AFRIQUE - Le scandale des expulsions forcées

Index AI : AFR 01/003/2005

DÉCLARATION PUBLIQUE

À l’occasion de la Journée mondiale de l’habitat, le 3 octobre, Amnesty International et le Centre on Housing Rights and Evictions (COHRE, Centre pour le Droit au Logement et contre les Expulsions) exhortent les gouvernements africains à mettre un terme à la pratique des expulsions forcées, l’une des atteintes aux droits humains les plus répandues et les moins reconnues sur le continent.

Les expulsions forcées bafouent le droit international. Pourtant, de nombreux gouvernements africains les justifient en invoquant la nécessité de développer les infrastructures, les logements et les bureaux, ou de préparer des événements internationaux. Dans la plupart des cas, ce sont les membres les plus démunis et les plus vulnérables de la société qui sont encore fragilisés - lorsqu’ils se retrouvent sans abri ou sont relogés.

À travers le continent africain, des centaines de milliers de personnes sont chassées de chez elles chaque année. Bien souvent, elles se retrouvent sans abri, perdent leurs biens ou sont relogées loin de leur lieu de travail, des établissements scolaires et de leurs sources de subsistance. Dans toute l’Afrique, les exemples sont aussi nombreux qu’affligeants.

Au Nigéria, depuis 2000, plus d’un million de personnes ont été forcées à partir. En avril 2005, quelque 3 000 habitants ont été chassés du quartier de Makoko, à Lagos, sur exécution d’une décision judiciaire, qui avait accordé en 2000 la propriété de ces terres à une famille. Des maisons, des églises et des centres de soins ont été démolis et les représentants de l’État chargés de procéder à ces expulsions forcées ont battu et roué de coups de pieds les habitants, dont cinq jeunes enfants.

À partir de mai 2005, le gouvernement du Zimbabwe a orchestré un programme d’expulsions massives et de démolitions d’habitations et de quartiers, qui a touché pas moins de 700 000 personnes directement et plus de 2 millions indirectement. Des logements, des écoles et des dispensaires ont été rasés au bulldozer et incendiés, et des villages entiers déplacés. Le gouvernement a tenté de reloger de force certaines personnes dans des zones rurales - où les pénuries alimentaires sont déjà cause d’une détresse importante. Des centaines de milliers de personnes déplacées doivent désormais ¬faire face à une crise humanitaire.

Au Soudan, 1 800 000 personnes déplacées à l’intérieur de leur pays, chassées de chez elles par le conflit persistant et la marginalisation, résident dans la capitale Khartoum et ses environs. En dépit des fermes contestations de la communauté internationale, le gouvernement continue de les reloger arbitrairement et de force dans des lieux n’offrant pas même les services les plus élémentaires. La criminalité et les campagnes de « nettoyage » sont souvent invoquées pour justifier ces actions. Plus récemment, le 17 août 2005, des policiers armés ont encerclé le camp pour personnes déplacées de Shikan, situé à Omdurman, à Khartoum. Ils ont embarqué plus de 700 familles dans des camions - sans aucune consultation - et les ont conduites dans des zones reculées offrant des services de base limités, voire inexistants.

Début 2005, suscitant un tollé international, le gouvernement du Kenya a menacé d’expulser plus de 3 000 familles de la forêt de Mau. En mai, en dépit d’une décision de justice suspendant temporairement cette expulsion, le gouvernement a chassé plus de 300 familles, alors que toutes affirmaient détenir des titres de propriété. Dès le 13 juin, plus de 50 000 personnes ont été chassées de chez elles et leurs habitations, ainsi que plusieurs greniers à grain, ont été détruits.

À Luanda, en Angola, depuis 2001, des milliers de familles ont été expulsées de force. Certaines ont été relogées dans des zones situées à 40 kilomètres, où elles ne peuvent bénéficier de soins de santé, ni se rendre à l’école ou sur leur lieu de travail. Au cours des dernières expulsions qui ont eu lieu à Bairro Cidadania, les 28 et 29 septembre 2005, 200 familles se sont retrouvées sans abri, la police nationale les ayant chassées avant de procéder à la démolition de leurs habitations.

Au Ghana, quelque 30 000 personnes risquent toujours d’être chassées du quartier d’Agbogbloshie, à Accra.

Toutefois, on a aussi constaté des évolutions positives sur le continent africain.

En octobre 2001, la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples a pris une décision qui fera date concernant les expulsions forcées au Nigéria, contribuant à la jurisprudence internationale relative au droit à un logement décent. Elle a déclaré qu’en procédant à ces expulsions, le gouvernement nigérian avait bafoué la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples.

Dans certains pays, les habitants et d’autres groupes se rassemblent pour passer à l’action. Au Kenya, par exemple, des groupes ont remporté une victoire mémorable au premier semestre 2004. Ils ont convaincu la National Rainbow Coalition (NARC, Coalition nationale Arc-en-Ciel), au pouvoir, d’abandonner son projet d’expulser des centaines de milliers de personnes habitant des taudis dans des quartiers non planifiés de Nairobi, situés sur des terres réservées à la construction de nouvelles routes ou trop proches de voies de chemin de fer, de routes ou de lignes électriques. Depuis lors, les groupes d’habitants de Nairobi et les organisations nationales et internationales qui les soutiennent élaborent et, dans des cas marginaux mais néanmoins importants, commencent à mettre en œuvre des plans de développement sans expulsion pour certaines des zones concernées.

S’appuyant sur ces évolutions positives, les dirigeants africains doivent œuvrer à mettre fin aux expulsions forcées sur tout le continent.

Amnesty International et le COHRE invitent les gouvernements africains à :

 reconnaître publiquement qu’un niveau de vie suffisant, englobant un logement adéquat, est un droit fondamental ;

 s’engager publiquement à faire cesser immédiatement toute expulsion forcée jusqu’à l’adoption d’une loi appropriée interdisant cette pratique. Dans l’intervalle, toute autre éviction doit être menée dans les circonstances les plus exceptionnelles et après avoir envisagé toutes les autres solutions possibles. En outre, les expulsions doivent se fonder sur une décision judiciaire, après véritable consultation des personnes concernées. Enfin, des terres et des logements adéquats doivent être fournis en remplacement à toutes les personnes touchées ;

 donner des instructions à toutes les autorités concernées afin que toute expulsion soit menée dans le respect du droit et des instruments internationaux relatifs aux droits humains.

Scott Leckie, directeur exécutif du COHRE, et Kolawole Olaniyan, directeur du programme Afrique d’Amnesty International.

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