Agbogbloshie, à Accra, sont menacées d’expulsion forcée depuis 2002.

Au moins 300 familles de Guinée équatoriale ont été expulsées de leur domicile depuis 2004, lorsque le gouvernement s’est lancé dans un programme de réhabilitation urbaine à Malabo et Bata. Ces familles avaient des titres de propriété. Des milliers d’autres risquent toujours l’expulsion.

Contexte
La Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (la Commission africaine), dans une décision fondamentale sur les expulsions forcées prise au Nigéria en octobre 2001, a déclaré que la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples garantissait le droit à un logement adéquat, incluant l’interdiction des expulsions forcées (voir SERAC et CESR c. Nigéria, ACHRP 2002). Dans cette affaire, la Commission africaine incorporait la substance et la doctrine du droit international relatif aux droits humains sur l’interdiction des expulsions forcées au droit implicite à un logement adéquat dans la Charte africaine. Cependant, cette décision importante ne se reflète toujours pas dans la doctrine juridique de l’ensemble du continent, ni dans les pratiques gouvernementales.

Aux termes du droit international relatif aux droits humains, y compris la Charte africaine, qui a été ratifiée par les États membres de l’Union africaine, les expulsions forcées ne peuvent être considérées comme légales que si elles sont nécessaires dans les circonstances « les plus exceptionnelles ». Si ces circonstances existent, alors il faut respecter certaines protections procédurales et conditions prévues par la loi, notamment celles-ci : avant les expulsions forcées prévues, en particulier celles de grande ampleur, les États doivent étudier toutes les alternatives faisables, en consultation avec les personnes concernées. En outre, et en tout état de cause, les expulsions ne doivent pas avoir pour résultat de priver des personnes de domicile ou de les rendre vulnérables aux violations d’autres droits humains. Les gouvernements sont dans l’obligation légale de mettre d’autres logements à la disposition des personnes expulsées, et leur fournir des compensations pour toutes leurs pertes.
Les objectifs de développement du millénaire, comme les définit la Déclaration du millénaire des Nations unies, ont été adoptés par l’Assemblée générale des Nations unies le 18 septembre 2000. La cible 11 de l’objectif 7 exhorte tous les gouvernements à « améliorer sensiblement, d’ici 2020, la vie d’au moins 100 millions d’habitants de taudis »

Le Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD) offre une vision et un cadre stratégique pour le développement de l’Afrique. Parmi ses objectifs premiers figurent notamment : « éradiquer la pauvreté » et « mettre les pays africains, tant sur un plan personnel que collectif, sur le chemin d’une croissance et d’un développement durables. » L’un des principes du NEPAD est de faire en sorte que tous les partenariats du NEPAD soient liés aux objectifs de développement du millénaire et autres buts et cibles de développement.

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