Algérie, les condamnations à mort collectives sont marquées par des procès iniques et des allégations de torture

Algérie, les condamnations à mort collectives sont marquées par des procès iniques et des allégations de torture

Les procès de 54 personnes condamnées à mort en lien avec les événements qui se sont déroulés en août 2021 en Kabylie, région du nord-est de l’Algérie, notamment le lynchage d’un militant, sont entachés de violations des garanties d’un procès équitable et d’allégations de torture, tandis qu’au moins six des accusés ont été poursuivis en raison de leurs affiliations politiques.

Sur ces 54 personnes, condamnées à mort dans le cadre de procédures collectives en novembre 2022, cinq ont été jugées par contumace, dont une femme. D’après la décision rendue par la chambre d’accusation de la Cour d’Alger, qu’a pu analyser Amnesty International, au moins six ont été poursuivies en raison de leur lien avec le Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK), un groupe politique désigné comme organisation « terroriste » par les autorités algériennes en juin 2021. Cinq ont déclaré au tribunal avoir été soumises à la torture ou à des mauvais traitements en détention.

« En prononçant des sentences capitales dans le cadre de poursuites collectives à l’issue de procès iniques, les autorités algériennes affichent leur mépris total pour la vie humaine, mais adressent aussi un message très inquiétant sur la manière dont la justice est rendue en Algérie aujourd’hui, a déclaré Amna Guellali, directrice adjointe pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient à Amnesty International.

« Infliger la peine de mort n’est jamais justifiable, quelle que soit l’infraction commise. Ces peines de mort et ces condamnations ignobles doivent être annulées sans délai. Les autorités doivent rapidement ordonner la tenue d’enquêtes sur toutes les allégations de torture et de mauvais traitements, et la tenue de nouveaux procès pour les personnes condamnées par contumace ou poursuivies en raison de leurs affiliations politiques. »

Violations généralisées du droit à un procès équitable

Ces 54 personnes ont été déclarées coupables et condamnées à mort pour divers chefs d’accusation – meurtre, terrorisme et incendie notamment – concernant le lynchage le 11 août 2021 du militant Djamel Ben Smail à Tizi-Ouzou, une ville située dans l’est de l’Algérie, les incendies allumés le même mois en Kabylie, dans le nord-est du pays, qui ont entraîné la mort d’au moins 90 personnes, ainsi que leur appartenance au MAK. Elles sont aussi accusées de « torture et incitation à la torture », d’avoir « agressé violemment des agents des forces de l’ordre » et de « diffusion de discours de haine et discrimination ».

Au moins 62 autres personnes devaient répondre d’accusations similaires lors du procès, portant le nombre total de poursuites engagées dans le cadre de cette affaire à 116. Le 24 novembre 2022, le juge a prononcé 17 acquittements et 45 condamnations à des peines de prison comprises entre deux et 10 ans. Leurs avocats ont fait appel de ce jugement.

Dans au moins deux des cinq affaires, le tribunal n’a pas informé les accusés des charges retenues à leur encontre, ni de l’heure et du lieu du procès, en violation des normes internationales d’équité.

Autre violation du droit à un procès équitable, neuf témoins étaient absents lors du procès qui s’est déroulé à huis clos entre le 15 et le 24 novembre, auquel les familles des victimes des événements d’août 2021 n’ont pas assisté.

Électrocution et menaces de viol en détention

Selon un avocat qui a souhaité garder l’anonymat en invoquant le caractère sensible de ces affaires, au moins cinq personnes reconnues coupables ont dit au juge que leurs déclarations avaient été extorquées sous la contrainte. Mohamed Laaskri a indiqué que des agents des forces de l’ordre l’avaient électrocuté, avaient tenté de le noyer et menacé de le violer pendant sa détention. Le juge a répondu qu’il était de la responsabilité de l’accusé de porter plainte auprès du bureau du procureur.

Selon deux avocats, au moins quatre accusés condamnés à mort en leur absence ne se trouvaient pas en Algérie lorsque les crimes présumés ont été commis. Aksel Bellabbaci, haut responsable du MAK qui réside en France, a indiqué qu’il ne s’était pas rendu en Algérie depuis août 2019. Lors d’interrogatoires, plusieurs détenus ont déclaré qu’Aksel Bellabbaci était une personne contact pour l’organisation, mais l’accusation n’a pas pu prouver son implication dans le lynchage.
Mourad Itim, qui vit et travaille au Canada en tant que manager pour Taqvaylit TV, télévision diffusée sur le Web, après avoir travaillé comme coordinateur du MAK en Amérique du Nord, a fait savoir qu’il n’était pas allé en Algérie depuis 2016. Il pense que sa condamnation découle du fait qu’il a tenté d’exercer pacifiquement son droit à la liberté d’expression en couvrant les événements d’août 2021.

« Il est absolument honteux que les autorités algériennes instrumentalisent le lynchage d’un homme pour poursuivre en justice leurs détracteurs et des membres du Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK). Cette répression obstinée est une violation grave des droits à la liberté d’expression et d’association, mais aussi du droit à la vie », a déclaré Amna Guellali.

Complément d’information

Depuis avril 2021, les autorités algériennes ont amplement invoqué l’article 87 bis du Code pénal afin d’engager des poursuites contre des militant·e·s, des défenseur·e·s des droits humains et des journalistes pour des « crimes » liés au « terrorisme ».

L’Algérie n’a procédé à aucune exécution depuis 1993. Toutefois, le pays doit encore abolir la peine de mort ou signer et ratifier le Deuxième protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort.

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